Cahier 22 : TECHNIQUES DE LUTTES

Sommier théorique et affinités idéologiques !

Cahier 22 : TECHNIQUES DE LUTTES

Messagepar NOSOTROS » Mercredi 04 Juin 2008 16:54

(rackham, j'ouvre le bal ... :-) )

DES REVENDICATIONS A L'UTOPIE

Les revendications immédiates, celles qui visent à l’amélioration des conditions d’existences ou de certaines classes sociales apparaissent dans le cadre capitaliste comme contradictoires avec l’idée de révolution.
Première contradiction : négocier avec l'Etat et le patronat de meilleurs avantages consiste à négocier le taux d’exploitation. On ne participe pas à détruire la cause du couple "oppression/exploitation". C’est-à-dire le couple "Etat/patronat". Négocier son taux d’exploitation c’est soi-même autoriser la bourgeoisie à exploiter. C’est légitimer son oppresseur que de négocier avec lui la forme et le niveau de son oppression.
Deuxième contradiction : les revendications immédiates sont intégrables par le capitalisme. En restant dans la logique du capitalisme et, par contre coup, dans les possibilités qu’il offre avec un peu de, soi-disant, "réalisme et pragmatisme", on saura très vite ramener des revendications à un niveau acceptable et sous couvert, là encore, de "réalisme et de pragmatisme". "Ne nous conduisons pas comme les extrémistes démagos !" n’arrêtent pas de nous répéter les bons syndicalistes respectables et responsables. "Réalisme" et "pragmatisme"(1)doivent faire leurs œuvres pour conserver les revendications dans les limites du possible des contraintes de l’économie capitaliste : à savoir limiter les coûts salariaux pour que les productions soient compétitives sur le marché, maintenir des équilibres budgétaires afin de diminuer la pression fiscale, surveiller la balance des paiements, etc.
Troisième contradiction : lorsque la dynamique des luttes rentre dans une phase critique, les revendications immédiates peuvent sauver le capitalisme et sa bourgeoisie. En effet, l’agitation va obliger le patronat et l'Etat à lâcher de la monnaie. Cette dernière équivaut à faire des achats, donc à augmenter le pouvoir d’achat des ménages. Les dépenses des ménages vont stimuler la croissance qui laissera croire à une embellie de l’économie pendant un à deux ans.
La satisfaction de certaines revendications ramènera la paix sociale, sauvant politiquement le capitalisme, puisque l'Etat et le patronat peuvent satisfaire les exploités. En lâchant quelques miettes aux exploités, la bourgeoisie espère sauver l’essentiel sachant qu’elle pourra reprendre petit à petit ce qu’elle aura lâché.
Le plus bel exemple récent est "Mai 1968" où le patronat et l'Etat, relayés par les valets du syndicalisme réformiste, se sont empressés de juguler l’action et la démocratie directe, la grève générale, la crise politique qui menaçaient le capitalisme, en octroyant des avantages jamais égalés : les fameux "Accords de Grenelle" qui se sont amincis à ce jour comme une "peau de chagrin". Une fois le calme revenu, la bourgeoisie sait reprendre ses affaires les années suivantes : un peu d’inflation, une augmentation des impôts et de la productivité (cadences, horaires, nouvelles organisations de la production(2)), des restrictions salariales (salaires, prestations sociales, retraites, etc.) rogneront les avantages acquis. Profitant de la retombée et de la passivité, le patronat purgera ses entreprises des militants révolutionnaires et renforcera l’emprise du syndicalisme réformiste plus "réaliste" et "consensuel".
Pourtant nous devons défendre, incorporer et agir avec la dynamique des revendications immédiates. La lutte revendicative peut être évolutive. On démarre sur du revendicatif mais on ne sait pas où ça va aboutir. Cela commence et peut évoluer ainsi : nous sommes dans une situation atone. L’expérience et l’histoire du mouvement ouvrier ne sont plus transmises à de nombreux salariés. Politiquement, partis et syndicats n’entretiennent que méfiance. On ne croit pas à un changement profond. Pire, il n’est dans la conscience de chacun aucune hypothèse autre que la société présente. La norme comportementale admise et défendue est celle de la classe dominante : l’individualisme est de règle, marqué par la désyndicalisation, la dépolitisation et le consensus social.
Mais voilà, l’oppression sous toutes ses formes gagne du terrain. Les difficultés s’entassent et les possibilités de faire son trou disparaissent, comme celles d’accéder aux échelons supérieurs de l’échelle sociale. La lutte pour la survie se généralise et le sentiment d’injustice grandit. Ras le bol, on n’a plus le choix, il faut se battre !
Le mécanisme psychologique qui conduit de la passivité à l’activisme s’enclenche. Comme nous sommes dans une phase encore réaliste à cause de la dépolitisation, les exploités réclament au système en place la satisfaction de leurs exigences qui sont elles-mêmes peu importantes, par réalisme, du moins, au départ.
La phase revendicative s’enclenche. Pour peu que des succès soient ici ou là enregistrés, d’autres réclament ces mêmes avantages, individuellement ou collectivement. D’autres luttes apparaissent et d’autres succès jouent sur le développement de ces luttes. Celles-ci pullulent bientôt. C’est la phase de généralisation. Pendant cette phase, les luttes revendicatives vont être placées devant un dilemme : soit chaque conflit progresse de son côté sur ses objectifs propres et par rapport à une défense catégorielle ou corporatiste, ce qui revient souvent à lutter contre d’autres catégories ou corporations et en définitive à lutter contre ses intérêts de classe et ça arrange bien le pouvoir ; soit la situation amène les exploités (et les structures de lutte) à se croiser, à se rencontrer, à débattre, voire même à s’opposer et les revendications s’entrechoquent. Alors, si la situation est mûre tant au niveau social qu’au niveau de la maturité politique, l’unité doit et peut se frayer son chemin. Car l’unité est une nécessité vitale pour la dynamique des luttes.
Reste à formuler cette unité et le contenu unitaire ou unifiant. Il appartient à chaque organisation de souscrire à un soutien ou à un rejet de ce contenu revendicatif. Il est très probable que l’unité revendicative des luttes ne puisse se faire que dans l’optique d’une revendication qui soit généralisée. C’est à dire valable pour tous, égalitaire ou tendant vers l’égalité et rejetant tout ce qui n’est valable que pour une catégorie professionnelle. Ceci est ce qu’un anarchosyndicaliste doit défendre, par exemple.
Je précise également, pour nous, que l’unité ne veut pas dire uniformité. Nous défendons le principe de l’unité dans la diversité (des pratiques de luttes, des actions menées, des analyses...). L’important, c’est l’unité à la base des travailleurs, des chômeurs et des étudiants dans des comités de lutte ou de grève autogérés et coordonnés sur des revendications elles aussi unifiantes.
Si la phase d’unification s’impose, elle change profondément la situation et la perception des choses. En effet, cela signifie que le chacun pour soi, le catégoriel et le corporatisme sont dépassés puisqu’il s’agit enfin de s’unir.
Cette exigence nécessite et induit que les collectifs de chômeurs ne se contentent plus de revendiquer pour eux quelques avantages mais pour l’ensemble des chômeurs des droits nouveaux, par exemple. Idem pour les étudiants et les salariés qui ne réclament plus la gratuité d’inscription dans telle fac mais dans toutes les facultés ou de meilleures conditions salariales dans telle usine ou tel secteur d’activité, mais pour l’ensemble des salariés (on se bat pour des conventions collectives). On ne demande plus pour le droit au logement dans telle ou telle ville mais pour le droit au logement pour tous.
