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Messagepar soleilnoir » Jeudi 06 Juil 2006 18:39

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

318

1.6.2006

Communiqué du Greffier

ARRÊT DE CHAMBRE
TAIS c. FRANCE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre1 dans l’affaire Taïs c. France (requête no 39922/03).

La Cour conclut,

· par cinq voix contre deux, à la violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, quant au décès du fils des requérants ;

· à l’unanimité, à la violation de l’article 2 (droit à la vie), quant à l’absence d’enquête effective menée sur les circonstances ayant entouré le décès du fils des requérants ;

· à l’unanimité, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants).

En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour, par cinq voix contre deux, alloue aux requérants conjointement 50 000 euros (EUR) pour dommage moral ainsi que 20 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

1. Principaux faits

Suzette Taïs et son époux Mohammed Taïs sont des ressortissants français âgés de 68 ans, qui résident à Saint-Pierre Du Mont (France).

Le matin du 7 avril 1993, leur fils, Pascal Taïs, alors âgé de 33 ans, fut retrouvé mort dans la cellule de dégrisement du commissariat d’Arcachon dans laquelle il avait été placé au courant de la nuit.

La veille, à savoir le 6 avril 1993, Pascal Taïs et sa compagne avaient été victimes d’un accident de la circulation bénin vers 19h30 ; les intéressés avaient par la suite été interpellés lors d’une rixe survenue à Arcachon vers 23h45, avant d’être conduits, vers minuit, à l’hôpital pour y subir un examen médical. Pascal Taïs refusa d’être examiné, et face à son comportement violent, les policiers lui portèrent des coups de matraque sur les mains, les jambes et le thorax, et le giflèrent afin de le calmer.

Après l’avoir examiné, le médecin auquel il fut présenté délivra un certificat de non hospitalisation et, vers 0h15, l’intéressé qui présentait des signes d’éthylisme, fut placé en cellule de dégrisement tandis que sa compagne fut placée en garde à vue.

Pascal Taïs cria et vociféra une partie de la nuit ; vers 7h30, il fut découvert mort dans la cellule, gisant dans son sang et ses excréments. Selon la feuille d’écrou remplie cette nuit là, des contrôles furent effectués tous les quarts d’heure jusqu’à 5 heures du matin et toutes les demi-heures jusqu’à 7 heures ; la mention « RAS », (rien à signaler) apparaît 23 fois à côté des heures de contrôle.

Le jour même, le parquet de Bordeaux saisit l’inspection générale de la police nationale afin de découvrir les causes du décès de Pascal Taïs, et une autopsie du corps fut effectuée. Le rapport d’autopsie établit que l’intéressé était décédé d’une hémorragie consécutive à une fissure de la rate, et fit état de ce que son corps présentait une plaie occipitale ainsi que des érosions épidermiques et de multiples ecchymoses, essentiellement sur le visage, le cou, le thorax et les membres, ainsi qu’une fracture de deux côtes ayant provoqué la perforation d’un poumon. Le rapport spécifia en outre que Pascal Taïs, qui était atteint du Sida, était un sujet fragilisé par un état pathologique.

Le 19 avril 1993, les requérants portèrent plainte avec constitution de partie civile contre X pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et pour non assistance à personne en danger. Une enquête fut ouverte dans le cadre de laquelle plusieurs expertises furent effectuées à la demande du juge d’instruction, notamment une enquête psychologique post-mortem. A la demande des requérants, une contre-expertise fut réalisée, mais le juge refusa la demande de reconstitution des faits qu’ils avaient faite.

Estimant que les policiers de garde au commissariat ne pouvaient être mis en cause dans les évènements, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu le 28 juin 1996 ; le juge estima que le traumatisme à l’origine du décès, dont la cause restait inconnue, était probablement intervenu en cours de dégrisement, et que les investigations menées n’avaient pas permis de savoir ce qui s’était exactement passé le matin du décès.

Statuant sur l’appel formé par les requérants, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux confirma l’ordonnance de non-lieu le 19 juin 2003 ; selon elle, « l’hypothèse la plus vraisemblable, bien qu’elle ne soit pas étayée de manière certaine, amène à considérer que le traumatisme mortel serait dû à une chute sans qu’il soit possible de préciser si celle-ci était volontaire ou involontaire ».

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 18 décembre 2003. Elle a été déclarée partiellement recevable à l’issue d’une audience publique qui s’est déroulée le 6 octobre 2005 au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg.

L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges composée de :

Christos Rozakis (Grec), président,
Loukis Loucaides (Cypriote),
Jean-Paul Costa (Français),
Françoise Tulkens (Belge),
Peer Lorenzen (Danois),
Nina Vajić (Croate),
Anatoli Kovler (Russe), juges,

ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.

