A trop courber l'échine, n°18

Mille-feuilles à tendance séditieuse.

A trop courber l'échine, n°18

Messagepar miguelito » Mardi 20 Juin 2006 8:38

Mort à l’économie !
Vive le parti de la révolte !

Il est dangereux de laisser trop longtemps des étudiants bloquer leur université.
On se rassure en se disant qu’il n’y a pas là de perte majeure pour l’économie.
Pourtant, il n’est pas de pire calamité pour les gouvernements que cette bonne
nouvelle qu’il s’agit maintenant, pour nous grévistes, d’annoncer à qui l’ignore
encore. Nous avons durablement pris goût à cette situation d’exception qu’est la
grève. Il n’y a jamais eu pour nous de joie commune, de liberté politique plus
grande. L’interruption illimitée de la production a fait naître le désir de ne
jamais s’arrêter, d’étendre cette liberté et d’abattre ce qui l’entrave. Le
mouvement nous a appris que nul mode de vie n’est en soi une forme de lutte, que
nul engagement politique individuel n’est capable à lui seul de dépasser la
médiocrité de l’existence libérale contemporaine. Aujourd’hui pour la plupart des
grévistes, vivre et lutter ne font plus qu’un.
Extrait d’un tract diffusé à Rennes le 27 mars 2006


Nous commencions à peine à écrire les premières lignes de ce qui devait être le n°18 de notre bulletin quand les évènements vinrent bouleverser le cours des choses. C’est avec un réel plaisir et une grande détermination que nous avons pris part à la lutte. L’enterrement de celle-ci a été annoncé par tous les médias sitôt le retrait du CPE annoncé. Et il est vrai que nous avons vu les universités se débloquer les unes après les autres. Les manifestations, qui ont pris parfois des formes émeutières comme dans notre ville de Rouen, ont été désertées par tous ceux qui préfèrent encore retourner à leurs habitudes mortifères. Au contraire, nous avons connu ces dernières semaines une suspension de la normalité : la grève, l’occupation, l’émeute, la libre discussion, l’élaboration commune d’une pensée et de pratiques de sécession avec le morne quotidien, tout cela constitue une véritable joie et nourrit davantage notre volonté et notre désir d’en finir avec ce monde.

Ce qui est d’autant plus réjouissant, c’est de constater combien notre démarche à pu peser sur le cours des évènements. C’est de constater que nos analyses sont justes, qu’il existe dans un pays comme la France une force qui émerge et qui rejette le carcan des vieilles rengaines politiciennes. Dans de nombreuses villes, nous avons vu apparaître la « tendance ni CPE, ni CDI » qui manifeste l’envie de porter radicalement la lutte bien au-delà des misérables revendications de syndicalistes, qui reprend à son compte des pratiques autonomes, qui rejette l’idée d’être cantonnée dans des rôles ou des identités détestables (à commencer par celle de l’étudiant), qui attaque le discours médiatico-politique visant à stigmatiser les « casseurs » et à séparer ces derniers des « bons manifestants ». Avec l’apparition de cette force, nous avons également vu ressurgir les vieilles pratiques de ceux qui ont un quelconque intérêt à maintenir ce monde : aux traditionnelles pratiques policières et judiciaires (violences à notre encontre, faux témoignages, intimidations) viennent s’ajouter les magouilles des politiciens et des syndicats (délation, rumeur, désinformation, calomnies, tentative de récupération et de division, agressions physiques et verbales avec la réapparition des services d’ordre). Les conservateurs de ce monde pourri n’en sont pas à une contradiction prêt, eux qui reprochaient à certains d’entre-nous de ne pas être inscrits à la fac, voulant par cela réduire cette lutte à un pauvre mouvement étudiant, tandis que les militants de l’UMP insistaient sur le fait que finalement le CPE ne concernait pas les étudiants. Par où l’on voit combien les vieilles organisations préposées à la révolte sont engluées
dans leur passé d’échecs et leur incommensurable trouille de tout ce qui est sauvage et autonome, faisant preuve de bien moins d’intelligence, d’imagination, d’audace et de volonté que ceux qui se révoltent réellement et sincèrement. Il ne faut bien évidemment pas oublier le poids de la majorité silencieuse que les salauds nommés plus haut tentent toujours d’utiliser en leur faveur.

Face à tous ces dispositifs ennemis, le mouvement radical a su répondre sans jamais baisser les bras, ce qui est de fort bon augure pour le long terme : il est évident que les liens tissés au cours de cette lutte et que les actes et les idées qui ont été librement communisés, laisseront des traces. Quand un mouvement d’une telle ampleur et d’une telle intensité voit le jour, l’idée de tout retour à la situation normale ne peut qu’être combattue le plus vigoureusement possible. Il y a fort à parier pour que de toute façon les choses n’en restent pas là : déjà le mouvement contre le CPE fait écho aux émeutes « de banlieues » du mois d’octobre 2005. Dans le même sens, la vieille Europe est le terrain de luttes aux formes radicales qui semblent se répondre les unes aux autres : lutte contre la ligne TGV Lyon-Turin, lutte contre les lignes de hautes tensions en Catalogne, sabotages clandestins d’agences de l’ANPE ou destruction du centre de détention pour mineur de Lavaur en France, pour ne citer que ces quelques exemples. Ajoutons que les réformes des gestionnaires actuellement au pouvoir offrent encore aux plus timorés et aux indécis une multitude de prétextes pour descendre dans la rue.

Notre but n’est pas de faire un bilan de ce mouvement, ni d’en parler au passé afin de mieux l’enterrer. On ne trouvera donc sous notre plume ni autocongratulation ni fausse modestie. Nous ne versons ni dans l’optimisme ni dans le pessimisme. Nous voulons simplement témoigner de ce que nous avons vécu, et remettre sur le tapis les idées qui sont débattues au sein du parti des ennemis de ce monde et de réfléchir à leurs usages possibles. Ainsi, nous entendons faire vivre et donner consistance aux idées qui ont émergé ; nous comptons bien poursuivre le débat et la confrontation au sein même du parti des révoltés afin d’œuvrer à leur réalisation.



