Extrait du livre de Farid : "Farid le Fou... d'Amour"
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Introduction
J’ai écrit ceci en espérant que plus personne ne vivra ce que j’ai enduré en prison
pendant toutes ces longues années.
Plus de 22 années de ma vie où j’ai pu voir, ressentir et subir toute la haine et cette
violence du personnel pénitentiaire. La barbarie et la souffrance. L’intolérance dans la
tolérance. L’injustice dans la justice et dans les prisons belges.
1967 – 1984
Je suis né le 9 décembre 1967 à Saint-Dizier, en France. Je suis le cadet d’une fratrie de
sept enfants.
Ma maman est de nationalité française et mon père est marocain. Il est venu en France
dans le courant de l’année 1955.
J’étais âgé de six mois lorsque nous sommes arrivés en Belgique. Mon père espérait y
trouver du travail. Nous avons d’abord vécu dans la région de Charleroi. J’avais environ cinq
ans lorsque nous avons emménagé à Bruxelles.
Mon père était alcoolique et violent. Il frappait ma pauvre maman.
Elle n’avait rien à dire. Les coups ne m’étaient pas épargnés ni à mes autres frères et
sœurs.
La police avait déjà dû intervenir à différentes reprises à cause du comportement très
brutal de mon père. Il était arrivé très souvent que les autres locataires de l’immeuble
téléphonent à la police lorsqu’ils entendaient nos hurlements.
Par ailleurs, mes frères aînés devaient voler pour mon père.
J’ai très peu de souvenirs de mon enfance, avant mes sept ans, juste quelques images,
comme des flashes. Je me souviens notamment d’un événement qui m’a fort marqué.
Un jour, en rentrant à la maison, j’ai retrouvé ma mère dans un piteux état. Elle était à
terre, inconsciente et son visage était ensanglanté. Mon père l’avait frappée. Cela m’avait
bouleversé.
J’ai alors pris un couteau de cuisine et me suis dirigé vers le salon où mon père cuvait
son vin. Il ne somnolait qu’à moitié. Lorsque j’ai voulu le frapper avec le couteau et avant que
je ne le blesse, il m’a saisi les poignets. Il s’est ensuite levé et m’a battu avec sa ceinture.
Entre-temps, ma mère était revenue à elle et s’est placée entre mon père et moi pour me
protéger.
Son intervention m’a permis de m’enfuir et de me réfugier sous un lit.
J’adore ma maman. Elle a toujours essayé de nous protéger de la violence de mon père
qui était fréquemment ivre à cette époque.
C’est quasiment le seul souvenir que j’ai de cette période.
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Je connais très peu mes frères et sœurs. La vie que nous avons menée nous a éloignés
les uns des autres. Au fil du temps, ils sont devenus des inconnus. Nous sommes des frères et
sœurs de sang, mais pas de sentiments.
J’étais néanmoins très proche de l’un de mes frères aînés, Ouafick et de Nadia, l’une de
mes sœurs. Je l’adorais. Elle était mon aînée d’un an. Elle était extrêmement jolie, gentille et
sensible. Elle était la seule fille présente à la maison et j’y étais particulièrement attaché. Nous
étions solidaires et complices. Je pouvais compter sur elle.
Tout ce qui nous était arrivé, toute notre famille dispersée rendait Nadia dépressive. Elle
avait tenté à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours en abusant de médicaments et en se
coupant les veines.
Dès l’âge de sept ans, j’ai été placé par un juge de la Jeunesse à cause de la violence et
de l’alcoolisme de mon père. Le juge de la Jeunesse savait que mon père avait déjà été arrêté à
de nombreuses reprises pour des bagarres. La police avait aussi dû intervenir à plusieurs
reprises à la maison.
Je suis resté quelques mois dans ce home. J’en ai peu de souvenirs, si ce n’est que je
ressentais une énorme tristesse de devoir quitter ma famille. J’étais complètement perdu. Je
me souviens aussi que j’avais des problèmes d’énurésie et que tout le monde dormait dans un
grand dortoir.
