Mille et une nuits à chercher leurs Lumières
De Rabat (Maroc) à Sanaa (Yémen), l’histoire semble s’accélérer. Les régimes mis en place par l’Empire capitaliste semblent s’effondrer les uns après les autres. Toutes les dimensions économiques ou politiques sont devenues avec le temps un enjeu international. On parle de stabilisation de la région, de lutte contre le terrorisme, de protection d’Israël… mais aussi du prix du pétrole, du canal de Suez, de l’Iran. Les changements à venir risquent de déstabiliser en premier lieu l’ordre du « monde américain ».
Les politiques occidentaux paraissent être tiraillés d’un coté par leurs intérêts nationaux, c'est-à-dire tous les bénéfices qu’ils peuvent tirer pendant leurs mandats de présidents, de ministres, de députés (l’eau va toujours à la rivière) ; et d’un autre coté par l’intérêt suscité par leurs « populaces » pour ces révoltes. L’argent contre l’opinion : une contradiction de plus de la démocratie parlementaire.
Ben Ali dégage ! Moubarak dégage ! Kadhafi dégage !
Voici les mots d’ordre de la contestation dans les pays arabes. Les dictateurs présents depuis des décennies n'ont plus du tout la côte. Ils sont un frein aux libertés d’expression, syndicales, de réunion… mais peuvent l’être aussi à celle d’entreprendre. Partout, on s’émeut de ces révoltes, on semble être solidaire, mais « les révolutions » passionnent autant qu’elles font peur. On a peur de l’immigration ; peur que le mouvement s’étende aux pays soucieux de donner plus de coups de bâton que de carottes ; peur que ça déclenche des événements incontrôlables ; peur que ça renforce la chimère Al-Qaïda ; peur que les prix grimpent ; en gros, peur de tout. Après des décennies de lessives cérébrales, la terreur est là. On a fait des travailleurs pauvres des terroristes en puissance, puis de mauvais laïcs comme les mauvais chrétiens autrefois. Même si des événements s'enclenchent le plus souvent après la prière du vendredi, les révoltes se dérouleraient au-delà du cadre religieux. L’influence des confréries musulmanes comme « les Frères musulmans » reste pour l'instant dans « l'humanitaire », pour autant on sent qu'il y a des arrières pensées. Elles attendent certainement les élections et la légalité pour s’exprimer. Légalité qu’elles pourront exploiter grâce aux magnifiques démocraties parlementaires acquises. Le parlementarisme reste la seule optique en vue. Belles « révolutions » que de réclamer l’aide de l’armée pour la garantir, on dirait presque le scénario portugais de l’année 1974, lors de la transition « démocratique ».
Les dictatures placées depuis belle lurette par nos gouvernements respectables résistent tout de même. On pensait la Tunisie et l'Égypte tirées d’affaire, nous verrons bien pour la Tunisie, mais il semble que pour l'Égypte ça soit parti du mauvais pied. La cour militaire égyptienne du Caire a condamné un blogueur à trois ans de prison pour avoir critiqué l’armée sur le réseau social Facebook. L’armée égyptienne garante de la liberté d’expression a tout de même œuvré contre elle. Elle œuvre aussi à convaincre « (non) démocratiquement » les étudiants encore présents sur la place Tahrir de rentrer chez eux. La grande vague de contestation, selon les journaux, a été initiée par les utilisateurs de Facebook et de Twitter. Comme chacun le sait, ces pays sont à la « pointe de la technologie », chaque classe sociale, surtout les plus défavorisées, a accès sans limite à l’Internet, surtout… quand il est coupé à plusieurs reprises. Tout Egyptien, Yéménite, Tunisien, Syrien, etc. a un salaire à mettre dans le matériel informatique. De fait, celui qui a faim ne peut pas se payer le luxe d'avoir un abonnement Internet. Son éducation même ne lui permet pas de pouvoir exposer sa vie au grand jour sur Facebook. Ce qui, dans ce cas, voudrait dire que la contestation est l’œuvre des classes moyennes et bourgeoises, et non des classes populaires, ce qui est évidement faux.
