Mon nom est Taurus, j’ai 4 ans et je suis condamné à mort pour l’amusement d’un public idiot, assoiffé de sang, au nom d’une "tradition", la corrida, mais ça je ne le sais pas encore... C’était hier, c’était il y a une éternité. Hier ... La Camargue, le jour se lève et déjà le soleil chauffe mon dos, les oiseaux chantent ; dans ma plaine, j’erre librement avec mes compagnons.
Au loin, je les vois, les deux pattes, ils crient. Pourquoi s’adressent-ils toujours à nous en criant ? Peut-être que je leur fais peur, je pourrais les tuer d’un simple coup de corne, je pourrais les piétiner ; oui je pourrais tout ça mais pourquoi ? Ils ne m’ont pas fait de mal, du moins pas encore ...
Le gardian se dirige vers nous, sur son cheval. Il veut nous entraîner, deux de mes compagnons et moi, vers un étrange véhicule. Puisque tel est son désir, nous y montons mais ça sent bizarre, nous sommes bringuebalés pendant des heures et des heures. Arrivés à destination, je sens d’autres odeurs, celles de la mort, de la peur. Une étrange tension règne dans l’air, une surexcitation se propage autour de nous. Toujours en criant, les deux pattes nous font sortir et longer un couloir pour déboucher dans une pièce sombre, on entend au loin des cris, beaucoup de deux pattes certainement ... Qu’elle est loin ma plaine silencieuse, immense, nous sommes enfermés, jamais cela ne nous était arrivé.
Un portillon s’ouvre, je m’engouffre dedans, peut-être mène-t-il vers la liberté ! Je me retrouve coincé dans ce maudit couloir, entre deux portes, entre deux murets, je ne peux plus bouger, je sens au-dessus de moi un deux pattes qui plante dans mon dos un colifichet, c’est pointu, je ressens quelque chose que je ne connaissais pas, la douleur.
La porte s’ouvre !!! Je me précipite dans ce couloir, le couloir de ma mort, mais il me faudra du temps pour le comprendre. Le jour, je vois le jour au loin, vite je galope vers cette lumière. Le soleil m’éblouit, une musique retentit à mon arrivée et je suis accueilli par les cris d’une foule de deux pattes en délire. Je fais le tour de cet endroit, pas de sortie, pas d’herbe mais des deux pattes colorés qui me fixent, me jaugent des pattes au mufle. L’un d’entre eux d’approche de moi, marchant comme un coq, peut-être vais-je comprendre ce qui se passe. Il tient contre lui un bout de tissu coloré qu’il agite devant moi. Mon instinct me fait foncer dessus, tête baissée j’y vais et j’y vais autant de fois qu’il le veut.
Je ne me rends pas compte qu’il me dirige lentement, mais sûrement, vers un cheval. Je les connais les chevaux, j’en ai déjà vu dans les plaines, aussi je ne bouge pas, mais un deux pattes sur le cheval se jette sur moi et m’inflige le châtiment, une pique qui fait atrocement mal car il appuie de toutes ses forces, je sens un liquide chaud couler le long de mon dos et sur mon ventre. Il recommence une deuxième fois, une troisième fois, je vais combattre pour faire stopper cette douleur, je sens mes forces s’affaiblir, ce deux pattes doit cesser ! Je me précipite sur le cheval, tant pis pour lui, ma vie est en jeu, je le fais tomber et piétine, donne des coups de corne.
Mon attention est détournée. Qu’ils sont agaçants avec ce tissu, le deux pattes m’appelle, toujours en criant, il se joue de moi, la foule se déchaîne, hurle avec lui, j’entends un mot inconnu qui revient souvent “oléééééééééééé”. Je vais lui arracher son tissu, je vais l’encorner pour le punir de ces souffrances qu’il me fait ressentir, mais il est protégé par d’autres deux pattes, lorsque je lui vole son tissu, sa muleta, les autres se précipitent sur moi et me font courir partout, je ne sais plus où me tourner, ils m’encerclent, ils me font devenir fou !
Une nouvelle souffrance m’est infligée, le chef des deux pattes m’a planté sur le dos des banderilles, mon sang coule de plus en plus et je deviens faible. Je me secoue pour faire partir ces flèches acérées de mon corps mais il les a enfoncé si profondément qu’elles restent, et plus je me secoue, plus elles provoquent des décharges de douleurs et, de plus en plus, je sens mon sang couler, rouge, chaud, bouillonnant, m’affaiblissant. Je glisse de plus en plus, tenant difficilement sur mes pattes, mais le courage et la bravoure sont miens, je suis un taureau !!
Le deux pattes prend soudain pitié de moi, il arrête de secouer sa muleta, je reste devant lui, soumis à sa volonté, le supplice est terminé, je vais retrouver ma Camargue, l’herbe si verte, si tendre, les odeurs de la nature ... Je vais pouvoir panser mes blessures. Il me défie en se mettant à genoux devant moi, bras écartés, les yeux fous et criant sa victoire. Que m’importent les humiliations, les cris, la haine de cette foule, je ne bouge plus, j’attends. Il se relève, un autre deux pattes lui apporte un long objet qui brille dans le soleil. Il reprend sa muleta comme il l’appelle, je la regarde, plus envie de bouger, plus envie de me battre, je n’ai plus de forces ... j’abandonne le combat, je baisse la tête. Il se jette sur moi avec son épée, à son passage, mes muscles, mes artères, mes vertèbres, tout cède et je m’écroule, vaincu, sous les cris de joie de la foule haineuse. Un deux pattes de main viendra me donner le coup de grâce, l’ultime ...
Je suis fatigué, j’ai combattu autant que je le pouvais, mais je suis trop faible, épuisé, mes forces se sont enfuies, les hommes m’ont tué ... je meurs, mon calvaire prend fin. Une dernière interrogation demeure en moi, pourquoi ? et je ferme les yeux. Je ne verrai pas ma dernière humiliation, mes oreilles coupées pour la gloriole de pacotille du torero.
Mon cadavre sera traîné dans l’arène, tiré par un cheval, mon sang imprégnera le sable, j’ai été brave, j’ai droit à un tour d’honneur, quelle ironie cruelle...
THE END (de l’histoire mais d’un animal surtout...)
"Entre la cruauté envers l’homme et la cruauté envers l’animal, il n’y a de différence que la victime" Lamartine.
avec quelques commentaires à lire...