A propos de l'avortement...
Bobcatshom a écrit:Si le seul fait que l'être soit sensible justifie qu'on ne le tue pas, quid de l'avortement ? Doit-on l'interdire ?
J'avais pris le même exemple. Effectivement, réclamer le droit absolu à la vie au motif que l'être concerné est "sensible", c'est un argument typique des "pro-vie", ces lobbyistes tarés anti-avortement.
Ceci dit, les "pro-vie" ont tort sur leur évaluation de la sensibilité de l'embryon (j'y reviendrai plus bas), donc leur argument tombe à l'eau ^^
(ATTENTION !! j'en profite pour relever une ERREUR AFFREUSE que je vois régulièrement revenir dans des tracts de libertaires, anarchosyndicalistes et anarchistes : ce n'est pas parce que nos ennemis sont "pro-vie" que nous, par opposé, on est "pro-avortement" !!
"Pro-choix" à la rigueur... mais pas pro-avortement. Alors quand je lis des trucs du genre "nous sommes POUR l'avortement" et compagnie... heu...
On ne veut obliger personne à avorter, hein ^^ et l'avortement, on trouve pas ça "chouette" ni "cool" ni "bien" (encore moins "mal" of course). On est POUR LE DROIT à l'avortement, pour la liberté de choisir d'avorter ou de ne pas avorter, nuance. Sachant que l'avortement est souvent un choix difficile à faire, et pas si simple à "assumer")
Manu a écrit:Rien à voir. La question n'est pas de tuer ou pas, mais de savoir pourquoi.
Dans la perspective vegan, dans les cas de légitime défense, etc... oui.
En revanche,
pas en ce qui concerne l'avortement.
Pour la simple et unique raison que lors d'un avortement, ON NE TUE PAS.
Tuer, c'est supprimer UNE VIE.
Lors d'un avortement, on ne supprime pas une vie, on empêche son émergence (la naissance).
Qu'est-ce qu'une vie ? Quand commence-t-elle ?
Grand débat que voilà, tant éthique et philosophique que scientifique, et nullement tranché même aujourd'hui.
Si l'on sait avec certitude quand finit une vie, déterminer son "début" est plus difficile.
La vie commence-t-elle dès que le spermatozoïde pénètre l'ovule ?
Quand la première division cellulaire commence ?
Quand l'embryon se fixe dans l'utérus ?
Quand on passe du stade embryonnaire au stade foetal ?
Dès que le coeur bat ?
Ou dès que les poumons se remplissent d'air ?
Quand on se pose comme un sujet et une individualité, en disant notre premier "non !" ?
On pourrait en débattre des heures, des siècles même (et c'est le cas d'ailleurs ^^). Pourtant, dans le cadre d'une législation autorisant ou interdisant l'avortement, et dans le cadre de la mise en place de l'état-civil (naissance, mort, mariage, divorce, héritage...) il a bien fallu trancher et choisir une réponse - officielle - à cette question (existentielle s'il en est ^^) : quand commence la vie ?
En France (les autres pays je sais pas), la vie commence A LA NAISSANCE. Et pas avant. Naissance signifiant : être en vie au moment de la sortie du corps de la mère. Même si tu ne vis qu'une seconde après la naissance, tu auras "vécu". Et tu seras donc mort. Précision importante, parce qu'on ne peut pas enterrer ou faire incinérer ni faire déclarer "mort" au registre d'état-civil une personne qui n'est pas née.
Ca parait évident comme ça..., mais ça l'est pas tant que ça. Par exemple, un "bébé" arrivé au terme des 9 mois de grossesse, mais qui meurt 10 secondes avant la naissance, n'est techniquement/légalement pas né. D'ailleurs, on appelle ça des "morts-nés", et non des "nés-morts" (sous entendu "nés puis morts") : ils ne sont PAS nés. Il n'y a donc pas "début de vie", et par conséquent il n'y a pas de "mort" non plus puisqu'il faudrait avoir vécu avant.
