Point de vue sur le capitalisme et ses contradictions
« La propriété, c’est le vol » (Pierre-Joseph Proudhon)
L’histoire du capitalisme réside dans l’existence de la plus-value (Vision marxiste)
L’idéologie bourgeoise repose sur l’exploitation de l’homme par l’homme, qui induit une société inégalitaire et le capitalisme. Pour ces trois raisons, une grande partie des entités économiques appartiennent à des propriétaires privés que sont les capitalistes. Le but est de vendre une marchandise plus chère que son coût de départ pour obtenir le profit suivant le paradigme :
Capital variable [1]
+ Capital constant [2]
= Capital organique
+ Autres coûts intermédiaires
+ Profit [3]
= Valeur de la marchandise (prix de revient + bénéfices) = Prix de vente
Tant que le CA (chiffre d’affaire) et les divers postes comptables permettent une distribution satisfaisante du revenu primaire (capital variable + PV), tout va pour le taux de profit (PV divisée par le capital organique).
Mais une rente usuraire dégrade : l’accumulation → capital organique → capital constant → compétitivité → capacité de production → capital variable → volume de production → besoin de reproduction de la force de travail. De même, une hausse de la valeur de la force de travail gonfle le capital organique et entraîne une baisse de la PV, donc de l’investissement (suraccumulation) et de la rente.
Plusieurs solutions s’offrent aux capitalistes pour rétablir les marges, le CA et la PV (positifs) ; ils peuvent les utiliser de façon séparée ou concomitante :
1) augmenter le capital social (ou juridique), soit par ses fonds propres, par la rente ou en faisant appel à de nouveaux propriétaires (actionnaires, par exemple), soit en trouvant des investisseurs (obligations FCP) ou des prêteurs (crédit). En bonne logique capitaliste, ces placements se font contre des bénéfices et génèrent des coûts financiers. L’activité économique de la structure se doit de dégager des excédents d’activité. A défaut, il y a crise de suraccumulation.
2) élever le taux de profit par une amélioration de la productivité de la force de travail, tout en jouant sur le capital constant pour dégager la PV. Ce qui équivaut à réduire les coûts de production pour que le capital organique donne une meilleure PV : soit à même capital organique, la production hausse, soit on la maintient, en baissant le coût du capital organique. En revanche, les gains de productivité subissent la limite « physique » et l’usure du capital organique : reproduction de la force de travail et du capital constant.
3) acquérir ou fusionner d’autres entités économiques (concentration capitaliste) pour favoriser une économie d’échelle, car certains coûts de production restent identiques ou quasi tels, quelque soit le volume d’activité (Par exemple si le coût du chauffage est de 10 pour mille de la production d’un atelier et si la production de cet atelier double, le prix du chauffage restera inchangé en valeur absolue et donc, en proportion, il chutera de moitié par rapport à la valeur de la production). Un constat s’impose : le travailleur est spolié d’une partie de son travail par la PV. C’est dans les rapports entre « profit/capital organique » ou « capital/travail » que les crises du capitalisme et en partie de nos sociétés s’expliquent. Ce d’autant que le capitalisme est devenu la forme générale de l’économie. Dès lors, l’activité séparée de chaque entité économique (micro-économie) est liée à la macroéconomie (démographie, niveau de développement et culturel, cadre idéologico-politique, mode de vie, formation scolaire, qualification de la main d’oeuvre, état du marché, situation de l’économie générale...)
La structure capable d’organiser cela sur le plan administratif et législatif est l’Etat. En ce sens, la bourgeoisie n’est pas limitée aux seuls capitalistes, mais incorpore les dirigeants et cadres supérieurs : des entités économiques privées ou publiques, des partis, des syndicats, des parlements, des administrations, des organismes paritaires ou cogestionnaires, etc. Tout ce qu’on appelle la technostructure.
Pour juguler la crise de 1929, la bourgeoisie a lancé une politique, qualifiée par certains de socialdémocrate, en mélangeant : fordisme, keynésianisme, libéralisme, protectionnisme, libre-échange, prix du marché ou conventionné. L’Etat et ses partenaires pondant un cadre législatif qui permit la croissance, le marché intérieur et le capitalisme dans un cadre national.