Démocratie, légalité, sécurité, conflictualité

Notre lutte à mis en évidence un trait essentiel : le caractère anti-démocratique de l’action politique. Il s’agit plus d’une réelle opposition que d’une simple incompatibilité. La grève, l’occupation, le blocage, l’émeute, le sabotage, la manifestation ou l’autoréduction sont autant de formes d’action qui ne sont pas démocratiques. Durant la lutte anti-CPE, nous avons vu comment l’argument démocratique nous était opposé afin de mettre à mal notre action. Il s’agit pour tous les démocrates de se poser en tant que détenteurs du sacro-saint intérêt général, celui du peuple (démos) dont nous connaissons toutes les difficultés pour le définir. Au cœur même de la lutte on a tenté d’arrêter notre élan sous prétexte que nous étions minoritaires, on a voulu ridiculiser nos positions au motif qu’elles n’étaient pas partagées ou pas comprises par tous. Mais notre action n’a pas pour but de mettre tout le monde d’accord. La lutte politique consiste justement à faire surgir les désaccords, à entretenir le débat. C’est de cette conflictualité là, de ce rapport de force, que quelque chose doit sortir ; tandis que la position démocratique se réduit au final à n’être que l’expression de la paralysie des positions en présence au profit d’un consensus sur la base du plus grand dénominateur commun, c’est-à-dire sur la base la plus pauvre et la moins efficace qui soit.

Nous voyons combien l’argument démocratique n’est qu’un argument d’autorité. Il se pose comme LA légitimité. On voudrait faire croire que notre position n’est que pure opportunisme : étant minoritaires, nous avons tout intérêt à prétendre que la politique n’est pas question de majorité. Jusque dans notre camp certains tergiversent et posent la question de manière erronée : ils défendent la vraie démocratie, la démocratie directe, s’en prenant à tous les faux ou les défaillants défenseurs de la démocratie. Contrairement à ce qu’ils affirment, la démocratie ne fait pas disparaître les chefs et l’autorité, au contraire, elle permet de dissimuler les enjeux de pouvoir. La liberté – en tant qu’affirmation de notre puissance – n’est pas non plus donnée par la démocratie. « Le siècle de la démocratie qui, dans la guerre, a vaincu les dictatures, dans la paix, ne donne pas de liberté » Mario Tronti. La démocratie victorieuse tue les passions et la conflictualité.
Mais la démocratie nous est étrangère car c’est toujours de l’extérieur qu’elle vient nous recouvrir, et cet extérieur c’est bien la souveraineté, la gouvernance, l’autorité. La démocratie est une technique de pouvoir, une technique de gestion ou d’autogestion des corps nus, égaux et séparés. Et comme a priori personne n’est jamais détaché de ses inclinations, d’une manière propre d’être au monde et de se lier aux autres, la fonction de la démocratie est bien d’écraser toute éthique, toute irréductibilité. Du moins, elle les fait disparaître afin que chaque être soit suffisamment diminué pour pouvoir rentrer dans la petite case qui l’attend à côté d’autres petites cases, de millions de petites cases. La démocratie est à la politique ce que les HLM sont au logement.

Malgré toutes les difficultés de compréhension que nous rencontrons, nous préférons au contraire prendre parti, affirmer jusqu’au bout notre position quitte à devoir batailler davantage. On ne peut plus nous faire ce coup de l’intérêt général qui est avant tout une affaire de gestionnaires et de gouvernants. Nous prenons acte que certains sont opposés à nos idées comme nous prenons acte que d’autres ne les partagent qu’à moitié. Nous tirons les conclusions qui s’imposent, insensibles aux arguments pacifistes ou unitaires. Si nous jugeons nécessaire l’union de tous ceux qui veulent détruire ce monde, nous ne nous berçons pas d’illusion sur l’improbable unité du genre humain voulant réaliser le paradis sur terre, la paix éternelle, la Grande Démocratie Planétaire. L’idée d’unité, comme celle de consensus, reste l’affirmation d’une volonté d’hégémonie. L’unité consensuelle se fait toujours au profit d’un point de vue qui écrase ou qui nie les différences éthiques. Notre but est avant tout de faire succomber ces vieilles croyances partagées par nombre de ceux qui prétendent vouloir changer le monde et qui sont à l’origine de nos principales illusions. Enfin, face à ceux qui du haut de leurs petits principes démocratiques tentent de nous ridiculiser en nous collant le qualificatif d’extrémistes, nous rétorquons qu’ils sont eux aussi des sortes d’extrémistes : extrémistes du consensus, de la bêtise et du maintien de l’ordre qui les nourrit. La question n’est pas d’être pour ou contre la démocratie, mais consiste à élaborer un vivre ensemble, des existences, dont l’intensité gagne en ampleur. Ce mouvement, cet accroissement de puissance, n’est pas compatible avec ces petites cases démocratiques où l’on veut nous ranger mais il les pulvérise. « La solution aux problèmes de la vie est une manière de vivre qui fasse disparaître les problèmes » Ludwig Wittgenstein. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas, parmi nous, de question de pouvoir. Il y a la question de la puissance, de ce qui l’accroît singulièrement et collectivement, de ce qui l’empoisonne. Où sont les désaccords ? Quel est leur terme, leur achèvement ? Intensifier chaque irréductibilité, jusqu’à l’amour ou la rupture, la camaraderie ou la guerre. Tout ce qui, sous l’écrasement de l’éthique démocratique, reste indéterminé, flottant et flasque, devra bien prendre parti face à la catastrophe ou à l’insurrection. (A l’évidence, si elle est tranchée, cette question de la démocratie n’est pas complètement résolue pour nous, elle doit encore être pensée, éprouvée. Cependant, le dispositif bien-pensant « fascisme ou démocratie » est un coup que l’on ne nous fera plus.)


