par SOLIDARITE » Samedi 13 Fév 2010 2:09
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Libertaires et ultra-gauche... ou quand Reflex sème la confusion
En 1996, Reflex, maison d'édition antifasciste radicale, publie Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme. Ce livre va relancer la polémique. Selon ce qu'on peut lire dans sa postface, il se propose de << comprendre ce qui a entraîné, à la fin des années soixante-dix, d'autres camarades à sombrer dans le négationnisme et l'antisémitisme plus ou moins avoués [...] pour porter la critique à la racine des conceptions politiques et théoriques de cette dérive >> 42.
A l'examen, l'ouvrage pose plusieurs problèmes au lecteur. Tout d'abord, son titre n'a pas grand chose à voir avec son contenu. En fait, le livre est, pour l'essentiel, une entreprise de justification réalisée par deux personnes mises en cause pour leur participation à La Guerre sociale et à une autre revue intitulée La Banquise. Ces personnes signent deux des trois textes du recueil : Serge Quadruppani est l'auteur de Quelques éclaircissements sur La Banquise et Gilles Dauvé, celui de Bilan et Contre-Bilan. Ces textes se veulent une critique du << schématisme marxeux >>, dont nous avons vu un échantillon avec le texte De l'exploitation dans les camps de concentration à l'exploitation des camps, qui devait conduire des << ultra-gauche >> à embrasser les thèses négationnistes. Mais cette critique ne va pas sans de graves contradictions, omissions et demi-vérités dans les propos tenus et sur le rôle de ces auteurs dans cette dérive.
Quand Serge Quadruppani parle de sa rupture avec La Guerre sociale dès 1980, il ne dit pas qu'en 1979, lors de la publication dans le no 3 de l'article De l'exploitation... il en faisait encore partie et ne semblait pas marquer de désaccord concernant l'intérêt puissant et nullement critique de la revue pour les thèses de Faurisson 43. Il précise qu'alors, il n'avait pas lu Rassinier. Faut-il croire qu'il ne savait pas de quoi parlait le texte publié par la revue dont il était un des principaux animateurs ? N'avait-il pas lu les passages de De l'exploitation... faisant état de la << rumeur des chambres à gaz [qui] se développe à l'intérieur des camps de concentration >> ? Ignorait-il qu'à la question : << Pourquoi tant [de juifs] sont morts ? >>, La Guerre sociale répondait : << parce qu'ils ont péri de faim, de mauvais traitements, et aussi parce qu'on les a exécutés. Mais les preuves d'un massacre délibéré sont plus que sujettes à caution >>.
Concernant La Banquise, Quadruppani se félicite que ses rédacteurs aient été << parmi les premiers, dans le micro-milieu << ultra-gauche >> à [s'] être opposés à la dérive négationniste >>. Est-ce à dire que toute l'ultra-gauche était << contaminée >> ? Certainement pas : Jacques Baynac, un des créateurs de la première Vieille Taupe, qu'il quitta dès 1969 pour désaccord avec Guillaume, dénonce << << la camelote nazie >> d'une certaine ultra-gauche dans Libération du 25 octobre 1980 >> 44.
Sur la Banquise
Le premier numéro de La Banquise date de 1983. Il est vrai que le propos de cette revue s'éloigne lentement de celui de La Guerre sociale. Ainsi, on n'y présente plus les idées de Rassinier, reprises par Faurisson, comme de grandes découvertes révolutionnaires. On reconnaît qu'<< il y a eu massacre d'un grand nombre de Juifs parce que Juifs >> et, << après avoir [enfin ? ndlr] examiné de plus près le travail scientifique de Faurisson >>, on n'est << plus si sûrs >> de l'exactitude de l'affirmation de Faurisson : << Hitler n'a[it] jamais ordonné l'exécution d'un seul Juif par le seul fait qu'il fût Juif >> 45. Mais la rupture n'est pas nette et la fausse question des chambres à gaz continue d'être servie par les rédacteurs de la revue : << que les chambres à gaz aient eu ou non une existence concrète nous importe peu. Elles existent aujourd'hui, comme elles ont existé au minimum pour les déportés, c'est-à-dire comme image issue d'une horrible réalité >>. Sur ce point précis, La Banquise tente de régler le problème en l'évitant : selon ses rédacteurs, le mode d'élimination ne compte pas, car il ne change rien à une horreur telle qu'elle a pu << au minimum >> créer une image qui s'est imposée << avec tant de force à tant de gens >>.