3. Résumé de l’arrêt2

Griefs

Les requérants soutenaient que leur fils est décédé des suites des coups portés par les policiers, qu’il n’a pas reçu de surveillance et de soins pendant sa détention, et que l’enquête menée sur les circonstances de sa mort n’a pas été effective. Ils invoquaient les articles 2 et 3 de la Convention.

Décision de la Cour

Article 2

La Cour rappelle que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont l’obligation de justifier le traitement qui leur est infligé. Par conséquent, lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et qu’il meurt par la suite, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible sur les faits qui ont conduit au décès

Quant au décès de Pascal Taïs

Sur l’allégation selon laquelle des coups auraient été portés par la police à Pascal Taïs

Selon le gouvernement français, Pascal Taïs est mort des suites d’une chute brutale sur un angle de la banquette se trouvant dans la cellule de dégrisement.

Pour apprécier l’hypothèse avancée par le Gouvernement, la Cour note en premier lieu que le soir de son arrestation, Pascal Taïs était dans un état physique et moral préoccupant : il n’était pas en « bonne santé » mais fragile et extrêmement vulnérable du fait de sa maladie, de son état d’ébriété et de son excitation. Ceci peut constituer un facteur aggravant qui renforce encore l’obligation de justifier le traitement lui ayant été infligé lors de sa détention.

Pascal Taïs fut tout d’abord conduit à l’hôpital vers 23 heures ; les coups qui lui furent alors portés afin de contenir sa violence n’ont fait qu’aggraver un état déjà fort fragile sans pour autant que l’on sache dans quelle mesure. Cependant, le certificat médical établi à cette occasion contient des observations cliniques banales et ne mentionne pas les multiples récentes ecchymoses, la plaie sur le cuir chevelu ou encore les deux côtes cassées constatées lors de l’autopsie. Cette discordance entre les constats faits à l’hôpital et ceux figurant dans l’autopsie ressort également du témoignage du médecin de garde.

Pascal Taïs fut alors conduit au commissariat entre 23h30 et 0h15 ; ce qui se produisit durant cette période reste inconnu. Cependant, si la contre-expertise précise que l’on « ignore ce qui s’est passé lors du transport au commissariat », il ressort de l’ordonnance de non-lieu, que l’intéressé se serait donné des coups de tête contre la glace en Plexiglas à l’arrière du fourgon tout au long de son transfert.

Enfin, vers 0h15, Pascal Taïs fut mis en cellule de dégrisement où il fut retrouvé mort à 7h30. La Cour note que le fils des requérants fut retrouvé sur le dos et non pas sur le ventre, comme il a été dit dans un premier temps, ce qui confortait l’hypothèse d’une chute. Par ailleurs, elle est d’avis que la feuille d’écrou portant la constante mention « RAS » pose problème au regard des descriptions des cris de Pascal Taïs tout au long de la nuit comme cela est spécifié dans un des rapports d’expertise ou encore dans l’arrêt de la chambre d’accusation. De même, l’ordonnance de non lieu précise qu’il est mentionné dans le registre d’écrou que le policier de garde aurait parlé avec Pascal Taïs à 7 heures du matin, or rien de tel ne figure dans le registre. Dans ces conditions, la Cour estime que la feuille d’écrou ne peut servir de support aux explications du Gouvernement tant son contenu est en contradiction avec les prétendus « débordements » du fils des requérants. Elle note en outre que si le décès de Pascal Taïs était dû à une chute, violente par définition pour qu’elle provoque une fracture des côtes et une rupture de la rate, il n’a pas été expliqué pourquoi les policiers n’ont rien entendu ou remarqué à ce moment là, alors que les cris auraient dû changer de nature du fait de la douleur subie. Enfin, la Cour relève que le juge d’instruction refusa de faire droit à la demande de reconstitution des faits formulée par les requérants, faute de connaître les conditions dans lesquelles ils se sont déroulés.

En l’absence d’explication plausible concernant la discordance, voire la contradiction, entre le rapport médical établi lors du certificat de non admission et le rapport d’autopsie, ainsi qu’à propos de l’origine des blessures constatées sur le corps de Pascal Taïs, alors qu’en tout état de cause les violences à leur origine ne peuvent être survenues que pendant la détention, la Cour estime que la France porte la responsabilité du décès du fils des requérants.

Sur l’allégation relative au manque de soin et de surveillance de Pascal Taïs

La Cour constate que l’état de Pascal Taïs dépassait une simple ivresse, tant au plan physique qu’au plan moral, le tout étant révélateur d’une grande fragilité, et que sa détention n’a été accompagnée d’aucune mesure de surveillance - en particulier médicale - afin de protéger sa vie ; elle relève à cet égard de graves manquements et négligences des autorités françaises.

