Pas certain que traiter ceux qui luttent d'"utopistes arboricoles" (une vieille technique de résistance) ou de "hippies émerveillés par une chouette [quand il n'y en aura plus que sur les tracts, nous aurons peut-être perdu] ou un vieux chêne" renforce le propos...
N O T R E - DA M E - D E S - L A N D E S
UN PROJET PHARAONIQUE TOUT À FAIT REPRÉSENTATIF DES « RÊVES » CALAMITEUX D’UN MONDE ABSURDE
Les grands travaux pharaoniques du Système ont eu en général pour but de créer des structures permettant soit de produire de l’énergie (barrages, centrales nucléaires...) afin d’augmenter la quantité de marchandises disponibles, soit d’accélérer la circulation de ces mêmes marchandises (tunnels franchissant des montagnes, autoroutes, trains à grande vitesse, aéroports). La vitesse à laquelle se réalisent les échanges est gage de profit.
C’est dans cette tentative de réduire l’espace en gagnant toujours plus de temps (puisqu’en système capitaliste le temps c’est de l’argent, la vitesse du profit), que s’est développé de façon dramatiquement exponentielle le trafic aérien (trafic apportant sa quote-part au réchauffement climatique, c’est-à- dire : recrudescence des ouragans, montée des eaux, etc.). Drapé dans ses atours démocratiques, le Système présente toujours ses grands et faramineux projets comme devant servir l’intérêt général, et les populations concernées par les « modifications » voire les destructions de leur lieu de vie sont mises devant le fait accompli. Le système ne connaît qu’une seule loi, un seul credo, la recherche du Profit envers et contre tout : le projet d’aéroport numéro deux de Nantes s’inscrit bien dans cette course au profit qui semble en l’occurrence pour le moins hasardeuse et qui est de toute façon complètement suicidaire.
On ne sait pas encore si ce projet (si par malheur il venait à se concrétiser) générera un jour de « l’activité économique » (du profit pour certains, de la misère pour les autres) mais ce qui est sûr, c’est qu’il engendre déjà une intense activité policière. Ainsi, le 14 octobre 2012, la République déclenche l’opération « CESAR » (fine allusion policière au célèbre petit village gaulois ?) : 1 200 flics sont lancés à l’assaut de la zone occupée par 200 opposants au projet. Malgré les barricades défensives et les tranchées creusées en travers des routes, les forces de « l’ordre » son parvenues à détruire six maisons abandonnées et réoccupées et des cabanes d’occupants. Les « légionnaires » de CESAR ont opéré violemment avec la finesse et le discernement habituel, c’est-à-dire des violences multiples. La manifestation du 17 novembre a eu pour but la réoccupation des sites. On peut noter par ailleurs que les derniers recours juridiques ne sont pas encore épuisés.
Mais pourquoi diable un nouvel aéroport ? Nantes, ville dont personne ne songerait à sous-estimer l’importance (surtout depuis que J.M.A. a troqué son écharpe de député-maire con- tre le costume de Premier ministre est déjà pourvue d’une structure aéroportuaire qui peut accueillir jusqu’à trois millions et demi de passagers par an et qui ne semble pas, pour l’instant, tourner à plein régime, loin s’en faut. Ce ne sont pas tant les plaintes des riverains de l’actuel aéroport qui ont poussé les politiques à envisager la création d’une deuxième structure que les projets de création d’une conurbation, une mégapole régionale qui réunirait Nantes à Saint-Nazaire. Dans les années 70 un sénateur, un certain Chauvy, avait rêvé d’un second Rotterdam ! Quelques décennies plus tard, la mégalomanie frappe toujours le personnel politique qui est d’autant plus sujet à développer ce type de pathologie qu’il s’élève dans la hiérarchie.
L’idée générale qui se trouve au cœur même de cette volonté de construire un aéroport n°2, c’est que, de par son existence même, il susciterait du trafic aérien : une espèce d’aéroport-appât en quelque sorte, un attrape-avions conçu sur le modèle de l’attrape-mouches... une logique imparable qui considère que l’organe crée la fonction ! Par ailleurs, l’actuel aéroport Nantes-Atlantique resterait en fonction puisque l’usine Airbus, située à proximité, a impérativement besoin d’une piste.
Ce « pari pascalien » (choper de l’activité économique au vol) a un coût énorme. Ce gigantesque chantier devrait surtout rapporter un maximum de blé à des marchands de béton bien placés. Si l’on tient compte des accès ferroviaires et routiers nécessaires au fonctionnement d’un tel site, la réalisation du projet avoisinerait les 5 milliards d’euros. Dans ces temps d’austérité imposée, voici une folie impériale – ou CESARienne- des plus coûteuses.
Quant au coût écologique (disparition d’un bocage de 2 000 hectares –classé zone humide- abritant une biodiversité remarquable) il est tout simplement inchiffrable. Les risques d’inondation qu’entraînent ce genre de travaux sont bien connus, mais passés sous silence par les décideurs bien qu’ils fassent régulièrement la une des journaux : plus on bétonne les zones humides, plus on assèche les tourbières, plus on fait disparaître les sur- faces boisées et plus les risques d’inondation augmentent, avec, à la clé, toujours des dégâts importants et coûteux.