Quadruppani parle maintenant, à ce propos, d'un << manque de compréhension historique >> qui les a conduit à passer à côté du fait << que l'aspect froidement technique et administratif des chambres à gaz introduisait une nouveauté radicale >>. Parler d'aveuglement et de mensonge serait plus exact. Il met cette << erreur >> sur le compte du << mauvais usage de deux bons principes : la méfiance à l'égard des experts officiels et la confiance accordée aux amis (en l'occurrence, P. Guillaume) >>. Outre le fait que l'on peut se demander à quoi peuvent servir de << bons principes >> dont on peut faire un usage aussi désastreux, cela excuse-t-il d'avoir ignoré des faits historiques connus et d'avoir attaché de l'importance aux conclusions de << l'expert non-officiel >>, qu'était Faurisson ? En fait, Quadruppani estime qu'il aurait suffit dans La Banquise << d'un paragraphe pour dire que Faurisson était un hurluberlu dangereux qui développait une argumentation antisémite [et] l'affaire aurait été réglée >>. Mais visiblement, il était loin de penser cela, à l'époque. En effet, Faurisson le passionnait encore tant, qu'il ira jusqu'à publier des pages entières des lettres inédites de celui-ci dans son livre Catalogue du prêt à penser depuis 68 46 en annexe à un texte consacré aux idées du personnage.
Quadruppani explique cette << rupture molle >> par le fait qu'à La Banquise << on prenait [...] son temps pour traiter de toutes sortes de questions, en utilisant le savoir de spécialistes >>. Pourtant, tout dans leur attitude de l'époque montre qu'ils ont méprisé le savoir des historiens. D'ailleurs, Quadruppani se contredit dans la suite du texte, lorsqu'il reconnaît qu'un << effort documentaire minime [leur] aurait montré ce qu['ils ont] depuis pris le temps de vérifier, à savoir que sur ce sujet-là comme sur le reste, Faurisson est un faussaire >>. Quant à ce qui est de << prendre son temps >>, Quadruppani et son équipe l'ont visiblement largement pris puisque les cinq années écoulées entre le début de l'affaire Faurisson en 1978 et le numéro 2 de La Banquise de 1983 ne leur ont pas suffit pour trouver une vérité connue de tous !
Du génocide... à la sécurité sociale
Quand Dauvé revient en 1996, dans Bilan, contre-bilan, sur le texte bordiguiste Auschwitz ou le grand alibi dont nous avons vu le rôle dans la constitution de la théorie que va développer La Guerre sociale sur la seconde guerre mondiale il ne défend plus ce texte qu'il estime << borné >>, mais il refuse d'y voir << l'origine des dérives négationnistes ultra-gauches >>, car, écrit-il, ce texte << ne nie nullement l'antisémitisme systématique des nazis >>. C'est une façon de jouer sur les mots. En effet, ce texte explique l'extermination des Juifs par la volonté de la petite bourgeoisie allemande menacée de disparition à cause de la crise économique et de la concentration du capital de se sauver en supprimant la petite bourgeoisie juive. Alors, << La haine des juifs, loin d'être la raison a priori de leur destruction, n'est que l'expression [du] désir de délimiter et de concentrer sur eux la destruction >>. Dans ce schéma, les nazis ne sont plus que les exécutants d'une nécessité historique résultant << directement de la contrainte économique >> et les Juifs ne sont pas exterminés parce que Juifs. On voit que si cette conception n'est pas négationniste, elle prépare bien le terrain au discours faurissonien sur les chambres à gaz, en niant l'importance de l'antisémitisme dans l'idéologie nationale-socialiste et la volonté nazie d'extermination des Juifs.
Il est, par ailleurs, assez cocasse de voir Dauvé railler << les bordiguistes [qui] ont brodé pendant des dizaines d'années >> sur ce thème, alors que lui-même a publié Auschwitz... au début des années septante dans son bulletin Le Mouvement communiste et que l'influence de ce texte est encore massivement présente dans la prétendue réflexion qu'il mènera, avec Quadruppani, dans La Banquise. En atteste la formule de l'article L'Horreur est humaine : << Mis en fiches et cartes par la Sécurité sociale et tous les organismes étatiques et para-étatiques, l'homme moderne juge particulièrement barbare le numéro tatoué sur le bras des déportés. Il est pourtant plus facile de s'arracher un lambeau de peau que de détruire un ordinateur >> 47 qui rappelle directement le passage suivant extrait d'Auschwitz ou le grand alibi : << Si on montre les abat-jour en peau d'homme, c'est pour faire oublier que le capitalisme a transformé l'homme vivant en abat-jour. Les montagnes de cheveux, les dents en or, le corps de l'homme mort devenu marchandise doivent faire oublier que le capitalisme a fait de l'homme vivant une marchandise >>.
