Salut,
Ci-joint un article pris sur Le Monde.
Oliv
NB: pas pu y mettre aussi les photos!
http://mondeacinter.blog.lemonde.fr/201 ... e-grecque/Vio.ME, une usine sans patron dans la tourmente grecque
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La première entreprise grecque autogérée est née à Thessalonique en 2011. Ses ouvriers se démènent pour que leur expérience réussisse et fasse boule de neige.
Dans le petit bureau de Vio.ME, les premiers ouvriers arrivés discutent des mérites réciproques de deux savons afin de décider dans lequel investir pour la prochaine gamme de bio-détergents. (Photo Léonore Stangherlin / Le Monde Académie)
A sept heures d’un ordinaire matin d'avril, dans le minuscule bureau de l’usine Vio.ME à Thessalonique, la fumée du café grec qui cuit sur un réchaud de camping se mêle à celle des premières cigarettes de la journée. Des plaisanteries s'échangent, les nouveaux arrivés frottent leurs yeux bouffis de fatigue.
La réunion journalière des ouvriers de l’usine autogérée Viomihaniki Metalleftiki (Vio.Me.) va commencer. En 2011, les employés, ont pris le contrôle des moyens de production. L’usine a redémarré après une longue période d’arrêt mais a dû, entre temps, changer d’activité : adieu les matériaux de construction, place à la production de biodétergent à base de savon à l’huile d’olive.
“Bienvenue dans notre processus d'apprentissage!”, lance Makis Agnostou, quadragénaire moustachu dont l'autorité toute patriarcale s'impose à la quinzaine de personnes présentes à cette assemblée matinale. À l’ordre du jour, des problèmes techniques (le savon, que les ouvriers fabriquent eux-mêmes depuis seulement deux semaines, se cristallise à cause du froid, que faire?), économiques (quelle huile donne la meilleure qualité de savon pour le prix le plus avantageux?) et légaux. La demande de statut d’entreprise coopérative sociale qui leur permettra de distribuer leurs produits en grande surface va bientôt aboutir et il s'agit de fixer les premiers objectifs de vente.
D'autres tâches sont réparties au cours de cette réunion : les ouvriers de Vio.ME voyagent souvent en Grèce et organisent des conférences pour encourager les employés d’usines en difficulté à suivre leur exemple. “Il est important de montrer aux gens qu’il est possible de défendre leur travail et de suivre notre démarche, même si ce n’est en aucun cas une voie facile. Notre exemple doit leur donner de l’espoir et le courage de se lancer”, affirme Dimitris Koumasioura qui a, comme la quarantaine d’ouvriers de l’usine, traversé la tempête des dernières années.
Ici, au cœur d’une zone industrielle de Thessalonique où les usines en ruine se succèdent, Vio.ME a rejeté le modèle patronal : pas de hiérarchie ou de structure rigide, chaque voix compte de manière égale et la plupart des décisions sont votées à l'unanimité.
Urgence et solidarité
Tout a commencé dans la fournaise de l’été 2011, alors que la Grèce plonge dans une tourmente économique sans précédent. Dans ce contexte morose, l’entreprise de matériaux de construction Vio.ME, filiale du groupe Filkeram-Johnson, s’en sort plutôt bien, quoique les relations avec son principal investisseur deviennent tumultueuses. La famille grecque Philippou n’a pratiquement versé aucun salaire depuis des mois alors que l’usine marche à plein régime et fait même des bénéfices, contrairement à la maison mère qui fait faillite en juillet.
Excédés, les ouvriers de Vio.ME prennent le contrôle de l’usine et organisent leur première assemblée générale. Sur 65 employés, 42 choisissent de continuer sans les patrons. Il faudra se battre en justice pour obtenir la propriété légale de l’usine, qui appartient encore à la famille Philippou, et relancer la production. Ceux qui votent contre s’en vont chercher du travail ailleurs.
Les dirigeants sont partis sans laisser aux employés les papiers leur permettant de s’inscrire au chômage. Il faut trouver d'urgence une source de revenu en attendant que les affaires reprennent. Un fonds de solidarité se crée, qui réunit aujourd’hui plusieurs centaines de donateurs grecs ou étrangers. Toute personne désirant aider Vio.ME s’inscrit sur une liste. Le parrain s’engage à payer 3 euros par mois s’il a un travail et 1,5 s’il est étudiant ou chômeur. Certains font des dons en nature (nourriture et produits de première nécessité). Les ouvriers ont d’ailleurs parfois reçu une partie de leur salaire en nourriture. Mais, comme le souligne Makis Agnostou, “nous ne mendions pas”.
Les membres solidaires ont accès aux produits de Vio.ME dans les centres sociaux de plusieurs villes grecques ainsi que dans les “marchés ouverts”, ces lieux d’échanges sauvages où le produit est vendu du producteur au client, sans intermédiaire.
"Démocratie directe"
À Vio.ME, tout est prêt pour commencer une production à plus grande échelle. (Photo Léonore Stangherlin / Le Monde Académie)
Le gros de la bataille consiste à décrocher, devant la Cour de justice, le statut d'entreprise coopérative sociale qui permettra des ventes à grande échelle. Les savons et biodétergents à base de produits naturels de Vio.ME ont trouvé une clientèle fidèle dans plusieurs villes grecques, dont Thessalonique et Athènes, mais il faut augmenter les ventes pour survivre. Or, les démarches s’embourbent dans les méandres de la bureaucratie grecque.
En vue d'obtenir ce sésame, Vio.ME a dû se résigner à désigner un président et un vice-président. “Cela ne change rien à notre pratique de fonctionnement basée sur la démocratie directe, ni sur notre mode de fixation des salaires, qui varie selon les besoins de chacun, le nombre d’enfants par exemple”, explique Makis Agnostou.
Porte-drapeaux ?
Les ouvriers-patrons de Vio.ME seront-ils des porte-drapeaux d’un combat autogestionnaire contre la crise, comme le furent les salariés de LIP en France dans les années 1970 ? Un comité de soutien d’une trentaine de personnes a été fondé en juillet 2011. Son but : créer un mouvement de solidarité entre population grecque et travailleurs, mais aussi se faire connaître grâce à une bonne visibilité médiatique, organiser des manifestations et des conférences au-delà de la région de Thessalonique. Dans cette ville, où le taux de chômage déclaré atteignait, en septembre 2013, les 36% de la population active, Vio.ME est populaire.“Notre fierté est d'être la première entreprise grecque autogérée, clame Makis Agnostou, et d’avoir suscité un bel élan de solidarité au sein de la population”.
Retour à la réunion matinale où est annoncée la nouvelle de la journée : à Caen, dans la biscuiterie française Jeannette, les ouvriers ont pris possession de l’usine qui avait été liquidée en décembre. Après quelques hourras, un ouvrier murmure : “ Espérons qu’ils tiendront jusqu’au bout”. Les visages à la ronde, certes souriants, sont marqués par la fatigue. Certains des ouvriers travaillent le week-end sur les marchés pour vendre les produits Vio.ME. Et beaucoup font des heures supplémentaires, de nuit, dans d’autres entreprises, pour pouvoir s’en sortir financièrement...
Léonore Stangherlin (Monde Académie à Thessalonique)