La conséquence pratique de cette prise de parti - ou tout du moins le signe tangible - se perçoit dans l’usage des moyens employés dans la lutte contre la domination. La première chose qui saute aux yeux, c’est que le recours aux moyens illégaux semble de plus en plus partagé. D’ailleurs, l’Etat ne s’y trompe pas : depuis le mois d’octobre, les interpellations et les gardes à vue se comptent par dizaine de milliers tandis que les incarcérations et autres peines infligées par les tribunaux tombent par centaines. Mais la détermination ne fléchie pas. La rage et la révolte ne se laissent pas impressionnées par ces dispositifs répressifs. Autant dire que les appels au calme lancés par tous les récupérateurs ne sont que de l’huile jetée sur le feu. Nous sentons que nous pouvons faire peur au pouvoir. C’est la raison pour laquelle il nous pourchasse et nous savons très bien que le plus grand risque encouru quand les révoltés passent à l’action est de voir le pouvoir mettre en branle sa machine de guerre. Nous l’avons déjà vu maintes fois faire glisser la guerre civile vers une guerre entre ethnies, religions, états ou autres entités trompeuses. Il n’en reste pas moins que nous devons maintenant faire peur de manière plus efficiente. Il nous apparaît nécessaire de nous défaire de plusieurs choses : du nihilisme porté par une frange de ceux qui participent aux émeutes, de la possibilité d’un encrage de l’émeute dans la normalité quotidienne comme défouloir nécessaire et enfin des discours nauséabonds auxquels d’autres prêtent parfois l’oreille. Ces discours sont essentiellement ceux de l’intégration, du pacifisme et du débat démocratique.
L’idée de débattre démocratiquement, chaque jour, avec les non-grévistes, de la reconduction de la grève est une aberration. La grève n’a jamais été une pratique démocratique, mais une politique du fait accompli, une prise de possession immédiate, un rapport de force. Nul n’a jamais voté l’instauration du capitalisme. Ceux qui prennent parti contre la grève se placent pratiquement de l’autre côté d’une ligne de front, au travers de laquelle nous ne pouvons échanger que des invectives, des coups et des œufs pourris. Face aux référendums mis en place pour casser la grève, il n’y a pas d’autre attitude à adopter que leur annulation par tous les moyens. Communiqué du comité d’occupation de la Sorbonne en exil, Paris.
Nous constatons d’ailleurs comment – par la force des choses – les plus modérés des citoyens en viennent à user de méthodes qu’ils jugent pourtant comme mauvaises. Les actions médiatiques contre les OGM menées à visage découvert ne leurrent personne : bien qu’elles soient effectivement illégales, on leur ôte tout caractère subversif dès lors que le but recherché est la reconnaissance par l’Etat afin que celui-ci légifère. Par contre, d’autres pratiques, beaucoup moins médiatisées mais tout autant illégales, ont cours aujourd’hui. Nous pensons à ces réseaux mis en place afin de soustraire au contrôle policier et judiciaire des personnes en situation irrégulière vis-à-vis des lois de l’Etat (les sans-papiers) La contradiction est donc dans le camp de ceux-là même qui dénoncent par ailleurs notre conception de la lutte.

Cette contradiction s’étend enfin bien au-delà des moyens employés et se retrouve, quoi que de façon moins évidente, jusque dans les revendications. S’il est clair que nous ne revendiquons rien, si ce n’est de manière pratique afin de mettre sur pied la lutte (par exemple, si nous employons le slogan « ni CPE, ni CDI », il est évident que cela ne signifie pas que nous réclamions à l’Etat d’organiser autrement l’exploitation salariée), d’autres ne vivent qu’à travers leurs revendications qui sont autant de doléances faites au pouvoir de la domination. Et ce qui est réclamée ici n’est qu’un besoin de sécurité, la sécurité de l’emploi étant la première mise en avant. Cette revendication du besoin de sécurité se traduit forcément par un désir d’Etat, de contrôle, d’assistance, bref, c’est de la garantie de la survie qu’il est question ici. C’est justement par là que la domination se maintient. Nous voyons combien cette revendication sécuritaire contredit la nécessité de la prise de risque qu’implique la lutte. Le courage face aux dangers de la guerre ne fait pas bon ménage avec le désir de sécurité que porte nombre de nos contemporains.
A cette demande de sécurité, nous opposons la confiance dans la communauté de ceux qui refusent la politique libérale. Et qui pensent que refuser avec conséquence implique d'en finir avec l'isolement de chacun, de mettre en partage moyens matériels, expériences et affects pour rompre avec la logique libérale dont le CPE n'est qu'un symptôme. La question de subvenir à nos besoins devient alors une question collective : celle de constituer entre nous des rapports qui ne soient pas des rapports d'exploitation contractuelle. Et de faire que ce nous ne soit pas celui d'un groupe restreint, mais le nous de l'affirmation révolutionnaire. Appel du 22 février, Rennes.



De l’économie

Le contrat première embauche a été le détonateur de la lutte. Il est donc évident que parmi les questions débattues, le travail tient une place importante. Si beaucoup de personnes ne semblent pas imaginer une seconde pouvoir vivre sans le recours à l’exploitation salariée, il faut tout de même noter que la critique du salariat et du consumérisme rencontre une sympathie de plus en plus large et de plus en plus lucide. Pour autant, l’idée d’en finir totalement avec l’économie reste moins évidente, et des mots d’ordre comme « autogestion » ou « répartition égalitaire des richesses » refont surface à l’occasion de la lutte actuelle.
Il convient de préciser qu’en finir avec l’économie signifie d’abord s’extirper de ses présupposés, s’exprimer en dehors et contre les termes qu’elle façonne. D’autres avant nous ont montré que l’économie est la religion par excellence (cf. les ouvrages de Jean-Pierre Voyer et leur critique par l’ex-Bibliothèque des émeutes/Observatoire de téléologie) (1) En détruisant ce mensonge sur le monde qu’est le discours économiste, nous sommes alors mieux armés pour donner concrètement l’assaut à la domination. Cela étant dit, le blocage des flux économiques a été une pratique fortement partagée au cours de la lutte, signe que l’économie n’apparaît plus comme une évidence incontournable et donc intouchable. Au contraire, c’est une autre évidence qui voit le jour : le système économique prétend que nous dépendons de lui alors que c’est lui qui finalement dépend de nous. Le salariat et le consumérisme ne sont rien d’autre que l’achat de notre résignation.