Il apparaît en effet qu’aucun policier n’est entré dans la cellule de dégrisement de 1 heure à 7h30 du matin en dépit des cris de Pascal Taïs tout au long de la nuit et ce jusqu’à quelques instants avant sa mort ; ses cris auraient été interprétés comme étant liés à son état d’excitation et son alcoolémie et non comme des cris de souffrance ou d’appels au secours. La Cour estime paradoxal de parler d’un contrôle effectif tous les quarts d’heures, où rien n’était à signaler, alors que les policiers ne sont pas entrés dans la cellule.

Par ailleurs, la Cour relève que les femmes de ménage, arrivées toutes deux à 6 heures du matin, ont témoigné avoir été surprises par l’odeur pestilentielle qui régnait dans le bâtiment et par les insultes émanant de la cellule. Il ressort des décisions internes que cette odeur régnait dans le commissariat dès 4 heures du matin sans que personne pourtant n’ait jugé opportun d’aller apporter quelque soin que ce soit à Pascal Taïs.

Enfin, des mesures auraient pu être prises pour sauver le fils des requérants : selon la contre-expertise, les lésions présentées n’étaient pas fatalement mortelles si elles avaient été diagnostiquées à temps dans un autre contexte. La Cour est d’avis qu’au vu de l’état de santé de l’intéressé dès son arrivée au commissariat, et des longues heures qui suivirent, les policiers auraient au moins dû appeler un médecin pour s’assurer de l’évolution de son état de santé.

En conclusion, la Cour constate que la France n’a pas fourni d’explication plausible sur l’origine des blessures ayant provoqué le décès de Pascal Taïs et estime dès lors que sa responsabilité est engagée quant à ce décès. En outre, la Cour considère que l’inertie des policiers face à la détresse physique et morale de l’intéressé et l’absence de surveillance policière effective et médicale ont enfreint l’obligation qu’a la France de protéger la vie des personnes en garde à vue.

Par conséquent, la Cour conclut à la violation de l’article 2 en raison du décès de Pascal Taïs.

Quant à l’enquête menée au sujet du décès de Pascal Taïs

La Cour rappelle qu’une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquête sur le décès d’une personne détenue, peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le principe de la légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux.

Elle relève en l’espèce qu’à l’issue d’une procédure ayant duré dix ans, la longue instruction n’a pas permis de déceler la cause réelle de la mort de Pascal Taïs ; la contre-expertise a été rendue près de trois ans après les faits et le juge d’instruction n’a pas entendu lui-même les policiers au début de l’instruction mais seulement quatre ans après les faits. Eu égard aux circonstances de la cause, la Cour considère que les autorités françaises n’ont pas agi avec une promptitude suffisante et avec une diligence raisonnable.

D’autre part, la compagne de Pascal Taïs n’a pas été entendue de manière circonstanciée alors qu’elle était présente dans le commissariat de police la nuit du drame. Si des difficultés se sont présentées pour recueillir son témoignage, dès lors qu’elle a omis deux fois de répondre aux convocations du juge, il ne ressort pas du dossier que des démarches particulières aient été entreprises pour l’entendre ou la confronter avec les policiers.

Par ailleurs, il est regrettable que la reconstitution des faits ait été refusée par le juge d’instruction car elle aurait pu permettre d’établir avec plus de certitude l’origine de la lésion splénique ayant entraîné la mort de Pascal Taïs à partir du moment où il est devenu évident que les violences étaient survenues au cours de la détention.

Enfin, la Cour doute de l’utilité l’enquête psychologique post-mortem dans la recherche de la vérité ; cette expertise, qui contient une appréciation négative de Pascal Taïs, a visé par ricochet les requérants, en les accablant. Sa teneur a donné aux autorités judiciaires un moyen de minimiser ou d’écarter la responsabilité des policiers dans la mort de leur fils. Elle met en avant la thèse suicidaire et a probablement constitué une clé d’interprétation pendant l’instruction, prenant une dimension disproportionnée en comparaison avec les autres mesures prises pour rechercher les causes de la mort et en identifier les éventuels responsables.

En conclusion, la Cour estime que les autorités françaises n’ont pas mené d’enquête effective, en particulier à bref délai, sur les circonstances entourant le décès de Pascal Taïs.

Par conséquent, la Cour conclut à la violation de l’article 2 en raison de l’enquête menée au sujet du décès du fils des requérants.

Article 3

Ayant pris en compte les allégations des requérants dans le contexte de l’article 2, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les examiner séparément sous l’angle de l’article 3.

Le juge Kovler a exprimé une opinion concordante, et les juges Costa et Lorenzen une opinion commune partiellement concordante et partiellement dissidente. Le texte de ces opinions se trouve joint à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse

Emma Hellyer (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 21 54)
Beverley Jacobs (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 54 21)

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.

1 L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.



2 Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.
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