par anarced » Mercredi 26 Sep 2012 9:19
On peut toujours évoquer cette idée de nation qui a caractérisé la Révolution Française et en saluer l'intérêt mais faut-il vraiment continuer à s'y accrocher?
Ce rassemblement anarchiste international s'est tenu le mois dernier dans la ville suisse de Saint-Imier, ainsi que le congrès de l'Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA).
A Saint-Imier, parce qu'il y a 140 ans, un autre congrès y eut lieu, sur lequel il me semble intéressant de revenir. Il défendait, lui, une autre idée: l'Internationale.
D'après Julian Vadillo | Journal cnt, traduit approximativement par mes soins.
Le Congrès réuni à Saint-Imier déclare:
1. Que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat;
2. Que toute organisation d'un pouvoir politique appelé provisoire et révolutionnaire pour accomplir une telle destruction ne peut être rien d'autre qu'un mensonge, et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements qui existent aujourd'hui;
3. Que refusant tout compromis pour arriver à la réalisation de la révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent mettre en place, loin de la politique bourgeoise, la solidarité de l'action révolutionnaire.
C'est peut-être la plus importante des conclusions qui ont été tirées les 15 et 16 Septembre 1872 lors de la conférence internationale qui s'est tenue dans la ville suisse de Saint-Imier. Il s'agit en effet du pilier fondamental sur lequel va se développer le mouvement ouvrier anarchiste international. Une claire influence bakouniniste marque parfaitement les différences entre le secteur antiautoritaire et le secteur autoritaire de l'Internationale.
Il y a un avant et un après Saint-Imier dans l'organisation du prolétariat international. Quelques jours plus tôt, du 2 au 7 Septembre 1872, s'est réuni à La Haye un congrès international à l'initiative du Conseil général de l'AIT basé à Londres. Dirigé par Karl Marx et Friedrich Engels, il procède à l'expulsion de Bakounine et James Guillaume de l'Internationale. Les accusations des marxistes sont vagues, mais atteignent leur cible. Le Congrès de La Haye n'a pas été annoncé comme à l'accoutumé au sein de l'AIT, puisque le but des marxistes était clair: éliminer l'influence antiautoritaire de l'Internationale.
Quand quelques jours après les sections antiautoritaires se réunissent à Saint-Imier, la rupture de l'Association Internationale des Travailleurs était déjà faite. Le mouvement ouvrier à l'époque était divisé entre l'autoritarisme marxiste et l'antiautoritarisme anarchiste. Bien qu'il y eut des tentatives de réunification, rien ne fut jamais possible. Les différences de tactique, de stratégie, d'organisation et d'objectif étaient trop grandes.
Comment arriva la rupture? Un examen de l'histoire du mouvement ouvrier international
Le 28 Septembre 1864, à Londres, profitant d'une exposition universelle, il fut décidé de créer une organisation internationale qui rassemblerait tous les travailleurs du monde entier pour lutter contre l'exploitation capitaliste. Des délégués britanniques, français, belges et italiens (parmi d'autres) en décidèrent ainsi.
Peu de temps après, en 1865, fut fondée l'Association Internationale des Travailleurs (AIT). Les différentes sections des pays intégrèrent l'Internationale, avec l'intention d'articuler un mouvement ouvrier à grande échelle, où des valeurs telles que la solidarité, l'entraide et la lutte contre le système capitaliste seraient les pilliers fondamentaux d'une société différente avec les travailleurs comme élément fondamental de la nouvelle vie.
Bien que l'importance de Karl Marx et Friedrich Engels est indéniable, à ce stade, l'AIT répond à différentes sensibilités de stratégie et de tactique politique. Elle regroupe en son sein des marxistes aux proudhoniens, des coopérativistes aux communistes, des socialistes utopiques aux républicains, etc. Une foule de gens qui luttaient depuis très longtemps dans leur coin contre l'exploitation capitaliste et voyaient maintenant la possibilité d'articuler et de coordonner les luttes au niveau international.
La force et l'étendue de l'AIT fit que des personnalités mondialement connues dans le domaine révolutionnaire adhérèrent à celle-ci. Bakounine, révolutionnaire russe, fondateur du mouvement anarchiste international, y adhéra. Il avait gagné sa renommée révolutionnaire en participant à de nombreuses rébellions, comme à Dresde en 1849. D'autres personnalités comme Guiseppe Fanelli et James Guillaume, furent également affiliés à l'Internationale.
Une Internationale qui commençait à inquiéter les gouvernements européens, qui mirent rapidement leurs mains à l'œuvre pour limiter son expansion et réprimer les sections affiliées. La peur du mouvement ouvrier international organisé était évidente.
