Pour des assemblées générales autonomes

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Pour des assemblées générales autonomes

Messagepar lucien » Jeudi 28 Oct 2010 23:17

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Pour des assemblées générales autonomes
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Lors des mobilisations des gens se battent pour leur travail, leurs études, leurs conditions de vie, pour ne pas que d’autres décident à leur place : les Assem­blées Géné­rales (AG) sont le lieu où chacun peut re­nouer des rap­ports humains, s’approprier un pouvoir qu’on lui a confis­qué et inventer une démocratie réelle. Les rela­tions égalitaires qu’on y tisse et les choix aux­quels on est confronté tranchent avec la vie détermi­née et électorale ordinaire. Une assem­blée est un des rares endroits où il est possible de s’éduquer mutuelle­ment à la parole publique, à la discussion collective et à la prise de décision com­mune. Une telle impli­cation peut conduire à un éveil durable à la chose politique comme à un embrigadement ou à un véritable dégoût pour les combats collectifs.

Autour des AG se constituent des petites commu­nautés, où des gens jusqu’ici éparpillés par les ho­raires, les lieux, et les différences se ren­contrent et se retrouvent. Des liens précieux se tissent alors entre corporations, mi­lieux sociaux ou classes d’âge. Ces multiples échanges permettent que s’éla­borent d’autres images de soi que celles imposées par les hié­rarchies ou les statuts officiels, d’autres représenta­tions de la société que celles vé­hiculées par les média. C’est le moment où chacun peut inventer une démo­cratie réelle : des idées no­vatrices, des pratiques origi­nales, des cultures nou­velles peuvent alors être créées. C’est là que peuvent renaître des pensées et des pra­tiques politiques capables de surmonter le naufrage historique de toutes les gauches au XXe siècle.

Une assemblée est fondamentalement un lieu de pouvoir : si celui-ci n’est pas partagé entre tous du mieux possible, c’est qu’il est confisqué par une mi­norité, et les gens rassemblés ne pourront pas faire va­loir leurs revendi­cations propres, ni exprimer la ri­chesse, la force et l’originalité de leur mobilisa­tion.

Face aux manipulations

Se réunir de façon exceptionnelle, en grand nombre, entre gens qui se connaissent peu, pour me­ner une lutte urgente et risquée crée beaucoup d’an­goisse, d’excitation et de fantasmes.

Dans ces circonstances, on a tendance à s’en re­mettre aux « spécialistes » : militants profession­nels des syndicats, partis, groupuscules ou groupes déjà exis­tants. Ils tirent souvent leur légitimité d’être à l’ori­gine du rassemblement, de leur aisance à prendre la parole en public et de leur expérience gestionnaire.

Leur forte implication donne l’illusion qu’ils sont « avec nous ». Mais leur but n’est pas de tenir compte des aspirations des participants : c’est au contraire de s’en servir pour y plaquer des revendi­cations et un mode d’organisation qui ne sert que leurs intérêts poli­tiques ou carriéristes.

Leur mode d’action est répétitif, mais efficace :

- Préparer : Les militants se sont déjà réunis pour dé­finir une tactique, les mots d’ordre et les revendica­tions sont bouclés, les tracts sont distri­bués, les af­fiches collées et les banderoles dé­ployées, l’ordre du jour est déjà prêt et les décisions n’ont plus qu’à être avalisées par l’AG.

- Contrôler : La fonction de président de séance, si­non de la tribune, est assurée par un de ces spécia­listes pour in­fléchir le cours de l’AG en minimisant ou en ap­puyant les points à l’ordre du jour, les pro­positions à voter, en gérant la nature ou l’ordre des interven­tions, etc... C’est souvent à eux qu’incombe la tâche de parler à la presse, ou aux autres collectifs.

- Occuper : Les manipulateurs ne sont pas qu’à la tri­bune : éparpillés dans l’assemblée, ils se relayent pour prendre la parole, appuient leurs interventions réci­proques afin que leurs discours fasse masse. Ils dis­cutent autour d’eux pour convaincre les gens, faire taire, diviser ou occuper leurs opposants.

