Quimper ou Carhaix ? Pour y voir plus clair
par Ronan LARVOR – Le Télégramme de Brest
(en intégral car réservé aux abonnés.) pas de lien source direct
Après plusieurs jours de confusion dans les appels à manifester des partis politiques et organisations syndicales, les choses semblaient hier se préciser entre les deux rassemblements de Quimper et Carhaix samedi.
La CGT, le PCF, Europe-Écologie Les Verts appellent à un rassemblement à Carhaix à 15 h samedi. Plusieurs syndicats ne prennent pas position notamment la CFDT, Solidaires. Par contre, FO est au coeur de la mobilisation pour Quimper. Quant à la FSU, elle appelle au rassemblement de Carhaix tout en annonçant que des militants seront également présents à Quimper. D'autres sont aussi partagés, comme les marins pêcheurs. La CGT des marins, contrairement aux autres syndicats CGT, appelle à se réunir à Quimper, tout comme le Comité départemental des pêches alors que le comité régional des pêches s'est retiré. Chez les agriculteurs, la FDSEA est fer de lance de la mobilisation quimpéroise, la Coordination rurale appelle à Quimper, tandis que la Confédération paysanne sera absente. Le Medef a aussi annoncé sa présence à Quimper. Parmi les partis politiques qui appellent au rassemblement quimpérois, on compte l'UDB, le NPA, les Alternatifs, le Front de gauche étant écartelé. À droite, les conseillers généraux de droite et du centre du Finistère seront à Quimper. De nombreuses associations, dont Kevre Breizh, fédération des associations culturelles bretonnes ont aussi lancé un appel pour Quimper.
Mot d'ordre
Le clivage a porté ces derniers jours sur l'évolution du mot d'ordre. La question de l'écotaxe a été un temps le catalyseur de la colère patronale et agricole. Ce dossier s'étant éloigné, le mot d'ordre initial a refait surface. Les deux rassemblements se feront donc sous la bannière de l'emploi en Bretagne. Le clivage est donc ailleurs. Il porte sur le principe d'un front uni de la droite à la gauche, des syndicats au patronat. À Carhaix se réuniront ceux qui refusent de s'afficher avec le patronat. Quimper réunira le gros des manifestants, sous de multiples revendications bretonnes comme l'indique le nom du collectif pour « vivre, travailler et décider au pays ».
« Rester unis !
» « Si je peux comprendre certains arguments, je reste dubitatif face au double discours qui consiste à prétendre défendre l'emploi et à refuser d'être dans le même défilé que des entrepreneurs susceptibles de créer des emplois ! réagit Christian Troadec, maire de Carhaix, qui sera à Quimper. Cela n'interdit pas de lutter contre les décisions scandaleuses prises par la multinationale Marine Harvest de licencier 400 salariés, alors même que ce groupe a fait plus de 200 millions d'euros de bénéfices en 2013. Pour contrecarrer ces décisions révoltantes, il faut rester unis ! ».
« Plus de visibilité à Quimper »
« Nous ne pouvions laisser le champ libre aux patrons à Quimper, avance par ailleurs Martine Petit (adjointe au maire à Quimper et militante d'Attac). Nous comprenons le malaise vis-à-vis de la récupération du mot d'ordre par le patronat ». « Nous avons choisi d'appeler au rassemblement à Quimper pour une question de visibilité, justifie Gérard Mas (NPA). Nous dénonçons les conditions de travail lamentable des ouvriers de l'agroalimentaire, les salaires dérisoires. Ce ne sont pas des bonnets rouges mais des bonnets d'ânes que nous mettons aux patrons ». « Cette crise c'est la faillite d'un modèle économique productiviste marqué par la fuite en avant le refus de prendre en compte les impératifs écologiques », ajoute Jean-Louis Griveau (Alternatifs) Le NPA, les Alternatifs et Attac ne seront donc pas au coude-à-coude avec le Medef et la FDSEA dans la manifestation. Ils appellent à se retrouver devant l'office de tourisme de Quimper.
Ronan LARVOR
Un manifestant coiffé d'un bonnet rouge s'est mis aux commandes d'un engin de levage pour défoncer la grille de la sous-préfecture de Morlaix, permettant aux manifestants de pénétrer dans la cour.
lucien a écrit: Je ne trouve pas l'analyse de Mélenchon complètement à coté de la plaque (ce qui n'efface pas les clivages !), à choisir entre celle-ci et la position du NPA...
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article627
ANARCHIE, COMMUNISME LIBERTAIRE, SOCIÉTÉ SANS CLASSES
Lundi 21 octobre 2013, par cnt // Réflexion sur l’Anarchosyndicalisme
Dans le débat autour du projet anarchiste, des divergences de vues existent parfois concernant les concepts de classe sociale et notamment sa définition... Ceci est plutôt théorique, mais sans doute est-il nécessaire d’y revenir, même si cette question a été abordée dans d’autres articles de notre bimestriel [1] d’une autre manière.
Si on part basiquement de l’étymologie du terme AN-ARCHIE (AN : sans : ARCHIE : autorité/pouvoir sur), on peut résumer l’anarchie à une société sans ARCHIE et conséquemment à une société sans classes (car ARCHIE se réfère clairement à une « classe sociale » dirigeante et conséquemment implique qu’il y ait en regard une classe dirigée/soumise).
L’anarchisme est donc une théorie qui, partant du projet de société sans classe (Anarchie ou Communisme Libertaire) et de la réalité de nos sociétés divisées en classes, appelle logiquement à la lutte contre les sociétés de classe existantes, et plus particulièrement contre les classes dirigeantes.
