wiecha, tu avais écrit ça suite à la première diffusion du texte de Voyer dans un autre sujet :
Mais ce texte est contradictoire: car il nie l'existence du prolétariat d'un côté et de l'autre dit "les prolétaires " doivent combattre le prolétariat.
Mais pour que les prolétaires en viennent à s'abolir comme classe, ne faut-il pas d'abord qu'ils aient conscience d'être une classe ce qui ne peut survenir que dans la lutte et l'affrontement avec la classe identifiée comme l'autre camp ?
Ou alors quoi ?
J'avais répondu qu'il n'y a pas contradiction, que le prolétariat existe mais pas comme classe, que quand il lutte, il lutte contre le "classement" qui est l'affaire des bourgeois.
Maintenant, la question est : à partir de quoi lutter ? Toi, tu sembles dire qu'il faut d'abord avoir une conscience de classe pour lutter et pour identifier l'ennemi. Par là, tu indiques encore ton attachement à l'idée de prolétariat comme classe avec pour conséquence que la lutte opposerait deux camps distincts qui se font face sur un champ de bataille.
Ce que j'essaye de faire, notamment avec le texte de Voyer, c'est d'abord d'affirmer que la lutte de classes est un terrain défini par la bourgeoisie. Pour quoi ? Parce qu'elle a besoin du prolétariat comme classe, elle a besoin que l'on reste sur son terrain pour toujours justifier sa place. Voilà pourquoi j'ai parlé de piège dans le sujet sur les mouvements diffus.
Ce terrain de la bourgeoisie, quel est-il ? C'est l'économie. Qu'est-ce qui fait que la lutte de classes a été si longtemps l'hypothèse retenue par les ennemis des bourgeois ? A mon avis, c'est parce que la bourgeoisie a très bien assis sa position hégémonique, elle a mis dans toutes les têtes ses propres préoccupations et quand certains ont voulu en sortir, elle a toujours su user de la répression pour les faire taire.
Je pense que tu pars de la position défensive, nécessaire mais pas suffisante. Les grèves, les luttes revendicatives, sont un fait, un premier pas (rarement suivi d'un second, hélas). Tu parles des acquis sociaux : voilà bien un signe que la lutte de classes est un piège. Nous voilà réduits à lutter pour conserver des "avantages" lachés par la bourgeoisie. Est-ce que ces acquis ont remis en cause le pouvoir ? Est-ce que le principe sur lequel est assis la bourgeoisie a été remis en cause par ces acquis ? (cf. la citation de l'IS sur les victoires et les défaites du mouvement révolutionnaire)
Je réponds non, et j'ajoute même que cela la paradoxalement renforcé. D'ailleurs, c'est bien le jeu de la gauche qui affirme que de toute façon, le capitalisme existe et ne peut être dépassé, contentons-nous de le rendre le plus supportable possible.
Tu vas sûrement me dire : c'est bien beau tout ça, mais faut bouffer, faut survivre. Bien sûr ! Qui dit le contraire ? Sauf qu'à un moment il faut bien aller au-delà, il faut bien dépasser ce simple constat, bref, il faut bien se rendre offenssif.
Je pense que le hic dans toutes les conversations que nous avons eu jusqu'ici, c'est que tu considères que je méprise les luttes revendicatives (on fait le même reproche à tous ceux qu'on range sous l'étiquette "autonomes" ou "appelistes" ou "insurrectionnalistes") Je pense qu'il y a maldonne. Ce que je méprise, c'est le militant qui dit qu'il ne faut
que revendiquer et qui balance des saloperies sur ceux qui passent à l'offensive, surtout s'ils ne sont pas des ouvriers en bleu de travail. Ce qui est méprisable, c'est tous les discours qui disent : c'est pas possible de faire plus que se défendre, ou c'est pas encore le moment de passer à l'attaque avec dix mille prétextes pour justifier ce point de vue. Ca veut pas dire pour autant qu'il faut faire n'importe quoi, qu'il ne faut pas prendre de précautions, ça serait très con.
Moi, je ne méprise pas les gens qui font grève pour leur salaire ou pour leur conditions de travail. Je dis simplement qu'il est nécessaire et même essentiel d'aller plus loin. C'est pas donner une leçon, c'est pas être prétentieux, c'est juste faire une proposition.
Dans tous les textes qui ont été savament dénigrés ici, qu'est-ce qui est dit ? Qu'on peut peut-être tenter autre chose pour sortir du chantage permanent qu'on nous fait. S'organiser autrement pour échapper au maximum au salariat et à la consommation (personne n'a dit que c'était nouveau - la preuve c'est que nous allons chercher des exemples dans toute l'histoire des luttes passées - ni que c'était facile, ni que c'était incompatible avec des grèves ou autres moyens de lutte plus "traditionnels") S'organiser autrement pour se rendre offensifs. Et commencer par ruiner les catégories du pouvoir, à commencer par le "classement".
En gros, c'est pas le tout d'avoir conscience de la situation qui nous est faite. Ce qui est nécessaire, c'est d'avoir conscience des impasses qui sont aménagées pour que toutes velléïtés de lutte soient finalement encadrées. Encore une fois, on peut être très radical dans la forme (grève dure, occupation, séquestration, etc.) mais ne viser qu'un but finalement dérisoire : le maintien d'un statut. Ca veut pas dire pour autant qu'être radical dans les mots se traduit nécessairement par une radicalité dans les actes, j'en suis bien d'accord aussi.
Je pense qu'il s'agit plus d'être conscients des dispositifs mis en place par le pouvoir que de se reconnaître comme membre d'une classe. Aujourd'hui, l'argent, le salariat, la consomation, l'Etat sont dans toutes les têtes. Tout cela nous traverse. C'est ça qu'il faut commencer par briser. C'est certes pas de la tarte, mais je crois que c'est primordial si l'on ne veut pas se condamner à rejouer sans cesse les mêmes luttes.