Autonomes : de la révolte à l’auto-construction

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Autonomes : de la révolte à l’auto-construction

Messagepar NOSOTROS » Vendredi 01 Aoû 2008 14:03

Autonomes* : de la révolte à l’auto construction

1977/1981 Chronique du mouvement autonome parisien

*Petit Larousse Autonome, adj.(du grec autos, soi-même, et nomos, loi) Qui jouit de l’autonomie. Région autonome. Elève autonome. Gestion autonome : organisation d’une entreprise telle que chaque secteur, chaque atelier est indépendant des autres. Adj. et nom : se dit de certains contestataires, génération de la mouvance d’extrême gauche, qui rejettent toute organisation politique.


Prologue

Parmi la génération des vingt trente ans qui se revendiquent aujourd’hui de « l’autonomie » peu connaissent l’histoire du mouvement autonome qui a défrayé la chronique avant l’ère Mitterrand et qui a été très peu documenté. Tout au plus quelques grandes lignes qui constituent une sorte de « contre culture » de la révolte trop souvent assimilée au catastrophique groupuscule « Action directe ».

Les « autonomes » d’aujourd’hui sont plus préoccupés par la construction réelle de leur autonomie. On en trouve beaucoup dans le monde rural, le plus souvent en réseau, s’occupant de construire leur habitat avec des matériaux naturels, de produire leur alimentation tout en essayant de trouver des énergies alternatives. Ils tentent ainsi de « se construire eux mêmes » .

L’extrême gauche est en crise. Dissolution de la « Gauche prolétarienne » maoïste et de son journal La Cause du peuple. En 1976, des assemblées générales à Jussieu réunissent des centaines de militants qui veulent poursuivre le combat, auxquels s’ajoute une nouvelle génération d’étudiants pauvres et de chômeurs. L’émergence du mouvement des radios libres, de revues comme Camarades, Matin d’un blues, l’ouvertures de squatts politiques créent des pôles de « recomposition du mouvement ».

S’organiser pour satisfaire ses besoins quotidiens sur l’habitat, les transports, la nourriture et les loisirs entraînent autant d’ « auto-réductions », c’est-à-dire le non paiement. Pour ces personnes, les luttes urbaines se font sur le terrain social, pour soi-même et pour l’expression d’une révolte qui prend de multiples visages (comme le montre la chronologie qui suit). L’expression politique de cette mouvance justifie son existence en expliquant que l’automatisation de la production entraîne forcément un chômage de masse qui ne pourra que s’amplifier. L’Etat devra alors redistribuer un revenu garanti à chaque individu pour qu’il puisse choisir librement ses activités. Ce revenu garanti entraînera de fait une hausse des salaires provenant du travail aliéné. Cela ne pourra advenir que par une lutte sans merci avec l’Etat. En attendant cette démocratie sociale, les autonomes prendront l’argent là où il se trouve : dans les banques.

Toutes les actions qu’ils médiatisent en utilisant le plus souvent la violence sont faîtes pour donner des orientations afin que quiconque s’y reconnaissant crée son groupe autonome selon ses affinités. Il y aura donc un mouvement organisé et un mouvement diffus.

Une enquête réalisée en octobre 1979 par la revue Les dossiers de l’étudiant (cité par Laurent Greilsamer dans « Les autonomes de l’An III », Le Monde du 16/10/79) indique que 0,9% de la population scolarisée après le baccalauréat se déclare autonome (soit 9 778 personnes), 13,1% sympathisants (soit 136 428 personnes) 30% indifférents, 33,8% en désaccord, alors que 22,3% ignorent tout de ce qu’ils représentent. 24,5% des étudiants estiment qu’il est normal de « piquer de la nourriture dans un grand magasin », 8% de « braquer une banque » 28,8% de ne pas payer ses impôts, 64,1% de refuser de faire son service militaire et enfin 6,7% qu’il est « normal » de casser une vitrine.

Note d’intention du réalisateur

J’ai côtoyé le mouvement autonome parisien, notamment en participant au « Collectif de défense militante » qui s’occupait de la défense des autonomes emprisonnés, j’ai ensuite collaboré au magazine Gueule (ex La Gueule Ouverte). Il s’agit de faire un documentaire historique se servant du principe de la chronologie, en sollicitant l’INA pour les archives télévisuelles et les agences de presse pour les photos. Trois intellectuels reconnus s’exprimeront sur le sujet :

Yann Moulier-Boutang, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et directeur de publication de la revue Multitudes analysera la dernière révolte des banlieues.

