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A Sainte-Geneviève-des-Bois, des professeurs occupent leur lycée la nuit
LE MONDE | 02.12.08
Une vingtaine de professeurs, lundi 1er décembre vers 22 heures, s'apprêtaient à passer la nuit dans le lycée Albert-Einstein de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), où ils enseignent, en signe de protestation contre le "projet Darcos" pour le lycée, qui doit réformer la classe de seconde à la rentrée 2009. Classé en ZEP, l'établissement est un lycée général et technologique qui accueille un millier d'élèves. Une de ses particularités est d'avoir pour proviseur Gilbert Longhi, connu pour avoir été longtemps à la tête d'un lyçée expérimental . Lequel revendique, en pareille circonstance, une "application rigoureuse des textes" et a rappelé aux enseignants leurs obligations et le respect de consignes de sécurité. L'occupation nocturne est appelée à se poursuivre et, espèrent ses participants, à rallier d'autres établissements.
Décrire ces occupants comme un noyau de militants syndicaux ou politiques serait totalement erroné : la plupart ne sont pas syndiqués. Parmi eux, "il y en a même qui ont probablement voté Sarkozy", assure discrètement un participant. Quoiqu'il en soit, ils ne souhaitent pas donner de détails personnels et tiennent même à rester anonymes. Leur parole est "collective", insistent-ils. Côté positif, c'est une façon d'idéaliser leur solidarité. Côté négatif, le signe d'une crainte sincère quant au respect des libertés par l'administration de l'éducation nationale et l'actuel gouvernement.
Ils ont lancé leur mouvement en dehors des syndicats, même si un adhérent FO a fait en sorte que son organisation cautionne leur action. Les syndicats, explique un professeur de sciences économiques et sociales (SES), "ont leurs propres stratégies" que ce mouvement pourrait déranger. L'idée d'occuper l'établissement leur est venue le jour de la grève nationale du 20 novembre. "On s'est réunis et on s'est demandé ce qu'on allait faire après la grève", explique une jeune enseignante, elle aussi professeur de SES. Il faut dire que "la grève", depuis celle du printemps 2003 qu'ils ont pour la plupart suivie, est frappée à leurs yeux du sceau de l'inefficacité : prélèvements sur salaires trop douloureux, surtout pour des couples d'enseignants, et mauvaise humeur garantie des parents d'élèves.
"Nous voulions nous échapper d'un système où nous avons toujours le mauvais rôle", explique une enseignante de lettres modernes, qui résume à sa façon le discours gouvernemental : "Soit on fait grève et on passe pour un tas de fainéants, soit on ne fait pas grève et alors on est pour Darcos !"
"AUCUN SIGNE NÉGATIF"
L'occupation, en revanche, permet de créer l'événement et de donner corps à une mobilisation. Lundi 24 novembre, une liste d'adhésion à cette action a été affichée en salle des professeurs. Sur une centaine de profs, une trentaine s'y est inscrit, affirment les occupants. "Aujourd'hui, nous approchons de la moitié", disent-ils, précisant que l'occupation se fait par roulement, et qu'ils n'ont perçu, venant de l'autre moitié de leur collègues, "aucun signe négatif". Un blog a été mis en place pour assurer la communication (collectifeinstein.blogspot.com). Les occupants expliquent qu'ils ne sont "pas contre le changement" mais qu'ils s'inquiètent, sur "plusieurs points fondamentaux". "Les horaires de la plupart des matières sont revus à la baisse, écrivent-ils, et les cours en demi-groupes disparaissent." Ils estiment que cette réforme aura pour conséquence une "réduction de l'offre éducative", un "accroissement des inégalités", une "dégradation du métier d'enseignant" et un "surcroît de problèmes d'organisation". Cet argumentaire, associé à l'affirmation répétée que "le projet Darcos consiste avant tout à faire des économies" a été décliné lundi en début de soirée dans la salle de réunion du lycée devant une centaine de personnes : professeurs, parents et certains élèves. Les occupants ont insisté sur leur choix d'un mode d'action "ne pénalisant pas les élèves" et ont exprimé d'avance leur désaccord envers toute tentative, par ces derniers, de blocage du lycée. Le maire de Sainte-Geneviève-des-bois, Olivier Leonhardt (PS), et le député de la circonscription, Julien Dray (PS) sont venus exprimer leur soutien. Les protestataires ont l'objectif de tenir jusqu'au 10 décembre, date d'une prochaine journée nationale d'action à l'appel des syndicats. "Nous, on voudrait que ça se propage", résume une enseignante. Une tentative de blocage de l'entrée par quelques lycéens, mardi matin, a tourné court.
Luc Cédelle