par anarced » Jeudi 02 Juil 2015 9:30
Avant de s'accorder sur la question de l'organisation du travail, évoquée dans un précédent fil, l'anarchisme doit d'abord résoudre la contradiction qu'il pose sur la notion même de travail. Dans la tradition anarchiste, cette notion prend deux significations diamétralement opposées :
La première, la plus réaliste, désigne l'acte d'exploitation. Le travailleur est exploité par le propriétaire des moyens de production. Le propriétaire vole le travailleur en profitant de son droit d'aubaine. C'est uniquement ainsi que le travail est conçu dans le cadre du système économique, c'est la seule façon que les économistes ont de le concevoir, c'est ainsi que les travailleurs le subissent, depuis toujours.
Selon Proudhon, « de même que l'homme ne s'est originairement discipliné que par la terreur religieuse et la crainte du pouvoir, il ne s'est livré au travail que forcé et contraint. Pour obtenir de lui un labeur quotidien, il a fallu le soumettre à une retenue quotidienne : au fond, la rente et l'intérêt ne sont que les instruments de cette éducation énergique ».
Le travail ainsi conçu est inacceptable du point de vue anarchiste, il est à combattre.
L'autre signification est l'idée d'épanouissement humain développée, entre autres, par Bakounine et Kropotkine.
Bakounine ne distinguait pas l'homme des autres espèces et voulait voir la nécessité de travailler pour vivre comme une loi de la vie. Pour lui, le travail ne devient humain qu'au moment où il ne répond plus seulement aux besoins fixes et limités de la vie animale mais aussi aux besoins sociaux et individuels de celui qui pense, qui parle et qui cherche à conquérir et à réaliser pleinement sa liberté. Cette tâche énorme, que Bakounine définit comme illimitée ne correspond pas seulement au développement intellectuel et moral de l'homme, mais fait également partie d'un processus d'émancipation matérielle. En se libérant de certaines contraintes naturelles (comme la faim, la douleur, la météo, la dépendance à l'environnement...), on se libère partiellement de la peur inhérente à l'existence animale. Bakounine voyait la religion comme une continuation de cette peur existentielle.
Selon Kropotkine, le bien-être, entendu comme la satisfaction des besoins physiques, artistiques et moraux, est le plus grand stimulus pour le travail. Il oppose le travailleur libre au travailleur salarié et soutient que le premier peut fournir plus d'énergie et d'intelligence que le second et donc être plus productif.
Ainsi, le travail est à la fois l'acte d'exploitation et l'acte d'émancipation, une chose et son contraire, selon qu'on parle du travail réel, tel que le connaissent les hommes, ou du travail imaginaire, tel que le rêvent les utopistes de l'anarchie.
Pour ces derniers, la révolution passe par un renversement de la notion de travail. Le travail, qui est aujourd'hui acte d'exploitation, doit devenir épanouissant et servir de principe et de levier au changement social.
Cependant, pour que le travail devienne épanouissant, il faudrait que le changement social ait déjà eu lieu, ou alors, il faudrait un grand soir, avec une subite prise de conscience universelle qui transforme en un coup de baguette magique le travail en son contraire !
Il reste alors à dire comment cela pourrait s'envisager, car cela ne va pas de soi, ou bien à ne prendre les utopies, collectivistes ou communistes, que pour ce qu'elles sont : des chimères, des dogmes, des tentatives de continuation de la religion dont il faudrait parvenir à s'affranchir totalement et, en attendant, soigner avec de la tolérance pour que l'utopie des uns ne devienne pas l'enfer des autres.
Les jeux d'enfants finissent jamais.