Néanmoins il est fort probable que ce soient les classes moyennes et bourgeoises qui ont prit la tête du mouvement. Cette lutte de classe est celle des couches favorisées contre la plus privilégiée qui est au pouvoir. Pour exemple, les classes populaires demandent une baisse des prix de l’alimentaire, alors que les classes moyennes ayant des intérêts de classe, divergent, contestent le pouvoir. Comme lors de Mai 68 en France, où les étudiants petit-bourgeois demandaient que de Gaulle quitte ses fonctions, et que l’ouvrier lui demandait une augmentation de salaire. Deux poids deux mesures. Les révoltes en cours ne sont-elles pas parties de l'augmentation des prix des denrées alimentaires ; dans ce cas ne s'agit-il pas de la récupération de la contestation des classes populaires par les classes moyennes ? Ce qui historiquement s’est déjà produit.
Les réseaux sociaux permettent aujourd’hui de préparer des manifestations politiques mais dans quelle mesure ? Par son étendue, l'Internet possède un avantage que n'ont pas les médias traditionnels : radios, chaînes de télévisions, journaux papiers, etc, les uns contrôlés, les autres interdits par l'État. Alors que pour l'instant l’Internet est moins soumis que les autres supports. Mais son rôle dans les émeutes parait être bien plus modeste que ce qu’affirment nos médias (qui sont eux aussi d'État ou à la solde du Capital).
La surexploitation du phénomène permet d’occulter bien des sujets. Par exemple la différence qu’il y a entre république et monarchie. Tout comme les dictatures républicaines, les monarchies sont nombreuses dans la région. On n’en compte pas moins de cinq : le Maroc, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes unis, et le Bahreïn. Comme au beau royaume d’Espagne, on ne remet pas en cause la souveraineté héréditaire. Un bon garant de l'État, c’est un homme (de préférence) intouchable. Un homme entouré d’une aura sacrée, on ne touche pas au roi sauf quand il n’est pas de sa religion comme c’est le cas en Bahreïn. Par ailleurs, on désire que le bon souverain, dans sa grande sagesse, ait la bonté de bien vouloir accepter de concéder quelques libertés à ses sujets respectifs, par une constitution plus favorable à la libre expression des opinions qui se valent. C’est ce qu'ils appellent aujourd’hui révolution. Au grand Califat des réacs, on veut une liberté très encadrée. S’ils ne sont même pas capables de remettre en cause ce type de régime, je ne vois même pas comment on peut parler de révolution, mais dans les gros titres ça fait vendre. La révolution ce n’est pas contester le vilain dictateur pour en avoir un gentil. Ce n’est pas réclamer quelques miettes à ses maîtres, ce n’est pas casser une vitrine ou brûler une effigie. C’est faire une rupture idéologique nette. Lors d’une révolution, on ne fait pas dans le réformisme. On met en place un projet de société, pas un plat réchauffé venu d’Europe. On ne prie pas le dieu pour que tout ce déroule bien. On prend les armes, mais pas comme en Libye où c’est un cirque monumental. On ne fait pas dans le compassionnel, le pathétique, le misérable. On a la rage ! On brise les chaînes ! Mais avec le vide idéologique actuel c’est remettre la partie à demain.
Le sucre, l’huile et la farine
Les émeutes, révoltes et insurrection (cas de la Libye, devenu depuis une guerre civile) paraissent être d'emblée une contestation du pouvoir en place, mais c’est sur le terrain de la subsistance que le nid de la révolte est né. La contestation est partie de Tunisie d’un mouvement contre la vie chère. Les prix de l’alimentaire, tout comme en 2008 lors des émeutes de la faim, ont explosés. Les prix du sucre de l’huile de la farine battent des records, ceci à cause de la pénurie mais aussi de la spéculation, conséquence de la mise en bourse des denrées de base.
La crise économique que nous traversons actuellement a pour seule explication un système économique totalement inadapté au développement humain, n’en déplaise aux économistes modernes. Le développement mondialisé, peut ébranler en quelques semaines plusieurs « économies nationales », devenues les unes des autres interdépendantes. Ce développement économique est basé sur l’inégalité entre les individus, les régions. Sa production de masse à créé une consommation de masse. Les ressources matérielles limitées par l'environnement se font rares dès que celles-ci deviennent un attrait pour l’industrie. Par exemple le pétrole, qui à cause du « développement humain » devient de plus en plus rare. Le monde a pris la dimension d’un village. Il transforme la moindre crise systémique en cataclysme pour les salariés, des régions entières ou bien même pour le village-monde. La crise de 2008 traduit les dérives incontrôlables et incontournables du capitalisme. N’ayant que l’argent comme seule loi ou motif de vie, il casse, brise, restructure etc. Les inégalités de classe soulignent les tensions, les mets en gras.