Les classes dirigeantes sont les classes ayant tout intérêt à la reproduction de cette société de classes contrairement aux classes prolétaires/populaires qui subissent la domination et/ou l’exploitation de ces classes dirigeantes. La lutte des classes est une lutte pour la survie dans le cadre de ce système d’exploitation et de domination, classes contre classes... Le projet communiste libertaire est au delà de cette lutte. La lutte des classes dans une optique anarchiste a comme but l’abolition des classes sociales, et non sa perpétuation vers une société interclassiste / « hiérarchiste », concept que défendent les classes bourgeoises (nationales, libérales) ou moyennes (managariat, syndicats ou bureaucrates) par la réformation dans la cogestion, la collaboration, la corporation, la représentativité politique, les élections syndicales, le coopérativisme, etc.
A l’inverse, les classes Populaires et Prolétaires ont tout intérêt à trouver les moyens autonomes de leur émancipation par les luttes. L’anarchosyndicalisme qui correspond à la conception sociale, sociétale de l’anarchisme s’inscrit pleinement dans ce projet.
Patrick Merin
[1] Voir par exemple : Sociologie pour le combat n°127, Les classes moyennes en crise n°128, Immigration et classes sociales n°129.
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article485
SOCIOLOGIE POUR LE COMBAT, SOCIOLOGIE DU COMBAT
Vendredi 6 janvier 2012, par cnt // Divers
Anticapitalisme, critique du libéralisme, luttes sociales (voire des classes) etc., tout cela refait surface. Revient des profondeurs l’épopée héroïque du révolutionnarisme, ses faits, ses mythes, sa sémantique, ses doctrines, ses théories... Cette histoire a valeur pour élaborer un discours actualisé. L’obsolescence due à une mystique du sujet historique conduit à la défaite. Il n’y a pas de changement révolutionnaire sans une dialectique sujet/objet, en soi/pour soi, pratique/théorie. De la croissance des conflits d’intérêts produits par le système resurgit, dans la prose de certains, la figure tutélaire et rédemptrice de la classe ouvrière. C’est de là que nous parlons, avec fierté, reconnaissance et affection. Que serions-nous sans ces combats et valeurs ? Néanmoins quelle réalité, quelle signification a cette catégorie. Est-elle une sous-catégorie du prolétariat ?
La révolution industrielle requalifie le propriétaire du capital productif (le capitaliste) et celui qui ne possède pas les moyens de productions et vend sa force de travail (muscles et cerveau) généralement sous forme de salaire pour vivre (le prolétaire). De nos jours le prolétaire et son statut de salarié concerne la grande majorité du monde du travail. Ce concept juridico-économique soufre de quelques critiques. Il y a des salariés qui sont propriétaire (part du capital), des prolétaires non salarié (travailleur indépendant, etc.). Que cela plaise ou pas, le salarié du secteur privé ou public, le fonctionnaire, le précaire, l’employée, l’ouvrier, l’infirmière, l’enseignant, le policier, le technicien etc., sont des prolétaires. Le monde du travail est catégorisé en fonction des critères socio-professionnels suivant : niveau de qualification, salariat ou pas, propriété juridique du capital. La grande majorité des travailleurs sont des prolétaires salariés ; d’autres sont propriétaire et bien que travaillant, leur revenu est une part des bénéfices (artisans, société en nom propre...). PDG, cadres, gérants… sont également salariés.
Observons que l’évolution du procès de production des marchandises, l’activité économique, la réalité sociale ont modifié ou créé les technologies, les statuts, les catégories socio-professionnelles, les rapports de production, les secteurs d’activités et donc les réalités et perceptions des classes. L’euphémisme catégorisant (employé, ouvrier, cadre, technicien, agent, fonctionnaire etc.) occulte le trop connoté prolétaire. Les classifications sont partiellement justes et jamais neutres. Le travailleur peut être : le patron, le propriétaire du capital, le banquier, le prolétaire, le paysan, l’artisan, le PDG, le sociétaire, salarié ou pas ; de même le prolétaire peut être salarié ou pas.
Définir le prolétaire comme celui qui, n’étant pas propriétaire du capital productif, vend sa force de travail contre salaire est un peu court, surtout si on ajoute la formule moderne, celui dont on extrait la plus-value. En effet quand, par exemple, un artisan vend sa production à un autre capitaliste (prestataire, produit intermédiaire, commerçant...) qui extrait de la plus-value sur le travail d’un autre capitaliste qui est prolétaire ? Les cadres, principalement ceux du management, sont des salariés et souvent ne possèdent pas ou que sous forme très résiduelle ou minoritaire le capital. Ce n’est pas la propriété juridique mais leur technicité qui les hisse dans la chaîne du commandement capitaliste. Ainsi, délocalisations, restructurations, licenciements, investissements, salaires, productivité, montages (juridiques, financiers, productifs, fiscaux, etc.) mais aussi la politique, la fonction publique, les partis politiques et syndicats etc., sont placés sous direction de cadres supérieurs. Les actionnaires (souvent incompétents en la matière) délèguent aux technocrates la gestion du capital financier, productif, politique. Les actionnaires majoritaires, quand bénéfices et dividendes sont menacés, imposent leurs directives, recadrent les technocrates tout en reconfiant le pouvoir à ces derniers. Les cadres supérieurs sont donc des travailleurs qui vendent leur force de travail majoritairement sous forme salariale, qui ne possèdent pas ou très minoritairement la propriété du capital. Observons que des prolétaires classiques, du moins certains, détiennent de petites quantités de capital et que, cadres ou pas, les fonctionnaires sont salariés, ne possèdent pas juridiquement leur outil de travail, ne produisent pas de plus-value (sans doute une des falsifications étatisme = communisme).
