Culture Prolétarienne

Mille-feuilles à tendance séditieuse.

Culture Prolétarienne

Messagepar Léa » Lundi 25 Avr 2005 13:25

Dans un autre sujet et une autre rubrique, en parlant "de la loi d'airain" appliquée non pas au salaire, mais à l'immobilier, on peut aussi trouver des auteurs qui ont fait la corrélation de cette loi d'airain avec l'instruction, l'éducation, la culture, etc...

CULTURE PROLETARIENNE
Marcel Martinet, AGONE, 2004, www.agone.org

La loi d'airain de l'instruction.
L'enfant du peuple sort de l'école sachant lire, et c'est tout.


Tout cela est senti avec force, justement pensé, clairement dit. Et nous trouvons là plusieurs raisons et principes de première valeur de toute culture populaire.
Le fait initial est que la classe ouvrière n'a pas en main les instruments de son éducation.
La bourgeoisie ne les lui a pas donnés ; elle s'en est bien gardée. Si l'on distingue le fond sous l'apparence, on voit qu'elle a fait pire : sous le couvert de sa phraséologie démocratique, la bourgeoisie a sournoisement imposé au prolétariat, en matière d'éducation comme en toute autre, les instruments de sa propre domination sur le prolétariat.
Beau travail et qui, bien entendu, n'aurait pas pu être effectué sans mensonge. Le mensonge n'a pas manqué ; il a, en particulier, décoré de magnifiques couleurs la réalité de l'enseignement gratuit et obligatoire.
Ne parlons même pas de la première répartition, de l'inexpiable répartition horizontale de la société devant les deux ordres d'enseignement, le secondaire et le primaire. C'est, devant l'enfant, l'apparition saisissante de la lutte des classes, le premier des " silences pauvres " qui accompagneront l'existence du prolétaire jusqu'à la mort tant que durera le capitalisme. Privilège si monstrueux, aveu si criant des réalités féodales de nos sociétés, que les bénéficiaires n'osent plus le défendre en face. N'examinons que l'enseignement primaire, l'enseignement concédé au peuple par les riches.
Il existe une loi d'airain de l'instruction, comme il existe une loi d'airain des salaires. La société bourgeoise salarie le prolétaire suivant une courbe qui traduit, selon les temps et les circonstances, les besoins de la subsistance et de la reproduction. Elle lui dispense dans la même mesure une instruction proportionnée au profit qu'elle veut tirer de lui. Et cette loi de concordance tragique, si dissimulée soit-elle, subit peut-être moins d'à-coups en ce qui concerne l'instruction qu'en ce qui concerne le salaire.
Aujourd'hui, malgré une régression due au retour à la barbarie causé par la guerre, la plupart des Français savent lire, et grossièrement gribouiller et compter. Le développe-ment de la civilisation mécanique a en plus provoqué un développement de l'enseignement professionnel, destiné à fournir la pâture au monstre ; phénomène très limité et qui ne fait que confirmer la règle.
En dehors de cela, si actuellement nous négligeons des exceptions individuelles, rien. Le zèle des instituteurs n'est pas en cause ; il est forcément impuissant contre la machine infernale qu'ils doivent servir. L'enfant du peuple sort de l'école sachant lire. Et c'est tout. Les quelques notions qu'il a pu acquérir durant sa scolarité ne comptent guère, car en moins de dix ans elles se seront, dans les cas moyens, évaporées.
Vue pessimiste ? Il faudrait une grande puissance d'illusion, ou une grande ignorance des réalités, ou un grand désir de tromper, pour trouver ce pessimisme exagéré.
On pourrait ajouter, par indulgence, que l'enfant aura retiré de ses maigres études, de la gymnastique élémentaire à laquelle elles l'ont soumis, quelque élasticité d'esprit, une vision un peu plus ouverte. Mais cela est bien combattu par le durcissement, par le rétrécissement qui sont pour le jeune cerveau le résultat d'une culture sommaire, de l'absorption des grossières nourritures imposées par les programmes. Il faut le bon sens et la souplesse naturelle de l'esprit populaire pour résister à la paresse et à la suffisance développées par un enseignement rare et indigeste.
Quand la République vante, entre tous ses bienfaits, les bienfaits de son école, la réalité répond oui, ils savent lire.
Et c'est tout
Quelle est la valeur d'une telle instruction? Misère de la culture concédée au peuple