Concernant L'Horreur est humaine, Quadruppani reconnaît que cet article << peut choquer >> par son << arrogance et [son] goût polémique >>. C'est un peu court pour le passage que nous venons de citer. La comparaison est hallucinante : comment peut-on comparer l'horreur infligée aux Juifs à l'attribution d'un numéro de sécurité sociale ? Le tatouage d'un numéro sur le bras des Juifs faisait partie d'un processus devant conduire à leur élimination physique, ce qui n'est pas le cas pour l'assuré social ! Tenter d'excuser ces propos au nom d'un mauvais goût << si présent en milieu radical >> n'est pas acceptable ; pas plus que de les justifier, comme le fait Quadruppani, en prétendant qu'il s'agissait, à l'époque, de nier << qu'il puisse y avoir une horreur absolue, plus horrible que toutes les autres >> 48. Ce n'est pas du tout le sens de ce passage qui empêche toute définition de ce qu'est une horreur en classant sous ce terme des choses totalement différentes. A la fin, on en arrive à la conclusion délirante que tout se vaut, la condition des Juifs victimes du génocide et celle de l'assuré social, au prétexte que tout le mal est dans le capitalisme.
La vérité n'est pas au rendez-vous
On le voit, sur des points essentiels, la vérité est loin d'être au rendez-vous. A la place de réelles explications, sont présentées des excuses censées diminuer les responsabilités, comme ce désir de choquer, d'être infréquentable, dont nous venons de parler et qui revient sous la plume de tous les auteurs du livre Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme. C'est là-dessus que Gilles Perrault base sa préface de l'ouvrage en relevant que << l'ultra-gauche ne brille pas toujours par le bon goût >> et possède << l'amour du paradoxe propre aux minorités infimes >>. De plus, Perrault minimise l'importance de << la formule choc, sinon chic >> au prétexte qu'elle << n'épatera que les cinq cents lecteurs d'une publication aussi éphémère que confidentielle >>. Quadruppani insiste, lui aussi, sur << la diffusion extrêmement confidentielle >> de sa revue La Banquise.
En gros, on nous laisse entendre qu'au fond tout ce qui pouvait bien s'écrire dans ces revues n'est pas vraiment à prendre au pied de la lettre, ni trop au sérieux, venant d'un milieu où la << place [tenue par] l'amitié, le goût des farces de potache et les beuveries [est] énorme >> 49. Lavacquerie le troisième auteur de Libertaires et ultra-gauche... souligne un laisser-aller de rigueur dans des groupes dont << l'activité révisionniste [...] se résumait à 2 % de théorie et 98 % de conversations de bistrots et de querelles sémantiques >>. Comme si cela ne suffisait pas, ce dernier n'hésite pas à parler d'<< une grande niaiserie >> chez ces << radicaux, tributaires de leurs schémas mécanistes et hyper rationalistes [qui] écrivirent tant de bêtises dogmatiques sur la question des camps >>. Voilà brossé un portrait peu reluisant de l'ultra-gauche par certains de ses membres-mêmes. Ce qui ne les empêche nullement, après s'être employés à se disqualifier de pareille manière, d'affirmer, comme Quadruppani le fait crânement, avoir << sur l'essentiel [...] vu juste >> !
De même, l'<< avocat de la défense >> Lavacquerie invite à la lecture de << l'article passionnant de La Banquise no 2 qui explique très bien la genèse de l'embrouille >>, alors que nous avons vu quel pénible exercice de désembourbement était cet article. Il faut dire qu'à son tour, Lavacquerie n'hésite pas à présenter, dans le corps même de son plaidoyer, des théories catégoriques frappées au coin de l'approximation. En effet, il renvoie dos à dos << les révisionnistes et les tenants de la Shoah Business >> qui ont << réussi à faire de cette question une question maudite et sont les piliers d'une idéologie biface où il faut croire au mensonge juif ou à l'antisémitisme naturel des goyim >>. Peut-on accepter de voir présentés comme les deux faces d'une même idéologie la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) et les négationnistes ? Certainement pas, parce que l'action des premiers, quoi qu'on puisse en penser, se base sur le génocide réel des Juifs, alors que celle des seconds s'appuie sur un mensonge absolu. De toute façon, on voit mal ce que vient faire ce procès à la LICRA accusée d'une << attitude totalitaire >> qui permettrait aux négationnistes << de prétendre qu'on les persécute >> dans un texte censé éclaircir les raisons de la dérive négationniste d'une partie de l'ultra-gauche. Comme on peut rester pensif devant le besoin de parler à propos de l'action de la LICRA << de véritable détournement de cadavres >>.