Qui donc est prolétaire, comment de nos jours déterminer l’exploitation capitaliste ? Le bénéfice, le taux de profit où de plus-value comme corollaire de la masse salariale sont réducteurs, car centrés sur le salariat, l’économie soumise au bénéfice. On peut généraliser le principe d’économie à but non lucratif pour supprimer le bénéfice. Imposer que la valeur marchande soit égale au coût de sa production. Revenir à la manufacture pour que la valeur du produit égale la valeur de la force de travail et quasi anéantir la plus-value. Réduire le taux de profit à la juste nécessaire accumulation. Tout cela ne rend pas explicite l’exploitation par les écarts des revenus salariaux.
Nous devons élaborer d’autres paramètres et théories. L’économie assure la production des biens matériels nécessaire à tous pour élever et éduquer des enfants, la scolarité, l’entretien de l’habitation, la consommation générale, aider ses voisins ou amis, soigner, etc. De fait le scolaire est un travailleur en formation, le retraité un travailleur qui a fait sa part des richesses, l’homme ou la femme au foyer un travailleur de la domesticité... Que l’économie soit salariale, domestique, reposant sur le don, l’entraide, qu’elle soit publique, privée, coopérative,… d’un point de vue macro économique les diverses activités économiques ne peuvent être séparées ou indépendantes. En grande part nous sommes, serons ou fûmes travailleurs et le salariat n’est qu’une fraction de l’activité économique. L’économie n’est qu’un segment inséparable de la totalité du champ social. Il ne peut exister de social sans économie, ni d’économie sans social. Social implique société pour les hommes, cela est même anthropologique. Pour autant, les choix sociétaux fondant les sociétés particulières sont conventionnels, ils sont le produit de l’idéologie dominante de leur époque elle-même confrontée au développement historique. L’idéologie et sa comparse l’imagination sont immanentes aux hommes ce qui permet l’institution imaginaire de la société. Il n’y a pas d’autre genèse pour les divers systèmes sociaux, que l’humaine origine. Le capitalisme comme le communisme n’échappent pas à ce subjectivisme. Le communisme libertaire est le choix d’un principe, celui de l’égalité de droit. Conséquemment l’économie politique vise à ce que les besoins de la population soient satisfaits et que les individus reçoivent l’égale part de la richesse produite.
Quelques chiffres
La comptabilité capitaliste - bien que ses agrégats soient critiquables - démontre que le revenu moyen est en France d’environ 2 483 € brut mensuel, moins les cotisations sociales soit 2 125 mensuel net, moins la totalité des impôts (sur le revenu, le logement, la TVA etc.), 1 500 € mensuel défiscalisé par habitant en 2010. Une autre source pour 2008 (revenus plus les prestations sociales moins les impôts sur le revenu et l’habitation) donne un revenu disponible moyen de 2 878 €, le revenu médian étant de 2 395 €. Constat : par définition, 50 % de la population est en dessous de ce dernier seuil (2 395 euros). Si on prend le seuil du revenu moyen défiscalisé, c’est 70 % qui est en dessous.
La population active comprend 25 691 400 personnes - salariées à 90 % (soit 23 122 260 personnes) - réparties comme suit : agriculteurs 2 %, artisans + commerçants + chefs d’entreprises de plus de 10 salariés 6,2 %, cadres et professions intellectuelles supérieures 16,6 % (dont professions libérales 1,5 %), professions intermédiaires 24,3 %, employés 29,4 %, ouvriers 21,5 %.
Constat : les actifs sont à 90 % des salariés et 75 à 80 % sont en dessous du revenu net mensuel ! Si nous catégorisons le travailleur prolétaire comme celui qui est salarié, non propriétaire de l’entité économique, celui qui vend sa force de travail dont on extrait la plus-value (c’est-à-dire qu’une partie de la valeur qu’il a produit profite à d’autres, donc qu’il y a exploitation), nous pouvons dire qu’approximativement 70 % des travailleurs sont des prolétaires. Par extension, on retrouve quasiment la même fraction dans la population. En effet son revenu (souvent, du salaire) a pour origine sa force de travail. Elle n’est pas propriétaire des moyens économiques. Elle est exclue des institutions. Elle est en dessous du revenu moyen. Elle ne reçoit pas la part égalitaire de la richesse à laquelle socialement elle contribue. Elle est exploitée, soumise à une forme d’extraction de la plus-value. Elle constitue le prolétariat comme classe sociale. Certains n’entrent pas ou sont à la lisière de cette classe, mais en sont exclus, les rentiers de la propriété du capital, les cadres supérieurs, les profiteurs, les riches, ceux dont le revenu dépasse le revenu moyen défiscalisé. Il faut savoir raison garder, l’absence d’un des critères d’appartenance de classe ne la supprime pas. Quelques fois, le propriétaire du capital utilise sa seule force de travail comme revenu, ou bien ses salariés sont presque au même niveau de revenu, voire il touche lui-même moins. De plus, il faut évaluer à combien de personnes sert le revenu, faisons le quotient : totalité des revenus du groupe par nombre de personnes, pour connaître le rapport au revenu moyen.
En partant non du point de vue individualisé mais socialisé et suivant les données ci-dessus, nous pouvons dire que 70 % de la population gagnerait à changer de système économique et social. Pour cela réduire au juridico-économique le constat de la réalité des classes est peut-être pertinent. Mais l’« en soi » de classe ne détermine ni le « pour soi », ni les choix, ni les luttes de manière mécanique et cohérente. Les facteurs idéologiques, culturels, psychologiques, de situation, interviennent dans les rapports de ou des classes. Combien de prolétaires nient ou trahissent leur classe, combien de fils de bourgeois pour des raisons idéologiques, choisissent le camp révolutionnaire et celui du prolétariat. La lutte des classes est une réalité qui fait histoire mais au sein de la classe l’individu est aussi une réalité. Dans le prochain article, j’essaierai de traiter cet aspect du problème.