Antonio Negri, philosophe, (L’Anomalie sauvage : puissance et pouvoir chez Spinoza PUF 1982, Le pouvoir constituant : essai sur les alternatives de la modernité PUF 1997) dernier ouvrage paru en collaboration avec Michael Hardt Empire (Harvard University Press, Exils, 10/18) (600 000 exemplaires vendus) développera son point de vue sur la notion de forces sociales constituantes d’une alternative à la machine capitalistique.

Bernard Nadoulek, fondateur du journal Matin d’un Blues en 1977, dernier ouvrage paru L’épopée des civilisations (Eyrolles 2005) s’exprimera sur l’emploi de la violence (de la part du pouvoir et/ou du « contre pouvoir » comme forme de non résolution des problèmes sociétaux

Un certain nombre de protagonistes de ce mouvement seront interviewés sur cette époque. Ils sont aujourd’hui directeur de radio associative, professeur, infographiste, écrivain, journaliste, vidéaste, animateur d’association de lutte contre le chômage, travailleur précaire, artiste. En épilogue de ce film, ils s’exprimeront également sur les questions posées à l’époque qui ne sont toujours pas résolues à ce jour.

Dans les balbutiements des radios pirates, une coordination se crée « l’Association pour la libération des ondes (ALO) ». « Le point de vue de l’autonomie sur cette question des moyens de communication de masse est que cent fleurs s’épanouissent, que cent radios transmettent.. » (La révolution moléculaire. Félix Guattari)

Fin 76 debut 1977 : à la faculté de Tolbiac, des inorganisés se baptisent « collectif étudiants autonomes », après le détournement du réseau de haut-parleurs baptisé « Radio Tolbiac en Lutte, RTL » qui dénoncent notamment les restaurants universitaires « trop chers et pas bons » « une soixantaine d’entre eux s’emparent de deux cent repas à Censier pour les distribuer. Une bombe ? Vingt minutes plus tard, un millier de repas est donné à Jussieu…. L’idée fait boule de neige : des commandos de la gratuité fleurissent alors à la pitié Salpétrière, à Villetaneuse, à Strasbourg et à Aix-en-Provence » ( « La galaxie des autonomes », Le Monde du 25/01/78)

Mars 1977 : au siège de la BNP, une grève est lancée au centre de traitement informatique par un collectif autonome qui opère au sein de la CFDT, un an plus tard, la confédération « lassée », suspendra provisoirement sa section BNP.

23 mars 1977 : assassinat de Jean Antoine Tramoni par « Les Noyaux Armés pour l’Autonomie Populaire ». Tramoni était le meurtrier en 1972 de Pierre Overney, militant maoïste chez Renault.

31 juillet 1977 : Malville la manifestation préparée depuis des mois s’annonce comme un événement significatif. L’extrême gauche et la coordination des comités Malville souhaitent « une manifestation non-violente-offensive », la majorité des opposants à la construction du surgénérateur espèrent qu’une grande manifestation pacifique suffira à faire reculer le projet, alors que les divers groupes de la mouvance autonome et libertaire ne croient qu’à l’affrontement avec la police pour au moins signifier leur opposition radicale. Les médias avaient préparées l’opinion en annonçant l’arrivée de groupes autonomes étrangers réputés violents. Les CRS purent ainsi tirer des grenades offensives sur les manifestants : un mort, deux amputations et cinquante mille manifestants trempés par une pluie battante. Libération avec Claire Brière pouvait alors écrire : « L’heure du Peace and Love écologique contre le nucléaire c’est fini ».

23 octobre 1977 : occupation de Libération par plus d’une centaine d’autonomes qui exigeait la parution d’un quatre pages dans le journal pour expliquer leur vision de l’affaire Baader que Libération avait censurer selon eux. L’assemblée parisienne des groupes autonomes déclare à cette occasion : « Cette occupation signifie clairement a toutes les puissances de ce monde de Paris à Moscou en passant par Pékin et Rome, qu’elle se donnera tous les moyens pour favoriser le mouvement prolétarien écrasé en France en 68 par les bureaucrates syndicaux et gauchistes ».