Ce livre a entraîné une vive polémique et cela n'est guère étonnant après la brève analyse que nous venons d'en faire. En effet, cet ouvrage n'est ni rigoureux, ni précis, ni très honnête. Sous un titre qui entraîne dans la sombre affaire du négationnisme ni plus ni moins que deux courants politiques, on ne découvre que les explications tordues d'individus qui essayent de solder un passé bien encombrant, sans vraiment tout liquider. A ce petit jeu, Gilles Dauvé est carrément sidérant et présente un étrange cas de dédoublement de la personnalité. Tout au long de son Bilan, contre-bilan, il stigmatise l'attitude de << ces curieux révolutionnaires >> qui << se voulaient détenteurs d'une vérité enfin utile >> et soutenaient un Faurisson << dont il n'est nul besoin d'être chasseur de nazi professionnel pour discerner l'antisémitisme flagrant >>, sans jamais dire qu'il a été un de ces << révolutionnaires >> et qu'il a soutenu Faurisson !
Au fond, que ces deux personnages aient été peu ou prou et plus ou moins longtemps révisionnistes n'intéresse certainement pas tous les lecteurs qui, comme nous, ont fait l'acquisition de ce livre à cause de son titre. Si ces deux-là se retrouvent sous les feux de la rampe, c'est qu'ils s'y sont eux-mêmes placés. Ce qui surprend le plus c'est que Reflex, groupe anti-fasciste radical, se soit fait l'éditeur d'un livre leur donnant la parole sur un sujet aussi brûlant, sans autres précautions : vérifications des dires, avertissement au lecteur, éléments pour comprendre une affaire déjà datée 50. De plus, il aurait fallu faire un choix : soit donner l'occasion à Quadruppani et Dauvé d'une véritable autocritique, soit présenter le point de vue des libertaires et de l'ultra-gauche sur le sujet, qui est, rappelons-le tout de même ! pour l'essentiel d'entre-eux, de s'être toujours opposés au délire négationniste.
L'opinion de Louis Janover
Louis Janover a écrit un livre, Nuit et brouillard du négationnisme, pour rappeler que l'ultra-gauche, à laquelle il se rattache, ne s'est jamais compromise avec des idées d'extrême-droite, dans lequel il regrette que << deux suspects n'aient pas hésité pour se défendre à faire croire que tout le milieu avait été contaminé avec eux >>. Pour lui, des << petits malins >> en mauvaise posture n'ont pas hésité, pour s'en sortir, à mettre tout le monde dans le bain. En l'occurrence, Reflex aurait été l'instrument idéal, à cause de son label antifascite, avec la publication d'un livre se situant << au coeur [d'un] dispositif d'autojustification >>.
On peut le suivre lorsqu'il écrit que l'ultra-gauche tentée par le négationnisme, constituée de << rescapés du gauchisme soixante-huitard >> et du << VRP gauchiste de la Vieille Taupe >>, n'est pas la même que la << mouvance ultra-gauche traditionnelle >> qui a toujours été antifasciste. Toutefois, il n'existe pas, à notre connaissance, de réelle frontière entre les deux. En témoigne, le tract Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis 51, que Janover signait, en 1992, avec deux des auteurs des textes du livre Libertaires et ultra-gauche... leur servant avec les autres signataires << de caution >>. Ne serait-ce qu'à cause de cela, Janover ne devrait pas considérer, comme il le fait, << dérisoire >> les textes incriminés et parler à leur sujet de << palimpsestes depuis longtemps racornis ou même tombés en poussière >>, et il devrait saisir cette occasion pour s'interroger sur << les faiblesses propres au milieu ultra-gauche >>, évoquées, ironie ! dans le tract Les ennemis... qui utilisait justement ces faiblesses pour couvrir les écrits passés de certains des signataires !
Janover préfère constater << l'effet dévastateur de cette polémique >> sur les milieux libertaires et ultra-gauche. Car, dit-il, ce cafouillage est une merveilleuse occasion donnée aux << démocrates bien-pensants >> de laisser entendre que toute critique de la démocratie parlementaire et de l'antifascisme est suspecte, comme, donc, toute pensée libertaire et ultra-gauche porteuse de cette critique. Sans cela, il n'y aurait eu, selon lui, << aucune raison de s'attarder sur ce mauvais polar >>. L'exploitation qui a été faite de cette affaire, par exemple complaisamment étalée dans Le Monde, est réelle. Mais le << mauvais polar >> dont parle Janover a bien été << écrit >> par un milieu incapable de repérer et de régler lui-même ses problèmes.
Dans ce << procès >> fait à l'ultra-gauche, Janover prête le rôle d'accusateur à l'écrivain de roman policier Didier Daeninckx, qui a consacré plusieurs ouvrages à ce sujet.