Jean Picard
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article497
Une classe moyenne en crise
Mercredi 14 mars 2012, par cnt // 86. Economie
Dans un précédent article (Sociologie de combat, sociologie pour le combat », Anarchosyndicalisme n°127) nous avons rappelé que la lutte des classes est une réalité qui fait l’histoire tout en soulignant qu’au sein de la classe, l’individu est aussi une réalité. Toujours dans la perspective de définir les classes sociales dans le contexte d’aujourd’hui, voici quelques réflexions sur la classe moyenne et ses possibles devenirs.
Raisonner avec deux classes sociales (salariat / capitaliste ou prolétaire / bourgeois), ignore la fraction confluente, la classe dite moyenne définie comme suit :
- Formation professionnelle : minimum Bac +2. Actuellement 41 % de la couche des 25-35 ans est diplômée de l’enseignent supérieur. Les données suivantes, concernant la progéniture des sociaux professionnels, dénotent la réalité de classe et sa reproduction par les écoles. Les cadres représentent 16,6% des actifs. Leurs enfants occupent 56,9 % des places dans les écoles normales supérieures, 51,1 % dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 29,7 % dans les universités, 16,3 % dans les BTS. Les professions intermédiaires (qui représentent 24,3% des actifs) y envoient respectivement 66 %, 64 %, 41,9 %, 31,2 % de leurs enfants ; les employés et ouvriers (50,9% des actifs) 9,4%, 15,6%, 21% et 51%.
- Revenu d’activité : deux à quatre fois le Smic, soit de 2 200 à 4 800 €. La majorité perçoit 2 700 € (rappel : la richesse commencerait à 5 500 €). A cela s’ajoutent des revenus financiers dits d’épargne, qui sont proportionnels et peuvent atteindre 25 % pour les hauts revenus. A noter que le patrimoine financier des ménages en France était de 1,4 fois le revenu disponible en 1990, puis de 2,9 en 2009 soit un total des dépôts de 3 700 milliards €. Je rappelle qu’il s’agit de moyennes : les écarts sont différents si on individualise ou si on raisonne en quotient.
- Habitat : majoritairement urbain et périphérique, propriétaire du logement. En 2008 la densité des cadres (15 à 30 % de la population) est nette à Paris, Grenoble, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, où habitent environ la moitié des cadres supérieurs. Les bassins d’emploi des cadres induisent logiquement ceux de la couche moyenne inférieure.
- Santé : actuellement l’espérance de vie à 35 ans est : cadre 83 ans, employé 75 ans, ouvrier 73,5 ans. Le revenu, couplé à une bonne mutuelle-santé, permet de contourner les déremboursements de l’assurance maladie. Meilleure alimentation, spécialistes de santé, mode de vie, dépenses de santé expliquent leur plus longue « espérance de vie en bonne santé ».
- Politique : sur-représentée dans les parlements, les conseils, les partis, les syndicats, les associations, les paritarismes... En 2007, l’élection présidentielle donnait, à partir du Bac, plus de 55 % à Ségolène Royal.
- Idéologie : tolérante vis-à-vis des pratiques sexuelles, pour l’égalité Hommes-Femmes, anti-machiste et sexiste, écologie type environnementaliste (consomme bio) mais conservatrice en ce qui concerne la société de consommation, égalité des chances mais méritocratie, acceptation d’un degré d’inégalité mais correction des excès, pour un capitalisme plus juste, pour une régulation étatique du marché, pour le parlementarisme. Un côté individualiste, un autre social-démocrate.
- Part de la population : cela est délicat à établir ; le salaire moyen net mensuel est le critère le plus admis, d’autres utilisent le revenu disponible ou médian. En utilisant le revenu moyen net mensuel (2 125 €) comparé au salaire, les cadres (16,6 % des actifs), constituent la couche supérieure de la classe moyenne. Les professions intermédiaires (24,3 % des actifs, salaire médian de 1 750 €) constitueraient plus ou moins 12,15 % de la couche inférieure de la classe moyenne. Cette dernière composerait 28,75 % de la population active. La population générale se décomposerait en une classe des très riches (environ 8 %), une classe moyenne (29 %), une classe des pauvres (63 %). Ces statistiques sont des moyennes, des agrégats. Si on individualise (durée d’activité, temps de travail,...) un cadre chômeur peut être pauvre, un ouvrier qualifié faisant des heures supplémentaires peut entrer dans la classe moyenne, etc. Au demeurant, l’individu est englobé, normé, par du collectif, celui-ci étant plus homogène et endogame de sa classe sociale. Néanmoins une classe est faite de couches : supérieure, inférieure, centrale (la plus massive). Les extrémités des classes constituent des sous couches légèrement atypiques, de plus des individus migrent de leur classe vers une autre.
