Ce monde est détestable, certaines de ses critiques tout autant !
Face au constat que la technologie dépossède l’homme de sa liberté en le rendant esclave de celle-là, reprenant le mythe du bon sauvage (de l’homme heureux et libre à l’état de nature), certains encensent la nature, parée de toutes les vertus. Ils feignent d’ignorer la dureté, la violence, les cataclysmes, le mortifère, la prédation,... de cette nature primitive. Confrontés au Moloch qu’est la société capitaliste aux aspects totalitaires, étouffants, inhumains, à une vie sans joie, ils prêchent et fantasment un retour à une vie simple, prétendue naturelle, félisse et sans technologie. Ils oublient que l’absence de connaissance de ce qu’est la psyché d’un primitif les prive de savoir sur sa personne, sa psychologie, son « étant ». Ils oublient tout autant que tout discours est élaboré dans le prisme de son épistémè. Partant de là, l’homme moderne n’est pas confronté à la même réalité (et vraisemblablement au même jugement et rapport vis-à-vis de la nature) que l’homme primitif.
Si la critique des choix technologiques, politiques, économiques, éthiques, idéologiques etc., est justifiée, devons nous le faire sur les arguments tendancieux d’un passé inventé ou reconstruit ? Prenons garde à ne pas nous fourvoyer !
Parmi tous les courants qui prônent ce retour à la nature, mon article analysera les affirmations de Théodore Kaczynski, dit Unabomber, parce que, par ignorance, naïveté ou manipulation, certains qui se prétendent anarchistes, en font la promotion, bien que son discours soit truffé de références qui sont - au choix - nazis ou fascistes : anti-progressisme, eugénisme (volonté d’empêcher la dégénérescence de la « race » ! ), minorité dirigeante, innéisme (comme s’il existait un gène des comportements et des inégalités), déterminisme absolu des structures biologiques et sociales, rejet de la conscience ou de l’idéologie comme imaginaire instituant, affirmation que la justice sociale installe le despotisme, usage spécieux du naturalisme et de l’histoire, double discours pour manipuler la masse, etc. Cela n’est pas totalement nouveau : je ne crois pas inutile de rappeler que de nombreux précurseurs et inspirateurs du nazisme et du fascisme se disaient naturalistes, écologistes... J’ai lu la traduction de l’Encyclopédie des nuisances du livre de Kaczynski sur « La société industrielle et son avenir ») ainsi que la traduction de J.M. Apostolidès de ce même livre. Ce dernier traduit « gauchiste » quant l’encyclopédie indique « progressiste ». Suivant le traducteur, la critique porte donc sur les gauchistes ou sur les progressistes, ce qui n’est pourtant pas tout à fait la même chose. En Europe, le « progressisme » incorpore une partie de la droite, la gauche et son extrême, l’anarchisme ; le gauchisme l’extrême gauche et les anarchistes. Ces catégorisations, que nous ne partageons pas nécessairement, sont peut être arbitraires mais usuelles. On comprend l’impact des ces vocables, j’invite au double usage de ces mots.
Pour une lecture plus limpide les chiffres entre parenthèse renvoient aux versés de la traduction de l’Encyclopédie des nuisances (texte en italique, en retrait), mes réponses suivent.
“ (6) Le progressisme est une des manifestations les plus répandues de la folie de ce monde. (10)... auto dépréciation, impuissance, culpabilité, haine de soi sont ses traits. (15)... il hait l’image de force, d’habileté, de réussite. Il déteste la civilisation occidentale, les blancs masculins, la rationalité, les États-Unis en raison de leur force et réussite. (16)... les mots confiance en soi, indépendance d’esprit, initiative, esprit d’entreprise, optimisme ont peu de place. Il est anti-individualiste, pro collectiviste, refuse la compétition car il est minable. (18)... dévalorise la raison, la science, la réalité objective. Il rejette le concept de maladie mentale et la mesure du QI, les explications génétiques du comportement et des capacités humaines qui font apparaître la base des inégalités ; il prétend que cela est produit par la société et l’éducation .”