Cette politique unitaire doit amener la construction d’un front de lutte commune aux chômeurs, étudiants et salariés. L’unification modifie aussi les contenus revendicatifs : petites revendications, petits rapports de forces ; grandes revendications, gros rapports de forces. Les revendications deviennent plus importantes, plus générales et exigeantes. Découvrant leur force et les moyens que donne l’unité, les luttes s’amplifient et se radicalisent. La lutte devient générale et ses techniques se multiplient qui vont de la grève à l’occupation des usines, des facs, des administrations et, en passant, par toutes sortes de manifestations jusqu’à la désobéissance civile, etc.
Cela gagne tout le système social. La situation devient critique et peut basculer dans une toute autre problématique. Les exploités commencent à critiquer et rejeter à la bourgeoisie. Ils s’attaquent à son fric et à ce système qui le permet et à leur oppression. La cause des inégalités, à savoir le capitalisme et l'Etat, est dénoncée. Les lois et organismes de ce dernier : les tribunaux, les politiciens, le parlement, le gouvernement, la police, l’armée... sont saisis comme garants du système et conspués en tant que tels.
La phase de politisation dans laquelle nous entrons prépare d’autres combats. La bourgeoisie le sait et est tentée de laisser pourrir la situation. Néanmoins, cela risque de devenir dangereux. Il lui reste à jouer le jeu en cédant sur des revendications dans l’espoir de ramener le calme. Car la rupture n’est pas encore consommée. Nous sommes encore dans une logique revendicative (voir plus haut). Les syndicats réformistes accourent aux tables de négociations, voulues par le gouvernement et le patronat pour étudier avec eux les réponses à ces revendications. Soit les exploités obtiennent satisfaction et le calme revient ; soit ça coince, il n’y a pas d’accord et les désordres continuent. La situation devient pré-révolutionnaire. Les exploités s’attaquent à l'Etat, au gouvernement, voire aux partis et aux syndicats réformistes. Les valeurs morales, éthiques de la bourgeoisie sont contestées. Une contre-idéologie apparaît : antiétatisme, solidarité, recherche d’être autrement et d’autre chose qui se traduit par une nouvelle signification de l’existence et des rapports sociaux, etc.
La phase idéologique est avancée. En cas d’échec des négociations, les alliances se préparent et se tissent. La bourgeoisie va tenter de faire bloc et elle le fera avec le patronat, les partis de droite, les hauts dirigeants des administrations et des corps d'Etat. La bourgeoisie décrète la mobilisation générale de tout ce qui peut la soutenir. Reste à bien appréhender les positions des pontes des partis de gauche et des bureaucrates des appareils syndicaux traditionnels impliqués dans ces luttes. En règle générale, la gauche politico-syndicale s’adonnera à de la surenchère verbale en exigeant de meilleures réformes et la satisfaction de toutes les revendications. Tout cela pour faire croire aux exploités qu’elle soutient leurs exigences et qu’elle représente leurs intérêts. Si les exploités se laissent duper, les réformistes vont utiliser leur influence pour orienter la lutte dans la voie légaliste et institutionnelle en proposant l’idée d’un gouvernement d’union nationale (ou de salut public) de type "front populaire", par exemple. L’objectif de ce gouvernement sera de distribuer quelques miettes et autres menus avantages aux exploités dans l’espoir que ces concessions et la promesse de futures lois, censées leur apporter entière satisfaction par les moyens légaux, ramèneront le calme.
Parallèlement, cette gauche tentera de limiter la lutte aux seules revendications matérielles et immédiates et essayera de diviser les exploités. Par le biais des syndicats, elle jouera de son influence pour éviter les liaisons entre salariés, étudiants, chômeurs.... bloquant toutes les actions de solidarité, limitant les objectifs de lutte aux entreprises et dénonçant l’aventurisme révolutionnaire. Il ne reste plus aux exploités qu’à stopper leur action et à attendre monts et merveilles de ce gouvernement populaire qui, les luttes se désagrégeant, pourra tranquillement trahir ses engagements.
Car la gauche politico-syndicale n’a pas pour but d’abattre le capitalisme et ses inégalités. Elle n’est qu’une composante de la bourgeoisie comprenant des élus et des permanents syndicaux. Ses intérêts matériels dépendent donc du cadre capitaliste. Une révolution sociale et libertaire ôterait tous ses avantages et pouvoirs aux membres de cette classe. En derniers recours, cette gauche combattra toute poussée révolutionnaire et s’alliera aux forces conservatrices. Si cette gauche ne suffit pas à canaliser les luttes dans le maintien de l’ordre établi, la bourgeoisie pourra toujours se lancer dans l’aventure dictatoriale avec ou sans la bénédiction légale du parlement.
La phase idéologique ayant si possible et en connaissance de cause fait son chemin, les temps sont favorables pour mettre en place les moyens concrets d’une autre société (et donc d’une autre culture) capable de satisfaire les nouvelles exigences matérielles et éthiques. La mise en place de cette autre société pourrait être appelée la phase utopique. Bien évidemment, ce processus peut aboutir ou bien capoter. Toutefois, rien ne permet de prévoir à l’avance son issue.
Il est clair que ce raisonnement par "phases" n’est là que pour illustrer ma vision des choses. Dans la réalité, les différentes phases se mêlent, se chevauchent et s’interpénètrent. Chaque phase contient déjà en elle-même une partie des éléments qui peut l’amener au niveau de développement supérieur. La lutte connaît certes des avancées mais aussi des reculs. Les grèves générales peuvent se succéder ou bien laisser la place à un mouvement extrêmement diffus et tenace qui pratique le harcèlement sur une grande échelle. Les hypothèses sont évidemment multiples. La réalité et les conditions concrètes de la lutte des classes nous éclaireront sur la conduite à tenir.
Vive la grève générale, vive la phase utopique
Ainsi, nous voyons bien qu’au départ, la logique revendicative n’est pas "pour ou contre le capitalisme". Elle serait même plutôt liée au cadre existant. Mais la logique revendicative peut déboucher en évoluant sur une crise sociale majeure.
L’autre aspect des revendications immédiates c’est le refus d’attendre des lendemains qui chantent et les grands soirs, le refus des promesses de paradis de toutes sortes ou de mots d’ordre du genre : "soyez sages et patients, demain ce sera mieux". Ce stoïcisme social consiste en définitive à vouloir maintenir le cadre social.
La revendication immédiate modifie la base matérielle des sociétés et des individus et, par là même, leurs idées et références. Ce lien et ses conséquences sont bien sûr sujet à débat. En ce qui me concerne, je suis de ceux qui pensent que la base matérielle des sociétés, des collectifs et des individus jouent dans leurs perceptions et représentations des choses. Je ne pense pas que la grande misère signifie révolte et grande conscience révolutionnaire. Partant de l’adage "ventre affamé n’a point d’oreilles", je suis convaincu que la grande misère ne laisse pas place à des analyses profondes. Car celle-ci rend trop faible, trop démuni et trop astreint à la survie. Il faut un certain degré de confort matériel pour se préoccuper d’autre chose que du bol alimentaire.
