MELANGES OU DIFFERENCES ?

Mille-feuilles à tendance séditieuse.

MELANGES OU DIFFERENCES ?

Messagepar NOSOTROS » Mercredi 10 Sep 2008 11:38

Mélange ou Différences ?

Le processus identitaire a pour conséquence d'entraîner des divisions dans la population, divisions qui sont aussi absurdes que néfastes*1. Pour comprendre sa dynamique, il faut le saisir dans son lien avec la crise qui frappe la réflexion sociale ; crise qui le génère et qu'il contribue, dans une sorte de cercle vicieux, à entretenir.

L'esprit critique, indispensable à toute réflexion, ne peut prospérer que dans une distanciation de l'individu. L'identification de l'individu à une communauté quelconque et la véritable fusion qui s'opère alors souvent, est un obstacle majeur. Elle empêche de prendre le recul nécessaire.

Culture et confusion de sens

Les identités, les communautés dont il est question ici font appel à la notion de "culture". Cette dernière peut reposer sur un territoire, une religion, un état personnel, ou toute autre particularité*2. La polysémie du terme "culture" (c'est-à-dire les sens divers que ce terme peut prendre) facilite la confusion. Généralement, les identitaires mélangent habilement dans leurs propos les deux grands sens de ce mot*3.

L'apparition récente de la notion, fort vague, de "pluralité culturelle", joue un rôle facilitateur dans ce processus d'adhésion aux idéologies identitaires, d'autant qu'elle se décline aussi avec des versions qui récupèrent le vocabulaire des "Lumières"*4, comme la tolérance ou
l'égalité, tous termes qui en fait ne sont là que pour inspirer
automatiquement du "respect" et éviter ainsi qu'on ose une quelconque remise en cause.

La volonté de préservation des cultures (au deuxième sens du terme), qui est le but avoué de tout les identitarismes, constitue un phénomène de blocage qui met en danger la culture (au premier sens du terme) comme outil de réflexion pour la figer en une pluralité de cultes. Ce n'est pas un hasard si l'on observe que cette apparition du débat autour des cultures dans le mouvement social a été concomitante avec le triomphe de l'idéologie politique et des pratiques sociales qui entendent le
capitalisme comme indépassable. Il faut ici remarquer que l'affirmation que le capitalisme est un mode d'organisation indépassable et qu'il serait le seul apte à satisfaire les besoins matériels de la société n'est absolument pas remise en question quand un individu réclame une identité issue d'un patrimoine, largement mythique, commun à un groupe. Les deux positions (acceptation de l'indépassabilité du capitalisme et
revendication de "racines" identitaires) renforcent le statu quo.

La deuxième a pour objet de ménager l'amour propre de ceux qui doivent supporter les frustrations, d'intensité plus ou moins dramatiques, inhérentes à un système pyramidal et inégalitaire qui est loin d'atteindre ce qu'il claironne, même sur le plan économique.

Ce rapport entre l'importance des frustrations subies et le développement du sentiment identitaire est une constante dans toute gestion des crises du capitalisme. Que l'on songe simplement à la ferveur des supporters de foot anglais des années 70 dans les villes économiquement sinistrés…

La culture de ma grand-mère

Depuis quelques décennies, après la fin des "trente glorieuses et dans un mouvement qui s'est accentué vers 1990 (qui ont vu la fin du marxisme en tant que théorie du dépassement du capitalisme par luimême), il est devenu de très bon ton de défendre les cultures. On trouve facilement une culture à défendre et même à ressusciter. Chez de nombreux militants résiduels du marxisme cette "culturialisation" est présentée comme une façon de résister à un capitalisme qui leur semble tout emporter, puisqu'il a emporté leurs convictions.

Cette résistance-là invoque volontiers "la culture de ma grand-mère", comme si ce féminisme de pacotille permettait réellement de ne pas se confondre avec les autres, ceux qui affichent leur mentalité réactionnaire et qui ont fait leur lit, depuis longtemps, dans les traditions, croyances et cultures. Mais, référence "à ma grand-mère", aux "valeureux combattants de notre peuple" et finalement, dans tous les cas "à notre patrimoine commun" (celui qui fonderait la culture et son peuple), dans l'inconscient collectif, le résultat est le même : la culture cesse de se construire sur une dynamique évolutive pour se tourner en culte. C'est d'ailleurs clairement au culte du "pater" (le père, les ancêtres) que renvoie l'étymologie latine du terme "patrimoine", et, sur ce plan, que ces "pères" soient des "grandsmères" n'y change rien : chaque fois que l'humanité a subi une sacralisation du patrimoine, la stabilité du système dominant s'en est trouvée renforcée.

Cela explique la synergie actuelle du pouvoir avec des représentants d'associations diverses de défense des racines culturelles et la facilité avec laquelle il peut leur accorder de doubler les plaques de rue en un patois improbable, leur octroyer des subventions, voire financer la construction d'édifices religieux. En France les députés, dont la majorité est, faut-il le rappeler, sarkozyste (et donc parfaitement réactionnaire) ont même voté récemment une loi de reconnaissance de langues régionales dans le patrimoine national. En politique la "reconnaissance" n'est pas un terme innocent. C'est une pratique héritée de la féodalité : celui qui reconnaît est ainsi sûr d'être reconnu en retour.