Cette nécessité que nous énonçons ici est loin d’être partagée par la plupart de nos alliés. Dans notre démarche qui consiste à vouloir faire sécession avec tout ce qui fait croître le désert, il est logique de s’attacher à ruiner cette croyance qui est la mieux partagée du monde. Nous avons commencé cette entreprise en nous attaquant à la division des individus selon l’économie : la division en classes, la division en fonction du travail et des moyens de production. Nous avons tenté de montrer la nécessité de remettre en cause et de briser cette conception pour mieux saper le monde de la domination, car cette division est comme le socle de ce dernier. C’est pourquoi nous jugeons nécessaire d’aller plus loin que la critique de la division du monde en classes, en nous en prenant à l’existence même de l’économie ou, pour être plus précis, à la réalité à laquelle renvoie le concept d’économie. Nous convenons sans peine que ce que nous avons pu écrire, lorsque nous développions notre critique de la société industrielle, était encore trop englué dans des conceptions économistes. Nous nous souvenons avoir disserté sur le travail en ramenant toujours l’enjeu à la satisfaction des besoins. De ce fait, la remise en cause de l’économie n’a jamais été qu’effleurée. Voilà un point essentiel sur lequel notre pensée a évolué.

Depuis un certain temps, nous recevons des textes qui circulent dans les milieux libertaires ainsi que dans les divers cercles se réclamant de l’écologie radicale ou de la décroissance. Parmi ces textes, il en est un auquel nous souhaitions apporter une réponse car la lecture que nous en faisons soulève un tas de questions fondamentales à nos yeux. Nous profitons donc de cette occasion offerte par la lutte contre les réformes du salariat pour livrer nos commentaires du texte d’Alain-Claude Galtié. Ce texte est intitulé Renversement et rétablissement de la culture conviviale (2).

Pour parler du sens de l’économie, l’auteur avance d’abord que « la vie consomme de la matière et de l’énergie pour maintenir un ordre dynamique, évoluer et produire de la satisfaction. Toute l’économie est là, et rien de moins. » Cette affirmation est lourde de conséquences : elle réduit la vie à l’économie, faisant des deux termes une sorte d’équivalence ou de synonymie. Qui plus est, elle résume l’activité du vivant aux deux opérations éminemment économiques : consommer et produire. Alain-Claude Galtié nous précise un peu plus loin que par économie il entend organisation, et plus précisément organisation de la nature. Il reproche aux économistes de métiers, ainsi qu’aux industriels, financiers, gouvernants, syndicats et institutions internationales, de ne s’occuper que d’une portion du processus économique qui n’est pas pensée en perspective avec cette économie de la nature.

En tout premier lieu, rappelons que l’étymologie du mot économie signifie littéralement « administration de la maison ». L’extension du sens de ce terme à l’ensemble de la gestion des conditions de la survie d’une société est une première extrapolation. Le fait de l’étendre à l’ensemble de la vie en est une seconde. Nous verrons que l’économie, comme toute chose que nous pensons, est une manière de considérer le monde et notre existence. L’opération de Galtié est finalement assez simple : dans un premier temps, il confond vie, économie et nature. Cela posé, nous avons une anthropologie, une anthropologie positive : « l’homme, la vie, c’est ça !». D’où découle assez logiquement la perception occidentale du monde : d’un côté il y a l’homme et ses besoins, de l’autre la nature et ses dangers, il ne manque plus que l’économie pour médier tout ça. « L’homme au monde » c’est l’homo economicus. Chaque jour passé au sein du désastre de la civilisation nous prouve à quel point ce cheminement logique est efficace. Il va sans dire qu’une fois la vie définie comme économie, il n’y a plus qu’à être de bons managers. Après s’être constitué en sujet face au monde des objets, l’ironie du sort veut que l’homme en arrive à se considérer lui-même comme un objet. Ce qu’il y a d’horrible dans la conception de la vie de Galtié ce n’est pas qu’il ait tord mais au contraire, qu’il ait terriblement raison. Raison avec cette époque. Cependant, comme l’a écrit Paul Feyerabend, « la nature ne nous dit que ce que nous lui faisons dire ». Nous pensons contrairement à Galtié, que ce plan de perception du monde, de la vie, n’est pas universel, ce n’en est qu’un parmi tant d’autres, un parti pris finalement. Bien évidemment, c’est celui qui, depuis Aristote, est parvenu à instaurer son hégémonie en occident. C’est parce qu’elle est un obstacle fondamental à l’élaboration du communisme que nous détruirons cette métaphysique occidentale.