Il est aisé de constater que, par nécessité de production durant les deux dernières guerres, nombre de femmes quittèrent leur foyer, découvrant ainsi la bêtise de l’idéologie patronale qui faisait de l’homme le salarié et l’unique ressource financière de la famille, par exemple. Elles découvrirent qu’elles pouvaient faire des choses similaires : l’entreprise, le salariat, et surtout la liberté de ne point être asservies à leur seigneur de mari. Du fait de la croissance, la féminisation de la main d’œuvre va s’accélérer en apportant aux femmes une certaine autonomie économique et plus d’indépendance. Les idées dites "féministes" n’avaient plus qu’à se répandre. De sacrées modifications idéologiques et culturelles s’ensuivirent.
Le confort sanitaire a modifié l’idée d’hygiène et la perception corporelle. Le confort médical a, lui, accentué la vision de la santé, du rôle de la protection médicale et de son éthique.
La réduction du temps de travail et la diminution relative de sa pénibilité nous fait cogiter sur le temps libre et le plaisir. Essayez aujourd’hui d’expliquer que nous ne sommes là que pour produire et que le temps libre est péché, je vous laisse deviner le résultat.
Que ce soit au niveau individuel ou des couches sociales d’une société, la situation matérielle influe directement sur leurs idées, leurs perceptions et leurs représentations. On ne pense pas et on ne projette pas les mêmes idées à l’âge de pierre, du bronze ou de l’ordinateur. On n’a pas la même perception de la pauvreté en occident ou en Afrique. Le jugement sur la question est forcément lié au contexte économique des pays.
Reste à déterminer ce qui doit être défendu et rejeté ou modifié au niveau matériel et idéologique. Vouloir rejeter et se détourner, voire refuser les revendications immédiates et, par là même, refuser d’agir sur les bases de la vie matérielle des travailleurs et des opprimés est à la fois criminel, illusoire et dangereux.
Criminel parce que niant le droit des plus opprimés à vivre mieux en refusant de saisir le rapport évolutif des luttes revendicatives dans les consciences. Nier le rapport "situation matérielle/concept idéologique" ne me semble que trop ambigu pour un syndicaliste.
Illusoire parce qu’une organisation révolutionnaire qui rejetterait tout aspect revendicatif n’aurait aucun impact dans des luttes sociales de classe et, de fait, ne servirait à rien. Car les exploités se passeraient des services d’une telle organisation en continuant quand même leurs luttes revendicatives.
Dangereux parce qu’une pareille organisation serait attaquée par ceux-là même qu’elle entendait défendre ; pire même, elle constituerait une alliance de fait avec les contre-révolutionnaires par son non-engagement.
Nous voyons bien la nécessité de la lutte revendicative avec ses pièges et ses dangers mais aussi avec ses perspectives positives. Seules les revendications qui s’écartent de nos principes tactiques et théoriques doivent être combattues. Tout ce qui concourt à l’amélioration des conditions de vie générales au niveau économique, psychologique, physique... doit être entrepris. Tout ce qui tend à réduire le taux d’exploitation même s’il ne le supprime pas doit être poursuivi. Tout ce qui permet une société divisée en classes sociales doit être combattu.
Un autre constat peut s’imposer si la lutte revendicative suit plus ou moins notre logique de phases par accumulation d’expériences(3). Il ne suffit pas de plonger les exploités dans telle ou telle situation pour que spontanément les réponses appropriées aux objectifs suivent mécaniquement. Il faut tenir compte du fait que l’individu agit et pense en fonction de ses objectifs, de ses références idéologiques personnelles et ambiantes, de son histoire relationnelle et sociale qui marque sa psychologie.
Il ne faut pas oublier que tous les individus n’ont pas la même expérience du conflit social. Nous avons ceux qui ont vécu des luttes radicales, mais limitées par le nombre des participants, restant à la phase des revendications et ceux qui ont vécu soit des révolutions ou des grèves généralisées du type "Mai 68". Ils n’en tirent pas les mêmes conclusions.
La capacité des politiciens à traiter les problèmes (manipulation, intox...) ou la manière de les traiter (répression...) interviennent également dans les processus de lutte. Aujourd’hui se pose à chaque génération la question des liens qui permettent de communiquer l’expérience des générations précédentes. Car c’est l’accumulation et la transmission de toutes ces expériences qui rend possible l’adoption d'une unité théorique et tactique de masse.
Fort heureusement, l’acquisition de valeurs et de connaissances militantes est liée à l’expérience collective et historique. L’environnement social, économique et idéologique d’une classe marque la conscience de chaque individu appartenant à celle-ci. Voilà pourquoi on parle de traditions de luttes ouvrières, syndicales et politiques, soit de bastions ouvriers et bourgeois, soit de courants révolutionnaires ou réformistes.
Bien sûr, l’évolution du capitalisme et la disparition des vieux sites industriels font voler en éclats les lieux et les moyens de transmission de ces expériences de bagarres. Ce qui rend très difficile la maturation et la quantification de ces différentes expériences de luttes, surtout à partir d’une problématique rupturiste. La brièveté des luttes et des structures (faute de perdurer) rend difficile le lien trans-générationnel et l’accumulation d’expériences nouvelles.
Le syndicalisme réformiste replié dans ses entreprises ne défend plus que de menus avantages. Il ne se soucie volontairement que très peu de faire jouer au mouvement syndicaliste ce qui fit son intérêt et son originalité. Après avoir détourné le syndicalisme de son véritable but à savoir la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs et leur émancipation par l’abolition du salariat et du capitalisme, les réformistes ont vidé le syndicat de son autre fonction vitale : les syndicats doivent être comme à leur origine des lieux d’éducation populaire pour nous. C’est à dire des lieux où l’on doit défendre les valeurs, les principes et les idées véritablement socialistes et révolutionnaires.
Il reste maintenant à poser la question de savoir quelle est l’organisation syndicale capable de contester le capitalisme tant au niveau économique, politique et idéologique. C’est-à-dire globalement. Quelle soit capable d’assurer le lien trans-générationnel, l’autonomie des forces progressistes et l’indépendance vis-à-vis des partis politiques, sans aucune compromission avec les politiciens et les syndicalistes vendus à la bourgeoisie. Quelle soit capable d’être présente à chacune des phases de la lutte et suffisamment pédagogique pour préparer aux tâches présentes et aux différentes phases successives.
A ce jour, je ne connais qu’un seul concept qui satisfasse ces exigences : l’anarchosyndicalisme porté et défendu par une seule organisation qui est la section française de l’Association Internationale des Travailleurs - la Confédération Nationale du Travail.
Jean Picard (juillet 1996)
(1)Que de renoncements on a cherché et réussi à nous faire accepter derrière ces deux mots à l’apparence si propre !
(2)Automatisation, par exemple.
(3)Je suis convaincu que c’est de l’expérience et des besoins que naissent les tactiques et doctrines sociales.
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Messagepar rackham » Mercredi 04 Juin 2008 19:46