Mais au sein de l'Internationale commencèrent à apparaître des disputes. Depuis le début les positions de Marx étaient claires : établir une organisation centralisée avec une stratégie fermée. La fondation de partis d'avant-garde, qui fusionnent avec l'intention de prendre le pouvoir, est l'un des grands principes de Marx. Le Conseil général de l'AIT, contrôlé par les marxistes, a pour rôle de coordonner et d'exécuter la tactique à l'échelle internationale. Une organisation fortement centralisée.
Toutefois, ce principe se heurta ouvertement au sentiment et au développement de nombreuses sections de l'AIT. Dans les pays comme la France, l'Italie, la Suisse et l'Espagne, la conception centraliste n'a pas été bien reçue. L'influence du fédéralisme de Proudhon était très forte. Ces mêmes sections optèrent également pour la création de sociétés de résistance ou de syndicats pour lutter contre le système. Et non de partis politiques qu'ils voyaient comme des ennemis de la classe ouvrière car la bourgeoisie ne peut être combattue par le pouvoir bourgeois. Leur conception organisationnelle commençait par les sections, le Conseil général n'étant qu'un instrument de correspondance. Un organisme fédéral de bas en haut.
Ces débats commencèrent à porter préjudice à l'AIT, car certains secteurs essayèrent d'imposer par tous les moyens leur stratégie. C'est le cas des autoritaires marxistes, qui n'acceptaient pas la liberté des sections de l'Internationale. C'est l'origine du litige Marx-Bakounine, du marxisme et de l'anarchisme.
Le soulèvement de la Commune de Paris fut le chant du signe. En Mars 1871, les ouvriers parisiens se constituent en commune. L'Internationale est impliquée dans le mouvement. La Commune de Paris, où les anarchistes proudhoniens sont très influents, adopte la conception fédérale de l'organisation. Une organisation de bas en haut émerge dans la ville de Paris assiégée par les Prussiens et harcelée par les Versaillais de Thiers. Il y eut des tentatives de créer des communes ailleurs en France (Narbonne, Marseille, etc.). A Lyon l'hôtel de ville fut occupé et Bakounine y fit une apparition remarquée. Finalement, les troupes versaillaises rasèrent Paris et tuèrent environ 20.000 communards, parmi eux des internationalistes comme Eugène Varlin.
La Commune de Paris est venue confirmer l'échec de la conception déterministe historique du marxisme. Si l'on veut vraiment en finir avec le système capitaliste, c'est d'une révolution que l'on a besoin et non de la progression naturelle de l'histoire. Ce dont les anarchistes (Bakounine, Proudhon, etc.) avaient averti.
Pourtant, les positions antiautoritaires furent affaiblies après la Commune. La répression du mouvement ouvrier français fut impitoyable et l'anarchisme y avait beaucoup d'influence.
La Conférence tenue à Londres en 1871 signala également la tendance qui voulait s'imposer au sein de l'AIT. En l'absence de Bakounine, les calomnies de la tendance autoritaire contre sa personne ne se firent pas attendre. La rupture était servie.
L'importance du Congrès de Saint-Imier
L'expulsion de Bakounine et Guillaume de l'Internationale étant confirmée au Congrès de La Haye, la réunion des antiautoritaires à Saint-Imier prit une importance énorme.
Dans la ville suisse se rejoignirent les délégués espagnols (Alerini, Farga Pellicer, Marselau et Morago), américains (Lefrançais), français (Camet et Pindy), italiens (Bakounine, Cafiero, Costa, Fanelli, Malatesta et Nabruzzi) et suisses (Guillaume et Schwitzguébel).
Outre l'accord rapporté ci-dessus, le Congrès de Saint-Imier tira d'autres conclusions importantes.
En premier lieu, ils rejetèrent, à l'unanimité, les résolutions adoptées à La Haye et ne reconnurent aucun pouvoir au Conseil général. A partir de ce moment, les fédérations de l'Internationale élaborèrent entre elles un pacte de solidarité pour éviter toute autre manœuvre autoritaire en leur sein.
Ce pacte devait être constitué pour l'amitié, la solidarité et l'entraide des fédérations libres. Il s'agit du deuxième accord majeur du congrès. Ils se déclarèrent ennemis du centralisme et adoptèrent le fédéralisme comme mode d'organisation. Ils ouvrirent un bureau de correspondance entre les sections. L'objectif était clair: sauver cette grande union de l'Internationale, que l'ambition du parti autoritaire avait mise en danger.