Après la Seconde guerre mondiale, les tensions impérialistes (« Ouest » et « Est »), coloniales (« Nord » et « Sud ») et sociales (lutte des classes) sont encore vivaces. Chaque camp doit maintenir une cohésion interne s’il veut triompher. Pour celui correspondant, plus ou moins, à l’Ouest (avec quelques pays du Sud), cette politique doit transcender les intérêts des classes sociales pour s’instituer et pacifier les rapports sociaux. La bourgeoisie de droite agit pour que les capitalistes réduisent la rente pour accroître le pouvoir d’achat. Par les syndicats, celle de gauche intervient pour canaliser les exigences trop fortes des salariés et prévenir les poussées révolutionnaires, afin que ces premières soient intégrables par le système. C’est le pacte fordiste ou compromis historique.
Parallèlement, en binôme ou en conglomérat, les Etats passent des accords qui élargissent le marché, la concentration et l’accumulation. C’est l’accélération du processus dit de « mondialisation » (GATT, CEE, CNUCED, OCDE...). Protégé et soutenu dans un cadre national, le capitalisme prospère et se structure sous la forme d’oligopoles ou de monopoles. Les Etats et leurs annexes (collectivités territoriales, conseils et divers organismes de gestion, etc.) deviennent des acteurs économiques de premier plan : monnaie, fiscalité, propriété économique étatique (nationalisation ou noyau dur).
Au cours des années 70/80, le système entre dans une nouvelle crise. Le marché national est saturé (production plafonnée aux taux de renouvellement), soit obsolescent (produit dépassé), étroit (trop de concurrence et pas assez de demande pour rentabiliser l’investissement), peu porteur (faible pouvoir d’achat global). Résultat : certains secteurs périclitent. Ainsi, pour l’UE (ex-CEE) en moyenne annuelle :
Années...1960 à 1970.......1970 à 1980.......1981 à 1990.........de 1991 à 2000..........2001 à 2008
PIB....................4.70 %....................2.20 %....................2.30 %............................2.08 %......................2.00 %
Inflation...........3.80 %..................10.60 %...................9.60 %............................5.92 %......................2.00 %
Années........................................1960 à 1970....................1970 à 1980
Croissance de l’emploi.................0.30%...................................0.10 %
Chômage............................................2.40 %..................................2.80 %
Un autre repère, la formation de capital fixe :
Années........................................1960 à 1970....................1986....................2006
UE (ex-CEE)....................................22.10 %......................18.50 %.............14.00 %
USA.....................................................18.00 %.......................15.60 %.............19.00 %
JAPON...............................................32.40 %.......................27.90 %..............25.00 %
Pour sortir de ce marasme, deux schémas s’affrontent :
1/ L’un affirme le rôle prédominent de l’État et préconise :
- d’augmenter la fiscalité pour réaliser des investissements,
- de redistribuer du pouvoir d’achat, afin de relancer la consommation et la croissance, de nationaliser les secteurs économiques stratégiques (énergie, technologie, alimentaire et financier),
- de mettre sous la coupe de l’État les secteurs privés peu bénéficiaires, car, en éliminant la rente, la plus value même faible est suffisante, on peut même concentrer en monopoles ces secteurs pour qu’ils soient rentables. Il y a aussi cette arrière pensée bolchevique, formulée par Lénine et Trotsky, entre autres. D’après eux, la concentration oligopolistique se mue en concentration monopolistique d’État (quelques groupes contrôlant tout, y compris l’État). L’étatisation place ces monopoles sous le contrôle direct de hauts fonctionnaires (capitalisme monopolistique bureaucratique d’État). Il suffit que la population laborieuse confie à ses représentants la direction de l’État, qui devient du coup populaire ou prolétarien, pour que soit réalisé le socialisme (version URSS et ses satellites). Ce qui n’est au bout du compte que du capitalisme d’État, sa technostructure accapare l’ensemble des décisions et privilèges. Les inégalités et les classes sociales perdurent.
2/ L’autre veut la propriété privée dans le cadre de l’économie concurrentielle régulée par le marché.