très interessant comme texte. Je digère ça et je vois ce que j'en pense et je vais vous chercher d'autres textes sur ce sujet parceque ça vaut la peine.

Parceque je pense sincerement que le point de vue de Bakounine comme quoi les luttes pour le salaire (et il ne parlait pas des autres) entrainent les prolétaires pour la révolution soit vraiment juste. L'histoire a plutôt montrée que ça a surtout été le moteur du developpement du réformisme.
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Messagepar wiecha » Samedi 07 Juin 2008 11:59

Salut,

Très bons textes pour le départ d'un vaste débat.

Pour commencer, je voudrais revenir sur quelques constats posés par le texte qui me posent problème


- l'assez classique analyse globale sur l'"état du moral des troupes ": individualisme, entre autres.


Cette analyse est elle juste ? A mon avis, non. l'idée de solutions collectives qui dépassent l'individu est plus répandue qu'on ne le croit, partout. A mon avis, elle prend de l'ampleur, le vrai problème c'est qu'elle est déjà détournée, digérée par le système , principalement par le biais d'idéologies communautaristes faisant totalement impasse de la division en classes. Et aussi par le plus classique projet partisan et fondé sur la représentation et la participation à la démocratie indirecte, par exemple, le NPA, pour lequel je vois un réel attrait de plus en plus répandu.

- La bourgeoisie est_elle vraiment dans une période ou elle va se servir de revendications partielles à satisfaire pour obtenir la paix sociale ?

Je n'en suis pas sure non plus. Je vois plein de mouvements qui ont été intégrables au système pendant des années et des années, par exemple celui des pêcheurs, qui ne demandent absolument rien de "révolutionnaire en soi ", mais simplement de continuer à pouvoir bosser pour un salaire à peu près convenable. Pourtant la Commission Européenne répond " Aucune possibilité sur le court terme " et va à l'affrontement direct avec une catégorie sociale pourtant très imprégnée de l'idéologie dominante , valeur travail notamment.

Du coup, on voit des bureaucraties court circuitées et désavouées par leur base, mais pas du tout à cause du degré de conscience "révolutionnaire " de celle-ci, qui a des revendications parfaitement corporatistes. Mais parce que ces revendications là manifestement ne sont même plus "intégrables " par le système, qui semble ne plus pouvoir lâcher des miettes à des catégories sociales ciblées pour s'assurer de leur soutien.
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Messagepar anarced » Samedi 07 Juin 2008 12:43

wiecha a écrit:La bourgeoisie est_elle vraiment dans une période ou elle va se servir de revendications partielles à satisfaire pour obtenir la paix sociale ?


Le président de la république, Nicolas Sarkozy, l'a dit lui-même: les caisses sont vides. Mais la bourgeoisie dispose d'autres armes pour détourner la colère du peuple. Il y a, par exemple, la technique du bouc émissaire. Ainsi, au début du XXème siècle, il était de bon ton, d'expliquer que tous les problèmes économiques étaient dus aux juifs. On sait ce que cela a donné, on sait moins à quel point cette idée était répandue. Aujourd'hui, il est de bon ton d'accuser les chômeurs, ces feignants qui ne veulent pas travailler, alors qu'il suffirait qu'ils se lèvent tôt... Pour le cas des pêcheurs et des agriculteurs, déjà focalisés sur les prix du pétrole, il y a fort à parier que l'Etat va accuser les pays pétroliers de faire trop de profits et expliquer que la solution, c'est la guerre en Iran.
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Messagepar wiecha » Samedi 07 Juin 2008 15:43

Oui, mais comment dire, il me semble que la bourgeoisie a déjà sorti ses cartes dans ce domaine là et qu'elle a gagné, disons cinq ou six ans en France. A peu près le moment entre l'émergence de la problématique "insécurité ", du développement de la problématique "assistanat " , donc fin des années 90 jusqu'à maintenant.

L'élection de Sarkozy et surtout l'immense guerre idéologique menée l'année précédant son élection a été à mon avis l'apogée de l'efficacité de cette stratégie , et maintenant la digue saute.

Au sens ou même la partie la plus sensible des prolos à ce discours se retourne contre ses maitres à penser. Il y a fort à parier que pas mal de pêcheurs continuent à voir les chômeurs comme des assistés, ça n'enlève rien au fait qu'ils utilisent leurs méthode, notamment le pillage des supermarchés. Et peut-être pensent-ils que c'est la faute des barbus iraniens et saoudiens, au moins en partie mais ils veulent quand même une solution maintenant. Et la réponse du système est claire: vous ne demandez pas grand chose, mais c'est encore trop.

Même chose pour ce qui se passe au niveau de la défense des hôpitaux et des écoles: je ne serais pas du tout étonnée, que dans ceux qui se tapent avec la police depuis cinq jours à quimper, qui bloquent la ville en toute conscience de ce qu'ils font, il n'y aiit pas une partie de gens, qui il y a six mois trouvaient que les fonctionnaires étaient des grosses fainéasses. Mais là les décisions détruisent leur quotidien à une vitesse telle que ça explose. Et en face, même pas de "bon on va maintenir tel service encore un an", non c'est "tout ferme et point barre ".