Parler de la vie comme le fait Alain-Claude Galtié interdit de la penser d’un point de vue politique, c’est-à-dire d’un point de vue éthique. Dans plusieurs de ces textes réunis dans le recueil portant le titre Moyens sans fins, Giorgio Agamben rappelle que « les Grecs n’avaient pas un terme unique pour exprimer ce que nous entendons par le mot vie. Ils utilisaient deux termes sémantiquement et morphologiquement distincts : zoé, qui exprimait le simple fait de vivre commun à tous les vivants (animaux, hommes ou dieux), et bios, qui signifiait la forme ou la manière de vivre propre à un individu ou à un groupe. »
Agamben emploie le terme de forme-de-vie afin de désigner une vie qui ne peut jamais être séparée de sa forme, une vie dont il n’est jamais possible d’isoler quelque chose comme une vie nue. Pour notre part, nous avons souvent dit que la question politique essentielle était : quelle vie mérite d’être vécue ? Il va donc de soi que la vie ne peut être réduite à la survie, c’est-à-dire aux seules fonctions biologiques, à la subsistance. Ceux qui opèrent cette réduction sont acculés à effectivement tout percevoir en termes économiques. Mais il n’y a jamais de besoins ou de nécessités purs, isolés de la vie, de ses formes. La vie biologique est un mirage idéologique. Il n’y a qu’au moment où la vie a été parfaitement dépecée de toute forme, minutieusement séparée en fonctions sociales et biologiques que se pose l’affirmation balourde « Il faut bien manger ! ». Comme si d’un seul coup, il y avait quoi que ce soit de commun entre le bloom métropolitain qui s’empiffre de sneakers acheté dans un supermarché, le paysan africain qui mange du blé au cours d’un rituel mystique, et le partisan espagnol qui croque un quignon de pain dans une tranchée. Ces trois expériences seraient toutes trois fondamentalement la même: remplir un estomac. L’homo economicus a des besoins et doit y répondre. Une fois cette évidence posée, il n’y a, de nouveau, pas d’autre choix que de formuler nos vies dans des termes économiques et d’organiser le monde économiquement.
Et tout ceci n’est pas une pirouette primitiviste pour éluder la question de comment nous mangeons, comment nous habitons. Ce que nous disons, c’est que ces questions ne sont jamais isolables de celle plus générale : comment nous vivons ? Pour nous le communisme, c’est l’expérience de l’inséparation, le libre jeu entre les forme-de-vies. C'est-à-dire ce moment d’intensité collective où il n’est plus possible d’isoler, de séparer, ce qui constitue la vie.
Certains camarades ont déjà dit qu’il n’y avait pas de transition vers le communisme mais le communisme en tant qu’expérimentation. C'est-à-dire que nous ne considérons pas le communisme comme le paradis dont nous devrions attendre l’avènement mais comme une possibilité ici et maintenant. Plus qu’une possibilité, c’est stratégiquement une nécessité. Nous n’attendrons pas l’effondrement du capital pour commencer à élaborer les existences que nous voulons, pour connaître le bonheur.
Nous l’avons dit, nous avons commencé. Nous nous réapproprions les moyens et les savoirs afin de constituer notre autonomie matérielle. Il s’agit de trouver les moyens de produire d’un même mouvement les conditions de sa subsistance et celle de son existence, de sa forme de vie. Car la réappropriation n’est pas un but en soi, ce que nous visons c’est l’élaboration d’une force destinée à attaquer ce monde afin de l’affaiblir et de le détruire. Une partie de l’ultra-gauche, décidée à attendre le grand soir pour commencer à vivre, nous a taxé d’alternativistes. Nous pensons au contraire que la constitution d’une force matérielle nous permet d’accroître notre puissance, c’est à dire notre capacité de nuisance dans cette époque, l’incompatibilité éthique de nos existences avec le monde du capital.
Tandis que la conception capitaliste des choses – laquelle consiste donc à nous cantonner dans la prééminence des affaires liées à la survie - s’est imposée à tous, y compris à ses ennemis, nous réaffirmons la primordialité de la question politique, de la guerre opposant les humains à partir des distinctions éthiques. Toutes les tendances de gauche, prétendument révolutionnaires ou objectivement réformistes, l’ensemble du mouvement anarchiste et des écologistes, perpétuent la pensée inculquée par les conceptions bourgeoises destinées à nous faire croire en l’économie et donc à borner notre horizon aux seules questions de la survie. Encore une fois, si nous ne nions pas la nécessité de survivre pour pouvoir mener le combat, nous pensons qu’il est impossible d’occulter cette nécessité de développer notre force et nos idées afin de les mener à leur terme, ce qui implique le fait de devoir prendre des risques, de mettre sa vie et sa liberté en jeu. Car vouloir régler la question de la satisfaction des besoins est une bien belle chose, mais il faut répondre à la question suivante : pour quoi faire ? Peut-être que certains seraient pleinement satisfaits de voir réaliser une société dans laquelle chacun mange à sa faim. (Si, comme le déclare Alain-Claude Galtié, la vie produit de la satisfaction, nous nous demandons de quelle satisfaction il s’agit ?) Pour notre part, notre insatisfaction resterait entière. Nous ne sommes pas que des ventres. Quant à ceux qui jugent prétentieux et dangereux l’acceptation de devoir mettre en danger sa vie, nous rétorquons que l’humanité est soumise à une multitude de dangers sous prétexte d’assumer sa survie. Ces risques encourus sont totalement délirants et ne sont aucunement maîtrisés par l’humanité, au contraire de la démarche politique qui est la manifestation de la liberté.

Alain-Claude Galtié nous surprend quand il reproche aux économistes de ne pas tenir compte de la philosophie de l’intérêt général et d’oublier la consommation de capital non renouvelable. Nous sommes assez stupéfaits de lire sous sa plume des expressions comme « l’aveuglement et l’incompétence des économistes officiels » Veut-il voir apparaître des économistes lucides et compétents ? Quant à parler de « capital non renouvelable », voilà un trait caractéristique de la pensée économiste : réduire tout ce qui est à du capital, à quelque chose de gérable. Dans la même veine, l’auteur use de termes comme celui de « citoyen » ou bien n’accepte pas que les petites organisations soient exclues des décisions. Pourtant, ce qu’Alain-Claude Galtié défend, ce sont les communaux, ces biens – des terres le plus souvent – dont l’usage était jadis partagé par l’ensemble de la population d’une localité. Or, il y a dans la défense de ces communaux quelque chose d’intéressant et qui rejoint notre conception de la lutte. Au-delà du fait qu’il est question ici de réappropriation de moyens de subsistance, c’est ici que se pose la question du communisme. Nous avons déjà dit que nous entendions vivre le communisme ici et maintenant. Nous voulons partager un commun dont nous avons été dépossédés par la société marchande et l’Etat. Ce commun est bien plus vaste que le simple usage de terre, d’outils ou autres moyens. La question communiste consiste à faire avancer une force matérielle qui permette la communisation des savoirs, des idées, des affects et qui fasse coïncider le vivre et le lutter. De cette façon, la question de la survie n’est pas occultée mais elle s’imbrique dans une démarche qui la dépasse largement et qui met au centre des préoccupations le politique.