L'intervention de Didier Daeninckx
C'est tout d'abord, en tant qu'écrivain de polars que Daeninckx va intervenir en se renseignant sur Dauvé, à la demande du directeur de la collection Le Poulpe, à qui un manuscrit de celui-ci avait été donné par Quadruppani pour publication. Son << enquête >> l'a amené à découvrir les éléments démontrant les activités révisionnistes de Dauvé, et conséquemment de Quadruppani, et à souligner l'ambiguïté de leurs explications récentes et leurs omissions. Toute cette affaire va agiter les milieux antifascistes et le milieu du polar (Quadruppani est aussi auteur de polars). Dés lors, cette histoire prendra une dimension << microcosmique >> avec rumeurs, lettres << privées >> largement rendues publiques, pétitions lancées pour soutenir Quadruppani, menaces de cassage de gueule à l'endroit de Daeninckx, etc.
Certains vont refuser à Daeninckx le droit de s'exprimer sur ce sujet, au prétexte qu'un ex-membre du Parti communiste français, toujours sympathisant, n'aurait de leçon à donner à personne ; il se verra accuser de mener un procès stalinien. On peut certes se poser des questions sur les motivations et la légitimité de Daeninckx à jouer le rôle de << justicier >> qui est le sien dans cette affaire, mais cela n'annule pas la véracité de l'essentiel de ses affirmations qui sont accablantes pour les auteurs de Libertaires et ultra-gauche... Ceci dit, les livres de Daeninckx ne sont pas sans défauts. Ainsi, s'il s'est livré à un travail ultra-détaillé concernant les personnalités de Dauvé et Quadruppani, il ne s'est guère exprimé sur le sens à donner à leur dérive révisionniste. On perçoit pourtant la thèse de Daeninckx qui est que l'ultra-gauche abriterait des fascistes en son sein, des gens qui auraient tout intérêt à semer la confusion. Mais cela n'est jamais clairement dit, ni prouvé : Daeninckx laisse entendre plus qu'il n'affirme. De plus Daeninckx, dans sa démonstration, fait mention de documents qui n'ont pas été publiés, comme par exemple des brouillons de textes, pour porter certaines de ses accusations. Son action est apparue comme une sorte de croisade qui prenait, parfois, une drôle d'allure. Ainsi, dans le livre collectif, Négationnistes : les chiffonniers de l'histoire, qu'il a dirigé, on trouve un texte ébouriffant du directeur de la revue catholique Golias dont l'article La Bête et son nombre tente de démontrer une sorte de sous-bassement satanique au négationnisme au prétexte, entre autres, que certains négationnistes ou supposés tels << écrivent le mot Dieu avec une minuscule << pour rabaisser le caquet de l'Enflure céleste >>.
L'antifascisme dans la tourmente
Dans toute cette affaire, Didier Daeninckx n'est pas un enquêteur neutre, à la fois à cause de sa profession d'écrivain et de son appartenance politique. Louis Janover voit en lui un de ces antifascistes << bien-pensants >> représentant du << nouveau discours consensuel fondé sur le devoir de mémoire antifasciste >> 52 et dans son action une volonté de faire place nette de tout antifascisme s'inscrivant dans une remise en cause générale de la société. Cette hypothèse n'est pas absurde. Depuis l'émergence du Front national, la question de l'antifascisme en France est venue, à point nommé, boucher les trous de l'idéologie d'une gauche singulièrement épuisée. L'épouvantail frontiste a été très utile pour faire avaler de nombreuses couleuvres au << peuple de gauche >> français (répression contre les sans-papiers, politiques sécuritaires, etc.) et aider une gauche en déroute à se définir, même si c'est en << négatif >>. Cette affaire du négationnisme de gauche prend donc place dans le contexte plus large de l'antifascisme français et doit aussi être comprise comme un moyen dans les combats qui s'y mènent. Rien d'étonnant à ce que Daeninckx, très proche du parti communiste et membre éminent de Ras l'front, s'y trouve mêlé. D'ailleurs il a, dans le fil de cette affaire, fait paraître un plaidoyer pour la loi Gayssot 53 qui punit les écrits et les propos racistes. Cet antifascisme qui s'impose par la loi est celui qui est prôné par le parti communiste français, dont fait partie Jean-Claude Gayssot, initiateur de la loi qui porte son nom.