LES CLASSES POUR SOI
De manière révolutionnaire ou pas, malgré ses tendances et conflits, la bourgeoisie s’imposera et permettra la révolution industrielle. L’idéologie bourgeoise (bourgeoisisme) prétend que les hommes ne naissent pas égaux. Il appartient aux riches, aux intelligents, aux lettrés, aux dominants, brefs aux "meilleurs" de diriger le monde (un peu de Locke, Turgot, Constant, Roger- Collard, Guizot). Les hommes étant inégaux par nature, la société doit respecter ce fait. Rien ne doit entraver l’individu dans sa recherche du bonheur, qui se réalise dans le lucre, le pouvoir, les honneurs. Le système social sera donc hiérarchique, de classe, capitaliste. La bourgeoisie pour le reste est opportuniste, selon les intérêts de sa totalité ou des ses fractions. Elle promeut, mixe et dose alternativement le libre échange ou le protectionnisme, le marché ou le monopole, l’État ou le privé, la guerre ou la paix, la dictature ou le parlementarisme, le libéralisme ou la social-démocratie ; Keynes ou Friedman, le Fordisme ou la paupérisation, etc. Si la forme varie, le fond reste l’inégalité. Il suffit d’analyser le passé. Présentement, les tendances bourgeoises se querellent à propos de nombreux sujets : mondialisation, protectionnisme, fiscalité, austérité, revenu, étatisme, privatisation, gauche, droite, centre, etc. N’oublions pas que le corporatisme exprime les contradictions, les différences internes à un groupe, une classe. Les secteurs bourgeois qui tirent leurs privilèges de l’État sont étatistes, ceux qui les obtiennent de la mondialisation sont libre-échangistes, ceux qui profitent des marchés ou aides d’État sont mercantilistes, ceux qui vivent de la techno-structure sont pour « plus de valeur ajouté » au salaire que ne l’est l’actionnaire, etc. La bourgeoisie n’est pas limitée à la seule propriété des moyens de productions (capitalistes classiques) mais s’étend à l’ensemble de la possession et ou de la maîtrise du capital économique, politique, technique dont elle tire ses privilèges. Dans ce cas, aux 8 % de la population s’ajoutent plus ou moins la moitié du haut de la classe moyenne (29,2 %). La bourgeoisie représenterait 22,5 % de la population (ce que certains désignent comme les 20 % les plus riches). A noter que ces 20 % accaparent près de 40 % de la masse du revenu disponible, alors que les 20 % les plus pauvres se partagent 9 % de cette même masse.
L’extension du capitalisme accroît le salariat (statut juridique vendeur/acheteur de la force de travail), le prolétariat (statut économique de valeur d’usage, de valeur d’échange). Historiquement, nous avions une consonance salarié / exploité / prolétaire ; de nos jours la dissonance n’est pas marginale. Je préfère utiliser les termes « prolétaire » et « prolétariat » définis ainsi : « vend sa force de travail souvent sous la forme de salaire pour obtenir ses moyens de vivre. Du produit de son travail les capitalistes extraient un bénéfice. De sa situation sociale la bourgeoisie tire ses privilèges. Sur les entités économiques, politiques, administratives, il n’exerce ni propriété ni contrôle. Son existence est marquée par des rapports de production et sociaux basés sur l’exploitation et l’oppression ».
Le prolétariat, pour améliorer son existence, va s’opposer à la bourgeoisie. Le combat prendra des formes réformistes mais aussi révolutionnaires. Dans le prolétariat, une partie va numériquement, techniquement, idéologiquement, politiquement être hégémonique : la classe ouvrière. Son labeur s’exerce sur des matières premières, des produits semi-finis ou finis, d’usage personnel mais surtout marchand. Elle maîtrisait souvent toute la chaîne technique de la production, de la matière brute à ouvrée. Façonner implique une bonne qualification (écrire, lire, compter, utiliser le calcul, la géométrie, lire et faire des plans…). Elle use souvent de plusieurs métiers. Les plus politisés et combatifs des ouvriers constitueront le mouvement ouvrier. Il opposera au bourgeoisisme le socialisme et la lutte de classe. Il sera de tous les grands combats pour la justice, l’égalité. Pour cela, mais surtout pour ses engagements révolutionnaires, il sera persécuté. Honni ou adulé, une telle figure incarnera le prolétariat, dont elle éclipsera les autres composantes, d’où la confusion ouvrière ou prolétarienne comme classe.
La couche ouvrière régressera dans le prolétariat. L’essor des sciences et techniques converge avec le développement de la bourgeoisie et du capitalisme. La rationalisation de l’économie induit la concentration capitaliste : finance, moyens de productions, force de travail. La société devient industrielle, urbaine, marchande, consumériste, de nouveaux métiers apparaissent. L’organisation scientifique du travail (Taylorisme) réduit l’ouvrage à des manipulations simples (parcellisation), intensifie le machinisme, la chaîne de montage, massifie l’ouvrier spécialisé (non qualifié). Les usines essaiment ou se délocalisent, employant une main d’oeuvre moins qualifiée, sans traditions de lutte, corvéable, jetable et sous payée. Un ouvrier spécialisé (O.S.) se remplace en quelques minutes. Un ouvrier qualifié demande des années de formation, ajouté à un esprit combatif. On comprend que le Taylorisme veuille affaiblir le poids des ouvriers qualifiés. Le Fordisme intensifie la concentration capitaliste et usinière, rationalise la fabrication, optimise la productivité, produit en masse et standardise à prix compétitif. Ford réalisant un gros bénéfice déclara « Je paie bien mes salariés pour qu’ils achètent mes produits bon marché ». Cela produit une forte croissance économique, la société de consommation, l’urbanisation de la main d’oeuvre. Les embauches sont telles qu’une énorme quantité de prolétaires devient salariée, ce qui réduit le temps domestique. Pour compenser, les machines, et les services envahissent la domesticité qui devient marchande, capitalistique, etc. La société de consommation produit en Occident un changement sociétal. En France, ce fut la période des Trente Glorieuses (1945 à 1975) qui accrut la fonction publique, les services, la tertiarisation, l’emploi en général, les professions moyennement et hautement qualifiées, la classe moyenne, qui va détrôner le mouvement ouvrier socialiste et imposer son idéologie (voir ci-devant classe moyenne). La concurrence et la concentration capitaliste ruinent certains capitalistes ; vu leur mentalité bourgeoise très à droite on les embauche dans la chaîne de commandement capitaliste. De plus, une partie du prolétariat français de souche, grâce à l’ascenseur social, intègre la classe moyenne (cadres, contremaîtres, maîtrises, petits et moyens chefs), libérant des emplois moins qualifiés pour un néo-prolétariat (l’ouvrier-masse) venu de la domesticité, des campagnes, de l’immigration. Ces diverses conditions du prolétariat provoquent divisions et conflits entre les ouvriers-masse et les chefs (larbins des patrons), les petits chefs contre les grand chefs, les salariés du privé contre les fonctionnaires, etc. Le papy boom et la croissance économique, lissent, masquent ou ignorent ou n’exacerbent pas cette réalité.