Ma maman venait aussi souvent que possible me visiter, accompagnée par Nadia, mais
elles dépendaient du bon vouloir de mon père qui les conduisait en voiture. Ma mère devait
payer à mon père l’essence utilisée pour le déplacement engendré pour ces visites. Un jour, je
me souviens avoir vu ma mère et Nadia arriver tout essoufflées. Ma mère avait tenté de tenir
tête à mon père, pour les frais d’essence, lui expliquant que j’étais aussi son fils. Il s’était
alors arrêté et les avait tout simplement débarquées, en pleine autoroute.
Mon père n’était visiblement pas du tout affecté par mon placement et ma mère devait
se plier à ses décisions, sans quoi, elle était battue. Ma mère était une femme très fragile et
soumise.
Ces visites étaient comme une déchirure. Je voulais repartir avec elles. Les voir s’en
aller m’écartelait le cœur. Je les regardais me quitter et me sentais infiniment seul avec mon
incompréhension et ma douleur d’enfant.
Je ne comprenais pas la décision du juge de la Jeunesse. Je la vivais comme une
sanction qui m’éloignait et me privait de l’amour de ma maman. C’était mon père qui était
violent, mais c’était moi qu’on punissait.
J’ai ensuite été placé dans un home mixte, très catholique et très sévère, à Courrières.
C’était comme une grande famille d’accueil. Il y avait une trentaine de pensionnaires. Cette
maison était tenue par un directeur et sa femme. Nous devions les appeler « mon oncle et ma
tante ».
C’était un home très strict mais aussi chaleureux comparativement aux autres homes
que j’ai connus bien plus tard. Toutefois, je ne bénéficiais pas de l’amour maternel, que seule
une mère peut apporter.
C’était une énorme maison. À l’arrière de celle-ci, il y avait un enclos avec des
animaux.
En journée, j’allais à l’école. Après l’école, je faisais mes devoirs. Ensuite, nous
soupions.
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Le soir, nous avions l’occasion de jouer à des jeux de société ou nous regardions la
télévision.
Vers 20 heures, les plus jeunes allaient se coucher.
Je partageais ma chambre avec la directrice et une autre pensionnaire.
Un éducateur pervers et pédophile travaillait dans ce home. Un jour, alors que j’étais
occupé à jouer avec les animaux dans l’enclos qui leur était réservé, cet éducateur s’est
approché de moi. Il a voulu m’accompagner dans mon jeu. Mais il s’agissait d’une ruse afin
de m’amadouer. Je crois que ce style d’approche est fréquemment employé par ce genre
d’individu. Tout en jouant avec les animaux, il me parlait et essayait de me toucher. Lorsque
j’ai compris ce qu’il me voulait, je me suis enfui, pris de panique. Je suis entré dans la maison
et me suis réfugié auprès de la directrice, assise dans le salon. L’éducateur m’a poursuivi,
mais en apercevant la responsable, il s’est arrêté et s’est comporté comme si rien ne s’était
passé. Toutefois, je sentais bien qu’il m’observait, de peur probablement que je ne le dénonce.
Je ne l’ai pas dénoncé. De honte, j’ai préféré me taire. Depuis ce jour, il n’a plus essayé de
m’approcher pour assouvir ses pulsions sexuelles perverses, ni même tenté de me parler.
Combien d’enfants ont-ils été abîmés dans leur chair, combien de victimes a faites ce
détraqué sexuel ?
Les week-ends et les vacances, je devais les passer dans cette maison avec certains
autres pensionnaires. Je n’avais pas le droit de rentrer chez moi. Le juge de la Jeunesse me
l’interdisait. Cette interdiction me donnait toujours l’impression d’être différent des autres
enfants. C’était douloureux de les voir rejoindre leurs parents. C’est ainsi que vers 11 ans, je
me suis mis à fuguer pour retrouver ma maman.
Je me souviens de ces fugues, c’était comme un jeu pervers et douloureux. Je devais
être sans cesse aux aguets par rapport aux forces de l’Ordre. Lorsque je voyais la police, je
devais me cacher et ensuite, prendre mes jambes à mon cou pour fuir. Parfois, ils me
rattrapaient et me conduisaient devant mon juge de la Jeunesse.
Pendant mes fugues ou lorsque le juge décidait parfois de me rendre à ma mère, je
rejoignais mes copains dans le quartier de ma jeunesse. Nous nous réunissions dans un petit
parc où nous bavardions et nous jouions au football.
Le bruit de nos jeux agaçait les riverains qui appelaient régulièrement la police.