Mais il faut croire que Daeninckx est aussi animé par une réelle volonté de dénicher la vérité derrière des apparences parfois trompeuses. Pour preuve, on doit relever qu'il s'efforce aussi de mettre à jour le rôle joué par des personnes censées appartenir au même camp que lui. C'est le cas de l'écrivain Gilles Perrault auquel Daeninckx s'est intéressé après qu'il ait préfacé Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme. Cela l'a amené à porter de très graves accusations contre Perrault, regroupées dans Le Goût de la vérité : réponse à Gilles Perrault 54. Le contenu de ce livre n'est certes pas fait pour cimenter le bloc des antifascistes << bon teint >>, alors qu'il sépare, pour longtemps, Daeninckx et Perrault qui étaient amis jusque là le premier admirant même grandement le second , naviguaient dans les mêmes eaux politiques 55, et se côtoyaient à Ras l'front.
La frontière séparant deux antifascismes, l'un radical, l'autre << démocratique >>, n'est pas la seule, et elle n'est pas non plus tout à fait rectiligne. En témoigne le rôle joué par Gilles Perrault qui se retrouve préfacier du livre édité par Reflex, alors qu'il personnifie, comme le dit Janover, << la quintessence de l'idéologie flexible de l'intelligentsia de gauche >>. Est-ce justement cette caution-là que sont allés chercher les auteurs de Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme, soudain avides de << respectabilité >> ? Perrault espérait-il oeuvrer pour son camp en participant, comme le dit Janover, à une entreprise de démolition de la pensée antifasciste révolutionnaire ? Ou ce dernier n'a-t-il jamais abandonné, comme le laisse entendre Daeninckx, ses premiers amours idéologiques d'extrême-droite ?
On le voit, beaucoup de questions restent encore sans réponse. S'il n'est pas possible de maîtriser les interventions extérieures, qu'elles soient le fait d'adversaires politiques ou de provocateurs, on est en droit par contre d'attendre des groupes libertaires, antifascistes... un peu plus de rigueur. Celle-ci passe tout d'abord par l'information et c'est le sens de ce dossier mais aussi par une attitude personnelle et collective plus critique vis-à-vis d'un certain nombre de personnalités << vedettes >> dont la notoriété ne doit pas remplacer la cohérence et surtout l'honnêteté qu'on est en droit d'attendre de chacune et chacun.
Notes :
1 <<Paul Rassinier>>, Lectures Françaises 124-125, août-sept. 1967, cité in Florent Brayard, Comment l'idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme, Paris, Fayard, 1997.
2 Sur la personnalité de P. Rassinier on peut lire aussi le témoignage de Guy Bourgeois, <<Rassinier et le mouvement libertaire>> in Georges Fontenis, L'autre communisme, Mauléon, Acratie, 1990.
3 Nadine Fresco, Fabrication d'un antisémite, Paris, Seuil, 1999.
4 Le syndrome de Stockholm est le processus par lequel certaines victimes adoptent le point de vue de leurs agresseurs.
5 Les Kapos étaient des déportés chargés, par l'administration des camps, d'encadrer les autres prisonniers.
6 Selon des témoins retrouvés par Nadine Fresco, Rassinier aurait fait le clown à l'infirmerie du camp pour s'attirer la sympathie des infirmiers; il aurait aussi dérobé des conserves à d'autres détenus. Sans porter de jugement moral sur ces éléments, elle considère que son <<révisionnisme>> fut au départ une <<autorévision>>, une façon d'enjoliver son propre parcours dans l'univers concentrationnaire.
7 Le mensonge d'Ulysse, cité in Florent Brayard, op. cit., p. 98.
8 Sur Céline, lire notamment Michel Bounan, L'Art de Céline et son temps, Paris, Allia, 1997 ; Hans-Erich Kaminski, Céline en chemise brune (1938), Paris, les mille et une nuits, 1997 ; Jean-Pierre Martin, Contre Céline, Paris, José Corti, 1997.
9 Introduction de Paraz au Mensonge d'Ulysse, cité in Florent Brayard, op. cit., p. 119.
10 Rassinier avait séjourné dans des camps de concentration qui étaient des camps de travail où l'on mourrait surtout d'épuisement et de malnutrition et non des camps d'extermination comme Auschwitz ou Treblinka.
11 Journal officiel, compte rendu des débats, séance du 2 novembre 1950. Cité in Florent Brayard, op. cit., p. 159.
12 Pour en savoir plus sur le génocide des Juifs (et des Tsiganes, des homosexuels, etc.) par les nazis, on peut se référer, entre autres, à l'ouvrage de Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1987, qui répond point par point aux << arguments >> des négationnistes.
13 Nuremberg II ou les faux-monnayeurs, 1950.
14 Le Protocole des sages de Sion est un pamphlet antisémite, confectionné au début du siècle par les services secrets du Tsar et << révélant >> un soi-disant complot juif. Pour en savoir plus, on peut consulter Roberto Finzi, L'antisémitisme du préjugé au génocide, Casterman-Giunti, Florence, 1997, chap. 4.