19 novembre 1977 : manifestation contre l’extradition de Klaus Croissant, l’avocat de Baader. Des centaines d’autonomes font dégénérer le cortège, cassent des vitrines, s’affrontent avec les CRS notamment aux cris de « Libérez Croissant, extradez Krivine »

24 novembre 1977 : au petit matin la police expulse les occupants des squatts de la rue Vercingétorix, de la rue de l’Ouest, de la rue du Château et du passage de Vanves dans le 14ème à Paris alors que le Conseil de Paris venait de « suspendre les expulsions jusqu’au 31 mars 1978 ». Le soir, une manifestation d’un millier de personnes revendiquent « le droit de vivre dans le 14 ème » . Vers 20 H, des groupes autonomes attaquent les CRS avec des cocktails molotovs, des petites barricades sont dressées afin de revenir dans les immeubles évacués. Les locaux de la SEMIREP (Société de rénovation du secteur Plaisance) sont incendiés.(Le Monde du 26/01.78) En province 24 décembre 1977, Grenoble : au cours d’une manifestation pour la libération de Joël Larrive et Patrick Bunoz, accusés d’avoir voulu faire sauter la clôture entourant la centrale nucléaire en construction à Malville, une vingtaine de personnes du groupe « Tornade blanche » détruisent les marchandises des « Dames de France » à l’eau de Javel. Parmi eux, Jeanne, 28 ans, institutrice durant deux ans : « J ‘ai l’impression que la marchandise m’a toujours étouffé : j’en veux pas… » (Libération 17/01/78).

22 janvier 78 : Week-end contre l’Europe des polices à l’université de Strasbourg : les trois présidents d’université communiquent : « Il n’est pas question que les facultés strasbourgeoises hébergent les participants à ce rassemblement ». Le rassemblement est interdit. Le veille, FR3 région mettait en garde la population contre la venue de « deux mille étrangers, armés et casqués » un commerçant ironisera : « Ce serait la première fois que les barbares viennent de l’Ouest ». Le rassemblement sera empêché par un quadrillage policier sans précédent.

20 février 1978 : José Tronelle, qui devait être jugé pour détention d’armes, d’explosifs et de faux papiers avec trois autres personnes, est retrouvé mort dans sa cellule de la Santé. Trois semaines plus tard des groupes autonomes brisent une centaine de vitrines rue La Fayette (32 selon la police) et incendient Le Paradis Latin.(Libération du 01/03/78)

8 mars 1978 : 300 femmes font une manifestation rue Saint-Denis en saccageant les sex shops et incendient un cinéma porno.(Libération du 10/03/78)

6 avril 1978 : manifestation contre la marée noire en Bretagne, dix mille personnes défilent en scandant : « Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain » et « Une pelle, un sceau pour d’Ornano » les autonomes s’affrontent aux CRS omniprésents.(Libération du 07/04/78)

1er mai 78 : Un cortège de cinq mille troskystes en queue de cortège est chargé par les CRS : des groupes autonomes, après avoir fait des mini barricades, cassés des vitrines et opérés des affrontements sporadiques avec la police et le service d’ordre CGT, se replient de part et d’autre du cortège gauchiste. Ce qui fera écrire à J.F. Vilar dans Rouge : « Avec ces individus-là, il y a plus qu’une divergence : un fossé de classe. » De leur côté, les autonomes trouveront le slogan : « Cours camarade, les autonomes sont derrière toi ! » 83 magasins ont été en partie pillés, des affrontements ont eu lieu dans un rayon de deux km autour de la Bastille : 45 interpellations dont huit déférés en justice. Aucun ne se déclare autonome. Certains sont de la CGT on leur reproche des jets de canettes et des violences sur les CRS, un autre à un casier chargé de « violences à agents » etc. En province 20 mai 78, Coutances (Manche) : Des élèves du Lycée agricole inondent les salles de cours et d’administration à l’aide de huit lances à incendie, après avoir écrit en gros « No future » dans le hall d’entrée. Ils protestaient contre le renvoi de quatre des leurs pour « non motivation ». Les enseignants communiqueront : « Dans les CET de la Manche, on fabrique des tourneurs qu’on sait sans débouchés, dans les lycées agricoles on fabrique des chefs d ‘exploitations compétitifs quand il n’y a plus aucune ferme disponible ». (Libération du 20/05/78)

15 juin 78, Metz : la moitié des 1800 parcmètres de la ville sont neutralisés au Syntofer (Le Matin)

25 mai 78 : Manifestation autonome contre la coupe du monde : « Pas de foot-ball en Argentine, Videla assassin, offensive et autonomie, CRS-SS enculés » quatre cents manifestants casqués et cagoulés quittent la faculté de Jussieu, après avoir joués au chat et à la souris avec les CRS, ils attaquent la faculté de droit d’Assas avec un nombre impressionnant de molotovs en brisant les barrières de sécurité. Le « Lefac » (rebaptisé Lefaf) un café fréquenté par l’extrême droite est également incendié alors qu’un hélicoptère de la gendarmerie survole le cortège. L’hôtel Lutetia (QG de la Kommandantur durant la guerre) est saccagé en devanture alors que certains attaquent l’avant-garde des CRS, un car brûle, les policiers reculent. Les policiers arrivent en nombre après la dispersion : aucune interpellation (Libération du 26/05/78).

