Mon métro en patois

Les luttes en France...

Mon métro en patois

Messagepar AnarSonore » Lundi 14 Déc 2009 15:04

Mon métro en patois

Métro Capitole. Ça va, il n’y a pas trop de monde. Je m’installe dans la rame.

Tout de suite après, une brave dame : « Macarel ! Mais en quoi il cause le métro aujourd’hui ? C’est de l’Allemand ou quoi ? Ils sont revenus ? Ne me faites pas peur, déjà que je suis en pleine ménopause ! ».

Un gros monsieur : « Non, Madame, je vais vous expliquer, c’est de l’Occitan, je le sais, je suis professeur à l’université ».

La dame : « Laquelle, celle qui est fermée tout le temps à cause de la grève ? Et à quoi ça sert, que le métro il parle occitan comme vous dîtes ? ».

Moi : « Comment, vous savez pas ? C’est pour le commerce international et le développement de Toulouse.
Paraît qu’en Chine ils parlent plus que ça. Grâce à la sensibilisation que leur offre le métro, vos enfants, ils pourront aller y travailler, en Chine, dès la semaine prochaine »
.

Un autre monsieur, goguenard : « Et aux USA c’est pareil. Dans les universités, tous les cours sont en Occitan. Voyez si c’est utile. Et je vous parle même pas de l’aéronautique et des industries de pointe : c’est tout en Occitan aussi. D’ailleurs, la prochaine fois que vous achèterez un Boeing, vous pourrez le vérifier, madame : toute la notice, elle est en Occitan ».

La dame : « C’est que j’en achète pas souvent, moi, des choses comme vous dîtes, pardi, c’est pour ça que j’étais pas au courant. Enfin, ça m’a l’air bien utile quand même ... ».

Le professeur, reprenant ses esprits : « En Chine et aux USA, je suis pas tout à fait sûr, mais grâce à l’Occitan, vos enfants, ils pourront se faire comprendre dans toute notre vaste et belle région ».

La dame : « Si c’est pour aller à Poucharamet, merci bien, on y va déjà tous les dimanches, chez ma belle-soeur, et on a encore pas besoin d’un traducteur. On aurait plutôt besoin d’une bonne cuisinière, parce que son chinché, à ma belle-soeur, ça me mets de ces renvois qu’on dirait la station d’épuration de Ginestous ... ».

Le professeur : « Enfin, c’est avant tout pour retrouver notre mémoire ».

La dame : « Boudu, ça, j’en ai bien besoin, figurez-vous, qu’hier je savais plus ou c’est que je me les étais mises, les clefs ».

Le professeur, doctoral : « Madame, je parle de notre mémoire historique : quand, à l’école, nos arrière grands-parents parlaient occitan, ils étaient punis. C’était des victimes. En parlant occtan dans le métro, nous les réhabilitons ».

La dame : « Héhé, ma grand-mère à moi, elle était sourde-muette, la pauvre femme. On te l’a forcé à faire comme si elle parlait (on dit « oraliser » chez les savants) à grand coup de ceinturons. Et elle, vous allez la réhabiliter ? ».

Le monsieur : « Moi, j’étais gaucher. À l’école, ils m’attachaient la main gauche dans le dos, pour m’obliger à écrire de la main droite, avec des grandes boufes dans la gueule. Vous allez me réhabiliter aussi ? ».

Moi : « Pauvre professeur, pour réhabiliter toutes ses victimes, il va vous falloir parler Occitan en langue des signes et rien qu’avec la main gauche ».

Pendant que le Professeur me regarde d’un air dubitatif nous passons sous la Garonne. Ça n’a l’air de rien, mais sur le plan philologique, ça change tout : d’un côté, c’était le Languedoc, et de l’autre, la Gascogne. Deux langues plus différentes que le Français et l’Espagnol, et avec une prononciation qui n’a rien à voir. Et que croyez vous qu’il se passe ? Rien. La même voix hurle exactement avec la même prononciation dans les wagonnets du métro.

Je le fais remarquer au cher professeur : « On est pas en Gascogne ? ».

Lui : « Et alors ? ».

Moi : « Mais, ça devrait plus être la même langue ! ».

Lui : « Hou … mais, si on se met à parler les uns en Gascon, les autres en Languedocien, on va plus se comprendre ! ».

La dame : « Quoi, vous êtes même pas fichus de vous comprendre entre vous ! Je vais vous le dire, tout professeur que vous êtes, vous me faîtes l’impression d’une glousse qui a trouvé un clavier d’ordinateur. Votre Occitan, té, vous pouvez le mettre à la bedoucette ».

Le professeur qui parle Occitan mais manifestement pas le Toulousain : « C’est quoi, une bedoucette ? »

Le petit de Marinette (En pur toulousain dans texte)


Article d’Anarchosyndicalisme ! n°115
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Re: Mon métro en patois

Messagepar goldfax » Lundi 14 Déc 2009 15:48

L'occitan est une langue, pas un patois. :wink: Mais tu l'as précisé dans le texte. Que je trouve très drôle par ailleurs... Il se croyait spirituel, ce pauvre professeur...
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Re: Mon métro en patois

Messagepar AnarSonore » Jeudi 11 Fév 2010 23:28

Métro : une mesure discriminatoire et xénophobe

Comme si cela ne suffisait pas avec l’immonde débat sur l’identité nationale, tous les matins et tous les soirs nous devons nous farcir le patois dans le métro.

Ce sont là les deux faces d’une même pièce : en effet, pendant que la droite qui tient le gouvernement martèle en long, en large et en travers que nous ne sommes « mêmes pas Français » (et que donc, nous n’avons qu’à nous laisser exploiter et à la fermer), la gauche (PS, PC, Verts) qui tient Tisséo nous fait bien sentir « qu’on est même pas d’ici » (et que donc, nous n’avons qu’à la fermer et à nous laisser exploiter).

Pendant que la droite nous fait les critiques les plus stupides (sur « la casquette à l’envers » par exemple) ou nous insulte sans complexe (« le bruit et l’odeur » refait surface), la gauche affiche ouvertement son mépris à notre encontre en nous assénant à chaque station une langue que 99 % (et encore, on est gentils) des usagers du métro ne comprennent pas.

Dans la population toulousaine beaucoup de voix se sont élevées pour dire qu’imposer le patois dans le métro c’est tout bonnement ridicule et rétrograde. Nous, nous ajoutons que cela rejette un peu plus une partie de la population, que cela la marginalise, la fragilise et la discrimine et que cela fait le jeu de tous les racistes et xénophobes.

Ni les uns ni les autres n’avons été écoutés. La voix des humbles n’intéresse ni la droite ni la gauche, sauf... quand il y a des élections ; alors là, vous les verrez revenir, leurs petits papiers à la main, vous faire le boniment !

Alors, pour les élections, ne vous laissez pas tromper, rappelez vous que, puisqu’
ILS N’ECOUTENT PAS VOTRE VOIX, NE LA LEUR DONNEZ PAS !

Les habitants des quartiers de Toulouse, membres de la CNT-AIT

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Notre patrie c’est le Monde
notre famille l’Humanité

Réunion publique
Jeudi 25 février à 20h30
salle Duranti (rue Lt Col. Pélissier)
organisée par la CNT-AIT Toulouse
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Re: Mon métro en patois

Messagepar AnarSonore » Vendredi 26 Fév 2010 3:17

Enregistrement de la réunion publique organisée par la CNT-AIT Toulouse jeudi 25 février 2010.

1ère partie : préambule et introduction au débat à partir du livre "Anarchisme nation identité culture - régionalisme, nationalisme et anarcho indépendantisme" de Karim Landais [1]
:arrow: http://anarsonore.free.fr/spip.php?article477
Documents joints
* Ni identité nationale, ni identité régionale (1) (MP3 – 26.2 Mo)

Notes
[1] Editions Orphéo, 2005, 184 pages, 8 euros (Pour toute commande écrire à yvescoleman@wanadoo.fr)
Lire en ligne le chapitre Culture, nation, ethnie, nationalisme : du flou et du moins flou de quelques définitions
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Re: Mon métro en patois

Messagepar AnarSonore » Jeudi 04 Mar 2010 11:24

Suite à l’introduction, une trentaine de participants ont échangé leurs réflexions, nous vous en présentons ici un large extrait (1h22mn), le débat s’est poursuivit encore une heure durant.
:arrow: http://anarsonore.free.fr/spip.php?article478
Documents joints
* Ni identité nationale, ni identité régionale (2) (MP3 – 75.6 Mo)
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Re: Mon métro en patois

Messagepar Invité » Mardi 13 Avr 2010 22:55

Une petite question en passant,
à quoi correspond le NATIONAL de Confédération NATIONALE du Travail - Association interNATIONAL des travailleurs s'il vous plaît ?
Merci de répondre.
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Re: Mon métro en patois

Messagepar NOSOTROS » Mercredi 14 Avr 2010 0:22

Si tu veux sincèrement comprendre ce qu'il signifie, il faut que tu te places dans le contexte et l'Etat d'esprit de ce qu'était la classe ouvrière en espagne au moment de la création de la CNT en 1910, en Espagne.

Elle était la manifestation qu'il s'agissait d'une organisation pour tous les travailleurs en Espagne, quelque soit leur origine (catalan, basques, andalous, gallegos, asturiens etc ...), bref un refus des différences identitaires nationalistes pour se placer sur un terrain de classe. (ce qui en France était exprimé par le terme Général de CGT, mais le contexte politique français était différent).

Pourquoi avoir conservé cet acronyme ? Parce que ...

Il y a du sentimentalisme aussi, qu'on retrouve aussi avec l'AIT : ça renvoie à la Commune.

Ce qui permet de juger du caractère révolutionnaire (ou pas) d'une organisation ce n'est pas son nom ... mais son activité.

Le Parti Libéral Mexicain, par exemples, n'est rien de moins qu'une des organisations anarchistes les plus intéressantes qui ait existé ...

D'ailleurs à mon tour de te poser une question :

sais tu ce qu'est le performatif ?

Penses tu que c'est une bonne stratégie en terme de méthode de changement social ?
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Re: Mon métro en patois

Messagepar Invité » Mercredi 14 Avr 2010 19:00

"quand dire c'est faire"
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Re: Mon métro en patois

Messagepar Mala » Mercredi 14 Avr 2010 22:56

Est-ce que ce ne serait pas la propagande par les faits.
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Re: Mon métro en patois

Messagepar NOSOTROS » Jeudi 15 Avr 2010 0:16

Effectivement, le performatif c'est la croyance qu; il suffit de parler, de dire, pour que les choses s'effectuent. C'est une forme de pensée magique.

Un des exemples les plus fameux est dans la Bible : dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut.

C'est une forme de pensée très enfantine (l'enfant dit "je suis la princesse" et effectivement il est persuadé de l'être).

Cette forme de pensée est aussi très courante dans les milieux anar et en général "radicaux" (où il suffit de se dire anar pour croire l'être). (cf. sur un des forums occitans l'un des intervenants qui nous reproche de l'emp6echer de vivre ses rêves ...)


En général, ceux qui sont dans ce genre de pensée portent essentiellement leur critique sur la parole, les mots (ici le "national" de CNT) que sur les faits eux mêmes, les actes, qui seuls devraient compter. Mais tout ceci est surement trop matérialisme, trop raisonnable et pas assez désirant ? :-)

Le fait que pour flatter (éléctoralement) les identitaires occitans, le Pouvoir utilise un tel instrument de parole que les hauts parleurs devrait faire réflechir> Ceci n'est pas fait par hasard : le Pouvoir sait comment ils fonctionnent, et sait que pour leur faire plaisir il suffit de les payer en mot, cela suffit pour leur bonheur tellement ils confondent la parole et l'acte. A leur place, je prendrai plutôt ce procédé comme une marque de mépris, mais bon ...
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Re: Mon métro en patois

Messagepar Mala » Jeudi 15 Avr 2010 8:27

Est-ce qu'une personne se revendiquant anar et qui a en fait une attitude machiste et est incapable de la moindre action militante entre dans la définition de perforatif?
Mala
 

Re: Mon métro en patois

Messagepar douddu » Jeudi 15 Avr 2010 15:24

performatif .....
Evidemment il ne suffit pas dire que les rêves sont la réalité , bien au contraire .

Pour le reste , Les mots sont aussi des actes et parler, se parler , parler aux autres c'est déjà agir , Notons que chaque mot contient une histoire mais aussi un charge affective susceptible d'orienter la pensée d'autrui et donc son action , cette charge affective est surtout orientée par le Pouvoir et une partie de notre travail consiste a comprendre cela ;
Ainsi sur le sujet de l'habitat , on a assisté a un glissement de "j'habite la france" a celui de "je suis français" , le premier concept est un réalité , mais le le deuxiéme induit un sentiment d'appartenance
il faudrait donc être clair sur ce point ......
Et les libertaires le sont de moins en moins quand on note que beaucoup d'entre eux utilisent le terme de peuples en lieu et place de celui de populations .

c'est cette confusion , entre le fait d'habiter une zone et donc d'y agir et celui bien différend d' appartenir a un territoire , qui explique les interrogations au sujet de l'acronyme CNT- AIT
douddu
 

Re: Mon métro en patois

Messagepar Invité » Jeudi 15 Avr 2010 23:53

Je ne savais ce qu'étais le perfomatif... l'apéritif oui.
Maintenant je sais, merci.

[quote="NOSOTROS"]Elle était la manifestation qu'il s'agissait d'une organisation pour tous les travailleurs en Espagne, quelque soit leur origine (catalan, basques, andalous, gallegos, asturiens etc ...), bref un refus des différences identitaires nationalistes pour se placer sur un terrain de classe.[/quote]

Ca par contre je sais que c'est un peu léger. Choisir le cadre de la nation et de l'Etat "Espagne" n'est en rien un garant de terrain de classe.
La classe ouvrière qu'elle soit catalane ou espagnole reste classe ouvrière. Mais l'ouvrier n'est pas qu'ouvrier, il peut aussi être catalan, et footballeur, et mari, et père, et joueur d'harmonica, etc etc... Il n'est pas QUE membre de la classe ouvrière.
Alors dire au catalan qu'il est espagnol, même s'il te dit que non, mais que tu ne l'écoutes pas parce que tu sais toi que c'est pour son bien que tu lui dit qu'il est espagnol puisque c'est le "terrain de classe"... non je ne suis pas convaincu. J'ai même l'impression que c'est un peu perfomatif non ?