15 Florent Brayard, op. cit., p. 244
16 Convaincu par Coston de la réalité d'un complot juif mondial contre la paix, Rassinier poursuivra son << oeuvre >> dans une quête éperdue des preuves de ce complot. Ses derniers écrits présentent la Shoah comme une imposture inventée par les juifs après la guerre.
17 Florent Brayard, op. cit., p. 434.
18 Dans Le Libertaire no 247, 15 déc. 1950.
19 Défense de l'homme no 53, fév.-mars 1953, pp. 8-9.
20 Roland Biard qui évoque ce débat dans son Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975, Paris, Galilée, 1976, ne donne pas d'indications sur la personnalité de Rassinier.
21 Bulletin intérieur de la FA, décembre 1960.
22 C'est ce qu'écrit notamment Georges Fontenis, L'étrange parcours de Paul Rassinier, in Négationnistes : les chiffonniers de l'histoire, Golias Syllepse, 1997, p. 132.
23 Cette citation et celles qui suivent sont tirées du Bulletin intérieur de la FA, octobre 1961. Qui reprend lui-même des articles parus dans Informations, organe du groupe anarchiste de Hambourg.
24 Ce que Rassinier disait-là était une sorte de demi-vérité. En effet les six camps d'extermination nazis (Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Auschwitz et Maïdanek) se trouvaient tous situés sur le territoire de la Pologne de 1939. Cependant des gazages ponctuels ont aussi été pratiqués dans des camps de concentration << classiques >>, notamment à Mauthausen en Autriche. Cf. François Bédarida, Le nazisme et le génocide, Paris, Nathan, 1989, p. 39.
25 Le Monde libertaire, no 106, novembre 1964, cité par Nadine Fresco, op. cit., p. 562.
26 Maurice Joyeux, << Parlons un peu de Paul Rassinier >> Le Monde libertaire no 664 du 21 mai 1987, p. 7. A la décharge de la FA, il faut signaler que trois semaines plus tard (dans Le Monde libertaire, no 667, 11 juin 1987), un article signé Jacques Grégoire, faisait le point sur la personnalité de Rassinier en expliquant que ses écrits n'avaient d'autre objet que de nier la réalité du génocide et de réhabiliter le nazisme. Mais comme le veut une tradition de la FA, l'article de Grégoire n'attaquait pas de front le texte de Maurice Joyeux. Et l'introduction du comité de rédaction prétendait uniquement << apporter quelques précisions sur la dérive >> de Rassinier. Il est des cas où l'intention, à première vue charitable, d'épargner un vieux camarade peut sérieusement entamer la crédibilité d'une organisation.
27 Selon Nadine Fresco, op. cit., pp. 12-14, un autre historien du socialisme fort connu, Maurice Dommanget, spécialiste de Babeuf et de Blanqui, faisait lui-aussi régulièrement l'éloge des livres de Rassinier, notamment dans la revue L'Ecole émancipée. S'il est bien difficile d'expliquer l'aveuglement de certains libertaire vis-à-vis de Rassinier, le mystère s'épaissit encore pour des historiens consacrés.
28 Selon Florent Brayard, op. cit., p. 374.
29 Georges Fontenis, L'autre communisme, op. cit. p. 385.
30 Selon la rubrique qui lui est consacrée dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, J. Maitron dir., Paris, éditions ouvrières, 1982.
31 Voir Tierry Maricourt, Les nouvelles passerelles de l'extrême-droite, Levallois, Manya, 1993, pp. 117-121. Du même, Les curieux appuis libertaires du nihilisme brun, in Négationnistes : les chiffonniers de l'histoire, op. cit., pp. 141 et s.
32 Nous craignons qu'il faille compter parmi ceux-ci Felix Alvarez Ferreras, directeur de Cenit, publication réalisée en France par d'anciens exilés de la CNT d'Espagne, qui fait de temps à autre de la publicité pour L'Homme libre. Voir Cenit no 723 du 7 avril 98 et no 763 du 9 février 99.
L'Homme libre no 155, avril-juin 98, ayant publié une note nécrologique pour la compagne d'Alvarez Ferreras, on peut imaginer que ses rédacteurs aient exploité son désarroi... Mais cela montre aussi que les fascistes sont très habiles pour pénétrer et utiliser les institutions déclinantes.
33 Le Monde, 21 février 1979.
34 Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire. La question juive des chambres à gaz, Paris, La Vieille Taupe, 1980.