- Recruter : Faire circuler une pétition ou une liste de présence leur permet de recueillir vos coordonn­ées pour vous identifier, vous dis­créditer si vous vous op­posez, soit pour vous propo­ser quelques menues res­ponsabilités sous leur contrôle pour avoir une caution de « non-encartés ».

Le prêt-à-porter revendicatif, idéologique et organi­sationnel qu’ils mettent en place par ce noyau­tage est sans rapport avec la diversité et les désirs des gens. Chercher à constituer une as­semblée démocra­tique, c’est tout d’abord s’affronter à ces mili­tants bureaucra­tiques qui n’hésitent pas à mani­puler, me­nacer et sa­boter.

Se constituer en groupe d’action

Il est pourtant possible, à quelques-uns, d’interve­nir très efficacement en se constituant en minorité active, pour dénoncer les monopoles de pouvoir et les mani­pulations démagogiques. Il ne s’agit nulle­ment de rem­placer une clique par une autre en pre­nant la direc­tion des opérations, mais de permettre l’expression libre des individus présents et d’accom­pagner l’AG dans son cheminement et sa constitution.

Cette minorité peut aider à la maturité de l’as­semblée en incarnant d’abord des comportements dé­cents afin d’instaurer un climat d’écoute et de créativi­té. La domination et le suivisme sont des mécanismes que tout le monde porte en soi. Personne n’a besoin de leçons ou d’ordres, mais bien plus d’interventions qui font ap­pel à la liberté et à l’intelligence de chacun. Il n’y a pas à endoctriner, mais à favoriser par tous les moyens l’émergence d’une volonté collective indépen­dante. Un tel groupe peut favoriser par son existence les échanges d’idées et les initiatives pratiques.

Pour comprendre les impasses

Mais la mise à l’écart des apprentis dirigeants laisse un vide qui peut rendre la nouvelle si­tuation in­supportable. Avant d’être un or­gane de dé­cision col­lective, une AG en lutte est d’abord un lieu où se ren­contrent les gens. Se réap­proprier une autonomie nou­velle au milieu de gens sou­vent mal connus passe par un tâ­tonnement hasardeux, mais normal : dans notre vie courante, nous avons perdu l’habitude de prendre librement des responsabilités. L’exercice est d’autant plus dif­ficile que la pratique de l’autogestion est par nature imparfaite et inache­vée. Mais face à ce qui ap­paraît comme insurmon­table, le premier réflexe est… la fuite sous ses formes diverses : chantage à l’ur­gence (« on n’a pas le temps ») à l’action (« trop de par­lotte, il faut agir ») ou au nombre (« on est trop / pas assez nombreux ») qui sape toute construction du mouve­ment. Alternent également la multiplication des votes inutiles pour pal­lier à une in­consistance foncière (« déci­sionnite ») ; le mu­tisme géné­ral ou la parole in­hibée de peur de remettre en cause un ordre tacite ; le cha­hut lorsque le senti­ment d’im­puissance est trop grand ; les délires indivi­duels ou col­lectifs dès que la parole est libérée ; etc.

Les difficultés rencontrées font souvent dési­rer des solutions toutes faites : se résigner à voir quel­ques-uns se surimpliquer et se constituer de fait en di­rection oligarchique du mouvement qui manoeu­vrera plus ou moins au grand jour ; penser que seul compte le rapport de force brut et se comporter en consé­quence - ou au contraire, rêver que tout peut être so­luble dans des échanges pacifiés et cou­rir après un consensus chimérique ; etc. Et, dans la plu­part des cas, se décourager et partir.

