De la contestation dans l’air...

Mille-feuilles à tendance séditieuse.

De la contestation dans l’air...

Messagepar Paul Anton » Lundi 18 Juil 2011 19:23

De la contestation dans l’air...

Depuis plusieurs semaines, et suite aux soulèvements dans la région arabe, des milliers de personnes occupent les principales places d’Espagne jour et nuit, contestant à la fois une classe politique corrompue et des conditions de vie toujours plus difficiles.

Ce mouvement populaire massif n’est encadré par aucune organisation politique ou syndicale. On assiste à lutte spontanée, né d’un ras-le-bol diffus, qui semble être en mesure de se propager (en Grèce, au Portugal,... en France ?). Les médias font diversion, préférant s’attarder sur le misérable feuilleton pré-électoral, les faits divers en tout genre, ou encore des histoires de concombres malades... Quelques éléments d’informations et d’analyses sur le mouvement en cours.

« Démocratie réelle » ?

Démocratie réelle fut le nom donné au mouvement espagnol, et repris ici également. Les différences, parfois énormes, dans le contenu de cette « revendication » prouvent son ambiguïté. Si le foisonnement de propositions concrètes à ce sujet est la preuve d’une certaine vigueur du débat, il convient de différencier deux grandes tendances.

D’un côté, certains critiquent les partis principaux actuels, le système représentatif dans sa forme actuelle, et proposent donc des revendications du genre « une nouvelle constitution », des dirigeants moins corrompus, moins injustes, mais des dirigeants quand même. D’autre part, un mouvement se dégage, qui est lisible dans la forme même de l’organisation de la lutte. Celle-ci se construit hors des partis politiques (voire contre eux), du système parlementaire. Le mouvement se structure sous la forme d’Assemblées populaires, ouvertes, quotidiennes. Ces assemblées sont souveraines (elles décident pour elles-mêmes, ne représentent qu’elles-mêmes) et autonomes. C’est une application de la démocratie directe. Dans cette conception, la « démocratie réelle », c’est celle qui est mise en place par les personnes en lutte, qui disent alors « la démocratie c’est nous ». Plus de dirigeants, c’est le peuple qui gouverne.

On constate, en Espagne et ailleurs, que la forme assembléiste surgit parfois de manière quasispontanée en période de lutte, comme forme naturelle d’organisation contestataire démocratique. Il est intéressant de voir la capacité qu’ont les gens à prendre en mains leurs affaires collectives, à faire preuve d’une extraordinaire intelligence, lorsque le désir de liberté resurgit, et se fait plus fort que la résignation. Et cela malgré un système qui quotidiennement institutionnalise la passivité, la délégation, l’obéissance aveugle et l’individualisme. Comme quoi, rien n’est jamais joué... La démocratie réelle, finalement, pourrait bien être cette forme d’organisation politique de la société, qui n’existe pour l’instant qu’en tant que contestation sporadique.

Parallèlement au mot d’ordre « démocratie réelle », le contenu des messages des révoltés concerne les conditions de vie et des revendications plus économiques. Chômage élevé, précarité généralisée, difficultés d’accès au logement, à la nourriture, aux soins. La situation d’injustice est de plus en plus criante, la bourgeoisie encaisse des sommes considérables, et exige des classes populaires qu’elles se serrent toujours plus la ceinture ( plans d’austérité en pagaille, stagnation voire baisse des salaires, diminution des minima sociaux, …). Les gens n’en peuvent plus ; on a pu constater ces dernières années une amplification du sentiment de révolte au travers des diverses luttes (en France : CPE/CNE, réforme des retraites…) dont les revendications officielles n’étaient qu’un prétexte pour exprimer un ras-le-bol général.

Contestation politique et contestation économique : même combat !

L’existence parallèle de ces deux « types » de revendications n’est pas sans intérêt et cela prouve une certaine lucidité des gens en lutte : le système parlementaire et le système capitaliste sont intimement liés, ils forment une seule et même chose. L’illusion, longtemps entretenue, qu’il suffisait de voter pour un autre parti ou candidat pour changer réellement la situation, pour enfin vivre mieux, est en train de s’effondrer ! Les politiciens, quels qu’ils soient et quoi qu’ils disent, sont les défenseurs de l’injustice sociale et de l’exploitation capitaliste. En conséquence de quoi les opprimés ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour améliorer leurs conditions de vie, et pour transformer vraiment/ radicalement la société. Et ce, en contestant à la fois l’exploitation économique capitaliste et la domination politique de l’État, les deux faces d’une même médaille mortifère.

Aller plus loin ...

Si les mouvements actuels présentent nombre d’aspects intéressants, il est néanmoins essentiel d’en chercher les limites, les contradictions éventuelles ; et ce dans l’unique but de les voir se poursuivre avec toujours de lucidité, pour plus d’efficacité.

La principale modalité d’action consiste en l’occupation des principales places des villes. Cela permet une évidente visibilité, une réappropriation politique de l’espace public, un lieu de lutte permanent. On y discute, échange, partage, mange, élabore, s‘y réunit… Mais si le mouvement se restreint à cette forme, des limites apparaîtront rapidement. D’abord, sur la durée, de telles occupations engendreront vite l’accumulation de fatigue et de lassitude pour les gens présents. Or jouer l’épuisement est précisément une des tactiques préférés du pouvoir, lorsqu’il ne peut se permettre une répression trop directe.

Ensuite, si la contestation se réduit à n’exister que sur la place publique, elle ne peut s’étendre au lieu fondamental du système capitaliste : la sphère de la production. Donc, on conteste les conditions de vie, mais on ne se donne pas les moyens d’attaquer à la racine de l’existence de telles conditions. La marchandisation du monde est bel est bien présente dans les critiques, mais ni les lieux de sa production ni ceux de sa circulation ne sont pris comme cibles. La machine capitaliste est au centre des critiques, mais elle continue bel et bien de tourner...

Et maintenant ?

Que ce soit en Espagne, en Grèce, en Égypte, ou n’importe où, c’est bien le même système capitaliste qui astreint nos vies à n’être qu’au service de l’enrichissement et du pouvoir de quelques exploiteurs. On peut changer la nature du régime, on n’éliminera pas l’exploitation et la misère pour autant. Nous n’avons rien à attendre d’une quelconque élection, d’un changement de constitution. Nous seuls avons le pouvoir de changer les choses. Dès lors, partout où nous pouvons, il nous faut discuter, débattre, nous organiser en vue de nous réapproprier nos vies, la politique, la production. Pour ce faire, débarrassons-nous des leaders, pseudo-représentants, de tout ceux qui utilisent notre révolte pour leur carrière et leurs ambitions.

La démocratie, c’est nous ! Organisons partout où c’est possible des Assemblées Populaires, sur nos lieux de vie, de travail… Construisons la résistance populaire autonome !

L’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes !

R, CNT-AIT Caen.
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