l’État doit se maintenir au strict nécessaire (appareils répressifs). Cette tendance de la bourgeoisie va réussir à imposer une politique libérale et « mondialiste » pour le compte des capitalistes intéressés (souvent des oligopoles nationaux ou multinationaux). Ce qui implique de modifier les cadres nationaux par des accords de libre échange qui minorent le protectionnisme : c’est fréquemment une régression des législations dites nationales, voire une remise en cause de la protection sociale et de la condition salariale. Les entités économiques de l’État, très juteuses, sont privatisées et mises en concurrence sur le marché qui se développe (l’AGCS), des nouveaux bénéfices sont récupérés. C’est une manière de soumettre l’économie étatisée à la rationalité comptable du capitalisme libéral, car, la fiscalité coûte cher et l’État dépense beaucoup pour un piètre résultat. D’autre part, en réduisant l’hégémonie de l’économie étatisée, l’équation léniniste n’est plus valide. En effet, davantage protégés (rémunération, garantie de l’emploi, non concurrence), les salariés de l’État sont plus vindicatifs. Pour remédier à cela, il faut les assujettir au même régime que ceux du secteur privé et à la concurrence de la valeur de la force de travail. A noter que le salariat suit la même phase de la concentration capitaliste. Dès lors, il peut constituer des groupes plus ou moins puissants, en capacité d’imposer des conventions collectives. Celles-ci concernent des fractions importantes du salariat. Ce qui aboutit, par extension, à ce que la valeur de la force de travail soit uniforme. L’argument de perte de compétitivité et de part de marché, causées par les coûts salariaux, tombe. Par des montages juridiques complexes (sociétés écrans, donneurs d’ordre, sous-traitances, cartels, holdings, « toyotisme », etc.), les capitalistes maquillent cette réalité oligopolistique et monopolistique. Les capitalistes assurent des transferts de capitaux (investissements directs ou par prêts) vers les pays en voie de développement pour assurer leurs propres marché et croissance. Le phénomène des délocalisations favorise donc le développement du pays d’accueil ; alors que dans le pays de départ, il fait taire les moindres exigences des salariés par le contrecoup du chômage (armée de réserve). Ce qui force les salariés, mieux rétribués, à accepter une diminution de leur condition salariale pour conserver leur emploi. Il ne faut pas oublier que la valeur de la force de travail afférente à chaque pays est actuellement différente et renforce le phénomène des délocalisations. Ainsi, les capitalistes garantissent leur profit. Par le biais de la division internationale du travail, les pays en voie de développement (la périphérie) reçoivent des pays dominants (le centre) leur production sénescente à forte main d’œuvre peu qualifiée. Le coût de cette dernière, le niveau de développement et d’équipement rendent ce type de production solvable pour le marché des pays en voie de développement. En même temps, les premiers conservent celle à haute PV, qui nécessite une main d’œuvre hautement qualifiée. Ce qui est adéquat à leur macroéconomie.
En théorie, tout cela doit permettre un « cycle vertueux »du capitalisme régulé par la « main invisible du marché ». On sait maintenant que la situation est loin d’être mirifique. Partant de là, les capitalistes, les bourgeois, les patrons, les prolétaires ou les salariés du privé ou de l’État peuvent soit diverger soit converger, suivant que leurs intérêts économiques pâtissent ou bénéficient du libéralisme ou de la mondialisation.
Deux exemples :
- lorsque Renault délocalise en Roumanie, les salariés de ce pays applaudissent et ceux de la France protestent ; mais, si les salariés de Roumanie achètent des produits fabriqués en France, les salariés de ces secteurs jubilent
- les patrons et les salariés du textile protestent quand la Chine s’octroie ce type de production ; en revanche, comme la Chine achète des avions, le secteur de l’aéronautique est satisfait. Chacun se positionne ou repositionne selon le corporatisme et le court terme d’après ces deux agencements :
- étatisme, protectionnisme, nationalisme, marché local,
- marché local, international, libre-échange, libéralisme.
Ces deux schémas divergent sur la forme, mais pas sur le fond qui est l’oppression et l’exploitation. Ils n’expriment que les intérêts et rivalités intercapitalistes et inter-bourgeoises. Se positionner pour les exploités selon l’un de ces deux schémas revient à pratiquer la collaboration de classe, c’est-à-dire défendre les intérêts des privilégiés. La macroéconomie mondiale fait que chaque économie territoriale est empaquetée dans un rapport « export/import » qui s’exprime dans la balance des paiements. Son observation révèle que la réduction de l’import détruit de l’export. Ce qui fait que nous sommes au milieu de gué. Aller en arrière (protectionnisme) ou de l’avant (mondialisation) serait tout aussi pénible globalement. La réalité est que le capitalisme est rentré dans une nouvelle phase d’extension et personne ne sait d’avance sa finitude, vu les contradictions soulevées par sa logique. D’après nous, le fond et la forme (multiple) du capitalisme sont à détruire à la fois.
Membres CNT-AIT Caen, été 2009
[1] Capital variable : valeur individuelle ou collective de la force de travail ou coûts salariaux)
[2] Capital constant : autres coûts de production : matières premières,machines, bâtiments...)
[3] Profit : Plus-value (PV) affectée au besoin personnel du propriétaire qui devient la rente ou qu’il réinvestit en capital organique, ce qui produit l’accumulation ou MBA (marge brute d’autofinancement)