Critique du marxisme

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Critique du marxisme

Messagepar AnarSonore » Vendredi 23 Avr 2010 20:22

DIX THESES SUR LE MARXISME AUJOURD’HUI

1° Il est désormais dépourvu de sens de se demander dans quelle mesure l’enseignement de Marx et d’Engels est, à notre époque, théoriquement recevable et pratiquement applicable.

2° Toutes les tentatives pour rétablir la doctrine marxiste comme un tout et dans sa fonction originelle de théorie de la révolution sociale de la classe ouvrière sont aujourd’hui des théories réactionnaires.

3° Toutefois, pour le bien comme pour le mal, des éléments fondamentaux de l’enseignement marxien conservent leur efficacité après avoir changé de fonction et de théâtre. De plus, la praxis de l’ancien mouvement ouvrier marxiste a donné de puissantes impulsions aux divergences pratiques qui opposent aujourd’hui les peuples et les classes.

4° Le premier pas à faire, pour remettre debout une pratique et une théorie révolutionnaire, consiste à rompre avec ce marxisme qui prétend monopoliser l’initiative révolutionnaire et la direction théorique et pratique.

5° Marx n’est aujourd’hui qu’un parmi les nombreux précurseurs fondateurs et continuateurs du mouvement socialiste de la classe ouvrière. Non moins importants sont les socialistes dits utopiques, du temps de Thomas More au nôtre. Non moins importants sont de grands rivaux de Marx, tels que Blanqui, et des ennemis irréductibles, tels que Proudhon et Bakounine. Non moins importants, en dernier résultat, les développements plus récents tels que le révisionnisme allemand, le syndicalisme français et le bolchévisme russe.

6° Particulièrement critiques sont, dans le marxisme, les points suivants :

a. Le fait d’avoir été pratiquement subordonné aux conditions économiques et politiques peu développées, en Allemagne et dans tous les autres pays de l’Europe centrale et orientale où il allait acquérir une importance politique ;
b. Son attachement inconditionnel aux formes politiques de la révolution bourgeoise ;
c. L’acceptation inconditionnelle de prendre l’état économique de l’Angleterre comme modèle pour le futur développement de tous les pays et comme condition objective préalable de la transition au socialisme.

A quoi s’ajoutent :

d. Les conséquences de ses tentatives répétées, désespérées et contradictoires, pour briser ces conditions.

7° De ces conditions en effet ont résulté :

a. La surestimation de l’Etat comme instrument décisif de la révolution sociale ;
b. L’identification mystique du développement de l’économie capitaliste avec la révolution sociale de la classe ouvrière ;
c. Le développement ultérieur ambigu de cette première forme de la théorie marxienne de la révolution par la greffe artificielle d’une théorie de la révolution communiste en deux phases ; cette théorie, dirigée d’une part contre Blanqui, d’autre part contre Bakounine, escamote du mouvement présent l’émancipation réelle de la classe ouvrière, et la repousse dans un avenir indéterminé.

8° Ici se trouve le point d’insertion du développement léniniste ou bolchévique ; et c’est sous cette nouvelle forme que le marxisme a été transféré en Russie et en Asie. Simultanément s’est opéré le développement du socialisme marxiste, qui, de théorie révolutionnaire, est devenu pure idéologie. Cette idéologie pouvait être et a été subordonnée à toute une série d’objectifs divers.

9° C’est sous ce point de vue qu’il convient de juger avec un esprit critique les deux révolutions russes de 1917 et de 1928, et c’est sous ce point de vue qu’il faut déterminer les fonctions remplies aujourd’hui par le marxisme, en Asie et à l’échelle mondiale.

10° Le pouvoir de disposer de la production de leur propre vie ne résultera pas du fait pour les ouvriers d’occuper les positions abandonnées, sur les marchés internationaux et sur le marché mondial, par la concurrence auto-négatrice et soi-disant libre des propriétaires monopolistes des moyens de production. Ce pouvoir ne pourra résulter que de l’intervention concertée (planmässig) de toutes les classes, aujourd’hui exclues, dans une production qui, aujourd’hui déjà, tend sous tous les rapports vers la régulation monopoliste et planifiée.

Karl Korsch (1950)

(Thèses traduites de l’allemand par Maximilien Rubel et Louis Evrard et publiées pour la première fois dans Arguments n°16, 1959)
Dernière édition par AnarSonore le Vendredi 23 Avr 2010 20:37, édité 1 fois.
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Re: Critique du marxisme

Messagepar AnarSonore » Vendredi 23 Avr 2010 20:37

Marx apporte une inspiration, une intuition, une idée, une vue qui est relativement nouvelle: ce sont les hommes qui font leur propre histoire, « L' émancipation des travailleurs sera l' oeuvre des travailleurs eux-mêmes ». Autrement dit, la source de la vérité, notamment en matière de politique, n' est pas à chercher dans le ciel ou dans des livres, mais dans l' activité vivante des hommes existant en société. Cette idée, apparemment simple et même banale, a une foule innombrable de conséquences capitales – mais que Marx n' a jamais tirées. Pourquoi? Parce que, en même temps – c'est à dire dès sa jeunesse – Marx est dominé par le phantasme de la théorie totale, achevée, complète. Non pas du travail théorique (évidemment indispensable), mais du système définitif.

