Le concept d’appropriation sociale a été développé comme une formule plus large de la « propriété sociale des moyens de production et d’échange » qui se traduisait généralement par « nationalisation ». Il s’agit d’assurer la participation à la propriété des moyens de production de ceux qui, d’ordinaire, n’ont que leur force de travail à vendre. La propriété sociale n’a de sens que par l’existence d’institutions sociales et politiques qui permettent aux plus défavorisés de bénéficier de la protection que la propriété offre à son propriétaire.
En premier lieu, le système public de la protection sociale apparaît comme la propriété de ceux qui n’ont pas de propriété. En effet, la propriété dans la tradition républicaniste, assure une sécurité sans laquelle aucune indépendance n’est possible. En protégeant le travailleur contre la maladie, la vieillesse et le chômage, le système de protection sociale fonctionne comme l’équivalent d’une rente. Il rend ainsi les « sans propriétés » moins inégaux par rapport aux propriétaires et leur permet d’appartenir complètement au corps civique. Sur ce premier point, l’opposition entre la conception républicaniste et la conception libérale est totale.
En second lieu, dès lors qu’elle cesse d’être la propriété, le bien exclusif de l’aristocratie, la république devient le bien commun de tous, au sens strict la chose publique. Les biens publics sont des biens dont tous peuvent jouir à égalité et qui ne peuvent être l’objet d’une appropriation privée : chacun peut jouir de l’ombre des arbres centenaires et des bassins du jardin public comme s’il en était le propriétaire mais personne ne peut exclure quiconque de cette jouissance, précisément parce qu’il n’en est pas le propriétaire direct en tant que personne civile, précisément parce qu’il n’en est le propriétaire que comme membre du corps collectif de la république.
En troisième lieu, la république présuppose un espace public, un espace dans lequel les citoyens peuvent se reconnaître dans leur pluralité. L’espace public ne se réduit pas au forum politique. Il inclut toutes les institutions par lesquelles chacun peut avoir le sentiment d’appartenir à un corps commun. Ainsi, par exemple, l’école, la culture, et plus généralement tout ce en quoi la communauté peut s’identifier. Sur ce point, le libéralisme est également antirépublicain puisqu’il se donne comme objectif de réduire au minimum cet espace public : au cours des deux dernières décennies, on a assisté à une privatisation massive de ce « commonwealth ». Les libéraux qui se veulent les défenseurs de la propriété ont procédé à une expropriation massive de la grande majorité des citoyens. Les grands services publics, propriété de la nation, propriété indivise de chaque citoyen, ont été transformés en propriété privée d’une oligarchie financière.