Donc, à mon avis, la revendication n'est pas l'obstacle principal. Par contre ce qui saute aux yeux, à QUimper, c'est les drapeaux lcr au milieu des gaz lacrymo, par exemple. Et c'est donc l'organisation et l'unification concrète des exploités qui est l'enjeu. Elle va se faire de toute façon, mais de quelle manière ? Concrètement, est ce qu'on va vers une chronologie à la brésilienne avec les luttes freinées quelques années par la confiance dans l'organisation partisane et la division entre la lutte à la base et ce qui dans la tête des gens relève de la "vraie politique " donc de professionnels, comme le facteur ?
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texte sur revendications immédiates

Messagepar jérôme » Mardi 17 Juin 2008 7:52

Le texte est très intéressant. Je pense qu'on peut en renforcer l'idée, me semble t-il, en affirmant que la lutte revendicative est toujours une lutte contre l'exploitation et donc, à ce titre, elle a une dimension politique. Cela signifie que toute lutte révolutionnaire contient nécessairement aussi une dimension revendicative à la base. PAs de lutte révolutionnaire sans revendication ! On l'a vu par exemple lors de la révolution Russe (du pain ! A bas la guerre ! etc). LA lutte revendicative, par exemple pour les salaires ou conditions de travail, contient donc, au delà de l'aspect économique, une dimension politique. En fait, ce sont les syndicats et gauchistes qui enferment les luttes revendicatives sur le terrain strictement économique, en les dépolitisant, en enfermant les luttes sur le terrain corporatiste et strictement économique, bref en les stérilisant. Qu'en pensez-vous ?
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DES REVENDICATIONS A L'UTOPIE

Messagepar clown » Mardi 17 Juin 2008 9:36

Bien d'accord avec toi
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Messagepar NOSOTROS » Mercredi 18 Juin 2008 8:31

pareil. (si ce n'est que cette manie de tout ramener à la révolution russe, alfa et oméga de certains, semble indiquer une préférence partisane ... Un nouvel avatar du CCI je présume ?)

(et aussi avec Wiecha. Il ne suffit pas de dire LCR caca... la légitimité vient du fait que dans la lutte les gens t'ont vu à leur coté dans les temps forts ...)
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DES REVENDICATIONS A L'UTOPIE

Messagepar clown » Mercredi 18 Juin 2008 10:51

Oui, je serai plus nuancé en ce qui concerne le potentiel d'attraction du NPA...ils ont l'air de bien galérer eux-mêmes déjà, et en effet, on en les voit jamais lors des moments critiques des luttes, quand ca se durcit et que les médias ne sont plus là..Et si les luttes iront en se durcissant (ce qui est fort probable) dans les mois qui viennent, les personnes en lutte verront d'elles mêmes qui est à leur côté et qui ne l'est pas.
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Messagepar NOSOTROS » Jeudi 19 Juin 2008 10:19

mais si ils ont un fort pouvoir d'attraction : on annonce l'adhésion de Rouillan ... on souhaite bien du plaisir autant à la Krivinou Corp. qu'aux amis inconditionnels de Rouillan ...

ceci dit, ils risquent aussi d'accompagner le mouvement dans le durcissement puis de le bloquer à un certain seuil ...
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Messagepar wiecha » Dimanche 22 Juin 2008 8:30

Salut,

En ce qui concerne le fait qu'on ne verrait pas le npa quand les luttes se durcissent, j'en doute.

D'une part parce que la LCR a beau changer de nom, ses militants restent les mêmes, en partie et continuent d'adopter la même stratégie qui consiste à ne pas annoncer d'entrée la couleur et justement d'attendre le moment opportun.

Exemple typique: SUD. Un paquet de gens sont en train de migrer vers ce syndicat, dont l'image "radicale correspond bien à l'esprit des temps, typiquement ceux qui sont là quand les luttes se durcissent. Et ce n'est pas que du vent au sens ou réellement pas mal de salariés rejoignent ce syndicat justement pour durcir la lutte et en réaction aux bureaucraties des autres syndicats et à leur force d'inertie. Or de ce que j'en sais, sud est peut-être une des orgas en réalité les mieux verrouillées par les partis et notamment la LCR, certainement bien plus d'ailleurs que l'immense foutoir qu'est devenu la CGT.

D'autre part, il y a une propension "naturelle " à chercher un débouché "politique " aux luttes, on a tous été éduqués avec la dichotomie luttes de terrain/ lutte politique, et avec la conviction bien intériorisée qu'à un moment donné, la résistance au quotidien doit s'accompagner d'un discours plus sociétal et plus global qui trouve son expression dans le champ politique traditionnel.

C'est là ou le NPA peut faire un carton: quand tu vas avoir des militants rendus "légitimes " par leur investissement dans les luttes de terrain pour cautionner ce soi-disant "débouché politique ", avec en plus la caution ouvertement anti capitaliste.
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Messagepar Paul Anton » Vendredi 09 Jan 2009 11:14