35 Sur ce sujet, voir l'appendice De Faurisson et de Chomsky qu'y consacre Pierre Vidal-Naquet dans son livre Un Eichmann de Papier in Les Juifs, la mémoire et le présent, Esprit, 1981 et les Réponses inédites à mes détracteurs parisiens de Noam Chomsky, Paris, Spartakus, 1984.
36 Au départ, se trouvent rassemblés sous ce nom des organisations se réclamant de la Gauche italienne bordiguiste et du Conseillisme, mouvement marxiste anti-autoritaire, issu du socialisme allemand des années vingt représenté par Rosa Luxembourg, P. Mattick, Pannekoek, etc., qui préconisent le pouvoir des conseils ouvriers. Aujourd'hui, on a tendance à classer sous cette appellation toute une galaxie de groupes radicaux puisant dans cette tradition, mais aussi influencés par certains penseurs libertaires (Stirner) ou des mouvements comme l'Internationale situationniste. En gros, il s'agit de tout ce qui est à gauche de l'extrême-gauche et qui n'est pas anarchiste. On ne peut pas réellement parler de courant politique, car les divers groupes dits << ultra-gauche >> ne s'apprécient pas forcément entre eux, ni ne se reconnaissent comme faisant partie d'un même ensemble. D'après le Dictionnaire de l'extrême-gauche de 1945 à nos jours de Roland Biard, Belfond, 1978.
37 Cet intérêt pour Rassinier n'est pas nouveau chez Guillaume qui, déjà à la fin des années soixante, dit à qui veut l'entendre tout le bien qu'il pense de cet auteur.
38 François-Georges Lavacquerie, L'ultra-gauche dans la tourmente révisionniste in Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme, Paris, Reflex, 1996.
39 Tendance bordiguiste ou Gauche italienne : << tendance marxiste se référant aux thèses d'Amadeo Bordiga >>. Ce dernier fut le chef de file d'une fraction minoritaire au sein du Parti socialiste italien, puis du Parti communiste italien. Pour lui, le << Programme communiste >> dont est dépositaire le Parti, a été élaboré une fois pour toutes par Marx dans le Manifeste. Sa dénonciation de la mainmise de l'Internationale Communiste sur les partis communistes européen et son soutien à Trotski en 1930, lui vaudront d'être exclu de l'Internationale et du Parti. Malgré le retrait politique de Bordiga jusqu'en 1945, un courant bordiguiste important va se développer dans de nombreux pays entre les deux guerres. << Figée sur des positions immuables, [...] la gauche italienne attend des masses la reformation du Parti Communiste authentique >>. D'après le Dictionnaire de l'extrême-gauche de 1945 à nos jours de Roland Biard, Belfond, 1978. Les citations sont extraites de ce livre.
40 De l'exploitation dans les camp de concentration à l'exploitation des camps, op. cit.
41 De l'exploitation dans les camp de concentration à l'exploitation des camps, op. cit.
42 Table rase de la confusion, in Libertaires et ultra-gauche..., op. cit.
43 Comme l'atteste un texte interne à La Guerre sociale, publié dans La Banquise, no 2, 1983.
44 Cité par Didier Daeninckx, Le Jeune Poulpe contre la vieille taupe, Paris, Bérénice, 1997.
45 Cité dans Le Roman de nos origines, in La Banquise, no 2, 1983.
46 Paris, Balland, 1983.
47 La Banquise, no 1, 1983.
48 Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme, op. cit.
49 François-Georges Lavacquerie, L'Ultra-gauche dans la tourmente révisionniste, in Libertaires et ultra-gauche..., op. cit.
50 En effet, l'énorme partie des lecteurs pensons aux jeunes ou aux provinciaux se retrouvent devant un livre qui parle de revues qu'ils ne pouvaient avoir lu et qu'ils ne pouvaient quasiment pas se procurer.
51 Tract qui marquait un refus net du négationnisme jugé comme << une extravagante variante d'antisémitisme >>.
52 Louis Janover, Nuit et brouillard du négationnisme, Paris, Paris-Méditerranée, 1996.
53 Didier Daeninckx, Valère Staraselski, Au nom de la loi, Paris, Bérénice, 1998.
54 Dans cet ouvrage, publié par Verdier en 1997, Daeninckx s'attache à éclairer les zones d'ombres de la biographie de Gilles Perrault : sa sympathie pour les idées d'extrême-droite qui le pousseront à s'engager dans les parachutistes pendant la Guerre d'Algérie et dont on trouve traces dans ses premiers livres, ses liens avec les services secrets français qui << alimentent >> son oeuvre littéraire, etc. Nous ne traiterons pas ici du contenu de ce livre qui ne fait pas directement partie de notre problèmatique.
55 Ils sont tous les deux membres de la Société des Amis de l'Humanité, quotidien du Parti communiste français.