Article du Monde : pour décrypter ce que dit l'ennemi.
Henri Guaino : "La situation sociale est un terreau favorable à tous les extrêmes"
Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, met en garde contre l'inflation que pourraient générer les déficits américains et le risque pour l'Europe de rester un îlot de déflation.
La France envisage-t-elle un plan de relance comparable à celui de Barack Obama, qui va octroyer des chèques de 400 dollars (315 euros) pour les plus pauvres ?
Face à une crise sans précédent, dont personne ne peut prédire ni jusqu'où elle fera reculer l'économie ni jusqu'à quand,
il faut garder son sang froid. Quand la consommation s'effondre, ce type de mesure peut être nécessaire, ce qui pour l'instant est le cas aux Etats-Unis mais pas en France. Ici, pour qu'elle soit pleinement efficace, il faudrait qu'elle s'inscrive dans une relance européenne concertée et qu'elle soit mise en oeuvre au bon moment. Au printemps 2008, Georges Bush a envoyé des chèques à 130 millions de contribuables américains pour plus de 150 milliards de dollars.
Au bout de trois mois, les effets se sont évaporés et l'activité a reculé. Quand l'économie est en pleine descente, ce genre de plan ne sert à rien, et il plombe les finances publiques. Si l'on emprunte pour investir on se retrouve avec des dettes et des actifs. Si l'on emprunte pour consommer, à la fin on n'a rien en face des dettes.
Quels risques le plan américain recèle-t-il selon vous ?
Les Etats-Unis n'épargnent pas. Ils vont donc devoir se financer par l'endettement. Le risque est qu'
un doute finisse par naître sur leur capacité de remboursement. La situation risque d'être d'autant plus tendue que les excédents, notamment chinois, qui financent leur déficit, pourraient disparaître avec le ralentissement des exportations et la nécessité de stimuler la croissance interne. La seule issue serait alors le recours à la banque centrale et à la création monétaire.
Quelle en est la conséquence ?
La chute du dollar et à terme la hausse de l'inflation qui est depuis toujours le meilleur moyen de ne pas payer toutes ses dettes. C'est le schéma classique des crises de désendettement : la contraction des débouchés contraint à baisser les prix et enclenche un cycle déflationniste dont on sort par l'inflation.
Mais en Europe, la Banque centrale européenne (BCE) a pour mission essentielle de lutter contre l'inflation...
Déflation ou dévaluation, ce fut le grand débat des années 1930. Si la sortie de crise devait inaugurer un cycle d'inflation à l'échelle mondiale, la zone euro ne pourrait pas rester, sans risque majeur, un îlot de déflation. Il faudrait trouver un équilibre entre le risque de déflation et celui de voir la hausse des prix échapper à tout contrôle. La gestion monétaire de la crise est un défi redoutable pour les banques centrales. Pour l'instant, la BCE a plutôt bien fait son travail.
Pour endiguer la crise bancaire, les Américains envisagent de d'isoler les actifs pourris dans une "bad bank", comme les Français l'avaient fait pour le Crédit lyonnais.
Quelle que soit la sophistication du montage financier, les mêmes questions sont posées : qu'est-ce qu'un actif pourri ? Jusqu'à quel point est-il pourri ? Comment fixer son prix ? Au cas par cas, les bad banks peuvent être utiles. Mais compte tenu de l'ampleur de ce qui est envisagé (2 000 milliards de dollars), se tromper sur le prix et la définition des actifs peut avoir des effets systémiques considérables. Si le prix est trop bas, la définition trop large, tous les bilans bancaires du monde peuvent être plombés puisque les mêmes actifs y sont disséminés. Si l'opération était mal montée et échouait, le risque serait double : une nouvelle phase de la crise bancaire pénaliserait un peu plus l'économie mondiale qui est déjà mal en point et la nationalisation d'une grande partie du système bancaire mondial ne serait plus à exclure.
Les Européens jugent le plan de soutien français à l'automobile anticoncurrentiel et protectionniste.
Comme pour les banques, il n'y avait pas le choix. Qui, dans les circonstances actuelles, peut laisser s'effondrer un secteur qui emploie 10 % de la population active ? Mais je ne vois pas en quoi ce plan est protectionniste.
Le protectionnisme est-il une nécessité ou un danger ?
Si l'on ne définit pas en commun des règles de protection et d'intervention raisonnables, si on reste enfermé dans des dogmes on risque d'avoir le protectionnisme le plus déraisonnable, le populisme, la xénophobie... Il faut prendre ce risque très au sérieux.
Regardez le fossé qui s'est creusé en Islande entre le peuple et la classe dirigeante ! Regardez les grèves des salariés britanniques dans l'énergie contre l'embauche d'intérimaires espagnols ou italiens !
Regardez ce qui s'est passé en Grèce ! Cette crise déroule tous les chapitres d'un manuel d'économie. Prenons garde à ce qu'elle ne déroule pas aussi tous ceux d'un manuel d'histoire...
La situation sociale en France vous préoccupe-t-elle ?
La crise économique génère beaucoup d'angoisses et de souffrances sociales, mais aussi
un grand sentiment d'INJUSTICE parce que ceux qui souffrent ont le sentiment de payer à la place des responsables. C'est une situation dangereuse qui offre un terreau favorable à tous les extrêmes. On sait où peut mener l'anticapitalisme extrémiste. C'est pourquoi le combat pour la moralisation du capitalisme est si important. [NDLR : on est bien en plein dans le sujet évoqué en introduction ... ]
Quelles décisions attendez-vous lors de la deuxième réunion du G20, qui réunira les vingt principales puissances de la planète à Londres le 2 avril ?
Ce ne sera sans doute pas encore le grand soir du capitalisme financier. Si les experts ont du mal à imaginer un autre monde que celui dans lequel ils ont vécu, les responsables politiques sont davantage conscients de la nécessité du changement.
Pour refonder le capitalisme, ils doivent imposer des solutions non pas techniques mais politiques. [NDLR : la bataille n'est pas économique mais idéologique : dans quel monde voulons nous vivre ?]
S'il n'y avait qu'une mesure à prendre, laquelle serait-elle ?
Il faut que les banques soient de nouveau incitées à faire leur métier qui est d'analyser le risque crédit. Par conséquent, il faudra bien finir par répondre à certaines questions : quelle part de risques la banque doit-elle conserver dans son bilan quand elle titrise ses crédits ? Dans quelle mesure peut-elle être autorisée à financer de la spéculation en particulier les hedge funds ? Comment s'assurer de la transparence de leurs opérations à travers les paradis fiscaux ? Comment rémunérer les opérateurs pour qu'ils ne soient pas incités à prendre des risques excessifs ? Comment contrôler les agences de notation pour que personne ne puisse prendre de risques sans savoir lesquels ? Les activités de crédit et les activités de marché doivent-elles ou non être totalement séparées ?