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TECHNIQUES DE LUTTES

Ce qui suit consiste à remémorer et ou à faire découvrir et populariser les techniques de la lutte syndicale (ou des luttes syndicales). Car nous devons partir dans toute bataille avec quelques idées fortes :
Porter à l’adversaire plus de coups qu’il ne peut vous en donner, voire des coups qu’il ne peut rendre.
Examiner le rapport de force : combien nous sommes numériquement ? Quel est l’impact (sympathie/rejet) de la lutte sur les autres salariés et sur la population. Quelles sont les contraintes financières (c’est-à-dire les moyens pour continuer la lutte) ?
Eviter l’épuisement des forces. Des luttes dures d’emblée peuvent être une faiblesse : le patronat a programmé ce type d’effets sporadiques dans sa gestion (production transférable, reprise de production ailleurs, stocks, jaunes, intérimaires, réserves financières…).
Savoir stopper une lutte pour éviter le jusqu’au-boutisme quand on n’est pas en situation favorable. Continuer à occuper minoritairement l’entreprise finit par offrir au patron des mécontents manœuvrables contre les grévistes. Les pertes de salaires sont telles que la reprise d’une lutte deviendra difficile. L’écœurement joue contre la mobilisation.
Prévoir des solutions de replis sur le plan de la lutte et des revendications.
Analyser l’histoire, la stratégie et les buts des forces en jeu : "bourgeoisie/salariés" (patronat dur ou modéré, salariés plutôt revendicatifs ou pas) ; "organisations/luttes" (si les syndicats sont plutôt mous ou radicaux, si les luttes bénéficient d’expériences autonomes, etc.)
Les luttes se définissent par les catégories salariales et leur territorialité ou encore par leur contenu revendicatif
Catégorie salariale : une lutte des OS, des ouvriers qualifiés, des postiers, des infirmières, des IATOSS ou des enseignants, etc. Elle est appelée lutte catégorielle. Si la lutte est le fait de toute une entreprise ou de tout un établissement et porte sur des revendications pour l’ensemble du personnel, la lutte est inter-catégorielle.
Territorialité : si la lutte a lieu dans un seul établissement, c’est une lutte au niveau du site (lutte au CHU de Caen, par exemple).
Une lutte au niveau du groupe se situe sur plusieurs sites mais au sein d’un même groupe (lutte au niveau du groupe Renault, par exemple).
La lutte peut être celle d’un secteur d’activité (branche) : secteur santé, chimie ou métallurgie, par exemple. Elle peut avoir lieu sur l’ensemble des secteurs d’activité et des sites.
Contenu : le contenu revendicatif de la lutte peut être matériel (salaires, retraites, conditions et temps de travail, Sécu...), politique (retrait d’une loi, critique d’une politique antisociale, conquête de nouveaux droits syndicaux, constitution de contre-pouvoirs des salariés dans une entreprise ...). Il peut aussi évidemment mélanger les deux aspects. La lutte peut aussi être menée tout simplement en solidarité avec d’autres luttes.
Les différents types de lutte :
La protestation verbale : c’est le plus simple à réaliser.
La pétition : cet écrit dénonce, réclame, exprime un désaveu et un désir. La pétition peut quelque fois influencer et aboutir à de menus avantages le plus souvent illusoires et démagogiques. Certains syndicats ne faisant ou ne voulant rien faire, ils se dédouanent par une pétition pour avoir bonne conscience ou alors à des fins électorales.
Le débrayage : c’est la cessation d’activité pendant une courte durée (maximum de quelques heures). Le débrayage exprime déjà un mécontentement plus grand, la naissance d’une certaine radicalité. Le débrayage est utilisé comme pression pour des négociations sur des effets à court terme ou des revendications mineures (manque de chauffage, problèmes de salissures, de casse-croûte ou de primes…).
La grève perlée : une partie du personnel débraye, puis reprend, alors qu’une autre partie débraye et ainsi de suite. L’avantage est une perte de salaire minimum par individu tandis que l’établissement est pratiquement paralysé et que l’employeur paie ses salariés devenus peu productifs, voire inactifs. L’employeur tentera de faire travailler l’encadrement, les non-grévistes ou les intérimaires. Si cela ne s’avère pas suffisant, il fermera l’entreprise pour un temps. C’est le lock-out qui lui évite de verser des salaires à des travailleurs inactifs.
Le coulage : les exploités freinent la production en étant le moins productif possible.
La grève du zèle : c’est une application stricte ou excessive des consignes et des règlements entravant le bon fonctionnement de la production.
La grève limitée : les exploités arrêtent le travail pour une durée limitée.
La grève illimitée : ceux-ci cessent le travail jusqu’à ce qu’ils décident de reprendre le travail. L’avantage est qu’elle exprime une certaine radicalité et une participation à la lutte. Toute ou une partie de la production se retrouve bloquée. L’inconvénient est une perte de salaire importante pour les grévistes. Mais l’établissement peut continuer à produire avec des non-grévistes et/ou des intérimaires. La production peut être aussi réalisée sur un autre site.
Le piquet de grève : les grévistes mettent en place des barrages pour empêcher les non-grévistes de pénétrer dans l’établissement pour réaliser l’ouvrage. Les conditions matérielles d’un piquet sont souvent déplorables (absence d’abris, soumission aux intempéries…). Une partie des non-grévistes arrivent parfois à pénétrer dans l’établissement où bloqués à l’intérieur ils continuent d’assurer la production.
La grève avec occupation : les grévistes investissent le secteur visé, évacuent les non-grévistes et détournent à leur profit la logistique (salles de réunions, réfectoires, dortoirs, photocopieuses, téléphones et véhicules…).
La lutte intramuros : elle se limite à l’intérieur de l’établissement.
La lutte extramuros : c’est aller envahir et occuper tel établissement ou une administration favorable à l’employeur (Direction Départementale du Travail et de l'Emploi, justice, mairie, local de parti politique, siège d’un journal, Chambre de Commerce et d’Industrie, quartier résidentiel des cadres ou de l’employeur, entreprise où la production a été transférée…).
La lutte doit chercher la complicité et le soutien de la population. Expliquer les revendications et éviter de gêner le plus possible les salariés et/ou les usagers.
La manifestation de ville : elle fait découvrir le conflit en popularisant la lutte ; elle maintient la pression et permet de jauger le rapport de force.
La manifestation nationale (voire internationale) : elle obéit aux mêmes règles que celle de ville mais à une plus grande échelle.
L’intox : il produit des rumeurs et des informations en tout genre pour fragiliser l’adversaire.
Le discrédit : il rend public des critiques sur la qualité des produits ou services de l’établissement.
Le sabotage : (Cahier de l’Anarchosyndicalisme n°15 : "Le sabotage" par Emile Pouget). Cette vieille méthode de lutte est toujours pratiquée bien que non médiatisée. Elle doit être manipulée par des individus conscients des risques ou de l’effet catastrophique à terme de certaines destructions, pouvant entraîner la fermeture de l’entreprise. Peut-être qu’une graduation doit être introduite pour éviter des problèmes néfastes ? Le sabotage est une arme très efficace, peu coûteuse pour les grévistes, très nocive pour l’employeur. Il faut toujours conserver à l’esprit que la lutte doit nuire à l’employeur mais pas aux usagers et salariés eux-mêmes (les services publics, les transports, l’EDF, la santé, l’alimentation…).
La ré-appropriation : des salariés reprennent sous le contrôle des biens produits par l’entreprise (c’est-à-dire par eux-mêmes).
La vente sauvage : les grévistes vendent des stocks de l’entreprise pour constituer un trésor de guerre qui les indemnisera.
La production sauvage : ceux-ci utilisent les machines de l’entreprise pour produire des biens qu’ils vendent directement à la population en en réduisant le prix. Ce qui satisfera tout le monde et apportera des liquidités aux grévistes.
Le travail sauvage : en utilisant leurs propres outils, les grévistes réparent, fabriquent ou rendent des services aux particuliers moyennant finance. Voici deux exemples : les coiffeurs de Rennes qui, sur une place publique, coupèrent les cheveux, l’argent payé pour ce service est allé à la caisse de grève ; les chauffeurs de tramway australiens mirent, pendant une grève, les trams en circulation gratuitement pour la population.
Le boycott : des salariés en lutte dans une entreprise demandent à la population de ne pas utiliser ou acheter telle production, telle marque ou tel service fournis par cette même entreprise, tant que les revendications ne sont pas satisfaites.
La désobéissance civile : c’est le refus d’appliquer, de se soumettre aux lois de l'Etat (soutenir et aider des personnes réprimées, ne pas payer l’impôt, refuser de présenter ses papiers d’identité, de faire l’armée...).
La grève généralisée : tout un secteur ou plusieurs secteurs de production ou bien une région, voir un pays ou tout un groupe de pays est touché par une situation de grève.