Barcelone en 1910, je ne connais pas mis à part quelques livres, intéressant d'ailleurs.
Par contre Barcelona 2010, je connais mieux, avec des gens vivants aujourd'hui.
Des gens avec une conscience de classe ET une conscience nationale catalane ET une conscience anti-impérialiste ET une conscience antifasciste.
Dur à mettre dans une seule case non ?
Plus simple de qualifier d'"identitaire" comme ça on est sur que l'amalgame avec les Identitaires (le groupe de fachos) est bien fait, et comme ça on est tranquille dans ses convictions : occitan = facho, catalan = facho.

On parle d'Espagne, de France, mais rien avoir avec le nationalisme apparement, c'est purement sentimental.
Remettre en cause France et Espagne, d'accord si c'est sous l'angle anarchiste. Mais en attendant le matin du grand soir, on garde ces (ses) références bien pratiques et surtout ces références dans lesquelles on baigne qu'on le veuille ou non, anarchiste ou pas.
Un exemple ?
Tapez "France" dans le moteur de recherche Google du forum et vous avez 410 réponses.
Beaucoup, la majorité en regardant rapidement, font référence à la France l'Etat-nation, le pays.
Prendre en tant qu'anarchiste le cadre France comme cadre politique n'est pas un problème. C'est une réalité politique, c'est du réalisme vous me direz.
L'Espagne apparait 98 fois, même logique.
Et oui, l'Espagne et son Roi, la France et la Tour Eiffel...

Par contre, prendre l'Occitanie ou la Catalogne comme cadre de référence politique est par contre automatiquement une démarche d'extrême-droite selon vous.

Un peu facile non ?
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Re: Mon métro en patois

Messagepar NOSOTROS » Vendredi 16 Avr 2010 0:35

Est-ce qu'une personne se revendiquant anar et qui a en fait une attitude machiste et est incapable de la moindre action militante entre dans la définition de perforatif?


perfor M atif :D

Pas à proprement parler. C'est plutôt soit un menteur (s'il en conscient ... ) voir un mythomane ...

Mais personne n'est parfait, nous avons tous des travers (plus ou moins graves), et la discussion et la critique collective doivent nous permettre de progresser ensembles. (après bien sur encore faut il avoir l'ouverture d'esprit d'accepter la critique).

Mais pour que celle ci touche, encore faut il qu'elle soit sincère et sans arrières pensées.

C'est pourquoi pour notre invité nationaliste, pas grand chose à lui dire.S'il se plait à vivre avec de petites drapeaux plantés dans le dos (des étiquettes ...), dans des cases qu'on lui a désigné à sa naissance, c'est son droit. Politiquement, les anarchiste sont les ennemis irreconciliables des nationalistes. Voila tout.

(Personne ici n'a fait l'équation "occitan = fasciste" (pas plus que "français = raciste" ou "arabe = musulman"), c'est lui qui l'a fait, c'est aussi son droit. )

De plus il y a une petite malhonnêteté à confondre occitan et occitaniste ... c'est pas exactement la même chose. On sent le désire de représenter qui pointe, là ... de la même façon que pour les Communistes le Parti EST la classe ouvrière.

Mais au fait, ami invité, c'est quoi un occitan ? Comment le définis tu, sur quels critères ?
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Re: Mon métro en patois

Messagepar Malval » Vendredi 16 Avr 2010 15:09

L'exemple de la Catalogne repris souvent par les militants identitaires "anti-capitalistes" est plutôt drôle quand on sait que l'imposition d'une nouvelle norme linguistique a profité et profite surtout aux classes privilégiées. Les classes ouvrières parlaient et parlent un nombre inconsidérée d'autres langues qui ne sont pas mises au même niveau que le catalan (et pour cause !) et pour celles qui parlent catalan, c'est plus une alternance de codes langagiers mêlant catalan et castillan (un catalan impur ! brrrr). Sans parler de cette police de la langue qui traîne dans les rues et réprimande sur les étals quand le catalan y est absent...

Résultat ? Une diglossie encore plus conflictuelle.

Et pour le côté pragmatique, performatif du langage, j'estime qu'il aussi important que les actes puisque des paroles permettent de consacrer un nouvel ordre ou état de choses (les exemples d'Austin : "je vous marie", "je baptise ce bâteau", etc.), d'accompagner la compréhension des mécanismes matériels (le mouvement socialiste sans ses pratiques discursives n'existerait pas, sauf des réactions explosives par-ci par-là), de donner du sens aux actes ou de préparer une situation révolutionnaire par une lutte culturelle (les droites se servent plus et mieux de l'héritage gramscien que ses partisan-nes sur ce coup).
Et comme il a été dit plus haut, les mots ont une histoire, une histoire sociale surtout (ça permet d'évacuer les histoires d'étymologie complètement inutiles), ce qui fait qu'effectivement, l'adjectif "national" peut être compris différemment selon les contextes. C'est je pense, une des raisons qui fait que les sigles CNT peuvent être mal compris (dû aussi au fait que les CNT n'ont, à ma connaissance, jamais donné d'explications sur ce qu'elles entendaient par "national" et en quoi ce sens pouvait différer du sens étatique commun).

Bonjour au fait
Malval
 

Re: Mon métro en patois

Messagepar douddu » Samedi 17 Avr 2010 12:08

Bienvenue malval !


C'est je pense, une des raisons qui fait que les sigles CNT peuvent être mal compris (dû aussi au fait que les CNT n'ont, à ma connaissance, jamais donné d'explications sur ce qu'elles entendaient par "national" et en quoi ce sens pouvait différer du sens étatique commun).


voilà qui en effet devrait faire l'objet d'un petit texte explicatif ......
douddu
 

Re: Mon métro en patois

Messagepar NOSOTROS » Lundi 19 Avr 2010 1:26

Salut malval

Bienvenu et merci de cette contribution, très intéressante et pertinente !

POur aller dans le sens de ta proposition, je copie colle ici un extrait d'un texte d'universitaire (donc à prendre avec les réserves de rigueurs ...) sur la question du rapport en anarchistes et nationalistes catalans dans la période qui précède juste la création de la CNT AIT en espagne. Je pense que ça peut contribuer à éclaireir certaines choses, en les replaçant dans leur contexte historique.

==============

Les anarchistes face au nationalisme catalan (1868-1910)

par José ALVAREZ JUNCO (Traduction de Carlos SERRANO. )

(in Le Mouvement social : bulletin trimestriel de l'Institut français d'histoire sociale numero 84, 1973, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5 ... .f1.langFR)

Automne 1907. Solidaridad Obrera, embryon de la future CNT publie le premier numéro de son hebdomadaire. En première page, une gravure représente un travailleur assoupi sous les effets d'une pipe d'opium. Dans les nuages de son rêvé se dessinent deux scènes : une opulente matrone coiffée d'un bonnet phrygien qui distribue à des travailleurs en liesse l'argent qui s'échappe d'une corne d'abondance et une autre déesse-matrone, portant la. Barretina [bonnet traditionnel catalan], couverte d'un écusson aux quatre barres [le drapeau catalan], et une senyera avec l'inscription « Autonomie dé la Catalogne » ; autour de cette dernière on voit un groupe; typique qui danse la sardane [danse traditionnelle catalane]. Une troisième figure féminine, supposée; réelle, tente: de réveiller le prolétaire inconscient et de l'attirer vers les rangs; de Solidaridad Obrera.

Depuis le jour même de sa naissance le syndicalisme anti-politique dont allait surgir la CNT était confronté d'un côté au réformisme républicain et de l'autre — c'est ce qui intéresse ici — au catalanisme. La lutte même pour s'approprier le terme de Solidaridad est révélatrice. S'agissait-il d'une simple concurrence de clientèle ou bien d'un malentendu plus profond entre les deux mouvements les plus importants de notre époque contemporaine, le mouvement ouvrier, dans le cas présent libertaire, et le nationalisme ?

L'origine des deux mouvements remonte pour l'essentiel a la période 1830-1848. Proudhon, qui personnifie le socialisme anti-étatique, avait déjà souligné les dangers du principe des nationalités, dogme de foi pour beaucoup de ses camarades révolutionnaires, et il oppose aux nations-Etats l'idée d'une fédération agricole-industrielle . Ses successeurs idéologiques, Bakounine et Kropotkine, lui furent infidèles sur ce point, se proclamant défenseurs des droits des nationalités opprimées, tout en tentant toujours de distinguer l'aspect culturel-défensif del'aspect impérialiste ou oppresseur .

Le problème n'était pas plus facile pour la gauche non socialiste. La défense de la liberté paraissait conduire à la décentralisation voire au fédéralisme, et c'est ce que fit la Révolution française dans sa phase girondine. La conséquence en était une excessive prudence dans l'action révolutionnaire, un respect exagéré des particularités, problèmes et rythmes de chaque région, des entraves en définitive à l'action des représentants de la « volonté générale » ou nationale. Les Jacobins allaient défendre une version différente du radicalisme démocratique en construisant un Etat centraliste modèle, qui tout à la fois serait une continuation des tendances à l'homogénéisation de la monarchie absolue et un instrument opérant pour les divers régimes politiques du XIXe siècle français. Le thème des libertés nationales ou régionales pouvait se présenter ainsi soit comme un corollaire des principes démocratiques et émancipateurs, ou bien comme une cause rétrograde, chère aux tièdes réformistes ou aux saboteurs de l'action révolutionnaire.

En Espagne même, le problème se pose d'une façon sensiblement différente. Dans un premier temps, les libéraux parvinrent aisément à s'approprier la cause « nationale » — espagnole — contre l'absolutisme. La mythologie espagnoliste est étroitement associée au 2 mai, d'où surgissent également la Constitution de Cadix et le fédéralisme des Juntes — qui ne remettent pas en cause l'unité nationale espagnole. On connaît encore mal aujourd'hui le processus de développement du fédéralisme entre 1812 et 1868, mais bien des indices semblent indiquer que les tendances démocratiques ou républicaines furent toujours fédéralistes. Ce qui est sur toutefois, c'est que jusqu'à la Gloriosa (la révolution de 1868), cette question n'est pas décisive ; des thèmes prioritaires, comme la difficile implantation de la révolution libérale, dominent. De plus, naît une nouvelle source de conflits : le mouvement associatif ouvrier/ qui prend son essor à la fin des années 1830, dans un cadre strictement défini par rapport au resté du pays puisqu'il est issu du développement de l'industrie textile catalane, se montre soucieux d'obtenir sa reconnaissance légale et d'avancer ses revendications salariales. C'est là un type de conflit presque traditionnel déjà en 1868. Son ancienneté et son enracinement semblent très supérieurs aux revendications nationalistes ou autonomistes qui surgissent dans ce même cadre catalan. Et cependant, bien des indices semblent indiquer l'existence d'un certain parallélisme entre les deux phénomènes, d'une certaine fusion des aspirations ou protestations catalanistes et des revendications ouvrières . Mais, sur ce point, il convient de souligner les réserves auxquelles oblige le faible nombre d'études sur la préhistoire du fédéralisme espagnol.

Des relations conflictuelles

Avec la Révolution de 1868 pénètre en Espagne l'Association Internationale des Travailleurs, et les termes mêmes dans lesquels se posé le problème se modifient. Bien que cette organisation soit fondée dans un meeting en faveur de la liberté de la Pologne (ce qui donne une idée de la force des nationalismes parmi les révolutionnaires européens de l'époque), il n'en reste pas moins que ses deux courants fondamentaux, le proudhonien et le marxiste, étaient hostiles aux postulats nationalistes. L'organisation elle-même était connue sous le nom de « l'Internationale », puisqu'une de ses intentions était le dépassement de l'idée de «patrie » parmi le prolétariat révolutionnaire; de son côté la fédération espagnole était qualifiée de « régionale », ce qui traduisait la volonté de rabattre les prétentions de la nation espagnole, sans toutefois que ce fait puisse être interprété comme une attitude favorable aux nationalismes de l'intérieur (et de fait, les régions traditionnelles, comme la Catalogne, étaient à, leur tour dégradées au rang de contrées, de comarcas). Au cas où ce vocabulaire; n'aurait pas été suffisant, une prise de position du journal la Federación de Barcelone précise l'attitude des révolutionnaires ouvriers face aux prétentions autonomistes. « Les droits [fueros] de la Catalogne » est le titre de l'article, dans lequel il est dit que ces droits sont « une farce », qu'ils constituent, une idée « soeur des privilèges » et « inséparable de l'idée de patrie », un « sentiment stupide et indigne de la civilisation » destiné à maintenir le pouvoir des privilégiés et l'esclavage du peuple ; les fueros, tout comme les partis politiques, n'étaient qu'une « des artificielles et funestes divisions de plus qui perpétuent l'antagonisme des classes entre elles, un obstacle constant et terrible aux luttes des classes laborieuses » ; mais l'ère de cette lutte absurde, de « cet héroïsme si mal employé » s'achevait grâce à l'AIT, qui se proposait directement l'abolition radicale de toutes les institutions autoritaires, tous les Dieux, Patries et Rois .

Toutefois, c'est là un jugement isolé. En réalité, pendant les six années que dure la période révolutionnaire, la fédération espagnole de l'AIT n'a nul besoin d'expliciter sa position sur le catalanisme, puisque celui-ci n'existait pas comme force politique organisée. La véritable alternative était le fédéralisme, solidement enraciné dans les milieux populaires, tant en Catalogne que dans le reste du pays. Face à lui, on trouve d'abondantes analyses critiques, des polémiques et même des positions officielles de l'organisation. Pour l'essentiel et pour simplifier, on peut ramener l'attitude des internationalistes à celle de Proudhon : le travailleur n'est pas intéressé par la fédération politique mais par la fédération économique, qui aura pour conséquence l'élimination des structures étatiques .
Le soulèvement cantonaliste de l'été 1873 ne mérite qu'à peine d'être mentionné ici, puisque ce ne sont pas les internationalistes qui l'animent, et, sauf en de rares endroits, ils ne l'appuient même pas -d'autre part il n'y. a pas de Soulèvement en Catalogne, fait surprenant étant donnée la force dont disposaient les fédéralistes « intransigeants » dans la région .
Les premières années de la Restauration fournissent une bonne occasion pour observer les éventuelles attitudes particulières adoptées par le bakouninisme catalan : en effet, les conditions de la clandestinité font que ses conférences annuelles ne sont pas «régionales » (espagnoles) mais limitées à la comarca. Toutefois rien ne semble distinguer les formulations anti-autoritaires des catalans de celles des autres comarcas. De fait, ce qui est typique de cette période, c'est l'insistance mise dans la commune libre, plus que la région, comme cellule de base sur laquelle doit se construire la fédération économico-sociale .
1882 est une date importante dans l'émergence du catalanisme. Face aux projets de traité commercial hispano-français et d'un nouvel impôt industriel, diverses organisations catalanes organisent une campagne de protestation avec meetings, fermetures d'établissements et envois de délégations d'entrepreneurs et d'ouvriers à Madrid, Le courant folklorique et romantique des exaltations nationalistes du XIXE siècle — les manifestants portent la barretina par exemple — converge ici avec une revendication de politique économique —le protectionnisme commercial — qui devait faire, supposait-on, l'unanimité des diverses classes sociales catalanes. Mais la situation avait changé parmi les ouvriers depuis les années 1840 et 1850, où ils se prêtaient encore à ce genre de protestations. La Revista Social, organe de la Fédération des Travailleurs de la Région Espagnole, lance une vigoureuse attaque contre le protectionnisme et le catalanisme et qualifie les protestations de Barcelone de « trame bourgeoise dans laquelle les ouvriers sont manipulés par des mains vendues » et exige du gouvernement la même « sévérité que l'on applique aux pauvres ouvriers à chaque instant ». Le rejet du particularisme catalan se fait au nom des arguments traditionnels de la lutte des classes : « votre principal ennemi est celui qui vous conseille la concorde et l'harmonie avec vos éternels ennemis, les bourgeois » .