Imaginez la violence de cet argumentaire pour une (ex-future) mère dont le "bébé" est mort-né et qui veut l'enterrer, ou le faire figurer dans le livret de famille, et qui se le voit refuser. C'est un peu comme si son bébé n'existait pas (n'avait jamais existé), pourtant son existence était une réalité pour la mère, et sa mort en est une aussi.
Sauf que... ben il est pas mort. Puisque pas né.
Cela peut paraitre injuste, et parfois même cruel pour les parents, mais c'est une nécessité (de fixer une limite au début de la vie) et c'est cette limite fixée à la naissance qui a permis d'autoriser l'avortement :
la vie débutant A LA NAISSANCE et non avant, l'avortement (qui intervient par définition avant la naissance ^^) n'est donc pas un meurtre. On ne TUE donc personne lorsqu'on pratique un avortement.
J'attire votre attention sur le cas particulier des morts-nés, et de la législation qui l'entoure.
Aujourd'hui, on ne peut pas faire reconnaitre comme né (et mort) un bébé mort-né. Mais ! Mais des collectifs se forment, pour réclamer un changement de la législation, et faire reconnaitre les morts-nés comme des enfants à part entière.
Tout solidaire que l'on puisse être de ces personnes, confrontées à un deuil douloureux qui n'en est pas un, faire évoluer la législation pour permettre de faire enterrer les bébés morts-nés ou les inscrire sur le livret de famille signerait à moyen terme la fin du droit à l'avortement.
Car si on considère que des bébés morts-nés (à terme ou non, on peut naitre avant 9 mois aussi) sont bien "morts", ça signifie qu'on reconnait qu'ils ont vécu,
donc que la vie débute avant la naissance,
donc que l'avortement est potentiellement la destruction d'une vie, donc un meurtre.
Et un meurtre, c'est illégal.
Il faut donc rester trèèèès vigilant-e-s sur les questions entourant la notion de "début de vie", et notamment celle de l'inhumation ou de l'état-civil des morts-nés.
Désolée pour ce long préambule, mais il me semblait nécessaire pour évoquer la question de l'avortement.
Manu a écrit:Il est clair que l'avortement relève de la liberté de la femme et qu'il est criminel, y compris du point de vue de l'enfant non désiré, d'imposer la vie.
C'est clair
Mais c'est pour nous que l'avortement relève de la liberté des femmes (et pas de LA femme, y'en a pas qu'un modèle unique ^^).
Pour les législateurs, il dépend de la limite fixée à la reconnaissance du début de "la vie", comme je l'ai expliqué là, limite qu'ils peuvent décider de modifier.
Il faut donc éviter d'oublier que les législateurs et nous "nous n'avons pas les mêmes valeurs"
, et ne pas considérer cet acquis du droit à l'avortement comme définitivement acquis (au nom de la liberté des femmes par exemple), justement.
Bobcatshom a écrit:Certes il est possible que le foetus soit sensible (j'en sais rien à vrai dire) (...) la légère souffrance que pourrait avoir le foetus (encore une fois je n'en sais trop rien) qui n'a encore aucune conscience de lui-même
Manu a écrit:Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire en sorte de ne pas faire souffrir le foetus, car d'après des lectures, il semblerait qu'effectivement le foetus ressente la douleur, que les chirurgiens peuvent tout à fait faire en sorte de ne pas le faire souffrir pendant l'opération mais que malheureusement beaucoup d'entre eux s'en contrefichent...
Oh la la la la... Je ne sais pas où vous avez lu/entendu/cru comprendre que le foetus
au moment de l'avortement ressent la douleur (et que les médecins s'en foutraient !), mais
c'est faux.
Bon, on reprend tout depuis le début !
(siiiiii !, c'est indispensable !)
1) Au niveau médical, on calcule la durée de la grossesse en semaines d'aménorrhée (SA), c'est-à-dire en semaines sans règles.