Alain-Claude Galtié défend la convivialité. Dans une certaine mesure, nous la défendons également. Mais pas dans le même sens que lui qui la défend comme étant quelque chose de démocratique. Il nous parle d’empathie à développer pour les autres. Voilà toute l’abstraction démocratique à l’œuvre. La convivialité que nous sommes enclins à défendre se connaît d’emblée des ennemis. Nous n’avons aucun intérêt à vouloir à tout prix pactiser avec tout le monde. Notre empathie est basée sur les idées avancées dans le débat politique. Et ce débat là est aussi une guerre, une guerre que nous entendons gagner. La question du vivre ensemble ne peut être posée de manière abstraite. Elle s’inscrit au cœur d’une démarche qui consiste à affirmer un certain nombre de choses qui engendrent désaccords, débats, réflexions, émotions, etc. Au détour d’une phrase, Galtié dénonce l’usage de la violence pour mettre en place les utopies. Nous pensons que parler de la violence comme quelque chose d’abstrait, avec tout le côté moralisateur que cela induit, occulte les véritables enjeux. Encore une fois, nous sommes en guerre. On peut toujours se voiler la face, c’est un fait. Dans cette guerre, nous prenons position. La neutralité n’existe pas. Toute la misère de la culture démocratique réside dans cette tentative de dissimuler la conflictualité en nous berçant d’illusions quant à une hypothétique paix universelle. Le plus fort dans tout cela c’est que les démocrates finissent toujours par réintroduire une idée du contrôle, et Galtié n’échappe pas à la règle quand il parle de « contrôler les dérives idéologiques et les projets qui risqueraient de parasiter la société ». C’est toujours à une certaine forme de gestion et de gouvernance que l’on veut nous ramener. En somme, le vivre ensemble est réduit à un « vivre en compagnie » dans lequel il faut bien s’accommoder de ce qui pourtant nous dérange et le tolérer. Il n’est donc pas étonnant que les propositions avancées restent tributaires de la vision dominante : on nous propose de réorienter l’économie et le politique, on nous parle de décroissance, de relocalisation, d’intérêt général, bref, de toutes ces idées humanistes et progressistes…

Malgré toutes les critiques que nous lui adressons, nous pensons sincèrement que la vision défendue par Alain-Claude Galtié et par d’autres contient de nombreux points communs avec la nôtre. L’idée de débattre de notre usage du monde et d’établir quelque chose de commun est sans doute la plus importante. Par contre, nous pensons tout autant sincèrement qu’il convient de se débarrasser de toutes les concessions encore faites à une conception éculée de l’existence et de la lutte pour que des réalisations tangibles aptes à mettre à mal la domination puissent découlées d’une élaboration commune.

Notes :
(1) De Jean-Pierre Voyer, cf. Une enquête sur la nature et les causes de la misère des gens et Rapport sur l’état des illusions dans notre parti De la bibliothèque des émeutes/observatoire de téléologie, cf. La naissance d’une idée publiée par les éditions Belles émotions – B.P. 40302 – 75464 PARIS cedex10
(2) le texte d’Alain-Claude Galtié est édité par l’association Pli Zetwal dont l’adresse est – Coppéré – 42830 St Priest la Prugne

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Gâtisme et agonie

Les résignés de l’automutilation ne détestent pas
les affirmations révolutionnaires de la jeunesse parce
qu’ils seraient faussement informés à leur propos par le spectacle :
mais bien plus profondément parce qu’ils sont spectateurs.

Guy Debord, Sur l’incendie de Saint-Laurent-du Pont, 1971



Cela a plusieurs fois été évoqué dans ce bulletin, nous avons participé ces deux dernières années à la constitution d’une certaine Coordination Contre la Société Nucléaire. Malheureusement pour nous, notre participation a toujours été mue par le désir que quelque chose en naisse et non dans la perversion voyeuriste d’observer quelques vieillards se laisser aller en attendant la mort. Si certains s’adonnent au bridge, à la couture ou parfois même, comme cela s’est vu récemment, au saut en parachute, certains de nos amis du troisième âge*, à force d’être laissés seuls l’été, font des coordinations anti-nucléaires. C’est triste mais c’est comme ça.

Après plus d’un an de tergiversations probablement plaisantes pour certains, une plate-forme fût rédigée. Sans pudeur aucune, ses adhérents y étalaient leurs peurs, leur renoncement et leur programme de résidence prolongée. Un texte long au contenu maigre mais qui avait le mérite de l’honnêteté. Réalisant trop doucement que l’enjeu ici était la sérénité de la retraite, nous posâmes quelques désaccords dans l’espoir de trouver un peu de vigueur. La réponse eut la monotonie d’un tachygraphe débranché.
Le même jour, une équipe fût désignée pour mener à terme un projet prévu de longue date : la parution du « bulletin de la coord’ ». Chacun fût invité à envoyer ses textes et suggestions aux metteurs en pages. Naïvement, nous rédigeâmes un texte exposant nos perspectives ainsi que les quelques désaccords avec la plate forme.

Quelques mois plus tard, la « coord’ » se réunit à nouveau. Une douzaine d’entre nous s’y rendit. Et là, Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie ! On nous apprit que notre texte, pour des raisons purement contingentes, ne figurait pas dans le bulletin. Cette ruse quelque peu vulgaire pris vite fin lorsqu’on nous déclara avec l’assurance d’un fonctionnaire indigné que « ah non, votre texte, ça ne va pas du tout. » Et là, ce fût la débandade. Dans un sursaut de vie, quelques agonisants se mirent à s’agiter dans tous les sens, essayant de légitimer leur censure dudit texte. Nous eûmes la patience de les apaiser en leur proposant de discuter à couteaux tirés tous les points de désaccords ou d’incompréhension. La plupart restaient muets (partageaient-ils notre gène ou étaient-ils trop fatigués par la fin d’après midi ?) L’un d’entre eux, connu pour savoir brosser comme il faut, fut pris de convulsions, son visage prenant tour à tour et parfois simultanément des formes différentes, le sourire feint, l’hystérie, le clin d’œil complice. Sa face de pâte à modeler se contorsionnant en tous sens, trahissait autant d’efforts pour faire coexister ses mauvaises manipulations de couloirs et la nécessité de son ego à dire à chacun ce qu’il voulait entendre. Un autre, tremblotant, fidèle aux lumières qui l’éclairent, nous asséna ses réminiscences d’un autre âge, bégayant à propos de la morale, de l’humanisme. Le grand avantage du bon goût anti-industriel, c’est qu’une fois les méchants technocrates définis comme le mal absolu, il ne reste plus qu’à se gargariser du bon rôle du gentil, défenseur de l’humanité asservie à qui on ne la fait pas. Leur grotesque mis à mal, ce dernier se mit frénétiquement à regarder ses pieds en répétant « C’est de la merde ! C’est de la merde ! C’est de la merde ! » Dans nos rangs, rires ou consternation. Cela dura près d’une heure. Nous répondîmes point par point, jusqu’à ce qu’à bout de nerfs, nos valeureux gaillards se mirent à nous taxer de staliniens, de fascistes, voir même de nihilistes. Peu soucieux de l’originalité de leur méthode, il leur fallait avant tout garder la face pour que finalement la réunion puisse passer à son véritable propos : « faut-il oui ou non amener une tente à Cherbourg ? »