Cette prise de position de La Revista Social fit sensation : El Liberal s'en réjouit, par réaction centraliste sans doute ; El Imparcial, par contre, laissa percer ses sentiments anti-ouvriers et qualifiant l'article de « rugissement du fauve » fit allusion à la Commune de Paris ; La Vanguardia accusa La Revista Social de n'être rien d'autre qu'un agent du gouvernement de Sagasta .
La combativité anti-catalaniste de La Revista Social né se limita pourtant pas à cela. Trois semaines plus tard, elle publiait un article, signé par son correspondant à Barcelone, intitulé La barretina, dans lequel elle déclarait se moquer de ces manifestants qui usaient de la coiffe typique du pagès (paysan catalan) après avoir méprisé les hommes du peuple qui l'avaient portée séculairement ; et l'auteur continuait : tous ceux qui pensent « que notre patrie est le monde et que tous les travailleurs sont nos frères ne doivent pas favoriser le port de la barretina catalane, parce qu'elle traduit une défense des privilèges des fabricants catalans qui veulent que renaissent les anciennes haines et rancoeurs entre les travailleurs de la Catalogne d'un côté, et ceux de la Castille et d'Aragon [...] de l'autre, alors que nous souffrons tous de la dure exploitation de la bourgeoisie » . Cette attitude contraste avec celle adoptée par El Obrero, organe des Tres Clases del Vapor mais aussi du socialisme espagnol naissant, édité à Barcelone et qui soutint la campagne protectionniste .
Très semblable fut la campagne déclenchée en 1885 contre le modus vivendi qui se négociait avec l'Angleterre — traditionnel ennemi du textile catalan. El Grito del Pueblo, publié à San Martin de Provensals, dénonça «la comédie bourgeoise », « les plans de la mésocratie cotonnière » ; l'ouvrier, catalan, andalou ou castillan, « doit refuser de participer à ces manifestations inutiles que font des bourgeois contre d'autres bourgeois », sous peine de devenir l'unique victime de cette bataille ; ni le protectionnisme ni le libre-échange ne garantissent le futur ouvrier, à l'inverse du collectivisme et de la fédération solidaire .
Les années 1890 correspondent à un certain assoupissement du catalanisme. La bataille pour le droit « foral » paraissait perdue après l'approbation du Code civil, tandis que les exigences protectionnistes se voyaient satisfaites avec la suspension en 1882 pour dix ans du cinquième article de la réglementation douanière de Figuerola et l'approbation d'une nouvelle réglementation en 1891, ainsi que la conquête d'un quasi monopole sur le marché cubain en 1892. Certes, cette même date est celle des « Bases de Manresa » ; mais il est non moins vrai que les puissantes institutions catalanes représentatives des secteurs industriels ou commerciaux (à la différence du catalanisme culturel) s'alignaient sur les positions les plus fermement espagnolistes face à l'insurrection cubaine et adoptaient des attitudes purement répressives, avec ce que cela signifiait de recours auprès de Madrid, face au phénomène terroriste dès années 1890.
Du côté des anarchistes, il convient de souligner le peu de répercussion qu'eurent les «Bases de Manresa » dans leur presse pendant ce même printemps de 1892, durant lequel ils étaient absorbés par la troisième et principale célébration de la fête du Premier mai . Avec le terrorisme, le fossé entre catalanistes et anarchistes se creuse comme jamais. Manifestation typique de ce phénomène, l'hystérie et la confusion dominent : les républicains accusent les Jésuites d'être les poseurs de bombes (puisque le régime le plus affecté était encore l'instable République française), les organisations catalanistes — au demeurant accusées de « jésuitisme »— accusent à leur tour Madrid de favoriser les terroristes ; de leur côté les anarchistes ignorent souvent l'origine des attentats mais sont férocement poursuivis après chaque nouvelle explosion... II est symptomatique que ce ne soit pas un journal de Barcelone — ni catalàniste ni républicain —, mais un journal de Madrid, El Pais du démagogue anticlérical Alejandro Lerroux, qui accueille les dénonciations des tortures qui provenaient de Montjuic.:
Les tentatives de rapprochement

Le « Désastre » de 1898 change à nouveau les termes du problème. Le catalanisme se définit enfin comme force politique capable de devenir une alternative aux partis nationaux et commence, lentement, à entraîner certaines couches populaires et des forces politiques très diverses. Même un Pi y Margall, qui avait rompu avec Almirall du fait dès attitudes catalanistes de ce dernier, se voit contraint de revendiquer les affinités de son propre programme fédéraliste avec les aspirations régionalistes . De leur côté, les anarchistes ne peuvent éviter de prendre en compte ces faits qui menacent leur propre base sociale, les obligeant à modifier leurs comportements traditionnellement anti-nationalistes. Mais cette évolution ne se fera pas aisément, et il ne semble pas que les aspirations autonomistes soient encore pleinement inclues dans le programme libertaire à la veille même de la guerre, en 1936.
En réalité, depuis les dernières années du XIXe siècle, on observe dans la presse libertaire certains symptômes de rénovation. Ciencia social, la meilleure revue doctrinale des années 1890, éditée à Barcelone, publie un article d'Unamuno sur « La crise du patriotisme». On pouvait y lire, comme c'était la règle, l'attestation de décès du « patriotisme nationaliste bourgeois » (« fantaisie littéraire des grands centres urbains », « produit imposé [...] par la culture coercitive des grands propriétaires fonciers »), mais curieusement on y voyait affirmé le rôle désintégrateur que jouait le régionalisme ou le patriotisme de clocher (pour autant qu'il ne se borne pas à introduire de nouvelles barrières douanières mais au contraire que, par différenciation, il vise à l'intégration suprême). Et Père Corominas aussi écrivait sur la « Psychologie de l'amour du pays» (amor patrio), distinguant la patrie, idée fictive et, en tout cas, moribonde, de l'amour du pays, sentiment naturel qui ne devait pas être combattu mais dont on devait éviter qu'il ne se cristallisât en institutions agressives et rivales .
Trois ans plus tard — après la guerre de 1898 —Jaume Brossa osé esquisser, dans les colonnes de la Revista Blanca, la première et timide défense du catalanisme : celui-ci, dit-il, est « le parti le moins révolutionnaire qu'il y a en Espagne, il est « inféodé au cléricalisme » ; « les catalanistes historiques sont aussi néfastes que les autres réactionnaires espagnols », «le catalanisme est une doctrine essentiellement mésocratique », ajoute-t-il encore ; et pourtant... «la majorité; des ouvriers catalans qui pensent, ressentent delà sympathie envers tout mouvement qui tend à exalter le principe autonomiste car la lutte des classes sera plus facile une fois obtenue l'indépendance de la Catalogne» puisque l'armée espagnole ne pourra plus intervenir ; « si le triomphe de l'autonomisme doit avoir pour conséquence l'abolition de la conscription, la suppression immédiate des impôts sur la consommation [consumos], le respect de tous les droits individuels [...], alors le prolétariat pourrait accepter le nouvel état de droit comme une parenthèse qui lui permettrait de se réorganiser pour la lutte ». En définitive, «les ouvriers doivent appuyer les revendications autonomistes, mais sans se confondre avec les catalanistes » .
Brossa fut réellement un précurseur, car, malgré l'importance prise par le catalanisme après 1901, il faudra attendre encore quatre ans pour que les organes libertaires publient à nouveau des positions qui lui soient favorables. Bien entendu, ces années correspondent aussi au catalanisme le plus conservateur, fortement teinté de cléricalisme et proche du patronat. La distance — si ce n'est l'hostilité — avec laquelle le regardent les anarchistes semble renforcer la vieille thèse selon laquelle le catalanisme, lorsqu'il surgit comme mouvement politique, n'avait pas — et ne cherchait peut-être pas à avoir — de racines populaires. Plus encore, une pareille attitude pourrait signifier que ce qui était réellement populaire, c'était l'anticatalanisme d'un Lerroux — dont les ouvriers et militants anarchistes se sentaient plus proches que de la Lliga de Catalogne —, dont le succès ne trouverait donc pas son explication dans d'obscures ma chinations du ministère de l'Intérieur financées par les « fonds secrets » — facteur en tout cas insuffisant pour expliquer un phénomène social de pareille ampleur.
Mais en 1905 le lerrouxisme a perdu suffisamment de crédit aux yeux de la gauche, et le catalanisme gagne du terrain comme le montrent les réactions qui suivent l'incident du « Cu-Cut ! » et l'ultérieure campagne contre la Ley deJurisdicciones, qui débouchent l'année suivante sur la constitution de l'ample front connu sous le nom de « Solidarité catalane ». C'est aussi pendant le printemps de 1905 que naît un véritable courant d'opinion anarcho-catalaniste. Felipe Cortiella, typographe et auteur dramatique de Barcelone, qui avait vécu longtemps à Madrid, publie Avenir, hebdomadaire qui ne dépasse pas cinq numéros et qui constitue le premier organe libertaire connu écrit en catalan. «Moderniste» dans sa présentation, nietzschéen dans le ton, il défendait la langue catalane en tant que revendication et instrument de l'anarchisme : chaque peuplé possède une mentalité propre qui s'exprime dans une langue propre, et si on utilise une autre langue, comme le font les Catalans qui croient en la liberté et écrivent en castillan, «l'idée originale n'arrive jamais à émouvoir fondamentalement les personnes qui l'écoutent » ; il ne faut pas chercher à « construire une patrie » comme le disent les catalanistes, puisque la patrie est une idée du passé ; mais il faut savoir conserver « le caractère particulier des hommes, leur propre manière de sentir la vie, leur propre langage, interprète fidèle de la personnalité de chacun » ; la vieille idée de patrie se réduit au cercle social dans lequel chacun se meut, «et à certains moments arrive à se confondre avec l'individu même » ; la lutte contre l'injustice et pour la liberté des opprimés se confond alors avec cette véritable lutte patriotique .
Durant les mois qui suivent, on trouve de nouvelles preuves de la consolidation d'un courant philo-catalaniste. D'autres périodiques libertaires écrits en catalan surgissent, tel Progreso que nous n'avons pu consulter . Des organes de presse de type individualiste et nietzschéen, comme Juventud de Valence, accueillent les revendications autonomistes (« pour implanter ou nous approcher de l'Anarchie, nous devons fuir l'uniformisation et le nivellement »;« ni catalanistes ni bizcaitarras [nationalistes basques], nous ne pouvons certes lutter en faveur de rien de ce qui existe. Mais nous, les anarchistes, ne devons jamais être en faveur de la centralisation ni de l'uniformisation imposée à des peuples qui ont une vie propre » .

Surtout, José Mas-Gomeri, de Minorque, écrit alors dans les colonnes du Porvenir del Obrero un grand article, « Anarchisme et régionalisme », dans lequel il expose ouvertement la philosophie des partisans du rapprochement : les idéaux qui ne progressent pas meurent, écrit-il ; le traditionalisme est mort et le fédéralisme connaîtra un sort identique s'il n'évolue pas, abandonnant ses défauts « gouvernementaux », vers un fédéralisme économique ; ce genre de « fédéralisme anarchiste commence à se manifester dans le régionalisme qui regarde vers l'avenir » et qui annule le régionalisme traditionnel. Sans même qu'anarchistes et régionalistes le sachent, « ce régionalisme moderne est celui qui se dégage de l'Anarchie » ; « l'Anarchie ne sera jamais un fait, elle ne pourra exister sans la fédération de groupes naturels des régions ; et le régionalisme ne pourra libérer les peuples de la tyrannie centraliste s'il n'est pas anarchiste ». Mais Mas-Gomeri va plus loin qu'une simple suggestion adressée au catalanisme afin qu'il rectifie ses tendances autoritaires erronées ; tout au contraire, il plaide pour le catalanisme tel qu'il est, car en Catalogne, dit-il, personne ne demande un gouvernement propre ni ne veut faire renaître d'anciens petits Etats; ce qui est demandé, c'est l'autonomie et « l'autonomie est la véritable définition de la liberté». Bien sûr, il conviendra de spécifier que l'autonomie commence par l'auto-gouvernement individuel ; mais de celui-ci on passe à la « fédération de groupements naturels libres» qui, faisant se fondre l'anarchisme et le régionalisme, « dépouillera les hommes de tout sectarisme, des dogmes et des superstitions patriotiques » et formera des esprits libres qui impulseront la conquête de la liberté par les peuples .
Malgré son importance, il ne semble pas que cet article ait provoqué de polémique. Toutefois la simultanéité de tous ces événements suscita, elle, quelque inquiétude et donna lieu à des réactions. L'attitude la plus raisonnable, dans le, cadre du conservatisme idéologique, fut celle qui fut adoptée par la Revista Blanca. Urales, catalan installé à Madrid, signala dans sa revue la sortie de Avenir et de Progreso; commentant la défense des langues régionales qu'entreprenait Avenir, Urales écrivit alors qu'il s'agissait « d'une idée individuelle très respectable à laquelle nous n'adhérons pas», car «la patrie universelle exige une langue universelle, la fraternité: du genre humain requiert que toutes les personnes puissent s'entendre »; les anarcho-catalanistes devraient se souvenir, ajoutait-il, que les idées libertaires n'avaient pas été introduites en Catalogne dans la langue catalane. Quant à la conciliation que proposait Mas-Gomeri entre anarchisme et régionalisme, elle semblait à Urales n'être rien d'autre qu'un régionalisme inventé par son auteur, qui attribuait « au régionalisme des caractéristiques propres de l'anarchisme» . En outre, à la même date, la Revista Blanca publiait deux autres articles sur le même thème. Le premier, de Salvador Gibert, était écrit au nom du groupe Progrès Autonomista, membre de l'Unió Catalanista mais, selon ses propres déclarations, «diffusant pour son propre compte les idéaux libertaires en partant du principe autonomiste de la région pour atteindre la complète autonomie de l'individu » ; à cette organisation adhéraient «tous ceux qui ne méconnaissent pas la patrie naturelle mais aspirent à la constitution de la patrie universelle, formée précisément par l'ensemble des régions du monde entier devenues autonomes ». Outre cette présentation de son groupe, Gibert prétendait montrer que le nationalisme catalan n'était pas une nouveauté, puisqu'en réalité le nationalisme catalan était la négation de l'Etat; de ce fait, il n'y avait rien d'étonnant à ce que les jeunes gens qui se reconnaissaient en lui soient souvent épris d'idées libertaires. Un mois plus tard, J. Garden insistait de son côté sur « l'affirmation fondamentale par le catalanisme » du « droit de tous les peuples qui ont une personnalité bien différenciée à se gouverner eux-mêmes ». Ce principe représentait à ses yeux « une avancée non négligeable pour le développement des idéaux libertaires »; il ne s'agissait pas en effet de créer de nouveaux Etats, puisque la « majeure partie de la jeunesse considérait le nationalisme comme un moyen d'avancer vers des idéaux plus parfaits, et voyait dans la reconnaissance des personnalités sociales l'unique fondement de la fraternité humaine » .
Malgré son attitude hostile au catalanisme, Urales soulignait ainsi l'importance de ce thème et annonçait même son intention de consacrer un ou deux numéros de la Revista Blanca à en débattre. Mais la disparition de celle-ci rendit impossible la réalisation de ce projet.