La marche des beurs

S'il fallait citer une date qui marque ce tournant, cet abandon de la critique sociale au profit d'un repli communautaire, on pourrait la fixer aux réactions qui ont suivi la première marche des beurs (1983). Cette marche avait pris comme slogan le mélange : "La France c'est comme une mobylette, pour avancer il lui faut du mélange." Cette idée, qu'une société se construit par mélange, était très juste. C'est d'ailleurs pourquoi les élites de toutes obédiences politiques et religieuses se sont dépêchées de récupérer ce mouvement d'origine spontané et populaire et de transformer son objectif : il fallait faire abandonner le mélange au profit des "pluralités culturelles".

On ne peut se donner ses propres règles de vie quand certaines qui seraient immuables. Toute capacité d'autonomie est une capacité de renouvellement. Cette capacité contient par définition la critique possible des vérités existantes. Elle fait appel à la culture réflexive, à la remise en question. La critique signifie alors un choix. Elle inclut donc l'abolition de certaines pratiques. Or cela est rendu difficile, impossible même, dans une société qui renforce un sentiment de respect pour tout ce qui est ancestral et qui forme autant de blocs : blocs émotionnels (la vue du drapeau fait monter une larme, l'hymne donne la chair de poule,…), bloc de préjugés ("morale",… ), d'attitudes
comportementales stéréotypées (autour de la sexualité, de l'alimentation, du vêtement…).

Quand Victor Hugo, témoin de la révolution introduite par Pasteur en biologie, écrivait "La science avance en se raturant", il résumait parfaitement le processus de création-destruction qui est le propre du mouvement culturel réflexif et même le propre de la vie. Les langues elles-mêmes, base pourtant de l'adoration culturelle, n'échappent pas à ce processus. C'est de la destruction du latin que sont sorties les langues romanes. Si les traditionalistes de l'époque avaient réussi leur coup, ni le catalan, ni l'italien, ni le roumain, ni le français, ni tant d'autres dialectes… n'auraient vu le jour et ... l'anglais en aurait été tout différent ! Les langues donc sont issues de la destruction de celles qui les ont précédées et du mélange, à toutes les époques, avec leurs voisines (et parfois même avec des idiomes lointains). Elles ne sont pas issues du conservatisme et de l'obscurantismesnécessaires au pouvoir.

La pluralité culturelle, c'est l'apartheid

Cette notion d'échange culturel, de mélange donc, est parfaitement opposée aux intérêts politiques et religieux qui prônent la conservation des cultures. Un échange culturel suppose qu'on accepte une modification, parfois substantielle, qu'on accepte une critique, un apport, un nouvel éclairage. Au contraire, le communautarisme vise la préservation d'un produit culturel tel qu'il s'est figé à un moment donné. Cette volonté de préservation tend à rendre impossible tout échange dans l'avenir. La fameuse "pluralité culturelle" se traduit par une juxtaposition de communautés. Comme ces ensembles communautaristes sont en fait le résultat des sommes des frustrations-compensations dirigées par d'habiles opportunistes, il n'y a jamais d'échange réel qui aille au-delà du folklore (musical ou autre), et tout se passe dans le blocage et souvent dans la confrontation.

La conséquence est double : d'une part la division identitaire aboutit, comme au beau temps de l'apartheid, à une pratique du "développement séparé" (qui fait que le "citoyen" n'est pas pareillement traité par les autorités à Neuilly ou aux Minguettes), mais aussi et surtout à
l'incapacité psychologique de pouvoir concevoir les choses autrement que comme elles existent. Le pouvoir a su faire preuve d'habileté. Au nom du respect des cultures, il n'est plus question d'abolir (le vilain mot !), il n'est question que de conserver. Ce conservatisme imbibe toute la vie politique. Toute opposition se doit d'être pensée dans cette continuité.

Loin d'intégrer cette injonction que le système nous fait pour se
préserver, sachons affirmer que le passé, le patrimoine, la fameuse culture dans laquelle on voudrait nous enfermer et enfin le capitalisme et l'Etat ne sont pas des horizons indépassables. Loin de tous les conservatismes, affirmons, avec un de ceux de nos compagnons qui firent la révolution du 19 juillet 1936 : "Nous n'avons pas peur des ruines, nous portons un monde nouveau dans nos coeurs."

Un militant CNT-AIT de Toulouse

_1.- Voir l'article "Nationales, régionales ou ethniques, les "identités" sont une arme du pouvoir", Anarchosyndicalisme ! N°106.

http://www.cntaittoulouse.lautre.net/ar ... 45&lang=fr

_2.- Ainsi, certains sourds revendiquent une culture spécifique et avancent le concept de "culture sourde".

_3.- Parmi les multiples sens du mot, un désigne les connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le goût, le jugement ; l'autre sens désigne les formes de comportement acquises dans une société donnée.

_4.- Le fait que les mouvements identitaires voient dans les "Lumières" un de leurs principaux ennemis, ne les empêchent pas de récupérer une partie du vocabulaire…

======================
Paru dans Anarchosyndicalisme ! #107

En ligne ici :

http://www.cntaittoulouse.lautre.net/se ... =1&lang=fr

Envoi du format papier sur simple demande à

CNT AIT
7 rue St Rémésy
31000 TOULOUSE

(on peut aussi s'abonner, 10 euros ou plus en soutien)

Forum : http://cnt.ait.caen.free.fr/forum
Capitalismo delenda est
NOSOTROS
 
Messages: 3774
Inscription: Jeudi 18 Oct 2007 1:15



Retourner vers Discussions diverses