La classe moyenne modifie le jeu vers un centrisme idéologique et politique, elle pousse le syndicalisme dans la collaboration de classe, l’intégration partenariale, le paritarisme, le corporatisme. Elle soutient les partis modérés et les alliances électorales favorables au Fordisme et au compromis historique de 1945 incarné par le CNR (Conseil national de la résistance) et par la social-démocratie (du PC au Gaullisme). La classe moyenne (qualifiée de classe petite ou moyenne bourgeoise) n’a pas d’imaginaire, elle puisse dans diverses pensées en les moyennisant tout comme pour son idéologie. Celle-ci triomphe en 1968, améliorant les conditions économique et culturelles du prolétariat. Si aucun révolutionnaire ne considère comme vertu la misère, si bien des aspects de la contre culture (anti-militarisme, anti-sexisme, libération sexuelle et de la femme, anti-hiérarchie, loisirs, anti-racisme, égalitarisme, etc.) viennent du fond socialiste (d’où l’esprit qualifié de libertaire de 68), cela n’était qu’une contestation, une amélioration permise par le cadre existant. La masse en lutte n’a fait ni voulu de révolution, seule une minorité visait cela. Bourgeoisie et capitalisme s’accommodent ou récupèrent (mieux cela les conforte). L’esprit 68 modifie la société, les salaires soutiennent la croissance. La mode des années soixante est tertiaire (commerce, service, banque, fonctionnaire, employé, blanc de col ou de blouse, la cravate-veston pour faire chef). Le bleu de travail, l’ouvrier sont méprisés. La violence symbolique ira les considérant comme incultes, en échec scolaire, débiles. Dans les écoles de la République les enseignants véhiculent le fameux « Apprends ou tu seras ouvrier ». On crée le mythe du lien compétences intellectuelles/catégories sociales professionnelles. Nous savons que beaucoup qui se croient supérieures sont intellectuellement réduites ; à fréquenter tous ces milieux, on sait que médiocrité ou excellence y sont d’égale proportion. Ce moyennisme fait le jeu de la bourgeoisie qui sait que le capitalisme entre dans une nouvelle phase (mondialisation, délocalisations, nouvelles productions).
La crise de 1974-75 sert ces objectifs : destruction de secteurs industriels et de bastions ouvriers, insertion dans la division internationale du travail de la portion hautement qualifiée de la main d’oeuvre des pays développés (recherche & développement, service, éducation, santé, encadrement, ingénierie, etc.) Les usines à forte main d’oeuvre (usine de montage dites « tournevis ») sont transférées vers les pays en voie de développement. Résultat, en 2010, la production industrielle est de 14 à 17 % du PIB et les ouvriers sont réduits à 21,5 % des actifs. De 1975 à nos jours, ceux-ci déclencheront massivement contre les restructurations des luttes dures qui seront autant de défaites. Le corporatisme moyenniste sera peu solidaire, jugeant « archaïques » ces luttes ouvrières. En effet, le segment national de l’économie mondialisée favorise l’emploi, le revenu, l’image de soi de la classe moyenne. Le chômage affecte toutes les catégories socio-professionnelles, mais le reclassement et l’embauche fonctionnent pour la classe moyenne, pas pour les ouvriers. La croissance de la pauvreté garantit le revenu de la classe moyenne. Cela explique l’isolement des luttes de précaires, de chômeurs, et autres luttes anti-délocalisation et mondialisation, anti-capitaliste, etc. Le moyenniste suffrage entre social-démocratie et social libéralisme, critique ou soutien, mais accepte les choix des gouvernements de droite ou de gauche parce que cela l’arrange.