Les critiques libertaires

D'autres réactions furent moins compréhensives. En tout premier lieu il faut mentionner celle d'Anselmo Lorenzo, tolédan de naissance, élevé à Madrid et qui, après trente ans de résidence à Barcelone, s'irritait encore que l'on parle devant lui en catalan. A une date aussi précoce que 1899 il avait publié « Ni catalanistes ni bizcaitarras », article repris par la suite en diverses occasions, et dans lequel il répétait les thèses classiques du mouvement ouvrier contre les nationalismes : le centralisme est sans doute un mal, mais ce sont les « fils du privilège » qui mènent la lutte contre lui, ces « agitateurs d'aujourd'hui et gouvernants de demain » ; les prolétaires, auxquels on demande de verser ainsi leur sang dans cette lutte, doivent rejeter tous ceux qui viennent leur chanter des «musiques régionales qui laissent subsister le propriétaire, le capitaliste, l'exploiteur et l'usurier»; l'émancipation du prolétariat n'est pas un problème local, régional ou même national ; la solidarité entre les travailleurs est l'objectif que tentent de briser les bourgeois qui fomentent les rivalités entre Castillans, Catalans ou Basques ; le pouvoir politique de ceux qui savent dire « seize juges mangent les foies [des pendus] » (setse juges menjan fetge) ne vaut pas mieux qu'un autre, comme le démontre l'administration de la mairie de Barcelone . Lorenzo, en diverses occasions, reviendra sur cette énergique dénonciation de la problématique catalaniste, toujours jugée de ce même point de vue de classe .
Ce sont des critiques similaires, quoique moins violentes, que formulèrent Ricardo Mella — qui écrivait à Cortiella pour lui reprocher d'abandonner la langue castillane : « sois moins catalan et je serais moins galicien » — et Juan Bautista Esteve, « Leopoldo Bonafulla », qui mène la polémique contre Progrès depuis les colonnes de El Productor de Barcelone : «ces divisions territoriales ne nous importent pas », « vous n'êtes pas des libertaires ni mêmes des progressistes lorsque vous voulez une Catalogne pour les catalans ; nous, au moins, nous désirons la terre pour tous les humains » .
Les exemples antérieurs suffisent pour tenter à présent une synthèse des arguments essentiels de la critique libertaire -face au catalanisme. Comme il est habituel dans cette idéologie, deux types de considérations, liés aux origines doctrinales, se combinaient.
D'un côté l'individualisme libéral, avec pour corollaires le cosmopolitisme et l'abolition de tout gouvernement, en tout point contraire aux nationalismes qui se limitaient à substituer un Etat à un autre. Comme l'écrit Mëlla, réfutant rien moins que la défense par Kropotkine des nationalités opprimées, le nationalisme «n'a pas ces caractères d'universalité qui constituent les racines mêmes de nos idéaux ; tout au contraire, il est l'expression d'un particularisme rétrograde ou d'un sentiment atavique aussi peu sympathique que la centralisation envahissante à laquelle il s'oppose »;« l'autonomie, ou si l'on préfère, l'indépendance de la Hongrie, de la Serbie, de l'Irlande, de la Catalogne [...] réalisera-t-elle autre chose qu'un changement de pouvoir central, de gouvernants et de fonctionnaires?»; « toute rébellion contre toutes les oppressions est juste », mais, plus que les intérêts étroits de chaque région, l'anarchisme « affirme toujours et toujours proclame l'universalité de ses aspirations en faveur de l'émancipation humaine et du cosmopolitisme » .
D'un deuxième point de vue, celui de la lutte des classes, le nationalisme était dénoncé comme une idéologie mystificatrice qui prétendait dépasser l'antagonisme entre patrons et ouvriers au nom de l'unité fictive autour de l'idée de nation, simple paravent des intérêts de la classe dominante. La Catalogne, écrit en 1910 Josep Prat anarchiste catalan proche des formulations marxistes de la lutte des classes, n'est que le masque « idéologico-sentimental destiné à attraper les imprudents» et l'association Solidarité catalane n'est rien d'autre qu'une « solidarité bourgeoise » .
Lorenzo, de Son côté, insiste : en Catalogne il y a deux solidarités, et aucune des deux ne peut s'attribuer exclusivement le qualificatif de catalane [;] la bourgeoisie catalane [...] a pour trait distinctif, au sein de la sphère de l'injustice, l'ardeur passionnelle avec laquelle elle expose ses préférences pour sa région .[...]. Le caractère illogique de sa logique saute aux yeux lorsqu'on observe que, pour son principal moyen d'existence, l'industrie cotonnière [...], ces bourgeois catalanistes utilisent des ouvriers catalans,!...] et lorsque leurs compatriotes esclaves se plaignent [...] ils tournent leurs regards, irrités par la peur et la colère, vers ce Madrid de la centralisation tant abominée, réclamant le secours de la force publique .
Telle sont les attitudes, qui ne changeront guère, durant les années qui vont jusqu'à la Semaine Tragique de Barcelone en juillet 1909. Il est bien vrai que la résurgence d'un phénomène terroriste à Barcelone entre 1904 et 1909 ne favorise guère le rapprochement. Mas-Gomeri lui-même dénonce l'attitude craintive et répressive de la presse catalaniste , qui culmine, dans les jours qui suivent la Semaine Tragique, avec le fameux éditorial de La Veu de Catalunya « Delateu ! » [Dénoncez, en catalan …] , véritable « acte de bassesse » selon l'anarchiste Adolfo Bueso , C'est dans cette ambiance que «Solidaridad Obrera », d'abord journal puis association, se dressera face à « Solidaridad Catalana » . Les formulations de l'organisation syndicale paraissent indiquer alors son total mépris envers la nationalité catalane, à tel point que l'organisation prit l'adjectif « national » lorsqu'elle amplifia ses limites géographiques ; personne, pendant toute la longue discussion — de juin 1909 jusqu'à septembre 1910 — sur cette amplification de son aire d'action ne mit en doute — et encore moins ne discuta - que ce terme de « national » se référait à l'Espagne . Les voix qui s'étaient élevées entre 1899 et 1905 pour rapprocher anarchisme et catalanisme paraissent donc condamnées au silence par les circonstances des cinq années suivantes.
Toutefois on peut encore relever une dernière étincelle de cette polémique en 1910. A partir de positions différentes, celles d'une gauche non partisane dans un cas, socialisante dans un autre, Jaume Brossa — de nouveau — et le majorquin Gabriel Alomar relancent l'idée d'un catalanisme progressiste ouvert aux ouvriers. Leurs thèses nous intéressent moins ici que le fulgurant rejet qu'ils provoquent dans les milieux libertaires. Ricardo Mella, José Prat et Anselmo Lorenzo, pratiquement les trois principales figures des intellectuels libertaires, se chargent alors de la riposte. Il est inutile de s'attarder sur l'attitude de Lorenzo : commentant El lïbro del saber doliente de Antonio Zozayà, il répète que le catalanisme et le nationalisme basque cherchent une impossible solidarité entre bourgeoisie dirigeante dé ces mouvements et prolétariat local, et qu'une telle tentative a échoué grâce à la conscience de classe des travailleurs .
José Prat publie en 1910 son œuvre la plus importante, « La bourgeoisie et le prolétariat », dans laquelle il consacre quelques pages parfaitement claires à cette question : la race, la langue constituent des préjugés réactionnaires, qui n'intéressent en rien les libertaires ; la rébellion catalane est purement formelle ou bien dissimule des privilèges et des intérêts de classe étrangers au prolétariat ; l'ouvrier rebelle doit agir par lui-même, faire progresser la lutte syndicale et prendre comme seul objectif révolutionnaire la destruction de tous les Etats .

Ricardo Mella, enfin y accorde une attention spéciale aux positions de Alomar et Brossa, Alomar, qui arbore «le drapeau d'un nouvel et étrange parti, tout à la fois socialiste et catalaniste » n'intéresse guère du fait de son élitisme comparé par Mella à celui de Maeztu pour l'Espagne : ces hommes ne cherchent: qu'à faire surgir un groupe intelleçtuel conscient, capable de diriger le peuple vers la régénération, et Mella leur oppose le classique populisme anarchiste. Pour ce qui est de Brossa, il s'agit d'un chantre «de la révolution interne » et de « l'homme nouveau » aux échos libertaires; mais il chante en catalan, tout en se proclamant cosmopolite, et cela semble à Mella relever d'une « insistance sur le particularisme régional », d'une « lutte permanente pour une nationalité qui en dernière analyse ne résoudrait rien si elle s'établissait » ; «les Pyrénées ne leur suffisant pas-comme barrière; ils lèvent de nouvelles murailles et s'enferment derrière elles », ce qui est appauvrissant ; Barcelone avait été le berceau et le centre hégémonique du mouvement ouvrier espagnol, « remarquable par son associationnisme, sa culture et sa régénération»; mais ceci s'était produit alors qu'on n'y «parlait pas de catalanisme, que les exclusives patriotiques » n'y avaient pas cours ; ce n'est que plus tard qu'avait surgi la «lutte stupide des peuples », venant rompre « les liens de la fraternité et de l'idéal » ; « patriotisme local et patriotisme général pouvaient se féliciter mutuellement », mais pour peu de temps encore car les ouvriers de Catalogne, d'Espagne et du mondé entier retrouvent leur chemin, montrant aux intellectuels égarés la véritable voie : « Catalanisme ? Espagnolisme ? Non, l'homme, universel, libre et heureux ; la rédemption individuelle interne et la révolution collective » .

1910 est la date limite que s'assigne la présente enquête. Les positions étaient alors bien assises et, à part les quelques timides tentatives de rapprochement vers le catalanisme dans les premières années du siècle, domine parmi les anarchistes le classique rejet du nationalisme par le mouvement ouvrier. Les circonstances ultérieures, avec l'émergence d'un catalanisme de gauche, allaient rendre la convergence plus aisée avec les libertaires. Toutefois l'impression domine d'une notable permanence de cette attitude initiale .
Concluons donc.

L'impression qui prévaut est que les anarchistes demeurèrent fidèles à l'attitude internationaliste originelle, que le mouvement ouvrier avait héritée du socialisme utopique et du rationalisme éclairé. Ces principes abstraits semblent avoir eu tant de force parmi les idéologues libertaires qu'ils furent incapables de comprendre l'importance que peut avoir pour une communauté la revendication du pouvoir dé décision sur les affaires qui la concernent directement et exclusivement. Comme l'a observé Père Solà, les anarchistes en vinrent même à se montrer plus méfiants envers le nationalisme «bourgeois » catalan que face à l'unité nationale espagnole, acceptée plus aisément , ce qui révèle une mentalité très traditionnelle qui s'exprime aussi dans d'autres domaines.
L'étonnement devant ce phénomène s'accentue si l'on considère l'indiscutable et constant hégémonisme catalan dans le mouvement libertaire espagnol. Une explication pourrait se trouver dans l'importance de l'immigration d'un prolétariat de langue castillane eh Catalogne. De fait, divers auteurs soulignent l'existence d'un lien entre les positions maximalistes et les anarchistes d'origine non catalane, les plus opposés aussi au catalanisme . Le radicalisme anarchisant serait ainsi une réaction du prolétariat émigré en Catalogne qui, tout à la fois, s'unifiait syndicalement contre les patrons, et se défendait contre la langue et la culture de leur pays adoptif. Toutefois cette explication est insuffisante, ne serait-ce que parce qu'il est possible de citer autant — si ce n'est plus — de leaders et de militants strictement catalans qui furent favorables aux attitudes anticatalanistes dont il vient d'être question.

Mais s'il faut souligner les limites de l'anarchisme en ce qui concerne la compréhension de l'importance du catalanisme au sein de la communauté dans laquelle les deux courants se développaient, il convient de préciser que le catalanisme de l'époque ici étudiée ne semble guère, de son côté, chercher à s'attirer les militants ouvriers. La méconnaissance et l'hostilité — sauf en de rares occasions — étaient mutuelles. A en juger par ces données, il semble juste de continuer à qualifier le catalanisme, dans les premières étapes de son développement; de; bourgeois ; du moins telle était la sensation que pouvaient en avoir les milieux libertaires. Bien entendu, cela n'a rien à voir avec je ne sais quelle « tache » essentiellement bourgeoise du catalanisme ni des mouvements nationaux en général comme l'ont démontré tant d'autres exemples, et révolution même du catalanisme par la suite.