24 juin 78 : meeting de l’Eurodroite à la Mutualité (FN, MSI, Fuerza nueva) : plusieurs jours auparavant une réunion large exclue les autonomes d’une future manifestation de protestation. Des groupes autonomes organisent alors une série d’action : incendie de l’ambassade d’Equateur pour rappeler la sanglante répression des grévistes d’une sucrerie dans ce pays, attaque du siège d’une police privée appartenant à un membre du PFN, le FAF (Front Autonome Anti-fasciste) détruisait les locaux de « Jeune-nation-solidarité » puis brûlait le café Cambridge, fréquenté par l’extrême droite ; le lendemain La librairie Française d’extrême droite brûlait, de multiples agressions de vendeurs de journaux d’extrême droite s’effectuaient dans plusieurs quartiers les jours suivants …(Libération du 26/06/78).

14 novembre 78 : Faculté de Tolbiac, une assemblée générale de lycéens et étudiants autonomes est interrompue par la police, la plupart seront gardés au fort de Vincennes « pour vérification d’identité ». Le lendemain, charge de CRS dans la faculté : on souhaite en haut lieu vider la faculté de ses autonomes, ce qui entraînera trois semaines de grèves, de manifestations et d’affrontements avec la police.(Libération du 16/11/78)

En province 19 novembre 78, Caen : la police charge une manifestation intersyndicale, faisant plusieurs blessés graves, Pierre Nicole, ouvrier électricien CFDT perdait un œil. Deux jours plus tard, une manifestation de protestation composés de gros bataillons d’ouvriers métallurgistes saccage le centre ville avec des boulons : une centaine de vitrines brisées, cinq cents carreaux, des dizaines de parcmètres hors d’usage. La ville en état de choc attribue la casse « aux autonomes parisiens » qui n’étaient pas là.(Libération du 30/11/78)

15 décembre 78, Toulouse : L’Omeifra, agence de travail temporaire, reçoit la visite d’une dizaine de bûcherons qui briseront tout le mobilier à la hache, casseront la vitrine et incendieront la voiture du directeur, laissant l’inscription : « Le parti du refus du travail vous dit merde » (Libération du 15/12/78)

Décembre 78 : des groupes autonomes organisent des actions contre « la hausse des prix et pour la gratuité » : une action invalidera au syntofer 170 composteurs de billets dans le métro ; une autre revendiquera la destruction partielle d’un millier de parcmètres.

13 janvier 1979 : ce samedi à 17H, au pas de charge, rue Saint-Lazare quelques dizaines d’autonomes incendient agences d’interim, Banques, cinéma porno et perception des impôts, des vitrines de magasins sont brisées, certains badauds en profiteront pour faire leurs courses à l’œil. Les autonomes scandent : « Contre le chômage et la vie chère : vols, pillages et sa bo tages ! » Un communiqué des Brigades Autonomes Révolutionnaires (BAR) revendiquera cette manifestation : « Dans notre lutte totale contre tous les facteurs, vecteurs, et les responsables de la hausse vertigineuse des prix et de la récupération scélérate par les impôts directs et indirects de nos maigrelets revenus ; contre ce vol à l’échelle étatique des fruits de notre force de travail, les BAR revendiquent ces attentats commis contre tous les tenants et les aboutissants de la hargne capitaliste… On ne veut pas être avalé par le quotidien et être recraché ensuite comme un noyau de cerise. S’ils veulent nous gober qu’ils attrapent une bonne chiasse. » Quatre autonomes étudiants seront arrêtés par la police et un groupe d’une vingtaine de militants du Parti des Forces Nouvelles qui vendaient leur presse devant les Galeries Lafayette. Le soir même Alain Peyrefitte annonce à la télévision : « l’application de toute la rigueur de la loi qui est sévère », Raymond Barre interviendra également en voyant là : « un symptôme de décomposition sociale » ; et Valérie Giscard d’Estaing réclamera : « La plus grande fermeté contre les quatre inculpés de Saint-Lazare ! ». Le PCF dénoncera l’action de « bandes d’extrêmes droites manipulés par la police » Jacques, un des participants au raid de Saint-Lazare, expliquera à Bernard Guetta du Nouvel Observateur : « Nous sommes prêts à continuer notre action qui n’est pas seulement violente. On parle de nous après un coup comme Saint-Lazare, mais on ne dit rien lorsque nous mettons hors d’état de nuire en deux heures quinze cent parcmètres ou lorsque nous neutralisons plusieurs centaines de poinçonneuses automatiques dans le métro, et luttons ainsi, directement et efficacement, pour la gratuité de tous les transports, individuels ou en commun. On ne parle pas non plus de nous quand nous défendons l’esthétique de notre environnement en faisant disparaître près de deux cents panneaux publicitaires Decaux à Paris et en province… »

