Voici un bilan du mouvement anti CPE à rouen paru dans le Monde libertaire de cette semaine :
Au-delà du CPE
D’une lutte spécifique vers un autre mode de vie
LA LUTTE ANTI-CPE a donné lieu à Rouen à un mouvement étudiant et lycéen considérable.
Au démarrage, le mouvement se présentait et vivait en totale auto organisation. Les AG se déroulaient sans tribune sans pour autant donner un chaos total. La liste des revendications ne se limitait pas à un simple refus du CPE mais à la totalité de la loi sur l’égalité des chances et notre rapport au travail. Mais les « structurateurs » sont arrivés au galop et ont repris les choses en main. L’auto-organisation qui faisait la force initiale du mouvement s’est retrouvée moulée dans un comité de grève légitime. Non-respect de mandats, délégués accrochés à leur poste, formation de SO digne des forces de l’ordre, etc. Pour autant, les AG sont tout de même restées en quelque sorte un lieu de débats et de décision d’actions.
Jusqu’au lundi 10 avril, cette nouvelle forme d’AG a rétréci le champ des revendications au retrait du CPE. Les déclarations de « remise en cause » (les mots retrait, abrogation et suspension n’ont pas été utilisés) par le gouvernement de l’article 8 portant sur le CPE n’ont en rien apaisé le mouvement qui finalement a réélargi la base des revendications en y ajoutant la solidarité avec les inculpés lors de mouvements sociaux (loi Fillon, « émeutes » de novembre, etc.), le retrait du CNE et de la loi sur l’égalité des chances dans sa globalité.
Pour en revenir à la création d’un comité de grève, plusieurs propositions alternatives avaient été faites dont celle de la création de comités fonctionnant sur la base de la motivation et à effectif non limité. Ces comités auraient eu divers thèmes: recherche d’actions, décorations, réflexion, etc. Le grand avantage de cette solution est que les personnes y venant sont pleinement investies dans le fonctionnement interne, l’autogestion y est pratiquée sans limitation, chacun peut trouver sa place dans le mouvement. Ce type de comité ne retire en rien à l’AG sa souveraineté puisqu’il s’agit d’une force de propositions et d’actions faisant vivre le mouvement.
Les lycéennes et les lycéens sont aussi partie prenante dans la vie du mouvement. De nouvelles formes de lutte collectives sont mises en place. Cela faisait un moment qu’il n’y avait pas eu autant de blocages et d’occupation dans les lycées rouennais. La mobilisation lycéenne est un des moteurs des luttes. La capacité de mobilisation y est grande malgré quelques cafouillages et récupérations. C’est en partie grâce à la spontanéité lycéenne qu’ont pu partir de véritables manifs sauvages, court-circuitant les polices syndicales et nationales.
On a pu voir dans ces manifs auto organisées des comportements de solidarité entre manifestants: une organisation défensive renvoyant systématiquement les palets de lacrymogène à la gueule de ceux que certains (la gauche révolutionnaire par exemple) nomment les « ouvriers en uniforme », la poursuite d’agents de la BAC pour libérer un
copain, des manifestants se transformant en infirmiers et infirmières afin d’apporter les premiers soins aux personnes gazées et matraquées.
Aucun de ces comportements n’a été décidé en AG, ces personnes n’avaient aucun mandat pour le faire, ils sont juste le signe d’une volonté d’union et de solidarité. On peut aussi remarquer que les personnes en faisant acte ne faisaient partie d’aucun SO, ceux-ci décrétant la fin de manif dès l’arrivée de la milice d’État et quittant à toutes jambes le théâtre des opérations en laissant seuls collégiens, lycéens, étudiants, salariés, précaires.
D’autre part, en parallèle à la vie quotidienne du mouvement de grève, une autre expérience a fait jour. En effet, depuis le début, l’un des amphis de l’UFR de Lettres avait changé de fonction. Une occupation « autogérée » et de tendance « ni CPE ni CDI » s’était développée et vivait jour après jour autour d’une cinquantaine de personnes. Chaque soir, un film militant y était diffusé. Ces films sont à la fois des supports de réflexions théoriques et pratiques. Les débats suivant chacun des films permettent un partage de points de vue portant sur un cadre plus large que la lutte anti-CPE. L’occupation était aussi un lieu de rencontre, d’écriture, de discussion. La pratique d’une vie collective réelle et conviviale est une expérience riche. Un journal de l’AG y était édité afin de donner de vraies informations sur le mouvement. Les bouffes collectives permettent de créer des liens qui s’affinent et perdureront sans doute au-delà de cette lutte. Une véritable vie collective y était vécue et s’y organisait.
D’autres perspectives s’ouvrent vers des lendemains qui chantent...
Pierre, Cyril et Manu
groupe de Rouen de la FA, groupe Soleil noir de la FA
Monde libertaire # 1438 du 11 au 17 mai 2006