Le Congrès convint que chaque état et chaque gouvernement est l'ennemi de la classe ouvrière. Qu'il y a dans la lutte une correspondance entre les moyens et les fins. Qu'une société qui a été fondée sur la violence, l'armée, l'espionnage, le clergé, etc., ne peut jamais être bénéfique pour la classe ouvrière. Il est convenu que la forme d'organisation sera la résistance au capital à grande échelle et que la grève est un outil essentiel pour lutter contre le système capitaliste. Les luttes économiques entre le travail et le capital pour l'amélioration de la classe ouvrière sont acceptées, mais elles ne doivent jamais se détacher de la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le système capitaliste.
Saint-Imier jeta les bases du mouvement ouvrier anarchiste international et de ce qui sera plus tard le syndicalisme révolutionnaire.
L'impact de Saint-Imier, dans le mouvement ouvrier espagnol
L'Internationale atteignit l'Espagne en Décembre 1868 par la main d'un anarchiste italien, Guissepe Fanelli. Il entra en contact avec les milieux les plus avancés du prolétariat espagnol (dont beaucoup étaient inscrits dans le républicanisme fédéral), il mit en place en 1870 la première section de l'Internationale en Espagne, baptisée Fédération régionale espagnole ( FRE). Auparavant, certains délégués espagnols avaient participé à des congrès internationaux.
L'importance et l'influence de la FRE augmenta. Le tout dans un contexte révolutionnaire pour l'Espagne (la Présidence Démocratique). Les sociétés ouvrières acquirent une telle ampleur que le gouvernement essaya de les interdire, appelant l'Internationale "l'utopie philosophale de la criminalité."
L'Espagne va devenir l'un des champs de bataille au sein de l'Internationale. La section espagnole est clairement antiautoritaire. C'est pour cela que Marx envoie en Espagne un délégué de confiance. Paul Lafargue, fuyant la répression contre la Commune de Paris, arrive en Espagne. L'auteur du Droit à la paresse influence un petit groupe de militants ouvriers madrilènes (Pablo Iglesias, Francisco Mora, José Mesa, etc) et adhère à la section d'Alcalá de Henares, introduit par le photographe Florencio Navarro, sous le pseudonyme de Paul Farga. Ce petit groupe s'organise autour du journal La Emancipation. Lafargue participe en tant que délégué d'Alcalá au Congrès de Saragosse en Avril 1872, où s'affirment déjà les positions de la rupture de l'Internationale en Espagne. Le groupe madrilène fonde la Nouvelle Fédération Madrilène, en face de la Fédération locale de la FRE à Madrid, dirigée par Tomás González Morago et qui publie le journal El Condenado. Il ne tient pas compte du Conseil fédéral de la FRE, qui désavoue les actions des groupes de Madrid et Alcalá, et n'est reconnu après le Congrès de La Haye que par le Conseil général de Marx, à l'extérieur de l'AIT. Le mouvement ouvrier espagnol fut majoritairement anarchiste et tînt un important Congrès à Cordoue en 1873. Seul un minuscule groupe était adepte de l'idéologie marxiste (mais avec beaucoup de nuances). Ils formeront avec le temps le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et l'Union Générale des Travailleurs.
Les conséquences de Saint-Imier
Après le Congrès de Saint-Imier, le mouvement ouvrier international est divisé en deux. Le groupe marxiste déplaça le Conseil général de Londres à New York, leurs structures disparaissant peu après. Même les groupes les plus marxistes furent incapables de rester à l'intérieur. Lorsque, en 1875, le socialisme allemand s'unifit dans le programme de Gotha, et qu'il en résulte le SPD, celui-ci est critiqué par Marx. Lors du Congrès de Philadelphie en 1875, l'AIT est dissoute.
De son côté, le mouvement ouvrier anarchiste tînt régulièrement différents congrès comme Verviers en 1877. Il y eut une tentative d'unification au congrès de Gand la même année, qui fut un échec. Les congrès de Londres en 1881 et d'Amsterdam en 1907 furent importants pour le maintien des structures internationales anarchistes.
Les marxistes vont fonder une Internationale en 1889, réunissant les différents partis socialistes du monde. Une Internationale où l'anarchisme est exclu. Une Internationale qui va de nouveau être divisée avec le déclenchement de la Révolution russe en 1917 donnant naissance à la troisième Internationale communiste, ou Komintern. Et même une quatrième Internationale regroupant les partis trotskystes et antistalisnistes
Pour les libertaires, il est clair après le Congrès d'Amsterdam de 1907 qu'il faut fonder une nouvelle Internationale. En 1922, l'AIT renaît à Berlin, où se regroupent la plupart des organisations syndicalistes révolutionnaires, y compris la CNT. En 1948, une Internationale Anarchiste a refait surface, en 1958 est créée la Conférence Internationale Anarchiste et à Carrare en 1968 l'Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA) dont fait partie la Fédération Anarchiste Ibérique et la Fédération Anarchiste francophone.
Les jeux d'enfants finissent jamais.