Comme il faut bien choisir un moment précis pour définir le début de la grossesse, mais qu'on ignore à quel moment précis le spermatozoïde féconde l'ovule, on calcule ces semaines d'aménorrhée à partir du
premier jour des
dernières règles.
Mais : c'est la "date officielle" de début de la grossesse, pas la date officielle de fécondation de l'ovule, attention à ne pas confondre. En effet, vu qu'on ne peut pas tomber enceinte pendant la semaine de ses règles
et vu aussi qu'il faut attendre que le cycle suivant ait commencé et qu'un autre ovule soit "relâché dans la nature" ^^, la fécondation ne peut avoir lieu qu'environ DEUX semaines après le 1er jour des dernières règles (vous suivez ?) = deux semaines APRES le "début officiel" de la grossesse.
Donc, quand on dit par exemple qu'une femme en est à sa 7ème semaine de grossesse, l'embryon lui n'a que 5 semaines.
C'est un détail qui a son importance quand on veut parler d'avortement ou de sensibilité embryonnaire ou foetale.
Une grossesse dure environ 9 mois, soit 40 SA, ou 38 semaines en "âge réel" du foetus (depuis la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde).
Par convention, on parle plutôt en SA qu'en "âge de foetus". Attention donc lorsqu'on parle de tout ça, il faut savoir si on parle en nombre de SA ou en nombre de semaines après la fécondation de l'ovule. 2 semaines de développement foetal en plus ou en moins c'est pas rien !, parfois il s'en passe des choses en deux semaines...
(regardez le Mur de Berlin : paf !, en une nuit !
)
2) L'ovule est fécondé, notre vaillant spermatozoïde est arrivé en héros jusqu'au bout de son périple, youpi. Encore faut-il que l'ovule ainsi fécondé entame son périple à lui, jusqu'à l'utérus où il "nidifiera" (s'implantera) et se développera. Ca prend quelques jours. Durant ce voyage, ce n'est pas encore un embryon : on parle d'ovule fécondé.
3) L'ovule fécondé arrive enfin en grand winner dans l'utérus : ça y est, c'est un embryon. On parle d'embryon jusqu'à la 8ème à 10ème semaine après la fécondation de l'ovule.
4) Passé le stade d'embryon qui dure 8 à 10 semaines, il devient un foetus, et ce terme est valable jusqu'à la fin de la grossesse. Terme un peu "trompeur" parce qu'un foetus de 12 semaines n'est bien sûr pas comparable à un foetus de 32 semaines. C'est le genre de confusion dont aiment se servir les anti-IVG.
Le terme officiel c'est "foetus", mais pour savoir de quoi on parle il vaut mieux préciser le nombre de SA.
5) En France, on a le droit d'avorter jusqu'à 14 semaines d'aménorrhée : on avorte donc soit d'un embryon, soit d'un foetus de 12 semaines maximum.
6) Quelques étapes du développement embryonnaire et foetal jusqu'au terme légal d'avortement :
- 5ème SA (embryon de 3 semaines) : les premiers organes commencent à se former, une circulation sanguine rudimentaire se met en place.
- 6ème SA (embryon de 4 semaines) : le tube neural (ébauche du système nerveux) se ferme, étape obligatoire pour permettre le développement futur du cerveau et de la moelle épinière ; les premières cellules du cerveau se forment.
- 8ème SA (embryon de 6 semaines) : ébauche de cortex (la membrane grise qui enveloppe le cerveau).
- 10ème SA (foetus de 8 semaines) : la plupart des organes sont présents (dans leur forme rudimentaire), mais bien sûr ces organes ne sont pas développés ni fonctionnels.
- 12ème SA (foetus de 10 semaines) : le système nerveux continue son développement, les neurones commencent à se connecter en réseau.