Le travail essentiel peut alors être d’analyser collec­tivement les phénomènes de foules pour donner un sens aux difficul­tés rencontrées. Par exemple dire que « personne ne décide » simplement parce qu’il n’y a pas de tri­bune est une illusion. La contrainte ne s’exerce jamais aussi bien que lors­qu’elle est mas­quée. En AG, cha­cun doit constam­ment se de­mander : « Qui fait la loi ici ? ». Qui édicte les règles d’organisation, qui pose les prin­cipes de fonctionne­ment ? Ils existent né­ces­sairement : repo­sent-ils sur quelques personnes charis­matiques ? Sur une morale non discutée ? De la même ma­nière, déjouer une ten­tative de noyau­tage ou de mainmise, ou dénoncer des proclamations sans ef­fets, c’est bien. Mais ce ne sera ni honnête ni efficace si on ne montre pas ce qui a permis cette ten­tative, ses res­sorts, comme par exemple une peur d’en­trer dans un conflit dur avec une tendance ou le gouvernem­ent ou une démission générale face aux res­ponsabilités à prendre.

Identifier les dynamiques de groupe, les rendre publiques et les analyser collectivement sans cris­pations ni lâcheté contribue à la lucidité collec­tive. Si l’on veut que l’AG soit réellement auto­nome, il faut que les relations de pouvoirs soient vi­sibles, parta­geables et critiquables, sans paranoïa. Il faut mettre en place une or­ganisation et des règles discutées et modi­fiées autant que nécessaire pour correspondre aux be­soins de l’assem­blée et de la lutte.

Faire appliquer quelques principes

Aucun modèle d’AG n’est indiscutable. Rien ne peut garantir l’entente entre les gens et l’intelligence collec­tive. Mais les nom­breuses expériences passées per­mettent de dégager quelques principes pratiques, régu­lièrement redécouverts sur le terrain.

- L’AG est souveraine, elle seule prend les déci­sions. Les autres organes n’ont qu’une fonction d’in­formation, d’action ou d’analyse, et doivent régulière­ment rendre des comptes.

- Les tâches sont tournantes. La rotation systéma­tique de toutes les fonctions (animateurs, secré­taires, ...) et de toutes les tâches (affichage, rédac­tion de tracts, ...) évite les monopoles et les fiefs.

- Les mandatés sont contrôlés. Le vote de man­dats impératifs pour les délégués (désignés par exemple pour représenter l’AG à l’extérieur) et leur contrôle permanent est un principe qui permet la confiance.

- La vigilance est de mise. La persévérance de cha­cun doit devenir une habitude face aux noyau­tages, aux manipulations, aux sabotages, mais aussi face aux peurs, délires et tâtonnements, qui sont humains.

- Travailler la participation. Tout doit être fait pour que l’AG favorise de plus en plus l’implication du plus grand nombre, et non l’inverse. Cela suppose de rendre pu­blique les décisions et débats passés.

- Se structurer autour de l’expression. Affiches, comp­tes-rendus et surtout journaux d’assemblées per­mettent de s’organiser, de rendre visibles les actions ou réflexions et de permettre une mémoire des luttes.

- Créer des dispositifs, uniquement s’ils ré­pondent à un be­soin précis et allègent sans dommage les séances plé­nières : groupes de travail, commis­sions, cercles de discussions, points techniques, etc.

- S’autoriser à chercher. Une assemblée est un lieu où les revendications habituelles et les mots d’ordre peuvent être reformulés et transformés pour corres­pondre aux désirs des gens rassemblés et non aux schémas idéologiques préétablis.

Le principe des AG s’est répandu depuis 1968, mais elles s’inscrivent dans la très longue lutte qui vise la gestion par la population elle-même de ses propres affaires, des sections révolutionnaires de 1789 aux soviets de 1917 et aux conseils hongrois de 1956. Dans ces assemblées popu­laires, la parole et le pou­voir ne sont plus la proprié­té privée de quelques oli­garques bien intentionn­és ou non, mais ils sont rendus à la sphère publique.

Les multiples choix à faire concernant la lutte (grève, revendications, préparations d’actions, coordi­nations...) ou la gestion du lieu (occupation, liens avec le quartier, approvisionnement...) engagent chacun au même titre : la démocratie radicale est d’abord une lutte permanente contre l’émergence d’une clique de décideurs.

Collectif politique Lieux Communs

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PS : Sur le même sujet, on lira "Comment manipuler une assemblée générale", "L’antidémocratisme", "Perspectives des mouvements sociaux" et "Penser le passage du social au politique"
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