Ainsi il se pose – et cela, dès L' Idéologie allemande – comme le théoricien qui a découvert la loi de la société et de l' histoire: loi de fonctionnement de la société, loi de succession des formations sociales dans l' histoire, puis « lois de l' économie capitaliste », etc.

Ce deuxième élément – que l'on peut à bon droit appeler l' élément théoriciste, ou spéculatif – domine dès le départ la pensée et l'attitude de Marx, et relègue l'autre à quelques phrases lapidaires et énigmatiques. C'est pourquoi aussi il passera l'essentiel de sa vie adulte, trente ans, à essayer de finir ce livre qui s' appelle Le Capital, qui devra démontrer théoriquement l'effondrement inéluctable du capitalisme à partir de considérations économiques. Évidemment il n' y parviendra pas , et il ne finira pas Le Capital.

Cette deuxième position est fausse. Et elle est incompatible avec la première. Ou bien il y a des lois de l'histoire – et alors, une véritable activité humaine est impossible, sinon tout au plus comme technique ; ou bien les hommes font vraiment leur histoire – et la tâche du travail théorique n'est plus de découvrir des « lois » mais d'élucider les conditions qui encadrent et limitent cette activité, les régularités qu'elle peut présenter, etc...

Or, c'est cette deuxième position qui a permis à Marx et au marxisme de jouer un rôle si important – et si catastrophique – pour le mouvement ouvrier. Les gens ont cherché et ont cru trouver, dans Marx un certain nombre de vérités toute faites ; ils ont cru que toutes les vérités, en tout cas les vérités les plus importantes, se trouvent dans Marx, que ce n' est plus la peine de penser par soi-même – que même, à la limite, c'est dangereux et suspect. C'est elle aussi qui a légitimé la bureaucratie des organisations ouvrières se réclamant du marxisme, en l'instaurant dans la position d'interprète officiel et autorisé de l'orthodoxie socialiste.

Et il faut voir, car c'est toujours important, que si cette prétention de Marx et du marxisme de représenter la vérité scientifique a eu le succès qu'elle a eu, ce n' est pas parce qu'elle a violé les gens. C'est parce qu'elle répond à quelque chose que les gens cherchaient et qu'ils cherchent toujours. Cette chose correspond très profondément à l'aliénation, à l'hétéronomie des gens. Il y a le besoin d'une certitude, d'une sécurité psychique et intellectuelle ; et la tendance correspondante à se décharger de la tâche de penser sur quelqu'un d'autre, qui pense pour vous. Et il y a la pseudo-garantie fournie par la théorie: notre théorie démontre que le capitalisme s'écroulera fatalement, et que le socialisme lui succédera nécessairement. Fascination avec la « science », caractéristique évidemment du XIXe siècle mais qui continue ; et fascination d'autant plus forte que cette étrange « science », le marxisme, à la fois se prétend tout à fait « objective », à savoir indépendante des désirs, des souhaits, etc., de ceux qui la professent, et en même temps, comme un prestidigitateur sort un lapin d' un chapeau, « produit » un état futur de l'humanité qui correspond à nos souhaits, à nos désirs: des « lois de l'histoire » qui garantissent que la société de l'avenir sera nécessairement une « bonne société ».

Soit dit en passant: il est quand même drôle de voir tous les marxistes interminablement occupés à « interpréter » tel ou tel point de la théorie de Marx – et ne pas se poser, une seule fois, la question « marxiste » par excellence: comment donc le marxisme a effectivement fonctionné dans l'histoire effective, et pourquoi? Ce simple fait les disqualifie radicalement et définitivement.”

Cornelius - Castoriadis, Domaines de l' homme – Les carrefours du labyrinthe 2, Ed du Seuil p 90-93
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Re: Critique du marxisme

Messagepar goldfax » Samedi 24 Avr 2010 14:46

Je ne l'ai pas lu, ce texte. Mais je me méfie de ce genre de configuration textuelle basée sur des thèses séparées en paragraphes (comme Marx a fait avec Feuerbach). A vouloir feindre l'exhaustivité, en fait, on se retrouve avec des lacunes critiques.
Sinon, en soi, je trouve la démarche très pertinente.
goldfax
 

Re: Critique du marxisme

Messagepar Paul Anton » Samedi 19 Juin 2010 10:46

De Karl Korsch, on peut lire ces deux ouvrages :

-Au cœur de la conception matérialiste de l'histoire.
-Marxisme et philosophie.

A noter que Karl Korsch a influencé Guy Debord.
"Salut Carmela, je suis chez FIAT ! Je vais bien... Si, si, nous pouvons parler tranquillement, c'est Agnelli qui paye !"
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