Moi je suis plutôt branché carrelage, mortier, murs de pierres, placo et autres bricolages, mais comme je suis au chomdu alors je m'essaye à lire et à décoder certains de ces sujets pointus qu'on peut trouver sur ce forum et discutés par des gens qui se lisent minimum trois bouquins par semaine et qui en plus ont le mauvais goût de les retenir...
En voilà un qui ne connait rien à l'esbrouffe! Toi, tu lis un truc intéressant, tac, tu le fais partager ici. La Wiecha, elle, potasse en secret pendant deux ans, puis arrive, l'air de rien et dit " tiens, les compagnons, si on lançait un débat sur l'antifascisme, j'ai vu quelques trucs qui m'interrogent". Et là, tu alignes les références, tranquille, réponse après réponse, genre t'es allé te taper les 500 pages à la pause de midi, ...Faut bien soigner son petit ego et briller comme on peut ( surtout quand on vient de passer six mois à se faire traiter d'ignare et à juste titre par des maoistes sur ces questions )
Plus sérieusement, oui, il n'y a pas de morts violentes qui soient plus horribles que d'autres. Dans l'absolu. Qui n'existe pas, car il n'y pas de conscience qui ne soit pas au dedans des évènements, il n'y en a pas qui n'y participe pas.
Et nous sommes en Europe, au début du 21ème siècle, dans l'univers culturel qui a mené à cette entreprise que fut le nazisme, à l'extermination, planifiée, industrielle et raisonnée de millions de gens. Une extermination ou les bourreaux prenaient tranquillement le temps de trier les cheveux et les dents, de les ranger soigneusement, et d'étudier le meilleur moyen de se débarasser des matières non exploitables, ce qui n'est pas commun, dans la pratique génocidaire.
C'est très difficile de parler là dessus, qu'on le veuille ou non, et parce que nous sommes culturellement de la sphère qui a créé Auschwitz. Parce que nos grands parents, que nous connaissons, sont aussi ces étrangers que nous ne connaissons pas, ces gens qui ont vécu à l'ombre des crématoires, partout en Europe, un quotidien ou ils mangeaient, faisaient l'amour, s'embrouillaient avec leur belle mère pendant qu'on venait arrêter leur voisin, et leur voisin n'était pas un "étranger" nouvellement installé, leur voisin était leur voisin depuis l'enfance, leur voisin avait souvent la même culture qu'eux, partageait parfois les mêmes préjugés racistes envers les nouveaux arrivés.
Et contrairement à ce que nous croyons savoir, l'horreur a gardé une certaine banalité pendant des années et des années après la guerre. A l'école, on nous a toujours fait lire les témoignages sur les camps, mais jamais la suite, celle des survivants qui sont rentrés, et qui se sont retrouvés à ne pas pouvoir parler, parce que justement, il y avait eu des millions et des millions d'autres morts, sous les bombardements, au front, parce que les nazis n'avaient pas tué que des Juifs et des Tsiganes, parce que la réalité des camps de concentration " ordinaires" , c'était aussi la mort et la souffrance.Parce que c'était mal vu de vouloir évoquer la spécificité de ces morts là, parce que déjà, le soupçon était là, parce que l'antisémitisme ne s'était pas évanoui, parce que quoi, les Juifs avaient souffert comme les autres, ils allaient pas encore la ramener ?
Juste un dernier bouquin, La Trève de Primo Levi. C'est un bouquin affreusement drôle, ou l'on oublie très vite que celui qui parle a échappé à l'extermination, justement parce que lui a du mettre ça de côté, pour survivre et enfin rentrer chez lui, à l'autre bout de l'Europe, après avoir échappé à mille morts et croisé nombre d'antisémites pas du tout repentis.
La reconnaissance de la spécificité du nazisme a été un combat, pas une manipulation des Alliés. Un combat contre le mythe réconciliateur nationaliste en France "nous avons tous été des victimes d'une occupation étrangère, et puis voilà". Un combat contre tous les capitalistes qui avaient intérêt à ce que leurs actes d'avant guerre, leur reconnaissance du régime nazi, leur collaboration ne soit pas vue pour ce qu'elle était, pas une simple alliance stratégique comme il y en eut mille et mille fois avant avec l'Allemagne, mais la mise au monde d'un régime dont la folie meurtrière est allée bien au délà de la recherche du profit. Parce que le nazisme n'était pas un accident de l'Histoire, que sa spécificité ne résidait pas dans son côté "inexplicable", mais en ce qu'il était à la fois unique, et à la fois la conjonction de facteurs sociaux et culturels typiquement européens et chrétiens.
Je suis anarchiste, et en tant qu'anarchiste, le chemin vers Auschwitz, ce chemin bureaucratique qui exigeait la participation, infime, mais essentielle d'un nombre incroyable d'exéctutants, m'interroge sur ma responsabilité propre, à chaque instant. Pourquoi Auschwitz plus que le Rwanda ?
Parce que je ne sais pas , dans ma chair et dans mon esprit, ce qu'est être rwandaise. Je ne peux pas me projeter au Rwanda, en plein génocide. Mais je peux facilement m'imaginer la vie quotidienne à Berlin en 1932, et le moment ou j'apprends à la radio qu'Hitler devient chancelier.Et je peux facilement m'imaginer les mille et une raisons qui feront que je ne décide pas immédiatement de mettre en jeu bien plus que je ne le fais aujourd'hui, de ne pas immédiatement passer à la clandestinité, de ne pas immédiatement mettre ma vie en danger et de faire le constat que le temps est définitivement passé des tentatives de construction lente du rapport de forces, qu'il n'y a plus qu'à essayer de mourir dignement pour ne pas participer, pour laisser au futur un signe d'humanité et d'espoir malgré tout.
Je ne peux pas rester honnête avec moi même, dans le contexte culturel qui est le mien et comparer ce gouvernement aux nazis. Si les gens qui sont au pouvoir sont objectivement des nazis, c'est à dire des gens qui ont dans la tête de refaire un génocide industrialisé à brève échéance à dix kilomètres de chez moi, s'ils l'envisagent comme une option rapide et possible , c'est que nous avons perdu bien plus que nous ne l'imaginions, et que certaines options sont définitivement fermées.
Et je ne pense pas ça, pas un seul instant. Je pense par contre que leur stratégie cynique et de moins en moins maitrisée, peut bien amener d'autres forces à grandir vite et à leur permettre une prise éventuelle du pouvoir, même localisée, et encouragée par une partie de la bourgeoisie qui croira pouvoir la maitriser.