Pour certains d’entre nous, cette réunion suffit à les éclairer sur ce qu’il y avait à attendre de cette coordination. D’autres, attristés d’avoir perdu ce jour-là des camarades et soucieux de rétablir la vérité afin de mener à leur terme les minables manipulations fomentées contre nous, persistèrent dans quelques échanges épistolaires (disponibles dans leur intégralité pour qui sait s’amuser de choses ennuyeuses). Ceux qui nous semblaient malgré tout les plus sympathiques s’entêtèrent : On ne perturbe pas une sieste bien méritée.
Cependant, laissant le nihilisme du ressentiment aux crapules assumées, nous sommes persuadés que certaines personnes présentes, même au sein du parti de la mauvaise foi, sont des camarades et qu’ils le resteront. Nous restons indéfectiblement ouverts à toute élaboration, à toute conspiration, dans la mesure où cela se tient à saine distance des menteurs et des manipulateurs.
Comme le disait assez justement quelqu’un qui quelque temps plus tard fût à ranger dans le parti des vieux : « Mais finalement, ce n’est pas la jeunesse, en tant qu’état passager, qui menace l’ordre social : c’est la critique révolutionnaire moderne, en actes et en théorie, dont l’expansion rapide se manifeste partout à dater d’un moment historique que nous venons de vivre. Elle commence dans la jeunesse d’un moment, mais elle ne vieillira pas. […] Ceux qui répriment la jeunesse se défendent en réalité contre la révolution prolétarienne et cet amalgame les condamne. La panique fondamentale des propriétaires de la société en face de la jeunesse est fondée sur un froid calcul, tout simple mais que l’on voudrait garder caché derrière l’étalage de tant d’analyses stupides et d’exhortations pompeuses : d’ici douze à quinze ans seulement, les jeunes seront adultes, les adultes seront vieux, les vieux seront morts. »


* Quelques précisions quant au vocabulaire usité : il va sans dire que nous ne faisons ici aucunement référence au décompte biopolitique plus communément appelé l’âge. Nous pensons plutôt que le degré de sénilité d’un être est relatif au degré de renoncement dont il est capable. Le gâtisme, qui va souvent de paire avec la sénilité, consiste en un bégaiement ennuyeux de quelques truismes affichés comme des fulgurances de l’esprit. L’un des symptômes les plus courants est une totale incapacité à penser en marge de l’étroit pré carré que constituent ces truismes. Ces définitions entendues, il va de soit que certaines personnes biopolitiquement définies comme « jeunes » sont des vieux et vice-versa.


Ci-dessous, le texte que nous avions proposé.



A défaut de nous y résigner, il nous faut bien consentir à l'évidence : cette époque est celle de la contre-révolution. Nombre d'entre nous n'ont d'ailleurs connu qu'elle. Et c'est de là que nous partons.
Si ce constat s'accommode toujours si bien du cynisme de nos contemporains, nous voyons au sein de ce monde les étincelles qui restent à reprendre, la situation qu'il nous faut récapituler. Ce qui nous intéresse dans l'Histoire, dans cette Histoire qui est la nôtre, c'est tout ce qui en elle n'est pas advenu. C'est parce que la contre-révolution bat son plein que la question révolutionnaire est d'autant plus cruciale, d'autant plus décisive. Et c'est précisément parce que le mouvement révolutionnaire a perdu, ou du moins s'est abîmé, qu'il nous faut recommencer et tout repenser.

Si sa perspective minimale était de mettre un terme aux centrales et au monde qui les rend possibles, nous pouvons dire que le mouvement anti-nucléaire de ces trente dernières années a échoué. Pourtant, il y eut de ces moments qui sentaient la victoire : Plogoff, le C.A.R.L.O.S., les cocktails molotov et les nuits bleues. La puissance qui s'exprimait là, nous en héritons aussi, il nous reste maintenant à la comprendre.

Nous voulons en finir définitivement avec ce monde, ce ne peut être qu'un programme minimal. Au sein de la guerre qui nous est faite, nous ne voyons pas d'autre parti à prendre. Lutter contre le nucléaire s'y inscrit de fait. Mais comme le disait Kafka, ce n'est pas la vérité qui vaincra ce monde de mensonges, mais un monde de vérités, de vérités en acte. C'est pour cela qu'il nous faut renverser l'idée selon laquelle une lutte contre le nucléaire augurerait d'une situation insurrectionnelle. Un Capital écolo, éthique, et à vélo semble trop probable pour nous amuser. Il n'y a qu'à constater l'avancée du négrisme ces dix dernières années pour s'en assurer. Nous pensons donc que seule une force révolutionnaire matérielle, une force révolutionnaire triomphante, pourra en finir avec le nucléaire et son monde. Notre affaire aujourd'hui ne peut donc être autre que la constitution d'une telle force.

Finir l'apathie – Vivre le communisme

Nous ne pouvons plus nous contenter de critiquer, nous n'avons que trop bien vu où menait la critique sociale. Scribouillards de l'EDN ou sociologues, c'est finalement le même destin, la même impuissance. Il n'y a pas à critiquer les désirs contemporains au nom d'on ne sait qu'elle « vie authentique » à l'arrière-goût tellement moral. Il y a à faire exister des désirs, des idées et des formes de bonheur plus intenses et vivantes afin qu'ils balaient ceux auxquels on nous a attachés. Ce qui nous importe aujourd'hui, c'est moins de gloser sur la manière dont le nucléaire affecte nos vies que l'élaboration d'existences qui lui sont inconciliables. Ceci n'est pas une ruse dialectique, mais la sortie du ressentiment négatif. Ce que nous opposons à la critique, c'est le danger, c'est à dire une certaine manière de mettre nos vies en jeu, de lier les affects, la pensée et les actes. Pour cela, nous constituons une constellation de lieux où vivre, conspirer et lutter, afin que plus jamais nous ne soyons pris dans la fausse contradiction entre la nécessité de déserter le monde du Capital et celle de lui livrer la guerre.