Ce thème est complexe et notre conclusion ne peut donc qu'être frustrante. En définitive, comme l'a écrit Termes, « on ne peut étudier le fait national à partir des seuls programmes des partis, qui ne nous expliquent pas dans leur totalité la formation d'une conscience nationale. Si nous observons les aspects linguistiques, sociologiques ou d'identité, cette conscience est populaire » . Sans doute l'anarchisme était-il aussi une façon d'exprimer la protestation contre le centralisme, c'est-à-dire une exigence d'autonomie. Il n'est pas possible de simplifier et de rejeter le catalanisme en tant que courant « bourgeois » — ce qui bien souvent n'a servi qu'à recouvrir des attitudes centralistes intéressées —, de même qu'il n'est pas possible, à l'autre extrême, de « blanchir » son passé en affirmant qu'il fut toujours populaire . Ni l'anarchisme ni le catalanisme ne furent des mouvements monolithiques et leur signification ne fut pas toujours identique...[ … ]
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Re: Mon métro en patois

Messagepar NOSOTROS » Lundi 19 Avr 2010 1:27

Salut malval

Bienvenu et merci de cette contribution, très intéressante et pertinente !

POur aller dans le sens de ta proposition, je copie colle ici un extrait d'un texte d'universitaire (donc à prendre avec les réserves de rigueurs ...) sur la question du rapport en anarchistes et nationalistes catalans dans la période qui précède juste la création de la CNT AIT en espagne. Je pense que ça peut contribuer à éclaireir certaines choses, en les replaçant dans leur contexte historique.

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Les anarchistes face au nationalisme catalan (1868-1910)

par José ALVAREZ JUNCO (Traduction de Carlos SERRANO. )

(in Le Mouvement social : bulletin trimestriel de l'Institut français d'histoire sociale numero 84, 1973)

Automne 1907. Solidaridad Obrera, embryon de la future CNT publie le premier numéro de son hebdomadaire. En première page, une gravure représente un travailleur assoupi sous les effets d'une pipe d'opium. Dans les nuages de son rêvé se dessinent deux scènes : une opulente matrone coiffée d'un bonnet phrygien qui distribue à des travailleurs en liesse l'argent qui s'échappe d'une corne d'abondance et une autre déesse-matrone, portant la. Barretina [bonnet traditionnel catalan], couverte d'un écusson aux quatre barres [le drapeau catalan], et une senyera avec l'inscription « Autonomie dé la Catalogne » ; autour de cette dernière on voit un groupe; typique qui danse la sardane [danse traditionnelle catalane]. Une troisième figure féminine, supposée; réelle, tente: de réveiller le prolétaire inconscient et de l'attirer vers les rangs; de Solidaridad Obrera.

Depuis le jour même de sa naissance le syndicalisme anti-politique dont allait surgir la CNT était confronté d'un côté au réformisme républicain et de l'autre — c'est ce qui intéresse ici — au catalanisme. La lutte même pour s'approprier le terme de Solidaridad est révélatrice. S'agissait-il d'une simple concurrence de clientèle ou bien d'un malentendu plus profond entre les deux mouvements les plus importants de notre époque contemporaine, le mouvement ouvrier, dans le cas présent libertaire, et le nationalisme ?

L'origine des deux mouvements remonte pour l'essentiel a la période 1830-1848. Proudhon, qui personnifie le socialisme anti-étatique, avait déjà souligné les dangers du principe des nationalités, dogme de foi pour beaucoup de ses camarades révolutionnaires, et il oppose aux nations-Etats l'idée d'une fédération agricole-industrielle . Ses successeurs idéologiques, Bakounine et Kropotkine, lui furent infidèles sur ce point, se proclamant défenseurs des droits des nationalités opprimées, tout en tentant toujours de distinguer l'aspect culturel-défensif del'aspect impérialiste ou oppresseur .

Le problème n'était pas plus facile pour la gauche non socialiste. La défense de la liberté paraissait conduire à la décentralisation voire au fédéralisme, et c'est ce que fit la Révolution française dans sa phase girondine. La conséquence en était une excessive prudence dans l'action révolutionnaire, un respect exagéré des particularités, problèmes et rythmes de chaque région, des entraves en définitive à l'action des représentants de la « volonté générale » ou nationale. Les Jacobins allaient défendre une version différente du radicalisme démocratique en construisant un Etat centraliste modèle, qui tout à la fois serait une continuation des tendances à l'homogénéisation de la monarchie absolue et un instrument opérant pour les divers régimes politiques du XIXe siècle français. Le thème des libertés nationales ou régionales pouvait se présenter ainsi soit comme un corollaire des principes démocratiques et émancipateurs, ou bien comme une cause rétrograde, chère aux tièdes réformistes ou aux saboteurs de l'action révolutionnaire.

En Espagne même, le problème se pose d'une façon sensiblement différente. Dans un premier temps, les libéraux parvinrent aisément à s'approprier la cause « nationale » — espagnole — contre l'absolutisme. La mythologie espagnoliste est étroitement associée au 2 mai, d'où surgissent également la Constitution de Cadix et le fédéralisme des Juntes — qui ne remettent pas en cause l'unité nationale espagnole. On connaît encore mal aujourd'hui le processus de développement du fédéralisme entre 1812 et 1868, mais bien des indices semblent indiquer que les tendances démocratiques ou républicaines furent toujours fédéralistes. Ce qui est sur toutefois, c'est que jusqu'à la Gloriosa (la révolution de 1868), cette question n'est pas décisive ; des thèmes prioritaires, comme la difficile implantation de la révolution libérale, dominent. De plus, naît une nouvelle source de conflits : le mouvement associatif ouvrier/ qui prend son essor à la fin des années 1830, dans un cadre strictement défini par rapport au resté du pays puisqu'il est issu du développement de l'industrie textile catalane, se montre soucieux d'obtenir sa reconnaissance légale et d'avancer ses revendications salariales. C'est là un type de conflit presque traditionnel déjà en 1868. Son ancienneté et son enracinement semblent très supérieurs aux revendications nationalistes ou autonomistes qui surgissent dans ce même cadre catalan. Et cependant, bien des indices semblent indiquer l'existence d'un certain parallélisme entre les deux phénomènes, d'une certaine fusion des aspirations ou protestations catalanistes et des revendications ouvrières . Mais, sur ce point, il convient de souligner les réserves auxquelles oblige le faible nombre d'études sur la préhistoire du fédéralisme espagnol.

Des relations conflictuelles

Avec la Révolution de 1868 pénètre en Espagne l'Association Internationale des Travailleurs, et les termes mêmes dans lesquels se posé le problème se modifient. Bien que cette organisation soit fondée dans un meeting en faveur de la liberté de la Pologne (ce qui donne une idée de la force des nationalismes parmi les révolutionnaires européens de l'époque), il n'en reste pas moins que ses deux courants fondamentaux, le proudhonien et le marxiste, étaient hostiles aux postulats nationalistes. L'organisation elle-même était connue sous le nom de « l'Internationale », puisqu'une de ses intentions était le dépassement de l'idée de «patrie » parmi le prolétariat révolutionnaire; de son côté la fédération espagnole était qualifiée de « régionale », ce qui traduisait la volonté de rabattre les prétentions de la nation espagnole, sans toutefois que ce fait puisse être interprété comme une attitude favorable aux nationalismes de l'intérieur (et de fait, les régions traditionnelles, comme la Catalogne, étaient à, leur tour dégradées au rang de contrées, de comarcas). Au cas où ce vocabulaire; n'aurait pas été suffisant, une prise de position du journal la Federación de Barcelone précise l'attitude des révolutionnaires ouvriers face aux prétentions autonomistes. « Les droits [fueros] de la Catalogne » est le titre de l'article, dans lequel il est dit que ces droits sont « une farce », qu'ils constituent, une idée « soeur des privilèges » et « inséparable de l'idée de patrie », un « sentiment stupide et indigne de la civilisation » destiné à maintenir le pouvoir des privilégiés et l'esclavage du peuple ; les fueros, tout comme les partis politiques, n'étaient qu'une « des artificielles et funestes divisions de plus qui perpétuent l'antagonisme des classes entre elles, un obstacle constant et terrible aux luttes des classes laborieuses » ; mais l'ère de cette lutte absurde, de « cet héroïsme si mal employé » s'achevait grâce à l'AIT, qui se proposait directement l'abolition radicale de toutes les institutions autoritaires, tous les Dieux, Patries et Rois .

Toutefois, c'est là un jugement isolé. En réalité, pendant les six années que dure la période révolutionnaire, la fédération espagnole de l'AIT n'a nul besoin d'expliciter sa position sur le catalanisme, puisque celui-ci n'existait pas comme force politique organisée. La véritable alternative était le fédéralisme, solidement enraciné dans les milieux populaires, tant en Catalogne que dans le reste du pays. Face à lui, on trouve d'abondantes analyses critiques, des polémiques et même des positions officielles de l'organisation. Pour l'essentiel et pour simplifier, on peut ramener l'attitude des internationalistes à celle de Proudhon : le travailleur n'est pas intéressé par la fédération politique mais par la fédération économique, qui aura pour conséquence l'élimination des structures étatiques .
Le soulèvement cantonaliste de l'été 1873 ne mérite qu'à peine d'être mentionné ici, puisque ce ne sont pas les internationalistes qui l'animent, et, sauf en de rares endroits, ils ne l'appuient même pas -d'autre part il n'y. a pas de Soulèvement en Catalogne, fait surprenant étant donnée la force dont disposaient les fédéralistes « intransigeants » dans la région .
Les premières années de la Restauration fournissent une bonne occasion pour observer les éventuelles attitudes particulières adoptées par le bakouninisme catalan : en effet, les conditions de la clandestinité font que ses conférences annuelles ne sont pas «régionales » (espagnoles) mais limitées à la comarca. Toutefois rien ne semble distinguer les formulations anti-autoritaires des catalans de celles des autres comarcas. De fait, ce qui est typique de cette période, c'est l'insistance mise dans la commune libre, plus que la région, comme cellule de base sur laquelle doit se construire la fédération économico-sociale .
1882 est une date importante dans l'émergence du catalanisme. Face aux projets de traité commercial hispano-français et d'un nouvel impôt industriel, diverses organisations catalanes organisent une campagne de protestation avec meetings, fermetures d'établissements et envois de délégations d'entrepreneurs et d'ouvriers à Madrid, Le courant folklorique et romantique des exaltations nationalistes du XIXE siècle — les manifestants portent la barretina par exemple — converge ici avec une revendication de politique économique —le protectionnisme commercial — qui devait faire, supposait-on, l'unanimité des diverses classes sociales catalanes. Mais la situation avait changé parmi les ouvriers depuis les années 1840 et 1850, où ils se prêtaient encore à ce genre de protestations. La Revista Social, organe de la Fédération des Travailleurs de la Région Espagnole, lance une vigoureuse attaque contre le protectionnisme et le catalanisme et qualifie les protestations de Barcelone de « trame bourgeoise dans laquelle les ouvriers sont manipulés par des mains vendues » et exige du gouvernement la même « sévérité que l'on applique aux pauvres ouvriers à chaque instant ». Le rejet du particularisme catalan se fait au nom des arguments traditionnels de la lutte des classes : « votre principal ennemi est celui qui vous conseille la concorde et l'harmonie avec vos éternels ennemis, les bourgeois » .

Cette prise de position de La Revista Social fit sensation : El Liberal s'en réjouit, par réaction centraliste sans doute ; El Imparcial, par contre, laissa percer ses sentiments anti-ouvriers et qualifiant l'article de « rugissement du fauve » fit allusion à la Commune de Paris ; La Vanguardia accusa La Revista Social de n'être rien d'autre qu'un agent du gouvernement de Sagasta .
La combativité anti-catalaniste de La Revista Social né se limita pourtant pas à cela. Trois semaines plus tard, elle publiait un article, signé par son correspondant à Barcelone, intitulé La barretina, dans lequel elle déclarait se moquer de ces manifestants qui usaient de la coiffe typique du pagès (paysan catalan) après avoir méprisé les hommes du peuple qui l'avaient portée séculairement ; et l'auteur continuait : tous ceux qui pensent « que notre patrie est le monde et que tous les travailleurs sont nos frères ne doivent pas favoriser le port de la barretina catalane, parce qu'elle traduit une défense des privilèges des fabricants catalans qui veulent que renaissent les anciennes haines et rancoeurs entre les travailleurs de la Catalogne d'un côté, et ceux de la Castille et d'Aragon [...] de l'autre, alors que nous souffrons tous de la dure exploitation de la bourgeoisie » . Cette attitude contraste avec celle adoptée par El Obrero, organe des Tres Clases del Vapor mais aussi du socialisme espagnol naissant, édité à Barcelone et qui soutint la campagne protectionniste .
Très semblable fut la campagne déclenchée en 1885 contre le modus vivendi qui se négociait avec l'Angleterre — traditionnel ennemi du textile catalan. El Grito del Pueblo, publié à San Martin de Provensals, dénonça «la comédie bourgeoise », « les plans de la mésocratie cotonnière » ; l'ouvrier, catalan, andalou ou castillan, « doit refuser de participer à ces manifestations inutiles que font des bourgeois contre d'autres bourgeois », sous peine de devenir l'unique victime de cette bataille ; ni le protectionnisme ni le libre-échange ne garantissent le futur ouvrier, à l'inverse du collectivisme et de la fédération solidaire .
Les années 1890 correspondent à un certain assoupissement du catalanisme. La bataille pour le droit « foral » paraissait perdue après l'approbation du Code civil, tandis que les exigences protectionnistes se voyaient satisfaites avec la suspension en 1882 pour dix ans du cinquième article de la réglementation douanière de Figuerola et l'approbation d'une nouvelle réglementation en 1891, ainsi que la conquête d'un quasi monopole sur le marché cubain en 1892. Certes, cette même date est celle des « Bases de Manresa » ; mais il est non moins vrai que les puissantes institutions catalanes représentatives des secteurs industriels ou commerciaux (à la différence du catalanisme culturel) s'alignaient sur les positions les plus fermement espagnolistes face à l'insurrection cubaine et adoptaient des attitudes purement répressives, avec ce que cela signifiait de recours auprès de Madrid, face au phénomène terroriste dès années 1890.
Du côté des anarchistes, il convient de souligner le peu de répercussion qu'eurent les «Bases de Manresa » dans leur presse pendant ce même printemps de 1892, durant lequel ils étaient absorbés par la troisième et principale célébration de la fête du Premier mai . Avec le terrorisme, le fossé entre catalanistes et anarchistes se creuse comme jamais. Manifestation typique de ce phénomène, l'hystérie et la confusion dominent : les républicains accusent les Jésuites d'être les poseurs de bombes (puisque le régime le plus affecté était encore l'instable République française), les organisations catalanistes — au demeurant accusées de « jésuitisme »— accusent à leur tour Madrid de favoriser les terroristes ; de leur côté les anarchistes ignorent souvent l'origine des attentats mais sont férocement poursuivis après chaque nouvelle explosion... II est symptomatique que ce ne soit pas un journal de Barcelone — ni catalàniste ni républicain —, mais un journal de Madrid, El Pais du démagogue anticlérical Alejandro Lerroux, qui accueille les dénonciations des tortures qui provenaient de Montjuic.:
Les tentatives de rapprochement