Plus ou moins placardisé dans les années 70 pour cause de crise pétrolière et d’opposition paysanne imprévue, le projet renaît à la vie grâce à Jospin, le célèbre prince charmant, en 2000. Les promoteurs s’engagent même à livrer un aéroport alliant l’extrême modernité à une qualité environnementale exceptionnelle. Incroyable mais vrai, nous disent les tenanciers du PS (Pays des Songes), ce sera une sorte d’aéroport-vert. Malgré le Grenelle de l’environnement (vaste fumisterie) qui prévoyait le gel de toute nouvelle construction aéroportuaire, le projet est maintenu puisque garanti vert à 100 % et il est déclaré d’utilité publique le 10 février 2008.
Après l’appel (de forme) d’offres de rigueur, c’est VINCI qui emporte le morceau, c’est-à-dire la construction et la gestion pendant 55 ans. Anecdote amusante : il paraîtrait qu’un préfet qui fit, dit-on, beaucoup pour que ce projet aboutisse, exerce maintenant ses talents incontestés d’organisateur et de décideur au sein de la hiérarchie de l’entreprise VINCI. C’est certainement ce qu’il est convenu d’appeler un hasard de la vie professionnelle. Les étatistes chroniques et invétérés qui psalmodient à longueur de temps leur credo en un État régulateur et impartial, protecteur de la veuve et de l’orphelin, seraient bien avisés de noter la facilité avec laquelle les grands commis de l’ État passent des sommets de l’administration à ceux de l’entreprise et inversement (la fameuse « valse des casquettes que rien n’arrête sauf quand ça pète »).
Il y a ceux qui deviennent « super cadres sup » ou même premier ministre et ceux qui perdent tout, dans le « respect » de la fameuse égalité des chances de notre belle démocratie, cela va sans dire) : les paysans de Notre-Dame-des-Lande (et les occupants du site après le 14 octobre). 50 exploitations agricoles vont être touchées et 11 d’entre elles sont appelées à disparaître entièrement. Maisons d’habitation, bâtiments, terres cultivées, tout ça risque d’être englouti sous du béton.
Les Pouvoirs sont toujours urbains et méprisent copieusement les paysans (tout comme ils méprisent le « bas peuple » des villes, pas de jaloux !) et autres ruraux qui habitent des espaces assimilés à des zones vides d’intérêts et de sens, dans lesquelles on peut donc construire à tout va des autoroutes, des voies ferrées, des zones artisanales et industrielles, des camps militaires et autres joyeusetés, sans tenir compte de la vie et de l’avis des premiers concernés.
Mais voilà, il y a des traditions de lutte paysanne en Loire-Atlantique. C’est d’ailleurs le berceau d’un mouvement jadis relativement radical (en tout cas, plus que l’actuelle Confédération paysanne) qui avait manifesté une forte solidarité avec les salariés en apportant un soutien sans faille aux ouvriers en grève de Nantes et de Saint-Nazaire pendant tout le mouvement de mai 68.
Les paysans de Notre-Dame-des-Landes et des communes avoisinantes se sont groupés au sein de l’ADECA (Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport) dès 1972 et la lutte a repris lors du réveil du projet en 2000. Des tas d’associations écologistes et citoyennistes ont vu le jour, mais des collectifs nettement plus radicaux ont rejoint la lutte. Une coordination des associations opposées au projet se constitue en 2007 et en août 2009 l’occupation de la ZAD (« Zone d’aménagement différé », terme bureaucratico-administratif désignant une zone porteuse d’un magnifique futur projet, que les occupants ont détourné en « Zone à défendre ») est lancée. Petit à petit, les « zadistes » ont aménagé à leur façon la zone : réappropriation et remise en état des maisons vides, construction de cabanes (de relativement précaires à super-classieuses) au sol et dans les arbres, création de petits élevages, construction d’une boulangerie, etc. Ils fonctionnent en assemblée générale en s’inspirant de principes anti-autoritaires. Les bureaucrates des Verts ainsi que les politiciens de tous poils n’y sont pas les bienvenus. La manifestation du 17 novembre, dont l’objectif était la réoccupation du site a parfaitement réussi. De 14 à 40 000 personnes (suivant les différentes estimations) y ont participé avec l’appui de 400 tracteurs, preuve d’une réelle participation paysanne. Les occupants pourront reconstruire les cabanes et autres lieux d’habitation grâce au soutien de la population : les tracteurs ont amené le matériel nécessaire. Rappelons sur ce point qu’en mars 2012, 10 000 manifestants et 200 tracteurs avaient défilé dan les rues de Nantes.
Depuis le début de la résistance à la construction de l’aéroport, le pouvoir a cherché à criminaliser les opposants. En juin dernier, le porte-parole des paysans qui participait à une manifestation devant la mairie de Notre-Dame-des-Landes a été accusé de violence sur les gendarmes avec usage d’une arme. L’« arme » en question : son tracteur et sa remorque, qui ont été immédiatement saisis. Le Pouvoir n’a pas non plus lésiné sur les tentatives de décrédibilisation du mouvement. Trois jours avant la grande manifestation du 17 novembre, un vigile est agressé par des inconnus. Les médias imputent immédiatement cette agression aux opposants, au lieu d’envisager une possible provocation policière. Malgré ces manœuvres indignes, ceux qui ont localement perdu tout crédit, ce sont les Verts, empêtrés dans leurs promesses électorales et leur participation gouvernementale. Leurs tentatives de récupération de la lutte sont sans avenir.
Un aéroport inutile et dévastateur. Des politiciens mégalos alliés à des marchands de béton avides. Un déploiement policier gigantesque avec des violences systématiques. Des opposants qui ne manquent ni de courage ni de persévérance mais qui ont besoin de soutien. Un vieux monde à l’agonie. Mais on pressent, hélas, que sa fin sera longue.
Un paysan, 18 novembre 2012.