Face à un ennemi, il ne sert à rien d'avoir raison mais d'être plus fort ou plus rusé

S'il semble évident pour beaucoup qu'une question comme celle du nucléaire démontre à chaque moment qu'il n'y a pas à se faire l'interlocuteur de l'Etat, lui opposer une raison démocratique implique toujours de conjurer ce qu'il y a d'irréductible en nous. La démocratie, même directe, c'est toujours cette vieille arnaque de la raison, de l'argumentation. Comme si la sphère du discours allait résoudre les problèmes. S'il est un exemple de la guerre civile mondiale, de la paix armée, c'est bien le nucléaire. C'est justement parce que c'est de cette guerre que nous participons, de cette guerre entre ce qui renforce la domination et le chaos de tout ce qui lui échappe, de tout ce qui s'organise pour la défier, que le temps des explications, de l'individu raisonné et du consensus est terminé. Des existences politiques ne prétendent pas à la paix, mais assument les différences éthiques, les font jouer jusqu'à la conflictualité. Le communisme n'est pas un humanisme. Nous ne visons pas à nous poser en tant que mauvaise conscience de l'Etat en lui reprochant son caractère criminel, injuste ou irrationnel – cela revient toujours en dernière instance à parler son langage –, mais à nous donner les moyens de lui répondre pied à pied, coup pour coup.

Le spectacle a voulu nous rendre invisibles, à nous de savoir le rester

Tout recommencer, tout repenser, partir de là où nous sommes, c'est à dire se poser stratégiquement la question de ce que nous pouvons entreprendre, de nos possibilités réelles. Le militantisme, comme l'activisme, nous n'avons que trop bien vu où cela nous menait. Accroître notre capacité de nuisance implique de penser la situation qui nous est donnée, encore une fois, stratégiquement. Le propre de la société du spectacle est d'avoir monopolisé la visibilité de ce qui est. Ce qui apparait est vrai, ce qui est vrai apparait. Tout ce qui s'oppose un tant soit peu sérieusement à elle est systématiquement repoussé dans l'invisibilité. L'erreur gauchisante élémentaire tend à vouloir forcer une percée du négatif au cœur du spectacle. Il n'y a qu'à constater comment les situationnistes sont devenus le spectacle du négatif pour voir l'erreur stratégique que cela constitue. Cette percée, c'est au sein du réel que nous voulons l'ouvrir. Il est question ici de faire de l'invisibilité notre force. De sabotages clandestins en émeutes anonymes, propager les actes dont la puissance n'a plus besoin de nom. Lorsque les coups portés se multiplient et s'éparpillent réellement à la surface d'un monde qui fait tout pour qu'on ne les voie pas, c'est un double mensonge qui surgit. Le réel n'est plus le spectacle, le spectacle n'est plus le réel. L'écart qui se creuse entre ce qui est réellement vécu et sa représentation devient intenable. Le monde du mensonge se fissure. L'invisibilité n'est plus notre défaite mais la condition d'une victoire.

S'organiser – Conspirer

Malgré ce que les staliniens peuvent dire, le mouvement révolutionnaire n'a pas été défait à cause de son manque d'unité mais à cause du manque de jeu entre les différentes positions qui s'exprimaient en son sein. Ce qu'il y a à attendre d'une coordination anti-nucléaire ce n'est pas le gel des positions de chacun au profit d'un consensus pratique et faible. A l'idée de coordination, qui implique toujours de laisser beaucoup trop de choses à sa porte, nous substituons la nécessité de conspirer. La démocratie, même directe, sous-tend toujours une certaine volonté de gestion, une certaine idée de l'équivalence d'individus réunis en tant que préalablement séparés. La finalité de notre entreprise ne peut pas être de représenter une position mais de la porter, en accroissant sa puissance. Nous ne voyons pas d'autre aventure à hauteur de vie que le ravage du vieux monde.

F.M. et A. K.


Pour tout contact, une seule adresse :
STA - B.P. 1021 - 76171 ROUEN cedex 1 - France
Pour recevoir le bulletin en version intégrale (format .doc ou pdf), envoyer un courriel à autonomie@no-log.org
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commentaire sur renversement et rétablissement de la culture

Messagepar alain claude galtié » Samedi 02 Sep 2006 12:59

L'interprétation, la réduction et le détournement que vous faites de mon propos sont sidérants. Au moins auriez-vous pu me contacter pour en discuter avant de produire de telles déformations! J'avais, moi, tenté de prendre contact avec vous il y a au moins un an. Pas de réponse. Cela dit tout.
alain claude galtié
 

Re: commentaire sur renversement et rétablissement de la cul

Messagepar lucien » Samedi 02 Sep 2006 13:09

alain claude galtié a écrit:L'interprétation, la réduction et le détournement que vous faites de mon propos sont sidérants.
On peut en savoir plus ?
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Messagepar miguelito » Mercredi 06 Sep 2006 9:15

Je suis surpris de la réaction d'Alain Claude Galtié. D'abord parce qu'il répond sur ce forum (nous lui avons fait parvenir un courrier par l'intermédiaire d'une tierce personne car nous avions perdu ses coordonnées)

Que nous ayons été longs à répondre est un fait. Mais les choses sont ainsi, tout un tas d'éléments ont fait que nous ne nous sommes pas manifestés plus tôt.
Quant au fait de n'avoir pas pris contact avec toi avant de publier notre texte, je ne vois pas en quoi cela pose problème.

Tu dis : interprétation, réduction et détournement. Cela laisse entendre que nous avons sciemment agit pour t'attaquer. Quel serait l'intérêt d'une telle attaque ? D'autant plus que nous insistons sur les éléments de convergences entre nos deux visions. Mais peut-être avons nous commis quelques erreurs, que nous n'avons pas été assez compréhensifs ni assez explicites. Dans ce cas, il faut reprendre les poitns litigieux et nous expliqués calmement. En tout état de cause, régler la question en trois lignes est à mon sens insuffisant. A moins que tu ne considères que le débat avec nous n'a pas lieu d'être (mais dans ce cas, j'aimerais bien savoir pourquoi, d'autant qu'encore une fois nous souhaitons tisser des liens afin d'oeuvrer conjointement)
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