Le « Désastre » de 1898 change à nouveau les termes du problème. Le catalanisme se définit enfin comme force politique capable de devenir une alternative aux partis nationaux et commence, lentement, à entraîner certaines couches populaires et des forces politiques très diverses. Même un Pi y Margall, qui avait rompu avec Almirall du fait dès attitudes catalanistes de ce dernier, se voit contraint de revendiquer les affinités de son propre programme fédéraliste avec les aspirations régionalistes . De leur côté, les anarchistes ne peuvent éviter de prendre en compte ces faits qui menacent leur propre base sociale, les obligeant à modifier leurs comportements traditionnellement anti-nationalistes. Mais cette évolution ne se fera pas aisément, et il ne semble pas que les aspirations autonomistes soient encore pleinement inclues dans le programme libertaire à la veille même de la guerre, en 1936.
En réalité, depuis les dernières années du XIXe siècle, on observe dans la presse libertaire certains symptômes de rénovation. Ciencia social, la meilleure revue doctrinale des années 1890, éditée à Barcelone, publie un article d'Unamuno sur « La crise du patriotisme». On pouvait y lire, comme c'était la règle, l'attestation de décès du « patriotisme nationaliste bourgeois » (« fantaisie littéraire des grands centres urbains », « produit imposé [...] par la culture coercitive des grands propriétaires fonciers »), mais curieusement on y voyait affirmé le rôle désintégrateur que jouait le régionalisme ou le patriotisme de clocher (pour autant qu'il ne se borne pas à introduire de nouvelles barrières douanières mais au contraire que, par différenciation, il vise à l'intégration suprême). Et Père Corominas aussi écrivait sur la « Psychologie de l'amour du pays» (amor patrio), distinguant la patrie, idée fictive et, en tout cas, moribonde, de l'amour du pays, sentiment naturel qui ne devait pas être combattu mais dont on devait éviter qu'il ne se cristallisât en institutions agressives et rivales .
Trois ans plus tard — après la guerre de 1898 —Jaume Brossa osé esquisser, dans les colonnes de la Revista Blanca, la première et timide défense du catalanisme : celui-ci, dit-il, est « le parti le moins révolutionnaire qu'il y a en Espagne, il est « inféodé au cléricalisme » ; « les catalanistes historiques sont aussi néfastes que les autres réactionnaires espagnols », «le catalanisme est une doctrine essentiellement mésocratique », ajoute-t-il encore ; et pourtant... «la majorité; des ouvriers catalans qui pensent, ressentent delà sympathie envers tout mouvement qui tend à exalter le principe autonomiste car la lutte des classes sera plus facile une fois obtenue l'indépendance de la Catalogne» puisque l'armée espagnole ne pourra plus intervenir ; « si le triomphe de l'autonomisme doit avoir pour conséquence l'abolition de la conscription, la suppression immédiate des impôts sur la consommation [consumos], le respect de tous les droits individuels [...], alors le prolétariat pourrait accepter le nouvel état de droit comme une parenthèse qui lui permettrait de se réorganiser pour la lutte ». En définitive, «les ouvriers doivent appuyer les revendications autonomistes, mais sans se confondre avec les catalanistes » .
Brossa fut réellement un précurseur, car, malgré l'importance prise par le catalanisme après 1901, il faudra attendre encore quatre ans pour que les organes libertaires publient à nouveau des positions qui lui soient favorables. Bien entendu, ces années correspondent aussi au catalanisme le plus conservateur, fortement teinté de cléricalisme et proche du patronat. La distance — si ce n'est l'hostilité — avec laquelle le regardent les anarchistes semble renforcer la vieille thèse selon laquelle le catalanisme, lorsqu'il surgit comme mouvement politique, n'avait pas — et ne cherchait peut-être pas à avoir — de racines populaires. Plus encore, une pareille attitude pourrait signifier que ce qui était réellement populaire, c'était l'anticatalanisme d'un Lerroux — dont les ouvriers et militants anarchistes se sentaient plus proches que de la Lliga de Catalogne —, dont le succès ne trouverait donc pas son explication dans d'obscures ma chinations du ministère de l'Intérieur financées par les « fonds secrets » — facteur en tout cas insuffisant pour expliquer un phénomène social de pareille ampleur.
Mais en 1905 le lerrouxisme a perdu suffisamment de crédit aux yeux de la gauche, et le catalanisme gagne du terrain comme le montrent les réactions qui suivent l'incident du « Cu-Cut ! » et l'ultérieure campagne contre la Ley deJurisdicciones, qui débouchent l'année suivante sur la constitution de l'ample front connu sous le nom de « Solidarité catalane ». C'est aussi pendant le printemps de 1905 que naît un véritable courant d'opinion anarcho-catalaniste. Felipe Cortiella, typographe et auteur dramatique de Barcelone, qui avait vécu longtemps à Madrid, publie Avenir, hebdomadaire qui ne dépasse pas cinq numéros et qui constitue le premier organe libertaire connu écrit en catalan. «Moderniste» dans sa présentation, nietzschéen dans le ton, il défendait la langue catalane en tant que revendication et instrument de l'anarchisme : chaque peuplé possède une mentalité propre qui s'exprime dans une langue propre, et si on utilise une autre langue, comme le font les Catalans qui croient en la liberté et écrivent en castillan, «l'idée originale n'arrive jamais à émouvoir fondamentalement les personnes qui l'écoutent » ; il ne faut pas chercher à « construire une patrie » comme le disent les catalanistes, puisque la patrie est une idée du passé ; mais il faut savoir conserver « le caractère particulier des hommes, leur propre manière de sentir la vie, leur propre langage, interprète fidèle de la personnalité de chacun » ; la vieille idée de patrie se réduit au cercle social dans lequel chacun se meut, «et à certains moments arrive à se confondre avec l'individu même » ; la lutte contre l'injustice et pour la liberté des opprimés se confond alors avec cette véritable lutte patriotique .
Durant les mois qui suivent, on trouve de nouvelles preuves de la consolidation d'un courant philo-catalaniste. D'autres périodiques libertaires écrits en catalan surgissent, tel Progreso que nous n'avons pu consulter . Des organes de presse de type individualiste et nietzschéen, comme Juventud de Valence, accueillent les revendications autonomistes (« pour implanter ou nous approcher de l'Anarchie, nous devons fuir l'uniformisation et le nivellement »;« ni catalanistes ni bizcaitarras [nationalistes basques], nous ne pouvons certes lutter en faveur de rien de ce qui existe. Mais nous, les anarchistes, ne devons jamais être en faveur de la centralisation ni de l'uniformisation imposée à des peuples qui ont une vie propre » .

Surtout, José Mas-Gomeri, de Minorque, écrit alors dans les colonnes du Porvenir del Obrero un grand article, « Anarchisme et régionalisme », dans lequel il expose ouvertement la philosophie des partisans du rapprochement : les idéaux qui ne progressent pas meurent, écrit-il ; le traditionalisme est mort et le fédéralisme connaîtra un sort identique s'il n'évolue pas, abandonnant ses défauts « gouvernementaux », vers un fédéralisme économique ; ce genre de « fédéralisme anarchiste commence à se manifester dans le régionalisme qui regarde vers l'avenir » et qui annule le régionalisme traditionnel. Sans même qu'anarchistes et régionalistes le sachent, « ce régionalisme moderne est celui qui se dégage de l'Anarchie » ; « l'Anarchie ne sera jamais un fait, elle ne pourra exister sans la fédération de groupes naturels des régions ; et le régionalisme ne pourra libérer les peuples de la tyrannie centraliste s'il n'est pas anarchiste ». Mais Mas-Gomeri va plus loin qu'une simple suggestion adressée au catalanisme afin qu'il rectifie ses tendances autoritaires erronées ; tout au contraire, il plaide pour le catalanisme tel qu'il est, car en Catalogne, dit-il, personne ne demande un gouvernement propre ni ne veut faire renaître d'anciens petits Etats; ce qui est demandé, c'est l'autonomie et « l'autonomie est la véritable définition de la liberté». Bien sûr, il conviendra de spécifier que l'autonomie commence par l'auto-gouvernement individuel ; mais de celui-ci on passe à la « fédération de groupements naturels libres» qui, faisant se fondre l'anarchisme et le régionalisme, « dépouillera les hommes de tout sectarisme, des dogmes et des superstitions patriotiques » et formera des esprits libres qui impulseront la conquête de la liberté par les peuples .
Malgré son importance, il ne semble pas que cet article ait provoqué de polémique. Toutefois la simultanéité de tous ces événements suscita, elle, quelque inquiétude et donna lieu à des réactions. L'attitude la plus raisonnable, dans le, cadre du conservatisme idéologique, fut celle qui fut adoptée par la Revista Blanca. Urales, catalan installé à Madrid, signala dans sa revue la sortie de Avenir et de Progreso; commentant la défense des langues régionales qu'entreprenait Avenir, Urales écrivit alors qu'il s'agissait « d'une idée individuelle très respectable à laquelle nous n'adhérons pas», car «la patrie universelle exige une langue universelle, la fraternité: du genre humain requiert que toutes les personnes puissent s'entendre »; les anarcho-catalanistes devraient se souvenir, ajoutait-il, que les idées libertaires n'avaient pas été introduites en Catalogne dans la langue catalane. Quant à la conciliation que proposait Mas-Gomeri entre anarchisme et régionalisme, elle semblait à Urales n'être rien d'autre qu'un régionalisme inventé par son auteur, qui attribuait « au régionalisme des caractéristiques propres de l'anarchisme» . En outre, à la même date, la Revista Blanca publiait deux autres articles sur le même thème. Le premier, de Salvador Gibert, était écrit au nom du groupe Progrès Autonomista, membre de l'Unió Catalanista mais, selon ses propres déclarations, «diffusant pour son propre compte les idéaux libertaires en partant du principe autonomiste de la région pour atteindre la complète autonomie de l'individu » ; à cette organisation adhéraient «tous ceux qui ne méconnaissent pas la patrie naturelle mais aspirent à la constitution de la patrie universelle, formée précisément par l'ensemble des régions du monde entier devenues autonomes ». Outre cette présentation de son groupe, Gibert prétendait montrer que le nationalisme catalan n'était pas une nouveauté, puisqu'en réalité le nationalisme catalan était la négation de l'Etat; de ce fait, il n'y avait rien d'étonnant à ce que les jeunes gens qui se reconnaissaient en lui soient souvent épris d'idées libertaires. Un mois plus tard, J. Garden insistait de son côté sur « l'affirmation fondamentale par le catalanisme » du « droit de tous les peuples qui ont une personnalité bien différenciée à se gouverner eux-mêmes ». Ce principe représentait à ses yeux « une avancée non négligeable pour le développement des idéaux libertaires »; il ne s'agissait pas en effet de créer de nouveaux Etats, puisque la « majeure partie de la jeunesse considérait le nationalisme comme un moyen d'avancer vers des idéaux plus parfaits, et voyait dans la reconnaissance des personnalités sociales l'unique fondement de la fraternité humaine » .
Malgré son attitude hostile au catalanisme, Urales soulignait ainsi l'importance de ce thème et annonçait même son intention de consacrer un ou deux numéros de la Revista Blanca à en débattre. Mais la disparition de celle-ci rendit impossible la réalisation de ce projet.