De tels propos constituent une théorie bio-fasciste. Selon elle, les inégalités sociales sont naturelles ; les hiérarchies, les rapports de domination, etc., sont l’expression du génotype ! Kaczynski devrait approfondir ses connaissances en génétique et s’intéresser au phénotype et la phénocopie : l’expression des gènes est sensible à l’action externe ! Pratiquement tous les biologistes et généticiens rejettent la vision bio-fasciste. Pour eux si certains traits sont génétiquement transmis (innés, héréditaires), les grandes compétences, notamment celles entrant dans la fonction cognitive sont d’espèce. Ce qui implique que chaque espèce transmet à ses individus un même ensemble de compétences, qui sont donc universelles. Suivant phylogenèse et ontogenèse, espèce et individu sont indivis. De plus certaines de ses fonctions sont potentielles : non stimulées ou non utilisées, elles sont muettes ou atrophiées. Puisque la génétique ne valide pas cette thèse du gène comme base des inégalités ou des comportements, l’origine en est à chercher dans le social, l’éducation, l’idéologie, la sociologie, la psychologie etc., qui offrent bien des réponses. Comment expliquer si non, par exemple que suivant le système social, l’illettrisme et les inégalités soient si différents d’un pays à l’autre ? Si l’action et la volonté des hommes butent, comme l’écrit Kaczynski, sur le déterminisme du gène, la liberté deviendrait impossible en matière sociale. En fait, si l’homme est biologie, on ne peut le réduire à cela, son humanité est au delà. Kaczynski naturalise la culture, biologise son idéologie, scientise son discours.
“(20)... par masochisme il [le progressiste, le gauchiste] provoque la police pour se faire mal traiter. (229) Il est favorable au contrôle des armes, à l’éducation sexuelle, la pédagogie avancée, la planification, le biculturalisme, la victime. Il s’oppose à la violence, la compétition. Il aime les poncifs de gauche : racisme, sexisme, homophobie, capitalisme, impérialisme, néo-colonialisme, génocide, progrès et justice sociale. Il sympathise avec les mouvements : féministes, homos, minoritaires, handicapés. (214)... un mouvement défendant la nature et combattant la technologie doit être résolument anti-progressiste et refuser toute collaboration.”
L’idéologie de Kaczynski apparaît clairement pour ce qu’elle est : très réactionnaire est d’extrême droite.
“ (214, suite). Le progressisme implique l’administration de la nature et de la vie humaine cela requiert des technologies avancées, c’est en contradiction avec la nature sauvage, la liberté humaine et l’élimination de la technologie moderne.”
Kaczynski nie donc que la liberté humaine serait aussi d’avoir une action sur la nature et par là sur l’environnement par le biais de technologies. Sa seule liberté serait celle de ses bras nus face à la prédation naturelle. A l’inverse, je partage cette explication selon laquelle la matière est passée par des stades jusqu’au vivant et à L’Homme. Par lui, la matière devient conscience et dote les hommes de compétences (entendement, technologie, science, idéologie, langage, symbolisation, culture). L’Homme est un animal très particulier, il vit en société. Tout cela est modifié dans un processus historique. La nature est ce tout : le monde. Il disconvient de prendre la partie pour le tout et une partie historique comme genèse ou eschatologie.
“(95)... les monarchies indiennes de Nouvelle- Angleterre, de nombreuses villes de la renaissance italienne étaient des dictatures. Par manque de moyens de contrôle, la liberté individuelle était plus grande.”
Voici maintenant la théorie de la dépossession de la liberté par la croissance de la technologie. Selon elle, avant, nous étions plus libres. L’esclave et le serf, faute de moyens de contrôle, auraient relativement échappé à la tyrannie ! On se demande comment et pourquoi ces systèmes auraient alors pu durer sans contrôle social efficace et bien adapté à leur époque. A l’inverse, le contrôle par la technologie sophistiquée a failli face à certains groupes. Le retour à des sources humaines pour assurer le contrôle est acté. Ainsi, la critique des caméras de surveillance est faite sur le constat que la surveillance humaine est plus fiable. Aussi des maires, des enseignants réclament-ils maintenant des policiers et des surveillants. Les autocraties ou ploutocraties du passé savaient parfaitement réprimer ou contrôler la population. De plus Kaczynski n’a pas une vision sociale historique et culturelle de la liberté. Les cadres existentiels primitifs, antiques, du Moyen Age et modernes contextualisent le signifiant liberté. La liberté (individuelle, de l’enfant, de la femme, de l’esclave, du prolétaire, du citoyen etc.) et même le bonheur n’ont de sens ou d’existence que dans, et par un type culturel donné. Pour mon compte, je ne suis pas pressé de retourner aux époques vantées par Kaczynski, je ne suis pas sûr que les primitivismes actuels y tiendraient longtemps...