La police arrivait et avait pris l’habitude de s’amuser avec nous en nous encerclant.
Ensuite, elle tentait de nous attraper. C’était à celui qui courait le plus vite !
De temps en temps, je me faisais prendre avec quelques-uns de mes camarades.
La police nous conduisait alors au commissariat. C’est là qu’un autre type de jeu
commençait...
Nous avions droit à une fouille corporelle et nous devions ensuite rester nus devant eux,
dans un coin de la pièce. Les flics ne manquaient pas de se marrer de notre gêne. Parfois, un
policier un peu plus humain entrait dans la pièce et nous disait de nous rhabiller.
Nous étions ensuite placés dans une sorte de cage, une cellule d’attente. Cela durait des
heures. Finalement, mes copains et moi insultions les policiers. Leurs réponses à nos insultes
étaient toujours pareilles : ils nous jetaient des seaux d’eau à travers les grilles pour nous faire
taire. Cela les faisait beaucoup rire. Moi, j’avais la rage. Je ne comprenais pas pourquoi ils
nous enfermaient. Notre seul délit était d’être des enfants d’origine maghrébine et de jouer au
football...
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Ils nous libéraient au compte-gouttes, souvent pendant la nuit. C’est ainsi que je me suis
souvent retrouvé, seul, devant la porte du commissariat à 3 ou 4 heures du matin, alors que je
n’étais qu’un enfant.
Quelques années plus tard, en 1985, quelques hommes de cette brigade furent
condamnés pour le cambriolage d’une bijouterie...
Au lieu de profiter de la tendresse de ma mère, j’ai dû me battre pour survivre.
Très vite, j’ai commencé à voler des cigarettes dans les grands magasins. À ce moment,
je me prenais pour un dur. Ensuite, ce furent des cambriolages dans les maisons. Cela me
permettait notamment de pouvoir me payer de quoi rentrer chez moi. Puis ce fut l’engrenage,
les cambriolages, les vols dans les voitures, le vol de la recette des magasins, etc. C’est
toujours comme cela – une chaîne sans fin –, on vise de plus en plus haut.
Je regrette sincèrement les délits que j’ai commis entre mes douze et seize ans. À cet
âge-là, on ne réfléchit pas ; je me trouvais dans une sorte de spirale et j’étais obligé de réagir
de la sorte.
La vie ne m’a pas laissé l’opportunité de choisir. Sans le savoir, le juge qui m’avait
placé avec de jeunes délinquants m’a fait devenir pareil à mes compagnons d’infortune.
Je n’ai pas arrêté de fuguer à cause de tout ce que je voyais et subissais à Brasschaat. On
me suspendait mes rares permissions de week-end pour une futilité ou une autre. Les gifles
étaient très régulièrement distribuées. Je voyais aussi des éducateurs qui emmenaient souvent
des jeunes garçons dans leur chambre. Le chef éducateur était un pédophile notoire, il y en
avait d’autres. Tout le monde le savait, mais personne n’en parlait.
Ce chef éducateur était très dur avec les « têtes brûlées ». J’en faisais partie.
Par contre, il se montrait bien plus aimable avec les jeunes les plus fragiles. Il les
amadouait, leur octroyait certaines faveurs en contrepartie d’abus sexuels.
Lors d’altercations avec les éducateurs, il m’est arrivé plus d’une fois d’être ceinturé et
traîné par les cheveux jusqu’à ma chambre. Si je faisais mine de me défendre, j’avais alors
droit au cachot.
Je me rappelle qu’une fois, je suis resté pendant 45 jours dans ce cachot. J’avais 12 ans
et je me suis retrouvé pendant un mois et demi dans une pièce de trois mètres sur six, éclairée
jour et nuit d’une vulgaire ampoule protégée par une petite grille et fixée au plafond. Le
sommier de mon lit était en béton, un matelas y était déposé. En guise d’aération, il y avait
une petite fenêtre en Plexiglas, rempli de petits trous pour la ventilation. Lorsqu’il faisait
chaud, les moustiques envahissaient le cachot.
J’en sortais à chaque fois, la peau complètement boursouflée, par les piqûres.
Comment peut-on punir un enfant de 12 ans de la sorte ? Je voulais juste fuir l’injustice
qui régnait dans ce home et rejoindre ma mère.