La grève générale : c’est la grève inter-catégorielle et intersectorielle sur un territoire donné (région, pays, international). Elle est action consciente et concertée. Ce qui la différencie de la grève généralisée. C’est l’arme voulue, souhaitée et défendue par les anarchosyndicalistes. C’est l’acte où toute une masse, qu’elle le sache ou non, "s’anarchosyndicalise". En effet, les exploités en lutte entendent à ce stade défier leurs adversaires. Ils ne s’en remettent plus au verdict des urnes, ni au gouvernement qui en est issu, ni aux promesses à venir. S’appuyant sur l’action directe, ils entendent ici et maintenant faire aboutir leurs revendications. La grève générale marque et exprime clairement l’affrontement de classe. Si elle est massive, le rapport de force est optimum et d’autres choix peuvent apparaître.
La grève générale insurrectionnelle : les grévistes deviennent émeutiers et barricadiers pour diverses raisons. Partout, le peuple en armes se soulève, ouvrant la perspective d’une expropriation possible des capitalistes.
La grève générale expropriatrice : maîtres de la rue, les insurgés s’emparent des moyens de production, d’échange et de communication. Les administrations, les entreprises et les commerces sont placés sous le contrôle des comités de lutte. C’est le prélude à un changement social profond d’où devrait sortir le communisme-libertaire à notre avis.
Quelques conseils
Voici donc présentées des techniques de luttes faisant partie de la culture syndicale. Il appartient à chacun d’en juger l’usage. Je pense que chaque technique doit correspondre à l’enjeu. Il est inutile de déployer de gros moyens pour un petit enjeu : le débrayage, la grève perlée, le coulage et le zèle sont suffisants, par exemple.
Si cela s’avérait insuffisant, graduez le passage à des luttes plus radicales. Maintenez toujours la pression et allez crescendo (car partir "fort" puis revenir en arrière marque une faiblesse que l’adversaire sait analyser et travailler).
Méfiez-vous des faux radicaux et analysez si ceux qui propagent le radicalisme sont sincères, même s’ils ont raison ou tort sur le moment. Ceux qui poussent à un conflit dur non adapté tentent, soit de jouer dur pour coller avec les grévistes afin d’obtenir leur confiance et, par la suite, tuer la lutte, soit - sachant que l’échec est assuré - veulent capitaliser en terme d’élection la sympathie obtenue. S’ils sont de mèche avec l’adversaire, ils feront éclater un conflit dur aboutissant à un échec qui pèsera lourd quand une attaque du patron (restructuration, licenciements, etc.) sera à l’ordre du jour. Car les pertes de salaire subies ne permettront pas aux travailleurs de redémarrer un conflit.
Etudiez les rapports de force. La proximité d’élections syndicales ou politiques poussent les pouvoirs publics à éviter des conflits, par exemple.
Analysez le niveau de mécontentement de l’opinion publique ou encore la situation financière et économique des établissements où les grévistes veulent agir.
Regardez l’état des stocks : s’ils sont importants, l’employeur pourra continuer à vendre ses produits et baisser en parallèle sa masse salariale (salaires versés) pour des raisons de grève. En revanche, des stocks faibles ou périssables le gênent beaucoup. Attention à l’annualisation du temps de travail (flexibilité) qui l’avantage ! Suivant la loi d’annualisation, l’employeur peut faire accomplir plus d’heures de travail que la durée légale hebdomadaire et ainsi reproduire plus rapidement ses stocks et honorer les commandes en retard suite au conflit (Cahier de l’Anarchosyndicalisme n°5 : "Réflexions sur le chômage").
Examinez l’état des commandes, l’importance des réserves financières et les possibilités de transfert de production sur un autre site. On peut préparer le terrain d’une lutte en utilisant, combinés ou pas, la grève perlée, le zèle, le coulage, le sabotage et l’absentéisme pour réduire la production.
Evitez la répression en faisant en sorte que les grévistes ne soient pas identifiés et que l’adversaire ignore le plus possible "qui est qui et qui fait quoi". Occultez si possible le nombre de personnes en conflit et il en va de même pour les dates et les lieux de réunions. Décidez au tout dernier moment des actions pour éviter les divulgations.
Optez pour un comité de lutte plus large que les seules sections syndicales. Celui-ci (lieu unitaire) doit être pris en main par l’assemblée générale des grévistes.
Multipliez les commissions : médias, propagande, finance, logistique, production et travail sauvage. Cela obligera l’adversaire à multiplier l’intervention des jaunes contre les grévistes.
Appliquez la démocratie directe dans les assemblées générales souveraines pour éviter qu’un petit groupe s’empare de la lutte à des fins autres que celles décidées par l’AG.
N’envoyez pas des grévistes discuter avec le patron, le directeur et le conseil d’administration. Il est inutile de détacher les délégués du personnel et autres personnes, soi-disant, spécialistes de la négociation. Elles ne servent à rien, sinon à vous faire croire à leur utilité ou vous obliger à la délégation de pouvoir et vous persuader de la nécessité des syndicats réformistes. La bourgeoisie sait utiliser des outils pour analyser un malaise (la production ralentit ou l’ouvrage est de mauvaise qualité, l’absentéisme ou le sabotage augmentent …). Elle va conclure très vite que les salariés sont mécontents même si elle le nie ou le cache. Qu’une grève éclate ne nécessite en rien que les soi-disant représentants élus des salariés se précipitent devant la direction pour le lui dire. Cette dernière le sait et sait même ce qu’elle proposera aux grévistes. Le délégué du personnel ne sert à rien.
Faîtes parvenir à la presse et à la population ou à l’employeur vos revendications par courrier signé du comité de lutte. Si l’employeur veut négocier ou proposer ou satisfaire les revendications, qu’il fasse connaître ses propositions par la presse et par voie d’affichage ou prise de parole devant les salariés. Le comité répondra par écrit. Inutile d’envoyer des délégués négocier. Ils risquent fort de se contenter des miettes ou de défendre leurs idées plutôt que les vôtres surtout s’il s’agit d’élus des syndicats réformistes.
Obligez le patron ou la direction à signer un accord de non-répression suite au conflit. Contraignez-le au paiement des jours de grève. Il faut tenter de minimiser les incidences financières du conflit pour les salariés. De cette façon, si le patron tente de contre-attaquer, les salariés, non affaiblis, pourront déclencher un nouveau conflit.
Dans cette logique, effectuez des collectes, des concerts et des fêtes de soutien financier. Agissez sur les mairies, les aides sociales et les caisses de secours (Sécu, ASSEDIC, Comités d'entreprise, etc.) pour trouver de l’argent.
Légalisme- Illégalisme
Il faut user le plus possible de la légalité et ainsi éviter des problèmes de répression éventuelle. Mais nous devons constater que la légalité s’accommode mal de nos intérêts. Très vite, les travailleurs doivent, pour satisfaire leurs objectifs, agir illégalement (piquets de grève, occupations, production sauvage…). Nous devons en analyser froidement les avantages et les répercussions. Vous découvrirez très vite que la loi légitimée par l'Etat n’est pas neutre et sert l’intérêt de la bourgeoisie.
Partant de l’idée de Bakounine selon qui "le droit n’est que le fait illustré par la force", deviendra légal ce que nous imposerons.
Violence – Non Violence
A l’occasion ce n’est pas forcément l’une ou l’autre, ça peut être les deux : un conflit plutôt pacifique avec des poussées violentes et vice versa.
Tantôt un conflit non-violent et déterminé peut être efficace, tantôt ce sera le contraire. Une bonne manifestation massive et sage peut être efficace. Mais une manifestation violente peut l’être tout autant. C’est une question de contexte et de choix des exploités.
Méfiez-vous toutefois de la violence et de ceux qui la provoquent (si ce sont les grévistes ou les adversaires).
Les anarchosyndicalistes sont partisans d’un monde sans violence et sans armes - tel est leur but.
Hélas, nous constatons que la résistance agressive active des salariés est légitime face à la violence de la bourgeoisie : exploitation, pollution, guerre, etc.
S’organiser
Nous devons aussi penser le mode d’organisation adéquat pour lutter. Le syndicalisme actuel de gauche défend-t-il réellement les intérêts des travailleurs (ou quels autres intérêts) ? Est-il adapté à la lutte, la défend-t-il, n’introduit-il pas des modes de concertation et de médiation favorable à la bourgeoisie ? Pacifie-t-il ? Faut-il radicaliser ? Les protections juridiques des élus sont-elles efficaces ? Les élus syndicaux sont-ils bien protégés ?
Apparemment vu les milliers d’entre eux qui ont été licenciés, c’est non. De fait, élu ou pas, protégé ou pas, prendre part à des actions illégales vous expose aux licenciements. Les protections dans ce cadre ne servent strictement à rien. Pire, en essayant de se protéger par les moyens légaux, les adeptes de ces pratiques sont conduits à respecter la loi favorable aux patrons, à ne pas participer aux luttes sortant du cadre légal, à défendre donc la légalité bourgeoise et à être contre-révolutionnaires.
Jouer le double langage (légaliste en façade et illégaliste dans les faits) n’est souvent pas tenable. Car les élus syndicaux ou politiques, consciemment ou inconsciemment, sont obligés de défendre le cadre légal. C’est-à-dire de le renforcer et de taire leur critique pour obtenir les protections légales dues à leur mandat. Surtout que, par la suite, le cadre légal offrant des avantages à l’individu, il devient difficile de le rejeter (Cahier de l’Anarchosyndicalisme n°10 : "A propos des institutions représentatives du personnel").
Et puis, n’ayez crainte, si la lutte menace la bourgeoisie, elle saura faire fi des lois et renverra les élus de toutes sortes méditer sur le droit.