(122)... même si le progrès médical était indépendant du système technologique, il produirai ses maux. Les traitements palliatifs des maladies génétiques, empêchent la sélection naturelle d’éliminer les porteurs. Ceux-ci se reproduisent et installent une dégradation génétique de la population. Restera comme solution massive, l’eugénisme ou thérapie génétique. (124)... la seule éthique protégeant la liberté est d’interdire l’ingénierie génétique.
Le refus du soin et l’eugénisme par la sélection naturelle des « sains » et des « plus forts », pour fortifier la race et éviter qu’elle dégénère, n’explique pas en quoi une différence génétique serait une infériorité. Ne juger de l’intérêt social, humain, voire biologique d’une personne que d’après un seul élément de son génome est une ineptie. Les nazis, eux aussi, évoquaient la sélection naturelle des plus forts, l’élimination des faibles et des tarés pour conserver la pureté de la race.
(124, suite). Le progressisme implique l’administration de la nature et de la vie humaine cela requiert des technologies avancées, c’est en contradiction avec la nature sauvage, la liberté humaine et l’élimination de la technologie moderne.
Suivant Kaczynski toute technologie est liberticide, reste donc l’homme à l’état de nature, nu et libre. Mais l’homme, naturellement, a utilisé des technologies pour se vêtir et être plus libre !
“(165)... les usines devront être détruites les livres techniques brûlés, etc.”
Kaczynski pour être libre commence par interdire.
“(181)... développer et propager une idéologie antitechno et anti- industrielle. Affaiblir et déstabiliser le système (182)... comme le firent les révolutionnaires Français et Russes, bien que heureusement ils échouèrent à établirent leurs sociétés nouvelles.”
Kaczynski se veut révolutionnaire, en fait c’est un réactionnaire. Il rejette les idéaux de justice, liberté, égalité, fraternité, démocratie, socialisme, communisme (et par là, il rejette ce qui constitue l’anarchisme).
“(183)... proposons la nature comme idéal positif, tout qui sur terre ne dépend pas de la gestion humaine et de la société. La nature sauvage incluant la nature humaine. Cette part de la vie individuelle qui n’est pas produit du conditionnement social, mais du hasard ou du libre arbitre ou de Dieu (selon vos convictions).”
Le naturalisme de Kaczynski occulte que c’est la nature qui a fait l’Homme, son esprit, sa conscience, son savoir faire, sa culture, sa capacité technique. Comme la matière produit la pensée, la nature produit la culture et par là, la société. C’est par la société que l’Homme a survécu et vit, c’est par elle qu’il transmet, améliore, découvre, optimalise, crée, tout ce qui fait son humanité. Sans la société l’homme et l’humanité n’existent pas. On ne peut décrier, disqualifier nature, culture, homme, humain, société en opposant les éléments du quinté. Le bien, le mal, le juste, etc., sont affaires de morale, d’éthique, d’idéologie.
“(186/7) Cette idéologie sera élaborée sur deux plans. La version élaborée pour les gens intelligents réfléchis, rationnels, globalistes, ils ont plein de ressources et influencent les autres. Une version simplifiée pour la majorité réfractaire à la réflexion. (189)...l’histoire est faite par des minorités. Quant à la majorité, il suffit de lui faire prendre conscience qu’une nouvelle idéologie existe et la lui remettre fréquemment en mémoire. Reste souhaitable d’obtenir le soutien de la majorité, quant elle n’affaiblit pas les révolutionnaires.”
L’idéologie autoritaire ou dictatoriale divise la société entre la minorité intelligente, instruite, dirigeante, et la masse des ignorants, soumis, veules etc. La masse ne sert que de soutien, car aucun système ne dure, et la minorité ne peut conquérir le pouvoir, sans un appui de ou dans la masse. Une fois l’ordre nouveau installé grâce à l’agitation des masses, la minorité révolutionnaire va constituer le pouvoir. Si la majorité conteste, on « rappelle la loi », c’est-à-dire la dictature de la minorité sur la majorité. Tout cela est aussi vieux que l’Histoire.
“(190)... tracer une démarcation entre l’élite au pouvoir et la masse, pas entre la masse et les révolutionnaires. Stratégiquement ne pas blâmer les gens, ne pas condamner le consumérisme des Américains, dire qu’ils sont victimes de la pub etc.”
Méthode classique de manipulation de l’opinion, qui étant supposée réfractaire à une réflexion profonde, ne peut être manœuvrée que par la frustration, le bouc émissaire, la démagogie etc. Pas question de dire que nous sommes plus ou moins responsables au sens de « libres de combattre ».