7) Même si des ébauches d'organes et de système nerveux existent sur un foetus de 12 semaines (limite maxi pour avorter, sauf pour les avortements pour raisons médicales, là ça varie), elles sont très nettement insuffisantes pour transmettre une information douloureuse, et pour que cette information soit interprétée comme telle par le cerveau.
8 ) Même les études scientifiques les plus "sévères" sur la notion de douleur chez les foetus montrent que ces derniers ne peuvent pas ressentir de douleurs avant la 26ème SA (foetus de 24 semaines) : donc bien longtemps après la limite légale d'avortement.
Alors oui : les foetus peuvent ressentir des douleurs. Mais
pas à n'importe quel stade de leur développement :
- durant le premier trimestre de grossesse : non.
- durant le 2ème trimestre de grossesse : non, pas avant que le foetus n'ait 24 semaines (donc 6 mois).
- durant le 3ème trimestre : très probablement voire certainement (ça se discute, cf. points 10, 11 et 12).
9) La question de la douleur pour les foetus avortés (dans la limite des délais légaux en France en tout cas) ne se pose donc plus : non, ils n'ont pas mal lorsqu'on avorte puisqu'on avorte à 12 semaines maxi. Ils n'ont donc pas besoin d'anesthésie non plus.
Voici un article datant de 2010 sur une étude récente qui vient (re)confirmer d'autres études : la douleur, c'est pas avant 24 semaines.
http://www.telegraph.co.uk/health/healt ... weeks.html10) L'évaluation de la douleur foetale se fait sur deux plans : un plan strictement biologique et neurologique (développement du système nerveux et du cerveau), et un plan psychique/cognitif (développement du cortex, conscience du message douloureux). Autrement dit : "élaborer physiologiquement une stimulation nociceptive et percevoir cette stimulation nociceptive comme douloureuse ne sont pas la même chose." (études de Mellor et al., 2006 ou 2007)
11) L'évaluation de la douleur des foetus n'est pas seulement importante pour le droit à l'avortement et la définition de délais limités pour le pratiquer. C'est aussi important pour la prise en charge médicale des foetus (car tous ne sont pas avortés, non non ^^) : certains doivent être opérés in-utéro, d'autres naissent prématurément etc... il est donc important de savoir le plus précisément possible si oui ou non les foetus éprouvent des douleurs, comment ils les ressentent, à partir de quand, et comment y remédier (anesthésier un foetus ou un prématuré, ou détecter et traiter leurs douleurs, c'est très loin d'être simple).
D'autre part, la douleur n'est plus juste une question éthique : il est démontré qu'une douleur intense et/ou continue a des impacts sur la santé (on cicatrise moins vite, réponse immunitaire affaiblie etc), et des douleurs précoces peuvent grandement perturber le développement cognitif. Les médecins ne s'en "foutent" donc pas (ou plus, pour être précise) et les chercheurs et équipes soignantes travaillent à mieux la prévenir, la détecter et la traiter.
12) Voici une synthèse des différentes études récentes sur la douleur chez le foetus, à la fois celles disant "oui le foetus souffre" et celles disant "non le foetus ne souffre pas". En fait, toutes ces études s'accordent à dire que le foetus souffre... et ne souffre pas ^^' en fait ça dépend de ce qu'on entend par "douleur", et de à combien de semaines de développement en est le foetus.
Cette revue des différentes études sur le sujet a été faite par le Pr R. Carbajal, et est dispo sur le site des JTA (Advanced Techniques in Gynaecology, Obstetrics, Assisted Reproduction, Perinatal medicine and Paediatrics.)
http://www.lesjta.com/article.php?ar_id=1137Faites-vous plaisir, et mettez-en plein la vue à votre auditoire lors de votre prochaine AG ou prochain repas de famille !
(et mettez-en plein les dents aux anti-IVG
)
Manu a écrit:ce qui ne remet nullement en cause le droit à l'avortement !
Bah du coup, non ça remet pas en cause l'avortement, puisqu'un foetus de 12 semaines ne peut PAS ressentir la douleur.