Parfois comme lors des Trente Glorieuses (1945-1973), il paraissait que ces inégalités ce résorbaient, et à terme selon les experts, disparaîtraient. Mais c’était sans compter sur les crises de surproduction, de la main-d’œuvre bon marché des pays dits émergents, des chocs pétroliers successifs. L’idéologie libérale a triomphé sur le communisme autoritaire (capitalisme d’État) de l’union soviétique, la tendance aux crises s’accéléra. Les pays autrefois concurrents idéologiquement, sont devenus concurrents économiques (exemple la Chine et les USA).
La crise se traduit par un taux de chômage en hausse. La spéculation financière fait éclater le cours des denrées les plus primordiales, par exemple le blé. Et pourtant, à notre connaissance aucune contestation du capitalisme n'est d'actualité dans les « révolutions » arabes. Ceci pourrait être expliqué par le manque d'une idéologie claire et anticapitaliste, mais aussi par le fait que le fer de lance de la contestation est incarné par les classes moyennes, qui elles, veulent accéder à la société de consommation. Unis dans la circonstance, classes moyennes et populaires combattent un ennemi commun : leur dictateur. Mais une fois le calme revenu, les intérêts de classes feront apparaître des contradictions que ne pourront pas effacer un nouveau régime. Les régimes d'hier peuvent être vécus par les classes privilégiés comme une barrière à la libre circulation des capitaux et des marchandises. Car il est vrai que ces régimes archaïques sont un frein à la consommation et à l'échange mondialisé, ce qui modifie par là les jeux géostratégiques traditionnels. Qui, de fait, empêcherait les Chinois ou les Russes de rafler des contrats ? Les multinationales occidentales ne permettent pas une concurrence avec les entreprises des pays rivaux. C'est pour cela que les États occidentaux furent flous sur leur position jusqu'à la chute du président Moubarak. Mais leurs intérêts sont des intérêts d’argent.
Il ne s'agit pas de révoltions
Ces révoltes apparaissent premièrement à cause d'un contexte économique désastreux, deuxièmement du fait que ces pays sont soumis à des dictatures violentes et répressives. L'impuissance du pouvoir face à l'aggravation de la misère, fait déborder - hors cadre des organisations traditionnelles - une contestation spontanée. Dans ce cas, les révoltes actuelles se tournent contre l'oligarchie bourgeoise installée par l'Occident depuis des décennies. Il ne s'agit pas de révolutions car l'absence criante d'idéologie subversive fait place à la demande d'accéder à des régimes parlementaires pour le mieux, ou à des dictatures light pour le pire. L'armée jouant le rôle principal dans une transition vers le parlementarisme, pourrait bien à tout moment ne plus aller vers quelque transition que ce soit, comme cela risque d’être le cas en Égypte où l'armée à décidé de décaler les élections.
La crise économique a déjà fait passer auparavant des pays dans la contestation. Et cela dans des pays européens comme la Grèce, ou l'Islande qui révise en ce moment sa constitution. Un nouvel ordre mondial risque d'émerger, fragilisant les USA et leurs alliés, renforçant les pays nouvellement industrialisés. Les révoltes ne sont pas d'essence anticapitaliste, mais réformiste. Que ce passera-t-il si les gouvernements nouvellement constitués en Égypte et Tunisie ne répondaient pas aux attentes ? La réponse, c'est le bâton à défaut de la carotte. Et que ferions-nous si une telle situation apparaissait en Europe ? Les prix y ont aussi augmenté, l'austérité est présente au quotidien. Et quel discours tiendrons-nous, anarchosyndicalistes, dans une telle situation ? Nous devons combler le vide idéologique par le projet communiste libertaire.
Øystein- Avril 2011- Caen