(“195)... l’agitation peut conduire à la dictature en place de la démocratie, mais la différence et faible vu leur industrialisme. Une dictature étant plus inefficace et fragile, serait même préférable : regardez Cuba.”
On se souvient qu’avant Kaczynski, de prétendus anti-fascistes expliquèrent que, la dictature est la réaction extrême et finale de la décomposition de la fraction dominante avant sa chute ; dans ce cas la posture est plutôt réactionnaire ou conservatrice. J’ajoute que c’est aussi la réaction d’une fraction dominée qui aspire au pouvoir, comme on le voit avec Kaczynski. Là, ce n’est pas l’ordre ancien qui s’effondre, mais l’ordre nouveau qui s’installe, la posture est plutôt révolutionnaire. Un discours subversif et manipulateur utilise souvent une phraséologie révolutionnaire, de révolte, de bien pour tous... Il faut aller au fond, chercher l’idéologie de ce discours. Spéculer sur la fragilité et l’inefficacité d’une dictature ne tient pas compte du fait que certaines perdurent. Cette logique du « préférable » conduit à supporter, relativiser, admettre le pire ; voire s’y compromettre en croyant hâter le changement. Combien soutiennent le vote pour l’extrême droite, bien qu’opposés à celle-ci ; parce que cela va, pensent-ils, accélérer l’explosion du système. Les tactiques tordues ont la vie dure !
“(196)... est envisageable de soutenir l’unification économique mondiale (Gatt, Aléna), bien que nuisible à l’environnement, ils favorisent l’interdépendance et l’effondrement d’un pays avancé conduit a la chute de tous.(200)... la technologie est un système unifié à détruire totalement, utiliser une partie maintien le tout. On finit par sacrifier quelques détails symboliques.”
Encore le « préférable » : soutenir la mondialisation unifiée de la technologie sous l’égide du libéralisme ! De fait le purisme antitechnologique devient hyper-technologique ! On vérifie là les manipulations de Kaczynski et ses supporters.
“(201)... la justice sociale vue la nature humaine ne sera pas spontanée, mais (d) imposée. Pour cela les révolutionnaires conserveront un système et contrôle centralisé, des technologies (communication,transport, habillement, agricole etc.). Nous n’avons rien contre la justice sociale, on ne doit pas permettre qu’elle interfère avec l’effort pour se débarrasser de la technologie.”
En matière de justice sociale il n’y a pas de nature ou d’en soi, il s’agit d’idéologie, vu l’absence de gène idéologique, les règles sociales sont purement conventionnelles (cf. verset 18). Question : comment les révolutionnaires échapperaient-ils au déterminisme de leur nature pour défendre la justice sociale ? Fidèle au principe des minorités dirigeantes, pour Kaczynski la masse n’intervient pas dans les choix sociaux et sociétaux. C’est une divergence majeure avec l’anarchisme, et une négation de l’échec du socialisme par le haut (socialisme étatique, léninisme, trotskisme, bolchevisme, etc.). Kaczynski n’est pas pour l’égalité, la démocratie, la justice, le progressisme, cela implique la technologie et le progressisme combattu par Kaczynski car contre nature.
“(204)... les révolutionnaires devraient faire autant d’enfants qu’ils le peuvent. Les comportements sociaux sont largement héréditaires. Personne ne nie qu’un comportement social est la conséquence directe du génétique, mais il est manifeste que, dans le contexte actuel, les comportements sont le plus souvent déterminés par des traits de caractères hérités.”
Encore le déterminisme génétique ! A ses détracteurs, Kaczynski répond quand bien même l’éducation, le fait est la transmission héréditaire. Donc intelligent, idiot, fasciste, anarchiste, violent, doux, etc., nous sommes de père en fils ! Chacun peut vérifier cette ineptie de la lignée idéologiquo-comportementale. Kaczynski ignore que le brassage génétique homme-femme repose sur l’appariement des chromosomes. Suivant la vulgate de Kaczynski que se produit- il quand c’est appariement provient de deux personnes de traits opposés :
d o u x / v i o l e n t , anarchiste/fasciste ? Quel trait prend le dessus ? Je réponds aucun car ces traits sont éducatifs, existentiels, idéologiques donc sociaux.
Jean Picard Décembre 2010
PS : Kaczynski défend la science curieusement ses zélotes sont anti-science.
[1] Front islamiste du salut
[2] Groupe islamiste armé, branche armée du FIS en Algérie en fait contrôlée par les services secrets algériens et français