Jean Picard (juillet 1996)
"Salut Carmela, je suis chez FIAT ! Je vais bien... Si, si, nous pouvons parler tranquillement, c'est Agnelli qui paye !"
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Messagepar miguelito » Vendredi 09 Jan 2009 12:10

Partant de l’idée de Bakounine selon qui "le droit n’est que le fait illustré par la force", deviendra légal ce que nous imposerons.


Ca craint à mort ce truc. Imposer quoi et à qui ? Et le rendre légal ? Faudrait savoir, je pensais que la distinction légal-illégal on s'en foutait.
Et puis quoi, ça voudrait dire que le but c'est d'instituer (au sens de faire des institutions) quelque chose ?
On le voit bien avec les acquis sociaux : c'est légal. Loin de moi l'idée de dire que ces acquis c'est de la merde. Autant en profiter. Mais sans oublier que - selon moi - bon nombre de nos contemporains s'en satisfont et qu'une des explications à l'anesthésie générale réside là, dans ce contentement et cette pacification. J'en connais qui ne voudraient surtout pas risquer de perdre leur droit de vote et leur consommation, même si c'est au prix de l'exploitation et de la pollution.
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Messagepar capt » Vendredi 09 Jan 2009 12:22

salut,

Si j'ai bien compris, on est là dans le cadre d'une lutte "syndicaliste", plus restreinte qu'un projet révolutionnaire global, et donc dans un contexte particulier d'opposition à un patron, à des dirigeants.

Du coup il me semble que ce qui est dit, c'est que des pratiques reconnues illégales par l'état en temps de grève peuvent être imposées comme non punissables par un rapport de force suffisant en faveur des grévistes...

Soit avoir une pratique illégale mais s'assurer une certaine impunité. Donc effectivement la distinction légal-illégal on s'en fout... Mais on essaye d'éviter les problèmes.
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Messagepar miguelito » Vendredi 09 Jan 2009 12:24

Donc effectivement la distinction légal-illégal on s'en fout...


Sauf que c'est le pouvoir qui ne s'en fout pas. Faudrait pas l'oublier.
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Messagepar capt » Vendredi 09 Jan 2009 12:30

Oui c'est sur. Et ce n'est pas passé aux oubliettes, d'où cette partie du texte et ces considérations sur le fait de se construire, par un rapport de force, une certaine sécurité.

Ce que je voulais dire, c'est que effectivement que les actions soient légales ou pas n'est pas un problème (pour moi en tout cas)... Seulement quand c'est illégal, autant prendre ce genre de précautions.
capt
 
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Messagepar miguelito » Vendredi 09 Jan 2009 14:40

Entièrement d'accord. Mais précisons aussi que le strict respect de la loi ne te protège pas forcément : combien de grévistes saqués par leur patron ?
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Messagepar capt » Vendredi 09 Jan 2009 14:48

Effectivement : les patrons jouent aussi de leur rapport de force pour étendre à leur gout ce qui est "légal" ou pas... Adeptes de Bakounine ? :)
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Messagepar NOSOTROS » Vendredi 09 Jan 2009 22:03

eh eh !

La légalité n'est qu'un masque ... (cf effectivement la phrase de Bakounine, bien banale au demeurant ...)
Capitalismo delenda est
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