Cela explique le faible impact de l’anarchosyndicalisme qui dénonce l’illusion moyenniste, le corporatisme, la droite et la gauche, le capitalisme, la mondialisation, le libéralisme, l’étatisme, le libre échange, le protectionnisme, la finance, la paupérisation y compris de la classe moyenne, etc. La crise de 2008 valide nos critiques et vision systémiques : effets cumulés des crises (financières, productives et géopolitiques, en Occident notamment en France). Pour maintenir la compétitivité, le variable d’ajustement salariale se retourne contre la classe moyenne. De plus, son employabilité entre en concurrence avec celle des pays émergents dont la classe moyenne s’accroît. Résultat en France, elle subit paupérisation et chômage : trois ans après la formation, le taux de chômage entre 2007 et 2010 passe bien de 7 à 5 % pour les titulaires d’un doctorat, mais de 5 à 9 % pour ceux d’un master et de 7 à 11 % pour ceux d’une licence. Pour limiter la casse, elle prend les emplois de qualification inférieure. Nous savons que la catégorisation des classes est délicate voire subjective car « l’idéologique » est une manière d’analyser le champ social. En prenant comme paramètres, le revenu, la qualification, la place dans la hiérarchie sociale, les catégories socio-professionnelles, nous avons la classe haute (22,5 %), la classe moyenne (26,6 %), la classe petite (50,9 %) de la population. Notons que les statuts des actifs (au sens économique du terme) sont, sur le plan juridique, d’être salariés à 90 %, sur le plan économique prolétaires à 70 % environ, et que quelques 70 % également sont en limite ou en dessous du revenu moyen (2 483€). La posture politique des classes est globalement la suivante : haute et partie moyenne (soit 31 % du corps électoral) à droite ; partie moyenne et petite (soit 59 % du corps électoral) à gauche et abstention. Pondérons cela car la classe en soi ne détermine la classe pour soi. Des éléments idéologiques sont manifestes et transgressent les classes par les individualités ; certains bourgeois sont à gauche, des petit bourgeois sont à droite. Idem pour les plus pauvres. Ajoutons l’abstention et cela devient complexe. Mais les rapports : population / idéologie / classe / territoire /circonscription font que les résultats électoraux restent impactés par les classes. Quelles positions politiques découleront de la crise 2008 ? Soit la mondialisation redevient positive pour la classe moyenne et elle accepte ce fait. Soit sa situation continue de se dégrader, et une large fraction du moyennisme évoluera vers le protectionnisme, le recours à l’État, une social-démocratie moins libérale, etc. Si le mixte keynésien / fordiste (État, privé, marché, planification, protectionnisme, libre-échange, national, mondial, croissance, austérité, etc). n’empêche pas la dégradation, le corporatisme moyenniste peut attaquer les plus riches ou les exclus pour capter du revenu. Ce qui pose quelques problèmes à court terme. La situation économique détermine la masse du revenu qui baisse en cas de crise. La modification des ratios distributifs crée de la conflitualité envers les plus exclus ainsi qu’aux franges riches ou pauvres du moyennisme. De plus, cela ne règle rien au niveau macro-économique et évite la vraie question : la paupérisation est-elle intrinsèque à ce système ? Le moyennisme, seul, électoralement, ne peut s’imposer. Défendant malgré tout le capitalisme il s’allie si nécessaire avec la haute bourgeoisie, jusqu’à la dictature contre les pauvres. Soit une partie de la classe moyenne pense que l’avenir est dans une rupture avec le bourgeoisisme et le capitalisme et ses variantes de droite ou de gauche, elle opère ainsi une mutation idéologique (si celle-ci renoue avec les idéaux socialistes originaux - au sens révolutionnaire). Dans ce cas, la classe moyenne explose par divergences d’intérêts. La sociologie des classes sociales incluant son idéologie, la classe se recompose et une fraction politisée émerge. Reconstituant le mouvement prolétarien dans le sens de l’ancien mouvement ouvrier, elle modifie les perspectives dans le champ de la lutte des classes. N’oublions pas que la moitié des professions intermédiaires (24,5 % divisé par 2) constitue la classe moyenne, soit dans la population, environ 8 millions de personnes dont la condition culturelle et économique est très proche ou similaire à celle des bas revenus. Ce prolétariat représente environ 70 % de la population, soit 45 millions de personnes. Idéologiquement réunifiées elles concentreraient les savoirs techniques, professionnels, sociaux, et aurait la masse pour changer la société. Tout cela est contingent, personne ne peut dire ce que sera demain.
Nous, nous pensons que l’enjeu est « socialisme ou barbarie ». Il faut continuer à dire dire la vérité sur la droite et la gauche, sur ce qu’implique leur discours, sur l’illusion des variantes libérale ou social-démocrates du capitalisme et expliquer, construire le projet sociétal qui selon nous ne peut être qu’égalitaire, c’est-à-dire celui du communisme libertaire.
Caen le 22/02/2012, Jean Picard.
Vous trouverez dans les n°46 (Point de vue sur le capitalisme et ses contradictions – l’Education nationale dans tous ses états), 48 (Réflexions sur le mouvement de l’automne 2010 – et autres textes), 49 (Indignez-vous ? Révoltez-vous ! Réponse à Stéphane Hessel) des Cahiers de l’anarchosyndicalisme diverses références sur la problématique des classes moyennes.
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article514
Immigration et Classes Sociales
Dimanche 20 mai 2012, par cnt // 86. Economie
Les précédents articles sur les classes sociales en France et, notamment, ceux sur la situation de la classe moyenne n’abordaient pas un autre élément, dont personne n’ignore l’incidence : le rapport immigration / classes sociales. Voici quelques données et réflexions sur ce thème.
Les statistiques dont il est question ici doivent être interprétées prudemment, car suivant le niveau de développement du pays d’origine, l’insertion dans les diverses catégories diffère. Plus le pays est pauvre, plus ses migrants ont un niveau d’études et de qualifications faible et vice versa. La réalité Française a plutôt favorisé une émigration dans les pays peu développés. Ce qui explique que les immigrés sont à environ 50 % dans les niveaux d’étude 1 (sans diplôme), 2 (CEP - Certificat d’études primaires - et BNC - Brevet national des collèges, anciennement BEPC), 3 (CAP - Certificat d’aptitude professionnelle - et BEP - Brevet d’études professionnelles) à 67 % ouvriers et 6 % employés. Cette réalité massive depuis les années 1960 va imposer à la lutte des classes une nouvelle configuration. L’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme mus par la logique capitaliste produisent une exploitation particulière des travailleurs immigrés en sus des logiques racistes ou xénophobes.
De fait certains Français progressistes, liant prolétariat et anticolonialisme, soutiendront les luttes de libération nationale. D’autres, comme les Maoïstes dénonçant l’intégration du prolétariat français de souche, penseront que le prolétariat immigré est le nouveau sujet révolutionnaire. A partir des années 1980, la montée du racisme, de la xénophobie, les effets des mutations économiques sont tels que, pour éviter une cassure dans le prolétariat, apparaît le slogan : « Français immigrés, même patron, même combat ». Cela était juste et en plus combattait le racisme. De nos jours, où le concept de classe prolétarienne est compliqué, voir péjoratif ou nié, est apparu le slogan : « Français immigrés, même État même droit ». L’antiracisme non articulé au principe de lutte des classes et de défense du prolétariat, conduit à cette affirmation bourgeoise des droits de l’Homme : tout homme quelle que soit sa race ou sa couleur de peau a le droit d’être exploité ou d’exploiter son prochain.