Les critiques libertaires

D'autres réactions furent moins compréhensives. En tout premier lieu il faut mentionner celle d'Anselmo Lorenzo, tolédan de naissance, élevé à Madrid et qui, après trente ans de résidence à Barcelone, s'irritait encore que l'on parle devant lui en catalan. A une date aussi précoce que 1899 il avait publié « Ni catalanistes ni bizcaitarras », article repris par la suite en diverses occasions, et dans lequel il répétait les thèses classiques du mouvement ouvrier contre les nationalismes : le centralisme est sans doute un mal, mais ce sont les « fils du privilège » qui mènent la lutte contre lui, ces « agitateurs d'aujourd'hui et gouvernants de demain » ; les prolétaires, auxquels on demande de verser ainsi leur sang dans cette lutte, doivent rejeter tous ceux qui viennent leur chanter des «musiques régionales qui laissent subsister le propriétaire, le capitaliste, l'exploiteur et l'usurier»; l'émancipation du prolétariat n'est pas un problème local, régional ou même national ; la solidarité entre les travailleurs est l'objectif que tentent de briser les bourgeois qui fomentent les rivalités entre Castillans, Catalans ou Basques ; le pouvoir politique de ceux qui savent dire « seize juges mangent les foies [des pendus] » (setse juges menjan fetge) ne vaut pas mieux qu'un autre, comme le démontre l'administration de la mairie de Barcelone . Lorenzo, en diverses occasions, reviendra sur cette énergique dénonciation de la problématique catalaniste, toujours jugée de ce même point de vue de classe .
Ce sont des critiques similaires, quoique moins violentes, que formulèrent Ricardo Mella — qui écrivait à Cortiella pour lui reprocher d'abandonner la langue castillane : « sois moins catalan et je serais moins galicien » — et Juan Bautista Esteve, « Leopoldo Bonafulla », qui mène la polémique contre Progrès depuis les colonnes de El Productor de Barcelone : «ces divisions territoriales ne nous importent pas », « vous n'êtes pas des libertaires ni mêmes des progressistes lorsque vous voulez une Catalogne pour les catalans ; nous, au moins, nous désirons la terre pour tous les humains » .
Les exemples antérieurs suffisent pour tenter à présent une synthèse des arguments essentiels de la critique libertaire -face au catalanisme. Comme il est habituel dans cette idéologie, deux types de considérations, liés aux origines doctrinales, se combinaient.
D'un côté l'individualisme libéral, avec pour corollaires le cosmopolitisme et l'abolition de tout gouvernement, en tout point contraire aux nationalismes qui se limitaient à substituer un Etat à un autre. Comme l'écrit Mëlla, réfutant rien moins que la défense par Kropotkine des nationalités opprimées, le nationalisme «n'a pas ces caractères d'universalité qui constituent les racines mêmes de nos idéaux ; tout au contraire, il est l'expression d'un particularisme rétrograde ou d'un sentiment atavique aussi peu sympathique que la centralisation envahissante à laquelle il s'oppose »;« l'autonomie, ou si l'on préfère, l'indépendance de la Hongrie, de la Serbie, de l'Irlande, de la Catalogne [...] réalisera-t-elle autre chose qu'un changement de pouvoir central, de gouvernants et de fonctionnaires?»; « toute rébellion contre toutes les oppressions est juste », mais, plus que les intérêts étroits de chaque région, l'anarchisme « affirme toujours et toujours proclame l'universalité de ses aspirations en faveur de l'émancipation humaine et du cosmopolitisme » .
D'un deuxième point de vue, celui de la lutte des classes, le nationalisme était dénoncé comme une idéologie mystificatrice qui prétendait dépasser l'antagonisme entre patrons et ouvriers au nom de l'unité fictive autour de l'idée de nation, simple paravent des intérêts de la classe dominante. La Catalogne, écrit en 1910 Josep Prat anarchiste catalan proche des formulations marxistes de la lutte des classes, n'est que le masque « idéologico-sentimental destiné à attraper les imprudents» et l'association Solidarité catalane n'est rien d'autre qu'une « solidarité bourgeoise » .
Lorenzo, de Son côté, insiste : en Catalogne il y a deux solidarités, et aucune des deux ne peut s'attribuer exclusivement le qualificatif de catalane [;] la bourgeoisie catalane [...] a pour trait distinctif, au sein de la sphère de l'injustice, l'ardeur passionnelle avec laquelle elle expose ses préférences pour sa région .[...]. Le caractère illogique de sa logique saute aux yeux lorsqu'on observe que, pour son principal moyen d'existence, l'industrie cotonnière [...], ces bourgeois catalanistes utilisent des ouvriers catalans,!...] et lorsque leurs compatriotes esclaves se plaignent [...] ils tournent leurs regards, irrités par la peur et la colère, vers ce Madrid de la centralisation tant abominée, réclamant le secours de la force publique .
Telle sont les attitudes, qui ne changeront guère, durant les années qui vont jusqu'à la Semaine Tragique de Barcelone en juillet 1909. Il est bien vrai que la résurgence d'un phénomène terroriste à Barcelone entre 1904 et 1909 ne favorise guère le rapprochement. Mas-Gomeri lui-même dénonce l'attitude craintive et répressive de la presse catalaniste , qui culmine, dans les jours qui suivent la Semaine Tragique, avec le fameux éditorial de La Veu de Catalunya « Delateu ! » [Dénoncez, en catalan …] , véritable « acte de bassesse » selon l'anarchiste Adolfo Bueso , C'est dans cette ambiance que «Solidaridad Obrera », d'abord journal puis association, se dressera face à « Solidaridad Catalana » . Les formulations de l'organisation syndicale paraissent indiquer alors son total mépris envers la nationalité catalane, à tel point que l'organisation prit l'adjectif « national » lorsqu'elle amplifia ses limites géographiques ; personne, pendant toute la longue discussion — de juin 1909 jusqu'à septembre 1910 — sur cette amplification de son aire d'action ne mit en doute — et encore moins ne discuta - que ce terme de « national » se référait à l'Espagne . Les voix qui s'étaient élevées entre 1899 et 1905 pour rapprocher anarchisme et catalanisme paraissent donc condamnées au silence par les circonstances des cinq années suivantes.
Toutefois on peut encore relever une dernière étincelle de cette polémique en 1910. A partir de positions différentes, celles d'une gauche non partisane dans un cas, socialisante dans un autre, Jaume Brossa — de nouveau — et le majorquin Gabriel Alomar relancent l'idée d'un catalanisme progressiste ouvert aux ouvriers. Leurs thèses nous intéressent moins ici que le fulgurant rejet qu'ils provoquent dans les milieux libertaires. Ricardo Mella, José Prat et Anselmo Lorenzo, pratiquement les trois principales figures des intellectuels libertaires, se chargent alors de la riposte. Il est inutile de s'attarder sur l'attitude de Lorenzo : commentant El lïbro del saber doliente de Antonio Zozayà, il répète que le catalanisme et le nationalisme basque cherchent une impossible solidarité entre bourgeoisie dirigeante dé ces mouvements et prolétariat local, et qu'une telle tentative a échoué grâce à la conscience de classe des travailleurs .
José Prat publie en 1910 son œuvre la plus importante, « La bourgeoisie et le prolétariat », dans laquelle il consacre quelques pages parfaitement claires à cette question : la race, la langue constituent des préjugés réactionnaires, qui n'intéressent en rien les libertaires ; la rébellion catalane est purement formelle ou bien dissimule des privilèges et des intérêts de classe étrangers au prolétariat ; l'ouvrier rebelle doit agir par lui-même, faire progresser la lutte syndicale et prendre comme seul objectif révolutionnaire la destruction de tous les Etats .

Ricardo Mella, enfin y accorde une attention spéciale aux positions de Alomar et Brossa, Alomar, qui arbore «le drapeau d'un nouvel et étrange parti, tout à la fois socialiste et catalaniste » n'intéresse guère du fait de son élitisme comparé par Mella à celui de Maeztu pour l'Espagne : ces hommes ne cherchent: qu'à faire surgir un groupe intelleçtuel conscient, capable de diriger le peuple vers la régénération, et Mella leur oppose le classique populisme anarchiste. Pour ce qui est de Brossa, il s'agit d'un chantre «de la révolution interne » et de « l'homme nouveau » aux échos libertaires; mais il chante en catalan, tout en se proclamant cosmopolite, et cela semble à Mella relever d'une « insistance sur le particularisme régional », d'une « lutte permanente pour une nationalité qui en dernière analyse ne résoudrait rien si elle s'établissait » ; «les Pyrénées ne leur suffisant pas-comme barrière; ils lèvent de nouvelles murailles et s'enferment derrière elles », ce qui est appauvrissant ; Barcelone avait été le berceau et le centre hégémonique du mouvement ouvrier espagnol, « remarquable par son associationnisme, sa culture et sa régénération»; mais ceci s'était produit alors qu'on n'y «parlait pas de catalanisme, que les exclusives patriotiques » n'y avaient pas cours ; ce n'est que plus tard qu'avait surgi la «lutte stupide des peuples », venant rompre « les liens de la fraternité et de l'idéal » ; « patriotisme local et patriotisme général pouvaient se féliciter mutuellement », mais pour peu de temps encore car les ouvriers de Catalogne, d'Espagne et du mondé entier retrouvent leur chemin, montrant aux intellectuels égarés la véritable voie : « Catalanisme ? Espagnolisme ? Non, l'homme, universel, libre et heureux ; la rédemption individuelle interne et la révolution collective » .

1910 est la date limite que s'assigne la présente enquête. Les positions étaient alors bien assises et, à part les quelques timides tentatives de rapprochement vers le catalanisme dans les premières années du siècle, domine parmi les anarchistes le classique rejet du nationalisme par le mouvement ouvrier. Les circonstances ultérieures, avec l'émergence d'un catalanisme de gauche, allaient rendre la convergence plus aisée avec les libertaires. Toutefois l'impression domine d'une notable permanence de cette attitude initiale .
Concluons donc.

L'impression qui prévaut est que les anarchistes demeurèrent fidèles à l'attitude internationaliste originelle, que le mouvement ouvrier avait héritée du socialisme utopique et du rationalisme éclairé. Ces principes abstraits semblent avoir eu tant de force parmi les idéologues libertaires qu'ils furent incapables de comprendre l'importance que peut avoir pour une communauté la revendication du pouvoir dé décision sur les affaires qui la concernent directement et exclusivement. Comme l'a observé Père Solà, les anarchistes en vinrent même à se montrer plus méfiants envers le nationalisme «bourgeois » catalan que face à l'unité nationale espagnole, acceptée plus aisément , ce qui révèle une mentalité très traditionnelle qui s'exprime aussi dans d'autres domaines.
L'étonnement devant ce phénomène s'accentue si l'on considère l'indiscutable et constant hégémonisme catalan dans le mouvement libertaire espagnol. Une explication pourrait se trouver dans l'importance de l'immigration d'un prolétariat de langue castillane eh Catalogne. De fait, divers auteurs soulignent l'existence d'un lien entre les positions maximalistes et les anarchistes d'origine non catalane, les plus opposés aussi au catalanisme . Le radicalisme anarchisant serait ainsi une réaction du prolétariat émigré en Catalogne qui, tout à la fois, s'unifiait syndicalement contre les patrons, et se défendait contre la langue et la culture de leur pays adoptif. Toutefois cette explication est insuffisante, ne serait-ce que parce qu'il est possible de citer autant — si ce n'est plus — de leaders et de militants strictement catalans qui furent favorables aux attitudes anticatalanistes dont il vient d'être question.

Mais s'il faut souligner les limites de l'anarchisme en ce qui concerne la compréhension de l'importance du catalanisme au sein de la communauté dans laquelle les deux courants se développaient, il convient de préciser que le catalanisme de l'époque ici étudiée ne semble guère, de son côté, chercher à s'attirer les militants ouvriers. La méconnaissance et l'hostilité — sauf en de rares occasions — étaient mutuelles. A en juger par ces données, il semble juste de continuer à qualifier le catalanisme, dans les premières étapes de son développement; de; bourgeois ; du moins telle était la sensation que pouvaient en avoir les milieux libertaires. Bien entendu, cela n'a rien à voir avec je ne sais quelle « tache » essentiellement bourgeoise du catalanisme ni des mouvements nationaux en général comme l'ont démontré tant d'autres exemples, et révolution même du catalanisme par la suite.

Ce thème est complexe et notre conclusion ne peut donc qu'être frustrante. En définitive, comme l'a écrit Termes, « on ne peut étudier le fait national à partir des seuls programmes des partis, qui ne nous expliquent pas dans leur totalité la formation d'une conscience nationale. Si nous observons les aspects linguistiques, sociologiques ou d'identité, cette conscience est populaire » . Sans doute l'anarchisme était-il aussi une façon d'exprimer la protestation contre le centralisme, c'est-à-dire une exigence d'autonomie. Il n'est pas possible de simplifier et de rejeter le catalanisme en tant que courant « bourgeois » — ce qui bien souvent n'a servi qu'à recouvrir des attitudes centralistes intéressées —, de même qu'il n'est pas possible, à l'autre extrême, de « blanchir » son passé en affirmant qu'il fut toujours populaire . Ni l'anarchisme ni le catalanisme ne furent des mouvements monolithiques et leur signification ne fut pas toujours identique...[ … ]
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Re: Mon métro en patois

Messagepar NOSOTROS » Lundi 19 Avr 2010 1:30

1 De PROUDHON, voir Du principe fédératif,1863.

2 De BAKOUNINE, voir Fédéralisme, socialisme, antithéologisme, rééd. Paris, BéÛbaste, 1969, et Etatisme et anarchisme, rééd. Leyde, E.J. Brill, 1974; La posi- tion de Kropotkine, décidément pro-alliée pendant la Guerre mondiale, est par ailleurs connue.

3 On pensé en particulier aux luttes de 1840-1843 contre Espartero et son anglophilie. Barcelone était la capitale du mouvement ouvrier espagnol et il arrive que la lutte ouvrière soit présentée à l'opinion comme relevant du catalanisme (en 1909 le ministre La Cierva se livrera délibérément à une opération de ce type) ; pour la période 1840-1843, voir J.M. OLLÉ ROMEU, El moviment obrer a Catalunya 1840-1843, Barcelone, Nova Terra, 1973, et pour celle de 1854-1856 J. BENET et C. MARTI, Barcelona a mitjan segle XIX, Barcelone, Curial, 1976. Pour notre part, nous insistons sur le fait que ce « provincialisme » ou « juntisme » fédéral reste tout à fait compatible à l'époque avec le patriotisme espagnol typique de la révolution libérale.

4 Los fueros de Cataluña », La Federación, 31 décembre 1871

5 Voir La Federación, 1872, n° 196 (« El federalismo ») et 184, 208 («La abolición del Estado ») ; La Emancipación, 1871, n° 14, « La idea de la federación » ; El Condenado, 1872, n° 28, « El pacto ». Surles relations entre internationalistes et fédéralistes, voir J. TERMES, « El federalismo catalan en el periodo revolucionario 1868-1873», in. Federalismo, anarcosindicalismo y catalanismo, Barcelone, Anagrama, 1976, p. 156-168. Pendant les années 1880 on trouve encore de nombreux articles de polémique contre les fédéralistes dans la presse de la FTRE, dans la ligne des attitudes adoptées en 1870-1873 (voir notre Ideologia politica del anarquismo espanol, 1868-1910, Madrid, Siglo XXI, 1976, p. 338).

6 Sur ce thème, J. TERMES, Federalismo..., op. cit., p. 102-106 : le 19 juin se produit un assaut de la mairie de Barcelone, suivi de la constitution d'un éphémère « Comité de salut public», présidé par l'internationaliste Garcia Viñas ; Termes explique l'attitude pacifique des fédéralistes: catalans par la crainte de la proximité des insurgés carlistes.

7 L'idée provient probablement de James Guillaume (voir La Federación, juillet 1873, n° 205-207, « Una comuna social »). En outre, il ne faut pas oublier l'influence de la Commune de Paris. En 1873, à.Barcelone,.il y a déjà, des manifestations et des tracts en faveur de la commune autonome (voir A. LORENZO, El Proletariado Militante, Madrid, Alianza, 1974, p. 327-329).

8 « Lo de Barcelona », Revista Sacial, n° 44, 6 avril 1882. Dans le même numéro, voir les télégrammes de 43 sections ouvrières catalanes («qui n'attendent rien, ne demandent rien et ne veulent rien obtenir de l'Etat »), qui protestent contre la campagne protectionniste. Dix mois plus tôt, La Revista Social s'était déjà prononcée dans le même sens (n° 4, 30 juin 1881).

9 Revista Social, n° 45, 13 avril 1882.

10 Revista Social, n° 48, 4 mai 1882. Dans le numéro suivant, une note brève insiste sur la nécessaire solidarité entre travailleurs de toutes les régions : «Travailleurs catalans : tous ceux qui nous affirment que dans les principales capitales de la Région espagnole on arrête et assassine tous ceux qui sont originaires de cette industrieuse contrée MENTENT. » Voir « Misceláneas doctri-nales », dans le n° 48 et « Proteccionismo y librecambismo » n°s 139-143. Selon M. Izard, la rupture des ouvriers avec le protectionnisme se produit après 1856 (J. TERMES, Federalismo..., op. cit., p. 152). La différence avec les fédéralistes, fervents protectionnistes encore en 1868-1873 (ibid., p. 54), est patente.

11 El Obrero, n° 30 (24 juin 1881), « Gran manifestación proteccionista ». (En tant que « classe productive », ils appelaient à manifester contre « les malheureuses idées libre-échangistes».) En 1882, n°s 72-75, « El tratado de comercio con Francia y los perjuicios que irroga a las clases obreras y artesanas ». Par la suite, n° 76 et suivants, la série « Ecos de la production », intéressante réflexion qui lie protectionnisme et décentralisation.