17 janvier 1979 : La brigade criminelle arrête 17 personnes sur leur lieu de travail ou dans des squatts : trois d’entre elles seront inculpées pour le braquage avec prise d’otages de la BNP au Thiais du 23 décembre 1978. Un tract retrouvé dans un squatt assure : « L’enjeu n’est pas l’écrasement ou non du mouvement autonome mais bel et bien : la classe ouvrière acceptera-t-elle sans riposter la restructuration capitaliste au prix d’incroyables attaques contre son revenu, au prix de centaines de milliers de licenciements, au prix de deux millions de chômeurs ? Car le pouvoir sait pertinemment que la violence autonome n’est que la pointe de l’iceberg de la violence ouvrière… » (Le Monde et Libération du 18/01/79)

22 janvier 1979 : Procès des quatre de Saint-Lazare : Quatre ans de prison fermes pour Lionel et Vincent, trois ans fermes pour Patrick , trois ans dont un avec sursis pour Frédéric. Lionel est alors élève en 1ère B dans le 93, les élèves de sa classe publieront ceci : « Nous, élèves ne partageant pas nécessairement toutes les opinions et actes de Lionel, protestons contre les présentations faites par la presse des événements… Sa participation aux évènements du 13 janvier reflète à sa façon le malaise de la jeunesse, son désarroi. Le chômage, un univers culturel fade, une école inadaptée… » Patrick, étudiant en histoire à Tolbiac, écrivait des poèmes, l’un d’eux : « A se rouler dans le fumier de leur décadence/A se vautrer dans leur médiocrité coagulée/ A accepter la misère des humiliations, la brutalité/A accepter les engrenages horribles/le génocide quotidien/ Nous sommes devenus des salauds serviles/Je me hais !/Nous traversons l’existence/sous une averse de crachats/ et je me hais ! ….. Il ne nous reste/qu’à attiser accroupis de petits feux clandestins » (Arfol- Editions Syros)

31 janvier 79 : un groupe de quatre jeunes hommes masqués entre à 21 H au domicile du juge Berger armé d’un pistolet et d’un poignard ligotent toutes les personnes présentent : le juge et sa femme, Marthe Coront-Ducluzeau, substitut à Bourges, François Billy, conseiller à la cour de cassation. Le groupe casse le mobilier, asperge de peinture les tableaux et emporte bijoux et 2300 F en liquide. Baptisé « Groupe autonome du 22 janvier », il communique : « cette action est la réponse au jugement des quatre de Saint-Lazare… L’Etat, par sa politique répressive, nous pousse inexorablement vers la lutte armée » (Le Monde du 02/02/79) Deux jours plus tard, une quinzaine d’autonomes seront interpellés et mis hors de cause par la police, hormis deux personnes en possession d’affiches montrant Alain Peyrefitte barré d’une cible.

6 février 1979 : 227 parcmètres sont détruits par un « Groupe autonome pour une action radicale contre le capital » qui explique à l’AFP : « Nous voulons continuer notre combat contre la hausse des prix et pour la gratuité des transports… » (Le Matin du 7/02/79).

11 février 1979 : série d’attentats non revendiqués à Paris : un jerricane d’essence a complètement détruit le magasin de luxe « Aux produits du Gers » à Auteuil ; « L ‘Empire » appartenant à la SFP a reçu un cocktail molotov ainsi que l’hôtel Mercure avenue des Ternes ; au Louvre, « Les Glaneuses » de Millet ont été balafrées ainsi qu’un tableau de Théodore Rousseau. A Grenoble, les locaux de FR3 ont été saccagé après que le vigile ait été chloroformé et ligoté. (Libération du 12/02/79)

12 février 1979 : Après une manifestation devant le siège d’Usinor-Sacilor, des sidérurgistes de Denain ont bloqués une partie du périphérique et occupés la zone de fret de Roissy, des affrontements avec les CRS ont fait quinze blessés parmi ceux-ci, leurs véhicules endommagés. Deux CRS ont été pris en otage « afin d’obliger la police à relâcher deux des nôtres qu’ils ont interpellés » selon l’AFP.