En effet, si nous analysons les statistiques, les enfants d’immigrés commencent à se répartir dans les diverses classes sociales de manière identique au reste de la population Française. Bien que des disparités soient clairement établies, les écarts se resserrent ; notamment par l’effet de la durée d’installation, la naissance et la scolarisation en France. Bien évidemment les travailleurs clandestins occupent les emplois les moins qualifiés, ce qui modifie ces statistiques. Si nous devons continuer à combattre le racisme, comme idéologie néfaste et dangereuse ; ne tombons pas dans le piège de la bonne pensée qui consiste à ne voir les rapports sociaux que sous cet angle. La couleur de peau ou l’origine nous intéresse moins que les catégories exploiteurs/exploités, oppresseurs/oppressés. Pour nous un nanti, un privilégié, un patron, un bourgeois, etc. est à combattre qu’il soit noir, blanc, jaune, Français, Breton, Chinois, Européen etc. Les prolétaires eux aussi doivent rejeter les clivages racistes, nationaux ou communautaires qui fracturent, divisent, opposent. Ils doivent affirmer que la réalité sociale est avant tout une réalité de classe (capitalistes vs prolétaires) et que ces classes sont une réalité mondiale et non nationale.
Les capitalistes ne considèrent le prolétaire que comme une marchandise : une force de travail qui produit de la plus-value selon le rapport des valeurs d’usage et d’échange. Ce qui fait que la valeur d’achat de la force de travail doit être inférieure à la valeur de vente de la marchandise en tant que produit fini. A défaut d’une plus-value suffisante le capitalisme entre en crise (accumulation, baisse des bénéfices, déficit, etc.). Pour maintenir un taux d’exploitation octroyant les bénéfices, le capitaliste soumet la force de travail à la concurrence de l’économie de marché. Le chômage trouve là sa fonction d’armée de réserve : s’adapter à un niveau de la production, pacifier les lieux de travail par la menace du licenciement, embaucher le chômeur à moindre coût ; le résultat est la dégradation générale de la condition salariale. C’est dans cette logique que l’immigration est placée. Il fut un temps où démographie et besoin de travailleurs étaient tels que l’immigration ne posait pas de gros problèmes. L’actuelle situation de l’économie européenne implique de faire de l’immigration la nouvelle armée de réserve. Après l’ Accord général sur le commerce et les services (AGCS et la circulaire Bokestein qui accentue la politique libérale dans l’union Européenne, l’Europe propose un salaire minimum par secteur et la libre circulation de la force de travail. Comme il est prévisible que ces salaires minima seront inférieurs à celui actuel de chaque pays (sinon pourquoi ne pas appliquer ceux en vigueur ?), les patrons pourront embaucher des immigrés intra-communautaires à bas prix. Par suite, les salariés nationaux ou immigrés à meilleurs statuts antérieurs sont menacés. La libre circulation des travailleurs est la conséquence libérale de la libre circulation des marchandises, l’antiracisme servant souvent à occulter cela. Observons que la gauche dénonce le racisme ; mais se tait sur la libre circulation de la force de travail, vu son adhésion au capitalisme. L’extrême-gauche apôtre de l’anti-libéralisme, du refus de la libre circulation des marchandises et des délocalisations qui flirte avec un national-protectionnisme, exige la libre circulation des travailleurs. Le crétinisme de ces anti-libéraux ne leur permet pas de voir qu’ils sont intoxiqués par ce qu’ils dénoncent : la très libérale libre circulation de la marchandise, dont la force de travail n’est qu’une composante qui produit dérégulation et délocalisation interne.
A contrario, il faut agir pour empêcher l’usage concurrentiel de la force de travail pour éviter la concurrence, la paupérisation, le racisme, la xénophobie, le protectionnisme, le corporatiste…, et donc imposer le principe « A travail égal, salaire égal » que l’on soit Français, immigré, chômeur, primo-embauché etc. Si cela ne règle pas le fond du la situation, il permet d’éviter la multiplicité des statuts qui, par corporatisme, éclatent et divisent le prolétariat. Il offre une base commune à des luttes vers des reconquêtes sociales. Il s’agit de reprendre le vieux slogan et de l’agrémenter : « Prolétaires du monde unissez nous, contre les capitalistes du monde » ; dépassant ainsi le slogan devenu trop étroit et connoté « Français immigrés, même patron même combat » qui maintient une ambiguïté nationale Français ou immigré. Cela dit les chocs culturels sont une réalité ; ils ne peuvent être réduits ou dépassés que par une autre identification : la lutte de classe version prolétarienne pour la communisme libertaire qui ne peut être qu’universelle, anationale.
C’est bien dans la destruction du capitalisme et de son fétichisme de la marchandise que se trouvent les solutions de notre monde.
Jean Picard, 15 Avril 2012
topaze a écrit: Et si il est vrai, comme tu le dis Kuhning que des petits patrons, commerçants, artisans, petits agriculteurs sont avec la crise dans une situation d’impasse, le but, ou l’objectif de leurs luttes ou de leurs révoltes, n’est pas de se tourner vers le futur (a savoir vers une société débarrassé de la propriété privé et de l’exploitation) puisqu'ils sont eux-mêmes de petits propriétaires et certains ont des salariés qu’ils exploitent. L'objectif, le but, de ce que j'appelerais la petite bourgeoisie, c'est de se tourner vers le passé, quand les affaires (comme ils disent) aller bien.
Topaze
l autre a écrit: Je comprend pas Ku si l égalité induit le totalitarisme et le pouvoir d une couche bureaucratique antant rester dans le cadre libéral