12 El Grito del Pueblo, août 1886, nos 5-7, « Los tratados burgueses ».

13 Voir p. ex., El Productor, hebdomadaire publié à Barcelone et principal organe anarchiste du moment, qui ne dit rien du document catalaniste.

14 Voir J. ROMERO MAURA, La Rosa de Fuego, Barcelone, Grijalbo, 1975, p. 82 et 183. Pi i Margall put revenir à Barcelone avant de mourir: il y préside des jeux floraux durant lesquels le Dr Robert déclare que la sympathie entre régionalistes et fédéralistes est mutuelle.

15 M. UNAMUNO, « La crisis del patriot-ismo » et P. COROMINAS, « Psicologia del amor patrio», tous deux dans Ciencia Social, n° 6, mars 1896.

16 J. BROSSA, « Catalanismo y socialismo », La Revista Blanca, n° 35, 1er dé-, cembre 1899. Brossa avait également collaboré à Ciencia Social.

17 J. BAUSA, « Impotencia del llenguatge para l'assimilaciô d'idées », et « Les patries», Avenir, n°: 1 et 2, 4 et il mars 1905. Sur Avenir, groupe théâtral dont l'hebdomadaire était l'organe, et sur la personnalité de Cortiella, voir L. LITVAK, Musa libertaria, Barcelone, Antoni Bosch, 1981, p. 187 et 220-223; selon l'auteur, Cortiella avait déjà écrit un drame que nous ignorons, La brava juventud, «dans lequel il défendait la catalanisation de l'anarchisme». Voir P. Foix, Apostols i Mercaders, Barcelone, rééd. 1976, p. 263-265.

18 Voir lés comptes rendus de ses deux premiers numéros dans La Revista Blanca, n° 165, 1« mai 1905, v. 676, et n° 166, 15 mai 1905, p. 706. En 1907 il surgit un troisième (et dernier, selon nos informations, avant 1910) périodique anarchiste en catalan, La Tramontana, portant le même titre que l'important organe de Josep Llunas des années 1880 et 1890 (voir X. CUADRAT, LOS origenes de la CNT, Madrid, Rev. de Trabajo, 1977, p; 191).

19 Cité par Mas-Gomeri ; voir note suivante. Soulignons que «ni catalanistes ni bizcaitarras » était une référence directe aux positions d'Anselmo Lorenzo.

20 J. MAS-GOMERI, « Anarquismo y regionalismo », El Porvenir del obrero, Mahôn, 28 avril 1905, n° 198.

21 Comptes rendus sur Avenir dans La Revista Blanca, n° 162, 15 mars 1905, p. 584 ; sur Progrès, ibid,, n° 165, 1er mai 1905, p. 676 et n° 166, 15 mai 1905, p. 706, sur le numéro de El Porvenir del Obrero incluant l'article de Mas-Gomeri, ibid., n° 165, p. 675.

22 S. GIBERT, « Nacionalistas-anarquistas », La Revista Blanca, n° 167, ler juin 1905 et J. GARDEN, « Nacionalismo anarquista », ibid., n° 168, 1er juillet 1905

23 Ni catalanistas ni bizcaitarras », La Protesta [Valladolid], n° 9, 29 septembre 1899, reproduit dans La Huelga general [Barcelone], n° 2, 1901.

24 «El catalanismo y los obreros», lettre à El Libéral, 10 avril 1906, reproduite dans Vida anarquista, p. 73-76. « El enano de la venta», Tierra y Libertad [Barcelone], 1907, n° 41 ; « De la cuestion social », ibid., 1909, 2e époque, n° 34.

25 Manuscrits Cortiella de la Bibliothèque de Catalunya, cités par L. Litvak, Musa..., op. cit., p. 222.

26 « La pezuña del Progrès », El Productor, 4e époque, n° 1, 15 avril 1905.

27 R. MELLA, « Una opinion... y otra opinion», Acciôn Libertaria, n° 4, 9 décembre 1910. Voir J. PRAT, La Burguesia y el Proletariado, Barcelone, Ediciones Tierra y Libertad, 1937, p. 21 et sq. pour qui cette rébellion de la bourgeoisie catalane n'était qu'une façon de dire « ôte-toi que je m'y mette » ; «la bourgeoisie catalane trouve qu'elle est mal gouvernée depuis Madrid. Je trouve, moi, que je sais me diriger tout seul [...] et que je suis mal gouverné depuis n'importe quel point du territoire ».

28 . PRAT, Burguesia y Proletariado, op. cit., p. 30 et sq.

29 A. LORENZO, «El enano de la venta », art. cit. et, « El catalamsmo y los obreros », art. cit.

30 Dans El Productor, juin 1905, n° 10 et 11 («A los senyors de Cu-Cui! » et « Aïs jésuites del / Cu-Cut! »).

31 Recuerdos de un cenetista, Barcelone, Ariel, 1976, t. I, p. 47.

32 C'est ce qu'affirme José Nègre dans ses Recuerdos de un viejo militante [Souvenirs d’un vieux militant], selon X. CUADRAT, Origenes de la CNT, op. cit., p. 162n. Cependant Badía Matamala, dans La Publicidad, 30 juillet 1907, dit que « Solidaridad Obrera » ne s'opposait pas mais n'était pas non plus favorable» à « Solidaridad Catalana» (ibid., p. 187). Mais J. Prat commence son Burguesia y Proletariado en affirmant : « Voici face à face deux forces hostiles, deux coalitions ennemies. »

33 X. CUADRAT, Origenes..., op. cit., p. 35-36. La CNT qualifiait ses fédérations de .« régionales

34 A. LORENZO, « De la cuestion social », Tierra y Liberiad, 1909, n° 34; les nationalismes n'ont jamais été et ne seront jamais populaires, insistait Lorenzo. Un extrait du livre de Zozaya parut aussi dans Accion libertaria. [Gijon], 1910, n° 14, commenté en termes élogieux qui l'opposaient explicitement à Gabriel Alomar.;
J. PRAT, Burguesia y Proletariado, op. cit., p. 21-35. Voir nos notes 27, 28 et 32.

35 R. MELLA, «Maeztu y Alomar», Acción libertaria, 1910, n° 6 et « La conferencia de Brossa», ibid., n° 8. Voir cependant l'éditorial dû n° 26, « Centralismo avasallador », qui est une énergique protestation contre Madrid l'envahissante. Sur Mella voir notre note 27. Pour ce qui est d'Alomar, voir E. GILIMÔN, «El lio catalanista-socialista », Tierra y Libertad, 1910, 3e époque, n° 42, qui défend une position dure.

36 L'examen de l'attitude de la CNT face au catalanisme dans les années qui suivent dépasse les limites du présent travail. On peut toutefois indiquer qu'à son retour de l'exil, J. Peirats, au cours du grand meeting de Montjuic du 2 juillet 1977 (et dans une chaude ambiance anarcho-catalaniste), critiqua les nationalistes catalans «parce que ces messieurs de la Generalitat nous qualifient, nous qui ne parlons pas catalan, de murciens » (Diario 16, 4 juillet 1977) ; selon la version de Informaciones, plus nuancée et vraisemblable, Peirats avait critiqué le fait que «certains messieurs prennent le pouvoir après d'autres, tandis que le travailleur vit toujours dans les mêmes conditions»; il ajoutait : « face aux statuts régionaux, nous réclamons des communes libres ». Encore aujourd'hui; alors que j'écris cet article, paraît dans El Pais (24 décembre 1982) une lettre de José Costa Font qui déclare avoir été un «lutteur, le pistolet au poing, dans les années 1920 et 1930», critiquant la tolérance manifestée par un éditorial de ce journal envers le «nationalisme du goupillon et de l'âge des cavernes » de ETA; «nous avons connu cette sorte de nationalisme dans la Catalogne de cette époque, un nationalisme mensonger et escroc, qui tua alors 132 camarades ». Le fossé entre anarchistes d'avant 1939 et catalanisme ne semble pas facile à combler.

37 Article dans la revue Mundo, cité dans Bicicleta (Boletin informativo del Colèctivo Internacioncdista de Çomunicaciones Libertarias y Ecologicas de Trabajadores Anarcosindicalistas), Campo Abierto éd., s.d. (juillet 1977 ?).

38 A. BUESO, Recuerdos de un cenetista, op. cit., I, p. 24; en 1907 on distinguait les «purs» de Barcelone, où dominait l'influence des non-catalans (Lorenzo, Miranda, Herreros, Bueso...) et les «réalistes», extérieurs à la capitale catalane. A. Balcells, de son côté, a également observé que parmi les treintistas [tendance réformiste de la CNT espagnole] dominaient les militants d'ascendance catalane, alors que dans la FAI le recrutement était typiquement immigrant (voir son El arraigo del anarquismo en Cataluna, Madrid, Jucar, 1972, p. 15).

39 J. TERMES, Federalismo..., op. cit., p. 131 et 157.

40 Balcells, dans J. TERMES, op. cit., p. 155, s'exprime aussi dans le sens de cette analyse complexe. Pour ce qui est des sentiments régionalistes à travers en particulier Solidaridad Obrera, voir la critique de Morato contre son «fort et peu raisonné esprit régional» (X. CUADRAT, Origenes..., op. cit., p. 240).
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Re: Mon métro en patois

Messagepar Malval » Mardi 20 Avr 2010 0:24

Effectivement plutôt intéressant. d'autant plus que mes connaissances sur l'Espagne libertaire sont limitées. Et en général les articles du Mouvement Social première période (période Maitron quoi) sont plutôt de qualité.

Y a des citations de l'AIT qui sont assez ecclairantes de lucidité, notamment à la lumière des évolutions récentes, genre celles ci :
Les droits [fueros] de la Catalogne » est le titre de l'article, dans lequel il est dit que ces droits sont « une farce », qu'ils constituent, une idée « soeur des privilèges » et « inséparable de l'idée de patrie », un « sentiment stupide et indigne de la civilisation » destiné à maintenir le pouvoir des privilégiés et l'esclavage du peuple ; les fueros, tout comme les partis politiques, n'étaient qu'une « des artificielles et funestes divisions de plus qui perpétuent l'antagonisme des classes entre elles, un obstacle constant et terrible aux luttes des classes laborieuses »

La Revista Social publia un article, signé par son correspondant à Barcelone, intitulé La barretina, dans lequel elle déclarait se moquer de ces manifestants qui usaient de la coiffe typique du pagès (paysan catalan) après avoir méprisé les hommes du peuple qui l'avaient portée séculairement


Sinon, ça donne encore à réfléchir sur l'utilisation de notions telle que "patrie" et nation" quand elles sont utilisées avec celle "dignité", d'"autonomie", de "territoire dynamique", comme dans cet extrait :
il ne faut pas chercher à « construire une patrie » comme le disent les catalanistes, puisque la patrie est une idée du passé ; mais il faut savoir conserver « le caractère particulier des hommes, leur propre manière de sentir la vie, leur propre langage, interprète fidèle de la personnalité de chacun » ; la vieille idée de patrie se réduit au cercle social dans lequel chacun se meut, «et à certains moments arrive à se confondre avec l'individu même » ; la lutte contre l'injustice et pour la liberté des opprimés se confond alors avec cette véritable lutte patriotique .

Il peut sembler difficile d'aller contre un tel postulat.
Mais selon moi, l'arnaque se situe au niveau de la formule "le caractère particulier des hommes, leur propre manière de sentir la vie, leur propre langage, interprète fidèle de la personnalité de chacun" qui, en fonction des autres revendications change complètement la donne. Dans une perspective humaine et sociale, ça pourrait désigner les multiples facettes d'une personne, se manifestant au fil des espaces, des rencontres, en fonction des situations quoi, facettes qu'il est logique de vouloir défendre lorsqu'elles sont attaquées par le pouvoir pour des raisons économiques (et de prestige dans un second temps). Dans la bouche de défenseurs de l'idée de territoire fixe, ce n'est qu'une de ces facettes qui constitue ce "caractère particulier", ce critère produisant un "caractère particulier" donne naissance à un peuple qui se caractérise par ce seul critère (soit incarné par des pratiques culturelles soit par la race). En plus d'être politiquement dangeureux, c'est une atteinte à la personne humaine dont les capacités sont réduites à une seule, la seule ayant de la valeur sur le marché linguistique et symbolique du cadre politique fixé. Les autres capacités sont jugées sans valeur, voire dangeureuses et voilà comment on arrive à convaincre les pauvres qu'ils ne valent rien et qu'ils méritent leur sort. Et comme se sont toujours les mêmes qui ont les moyens d'acquérir la plus-value culturelle valorisée par les nouvelles insitutions, la boucle est bouclée...

Sinon la conclusion pose des interrogations assez intéressantes. Bien qu'elle contienne des remarques étranges, comme celle-ci :
Ces principes abstraits semblent avoir eu tant de force parmi les idéologues libertaires qu'ils furent incapables de comprendre l'importance que peut avoir pour une communauté la revendication du pouvoir de décision sur les affaires qui la concernent directement et exclusivement

???

Ou l'accusation de tradition espagnoliste inconsciente chez les anar', tout en finissant par :
Toutefois cette explication est insuffisante, ne serait-ce que parce qu'il est possible de citer autant — si ce n'est plus — de leaders et de militants strictement catalans qui furent favorables aux attitudes anticatalanistes dont il vient d'être question.

???

Mais pour les problèmes intéressants soulevés, je retiens :
- Comment penser la part de dignité langagière auquel tout être social à droit ? Sans tomber dans le conservatisme linguistique, dans le dirigisme linguistique ou dans l'idéalisme universaliste ("parlons tous la même langue pour nous comprendre").
- Toujours la question de la prise en compte du N de CNT qui ne semble pas cohérent avec les prises de position anti-identitaires (le cadre national espagnol est aussi identitaire que le cadre basque et catalan avec qui il peut rentrer en conflit symbolique et politique ; cf : Pays Basque).

Et pour poursuivre sur la question, y a le chapitre "Langue et nationalité" dans Nationalisme et culture de Rudolf Rocker qui permet de voir rapidement les bêtises sur lesquelles repose l'idée de communauté nationale unie par une même langue. Et Langues et nations en Europe de Daniel Baggioni qui est ultra complet.
Aussi sinon, sur la question de Proudhon et des nationalités, la prochaine publication du dernier colloque de la société Proudhon contient justement un article sur la méfiance de Proudhon concernant le principe de nationalité dans sa théorie fédéraliste.
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