18 février 1979 : « Les commissariats nous enferment, enfermons les commissariats » communiquent les joyeux maçons anonymes : les commissariats de la rue de Nantes et de la rue Clavel ainsi que la BNP, le Crédit Lyonnais ; les trésoreries de la rue de Flandres et de la rue Fessard dont les serrures ont été cimentées. « Développons l’offensive contre l’Etat, aujourd’hui le ciment, demain ? ». A Nancy, les locaux de l’ANPE ainsi que ceux de la Caisse des dépôts ont été incendiés (Libération du 19/02/79) En province

18 février 1979, Sedan : des centaines de sidérurgistes et nouveaux chômeurs s’affrontent aux CRS, cassent le commissariat, l’armurerie, le centre des impôts, la permanence RPR. Jusqu’à 22H des barricades sont dressées dans le vieux Sedan. Sur 27 personnes interpellées, quatre seront déférés au Parquet sans pour autant que leur soit appliqués la loi anti-casseur. (Libération du 19/02/79).

20 février 1979, Rouen : la police charge le cortège de deux mille manifestants et grévistes de l’usine Kiwi qui se rendaient à la Préfecture.

22 février 1979 : incendie partiel des locaux de la perception rue du Sahel (12ème) revendiqué par un « comité d’auto défense sociale » « au moment ou nos quatre camarades vont comparaître en appel pour des broutilles qui leur ont valu de trois à quatre ans en première instance, les sidérurgistes en colère, saccagent, pillent et séquestrent sous l’œil inquiet mais passif du gouvernement, des partis et des syndicats… » (Le Monde du 23/02/79)

23 février 1979 : la peine de Gilles Colomb, militant autonome, a été doublée en appel, il a pris 30 mois ferme pour avoir lancé une grenade dépourvue de détonateur dans les locaux de la 5ème brigade territoriale la nuit de Noël 77 qui avait atterri dans un plat alors que les policiers réveillonnaient. Gilles Colomb a toujours nié les faits et personne ne l’a reconnu formellement. La presse parle du « tarif spécial autonome ». Quant aux quatre de Saint-Lazare, ils voient leur peine réduite de moitié.

En province 24 février, Longwy : évacuation par les CRS d’un réémetteur de télévision occupé depuis trois jours par des sidérurgistes CFDT, pendant plusieurs heures des centaines de sidérurgistes assiège le commissariat. Le réémetteur est repris par des sidérurgistes d’une usine voisine .Des balles de 5,5 mm ont été tirées sur le commissariat. 27 février, Valenciennes : la chambre patronale est mise à sac par un millier de manifestants. (Le Monde du 27 et du 03/03/79).

23 mars 1979 : marche des sidérurgistes sur Paris. Au petit matin, spectaculaire descente de police dans les milieux autonomes (squatts et particuliers) afin de prévenir les troubles : 83 autonomes seront interrogés et gardés à vue jusqu’à minuit. Cela n’empêche pas les affrontements entre CRS, sidérurgistes et autonomes : bilan une centaine de policiers blessés durant les affrontements de l’après-midi et de la soirée, plusieurs magasins seront pillés, particulièrement à l’opéra. Plusieurs interpellations auront lieu : les sidérurgistes seront relâchés, les chômeurs, étudiants et autres précaires passeront en correctionnelle.(France soir du 25/03/79). Jean Cau, journaliste à Paris-Match, fera le parallèle entre les émeutes du 23 mars et le premier raz de marée électorale de la gauche aux cantonales et municipales une semaine plus tard. Un inspecteur des Renseignement Généraux, infiltré au sein de la coordination autonome et dont le surnom était Casa parce qu’il était natif de Nice fit ses confessions au Nouvel Observateur (23/01/82) : (avec les évènements à Longwy) « Plusieurs d’entre eux se sont déplacés en Lorraine, où ils ont commencé un travail de contact, se sont battus dans les manifs, sont intervenus dans les assemblées syndicales, notamment à la CFDT où ils avaient une certaine influence ...(au sujet du 23 mars) trois cents cocktails molotovs avaient été cachés dans une voiture en stationnement sur le parcours du cortège. Mais celui qui avait la clé de la voiture a été interpellé le matin même par l’opération préventive de la police qui a également empêché une autre intervention : des groupes de quatre ou cinq militants avaient été constitués. Ils devaient progresser au même rythme que le cortège, mais dans des rues parallèles à lui, et profiter de l’absence des forces de l’ordre, concentrées ailleurs, pour braquer toutes les boutiques qui se trouveraient sur le parcours… » 23 avril 1979 : deux mille autonomes et sympathisants se réunissent à la Mutualité pour faire le point annonçant une initiative pour le 1er mai (Le Matin du 24/04/79)