Ils savent lire et c'est tout. Est-ce un bienfait ? Dans les conditions actuelles, il n'est aucunement paradoxal de prétendre que la diffusion d'une instruction aussi misérable est un mal autant qu'un bien, souvent un mal plutôt qu'un bien.
Que lit-il, l'homme qui sait lire, qui ne sait que lire ? Il lit le grand abrutisseur des masses, le journal. Le paysan illettré, l'artisan d'autrefois pouvaient penser par eux-mêmes. Un homme d'aujourd'hui, le crâne bourré par son journal, pense ce que son journal veut qu'il pense. Bien entendu, la machine sociale est assez habilement réglée pour que le journal qui atteint la presque unanimité du peuple, Petit Idiot ou feuille locale, répande partout une opinion unique, l'opinion officielle, orthodoxe, le plus hideux triomphe de la médiocratie. Et c'est la même canaille de politique et de presse qui accuse les révolutionnaires de vouloir niveler l'intelligence, elle qui vit de cette exploitation en grand de la sottise, d'un modèle uniforme de sottise
Le résultat de cette instruction prostitue, on l'a vu pendant la guerre, surtout aux premiers mois quarante millions d'êtres humains, pour ne parler que de notre pays, se jetant, contre la plus simple humanité, contre leurs plus clairs intérêts, sur les plus évidents et les plus criminels mensonges. Certes l'ignorance, modeste et capable de réflexion, valait mieux qu'une telle science. Le pire ennemi de l'intelligence, le pire ennemi de la révolution, aujourd'hui ce n'est plus l'ignorance, mais l'instruction faussée, tronquée, truquée, telle que la société bourgeoise la donne au peuple.
Le peuple aujourd'hui ne peut plus accepter d'illusions. Il est trop ambitieux de conquérir, il a trop tenté toutes les avenues de la conquête, il a été aussi trop dupé, trop déçu par toutes les sortes de promesses non tenues il sait que son salut ne lui viendra que de lui-même.
On ne tient jamais bien, socialement, ce qu'on a reçu en don. Ce que tu as hérité de tes pères, dit le Faust de Goethe, acquiers-le, pour le posséder. On ne possède que ce qu'on a désiré fortement, obtenu et mérité de conserver par l'effort tenace, la lutte et le sacrifice. Mais il n'est pas à craindre que la bourgeoisie fasse au peuple le cadeau de la culture.
Le voudrait-elle qu'elle ne le pourrait pas. Parce qu'elle ne connaît pas le peuple : elle le méprise et elle a peur de lui, elle ne le connaît pas. Parce qu'elle-même ne retient plus que des lambeaux défraîchis de son ancienne culture ; travaillée par le désordre économique, moralement disqualifié, elle perd de plus en plus la faculté de perpétuelle réparation, de perpétuelle recréation qui fait les civilisations. Mais tout ce qui reste en elle d'énergie s'applique précisément à corrompre le peuple ici comme ailleurs, à lui donner pour éducation les rinçures de sa vaisselle d'or ébréchée. Elle sait que le prolétariat veut la place et l'arrachera peut-être, par la force, à ses mains épuisées ; mais elle sait que, lorsque le prolétariat sera instruit, alors seulement elle mourra.
Le prolétariat sent-il la nécessité de s'instruire ? Nous l'avons vu la proie du quotidien meurtrier. Que lit-il d'autre.
Il sort de l'école avec le dégoût de l'école. Point de pont entre ce temps d'instruction livresque et la nouvelle vie du travail qui le happe. D'ailleurs que lirait-il ? Pendant quelques années d'adolescence, il avalera l'immonde littérature enfantine, petits illustrés et romans à bon marché, qui, de l'imbécillité bien pensante et patriotique à l'imbécillité pornographique, empoisonne profondément les jeunes générations. Ensuite, plus rien. Nous parlons toujours, cela va de soi, de la généralité des cas. Or c'est un fait qu'on lit de moins en moins en France. Entre autres causes que ce n'est pas ici le lieu d'étudier, la cherté des livres en est une importante pour la classe ouvrière. Mais il en est d'autres, et de plus graves. Et aujourd'hui un peuple qui ne lit pas est un peuple au cerveau mort, à l'action morte. Les hommes de 1848 avaient lu, les hommes de 1871 aussi. Ils avaient lu des livres ; nos quotidiens et nos hebdomadaires ne suppléent pas la revue, et la revue ne supplée pas le livre.
Que faut-il faire
Nos camarades qui fondent le groupe " Savoir ", lassés d'attendre en vain, se mettent en marche tout seuls. Ils ont raison. Recherchons cependant s'il n'y a pas quelques idées de base, quelques directions où se réuniraient les efforts.
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