1er mai 1979 : « Nuit bleue autonome », la façade du CNPF est mitraillée à l’arme de guerre vers 20H (cette action spécifique sera revendiquée plus tard par « Action Directe », 1ère apparition du sigle). Ensuite deux engins incendiaires étaient lancés contre un magasin et la permanence de l’UDF dans le 15ème. Vers 0H30 dans le 11ème étaient plastiqués : une agence EDF, deux commissariats ainsi qu’une annexe du ministère des finances (9ème) et la banque Rothschild (15ème) ; à la même heure une ANPE explosait à Boulogne-Billancourt, seize drapeaux étaient incendiés à la mairie de Villeneuve-Saint-Georges, la perception de Maisons-Alfort était entre autres plastiquée. A Toulouse, six attentats visant entre autres l’atelier de photocomposition du Figaro, la Société Générale et des installations de Creusot-Loire étaient en partie déjoués par la police (Le Monde du 03/05/79). En province 1er mai 79, Longwy : toute la journée des militants CFDT et autres attaquent le commissariat où se sont réfugiés une centaine de CRS bloqués par un engin de transports de minerai. Profitant de la déclivité, pneu enflammés et fûts de bière vides s’amoncellent. La CGT contiendra ses troupes non loin de là dans un meeting de célébration du 1er mai (Libération du 02/05/79)

7 juin 79 : une dizaine d’autonomes saccagent et incendient des magasins de la rue de Passy, « en solidarité aux prisonniers politiques », infiltrés par la police, cinq seront arrêtés en flagrant délit. Ils seront condamnés de un à quatre ans de prison. 25 juin 79 : le local de « l’autonomie organisée » 3, rue du Buisson Saint-Louis est plastiquée, on trouvera sur un pan de mur le graffiti : « Mort aux Brigades Rouges et aux autonomes ».

18 septembre 79 : le militant gauchiste atypique Pierre Goldman est assassiné par le groupe « Honneur de la police ». Deux jours plus tard cinq mille manifestants d’extrême gauche défilent dans le 13ème arrondissement. Des groupes autonomes s’affrontent aux policiers en fin de manifestation. François Pain est arrêté dans le cadre du 23 mars, identifié sur une photo paru dans Minute le montrant en train de lancer un sac à main Lancel à l’opéra (Six mois de prison ferme)

15 mars 1980 : « Société nucléaire, société policière », deux mille autonomes et autonomistes bretons défilent à Paris contre le projet de la centrale nucléaire à Plogoff encadrés par des centaines de gardes mobiles à l’anglaise. Arrivée au carrefour des Gobelins, une trentaine de policiers des brigades d’intervention de la préfecture charge la tête du cortège sous une pluie de grenades lacrymogènes, le service d’ordre autonome repousse la charge et la manifestation se poursuit. La même scène se reproduira en fin de manifestation. Il n’y aura pas de saccage de magasins. (Libération du 17 /03/80)

19 mars 80 : une violente explosion détruit une agence EDF avenue d’Italie, provoquant d’importants dégâts aux immeubles environnant. Revendiqué par l’ARA (Action Révolutionnaire Autonome) : « Pour soutenir la lutte des habitants de Plogoff contre le nucléaire… » (Libération du 20/03/80)

12 avril 80 : une vingtaine d’autonomes sont arrêtés dans les squatts ou chez eux dans le cadre de l’enquête sur le holp-up de la BNP rue Lafayette, ou un policier et Lionel Lemare, militant autonome, ont trouvé la mort durant la fusillade.

9 mai 80 : plusieurs facultés françaises sont en grève pour l’abrogation du décret Imbert qui limite l’accès des étudiants étrangers aux études. La coordination nationale étudiante appelle à des « actions spectaculaires ». A Grenoble, les cinq accès au campus sont barricadés avec des voitures et des branches d’arbres pour protéger la faculté des incursions policières. A Jussieu, trois autobus aux pneu dégonflés barrent l’entrée du parvis, durant deux heures mille cinq cents étudiants lancent des pierres sur les CRS très nombreux, qui réplique avec des grenades lacrymogènes. A 20H, un canon à eau fait refluer les étudiants sur le parvis. Des autonomes lancent des pierres depuis les toits. Les CRS chargent en nombre le parvis, Alain Begrand, chômeur, trouvera la mort en fuyant et en traversant une verrière.

14 mai 80 : Manifestations dans les villes universitaires. Vingt mille personnes à Paris. Le ministre de l’intérieur revendique le droit d’intervenir sur les campus. De multiples incidents émaillent la manifestation. Le commissariat de Saint-Sulpice est attaqué par des dizaines d’autonomes. Ils seront cinq cents à s’affronter aux CRS place des Invalides, faire une barricade à Montparnasse avec des engins de chantier. Vers 20H, ils seront un millier à piller les magasins près de Jussieu. Durant les jours suivants, le quartier de Jussieu est en effervescence avec des heurts sporadiques avec la police omniprésente. Onze jeunes gens seront condamnés à quelques mois d’emprisonnements pour vols ou agressions contre des policiers (Le Matin et Libération du 15, 17 et 18/5/80) .

juin 1980 : nouvelle campagne antinucléaire, une série d’attentats symboliques visant diverses sociétés parisiennes sous-traitantes pour le nucléaire, à la veille du rassemblement à la centrale en construction de la Hague. Quatre militants autonomes seront arrêtés et resteront en prison jusqu’à l’amnistie des socialistes en 1981.

23 octobre 1980 : Après l’interdiction du groupe néo-nazi FANE, le ministre de l’intérieur Christian Bonnet confirme que trente policiers appartenaient à ce groupscule (La Depêche du Midi du 23/10/80)

Octobre 1980 : « l’autonomie organisée » reprend le journal écologiste la Gueule Ouverte qui devient Gueule, le magazine diffusé en kiosque deviendra quinzomadaire jusqu’en mai 81. Les ventes nationales oscilleront entre huit mille et douze mille exemplaires.

Mai 1981 : « l’autonomie organisée » présentera un candidat aux législatives dans le 3ème arrondissement parisien, Loïc Leguénédal, ancien président des « Amis de la Terre », sur une liste « Ecologie et associations ». Le projet était d’obtenir la gestion du « Palais des arts » (trois salles de cinéma, une salle de théâtre, des bureaux) inoccupé à l’époque. La liste obtiendra 4,5% des voix aux premier tour, pour le second tour, ils appelleront à voter pour le candidat de la gauche Dabbezie en échange d’un contrat de gestion du Palais des Arts avec deux millions de francs de budget annuel. Pour la première fois dans cette circonscription la gauche passait en tête avec 375 voix d’avance sur Dominatti, le candidat de la droite. Mais le dimanche du deuxième tour, un faux tract d’ « Ecologie et associations » était distribué et constaté par huissier (manœuvre des RG ou de Dominatti, on ne saura jamais). Cela servit de prétexte pour invalider l’élection, reportée comme d’autres début 1982, ou la droite remporta la mise …Le Palais des Arts est toujours inoccupé à ce jour .

Epilogue « L’autonomie organisée » continuera particulièrement son action en publiant Cash, le journal des chômeurs et des précaires, jusqu’en 1988. Le thème principal du journal était d’obtenir un revenu garanti par l’Etat, avec ou sans travail, partant de l’idée que l’obtention d’un tel revenu égal au SMIC, entraînerait l’augmentation de tous les salaires. L’équipe de Cash participa aux discussions avec le PS qui déboucha sur le RMI tant contesté par tous …

Alain Dussort, le 24 octobre 2005

http://www.catharsis-prod.eu/spip.php?article52
Capitalismo delenda est
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Re: Autonomes* : de la révolte à l’auto construction

Messagepar clown » Dimanche 03 Aoû 2008 0:32

NOSOTROS a écrit:
25 mai 78 : Manifestation autonome contre la coupe du monde : « Pas de foot-ball en Argentine, Videla assassin, offensive et autonomie, CRS-SS enculés » quatre cents manifestants casqués et cagoulés quittent la faculté de Jussieu, après avoir joués au chat et à la souris avec les CRS, ils attaquent la faculté de droit d’Assas avec un nombre impressionnant de molotovs en brisant les barrières de sécurité. Le « Lefac » (rebaptisé Lefaf) un café fréquenté par l’extrême droite est également incendié alors qu’un hélicoptère de la gendarmerie survole le cortège. L’hôtel Lutetia (QG de la Kommandantur durant la guerre) est saccagé en devanture alors que certains attaquent l’avant-garde des CRS, un car brûle, les policiers reculent. Les policiers arrivent en nombre après la dispersion : aucune interpellation (Libération du 26/05/78).


:lol:

spéciale dédicace au Lutétia, ce haut-lieu si apprécié par les émeutiers..
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