par N. ROUSSELOT » Mercredi 13 Aoû 2008 15:26
[i]Nous sommes groupe de réflexion qui s'est constitué à Toulouse lors des luttes de novembre 2007 qui s'est donné le nom de Comité de Réflexion Communiste. Nous avons été amenés à aborder toute une série de sujets, en particulier le sens de la lutte que les enseignants ont mené au printemps 2008. Nous avons pensé intéressant de faire passer sur votre forum le compte-rendu que nous avons fait de cette discussion dans la mesure où cela permettrait une discussion plus large que celle que nous avons eu dans le comité. Voilà ce compte-rendu :
L'école, l'enseignement, les grèves et la position des communistes.
Compte tenu du mouvement en cours, il nous a paru intéressant d'aborder le sujet de l'école, tant au niveau théorique que pratique. J'ai moi-même participé à une AG d'enseignants dans un lycée de Toulouse.
Les orateurs (syndicalistes pour la plupart) exigeaient la restitution des postes supprimés, l'engagement de nouveaux professeurs et une hausse de budget alloué, bien sûr au nom de sa sainteté le service public (c'est à dire l'État).
Nous avons d'abord parlé de la structure de l'école actuelle ainsi que de travaux en pédagogie, en sociologie et en psychologie s'y rapportant. Puis, nous avons dénoncé les mots d'ordre : les syndicats cloisonnent la lutte afin de garder le contrôle des masses. Nous avons finalement discuté du rôle joués par ces derniers dans le mouvement, parlé de la logique Étatique, du positionnement communiste et des perspectives.
- Le budget de l'enseignement public pour un lycéen est de plus de 800 euros par mois, soit l'équivalent de deux ou trois élèves par professeur. Quant on voit le niveau culturel de l'aristocratie du 19ème siècle (éducation avec précepteur), on ne peut que constater le gâchis monstrueux d'argent vu les résultats actuels du niveau d'instruction d'un jeune de 20 ans.
- L'objectif d'un cours scolaire est l'acquisition de connaissances réputées mesurables. Cependant, un 10/20 pour passer en classe supérieure ne correspond à rien, cette moitié de connaissance étant inconnu. Elle englobe selon les élèves un contenu différent rendant une continuité pédagogique impossible.
De plus, la notation actuelle a une fonction de classement des élèves, qui va dès le plus jeune âge caractériser les “bons” et les “mauvais”, image qui sera intériorisée. Elle n'est en définitive qu'un système d'humiliation public et de reproduction social.
- Bourdieu, après avoir exposé les statistiques de la reproduction sociale, montre qu'elles sont décidées par la cohérence entre l'espace de socialisation que constituent la famille et l'école. S'ils correspondent, l'élève sera adapté, supportera et réussira. Si ces milieux ne correspondent pas, l'enfant rejettera l'institution scolaire et la famille. Cette dernière pouvant maintenir plus longtemps la cohésion, car elle possède une pression affective sur l'enfant. En rejetant sa famille à l'adolescence, l'enfant risque de se trouver isolé, ayant déchiré les principaux tissus de socialisation existant à son âge.
L'éducation doit être globale au sens le plus humaniste du terme. Il ne doit pas exister de concurrence entre la famille et l'école.
Pour détruire cette concurrence, il faut détruire les concurrents : l'enfant n'est pas un objet et n'appartient à personne, surtout pas à sa famille. La possession d'un enfant ne découle pas logiquement de la reproduction des parents. Son éducation doit être assurée par une multitude encadrée par des spécialistes. Il n'y a rien de plus pathologique que d'avoir seulement 2 modèles d'identification dans les premiers âges.
- L'enseignement et l'apprentissage sont peu efficaces, renforçant les disparités entre élèves : ceux qui peuvent être aidés (capital culturel, économique et social des familles) et les autres. Les méthodes défient tous les travaux de pédagogie ainsi que les recherches extrêmement poussées depuis les années 50 et avant, sur le fonctionnement de la mémoire, sur la profondeur de traitement sur le type d'apprentissage dans le domaine de la cognitive par exemple. La mémoire doit être exercée de façon journalière, mais le travail global de l'élève ne doit pas consister en du bachotage. Il saura son cours pour l'examen, l'oubliera 2 mois plus tard et sera handicapé face aux nouveaux enseignements.
L'apprentissage ne doit pas être massé mais distribué, c'est à dire coupé très régulièrement par des modifications du type de travail demandé pour reposer les aires cérébrales impliquées dans chaque effort.
L'enseignement doit être global : connaissance de son esprit, de son corps , construction du lien social, enseignement des sciences humaines dès le stade ou la pensée peut être abstraite (11-12 ans) etc. L'enfant doit pouvoir comprendre la dynamique de ses processus mentaux pour avoir un contrôle conscient dessus. Notre société développe expodentiellement des cas limites, c'est à dire à la limite du dénie de réalité ce qui est très inquiétant¹.
- L'acquisition des connaissances est dynamique, son organisation variées selon l'anamnèse des individus. Ceux-ci ne peuvent apprendre un cours figé, structuré par la personne du professeur. L'enseignement doit se dérouler en interaction, afin que chacun recrée la connaissance selon l'organisation de ses représentations. Le prof n'est là que pour veiller à la rigueur des raisonnements et à leurs remises en cause perpétuelle afin d'engendrer une réélaboration continue, une construction au niveau intra du savoir sur un mode critique.
La meilleure technique d'apprentissage est d'enseigner, donc de créer sa propre structure de connaissance. L'objet se reconstruit perpétuellement car les autres élèves vont prendre différents chemins pour leurs compréhensions. Il faudra saisir les nouveaux éléments renvoyés et les intégrer. La connaissance avec ses multiples prolongements acquiert ainsi une solidité à toute épreuve.
Plus une représentation a des liens solides et contient de nombreux éléments, plus le rapport à l'objet est riche et plus la connaissance est pérenne². Les enfants doivent enseigner à des élèves plus jeunes qu'eux. Selon l'âge et le type d'enfant, le cours pourra être plus ou moins long, plus ou moins complexe, avec plus ou moins d'élèves à charge, avec un soutien d'un professeur ou non. Cette méthode permet également le développement de la production orale, la présentation de soi à l'autre, le rapport social. Dès 8 ans, peut-être moins, l'enfant peut faire des cours d'1/4 d'heure à 5-6 élèves avec une aide au début. Ce principe doit s'appliquer à toutes les études. Est aussi à étudier les alternatives à la typologie fermée enseigné-enseignant.
La notation doit ainsi comporter 3 niveaux : acquis, non acquis, en capacité d'enseigner.
- Le rapport de l'élève et du professeur se déroule sur un mode de soumission, de l'autorité connaissante et de l'élève ignorant, tabula rasa dans lequel il faut introduire les bienfaits de notre civilisation.
Le paradigme de désinstitionnalisation, c'est à dire du démantèlement des statuts par la concurrence des professionnels fait observer la montée d'idéologies réactionnaires³. Le statut (prof, policier, médecin etc) ne suffit plus à démontrer la compétence. L'univers de consommation, donc de consommateurs entraîne une exigence de ceux-ci qui, sans être compétent, vont juger de la qualité de service.
Au lieu d'analyser cette remise en cause du statut comme une évolution logique du système capitaliste dans la concurrence internationale du travail, on va parler de fin de l'autorité, trouver des boucs émissaires, et regarder avec bienveillance la relation de soumission de l'élève et l'idolâtrie de l'instituteur de village d'autrefois. Le prof ne doit pas être respecté parce qu'il a le statut de prof, mais parce que c'est un être humain. Il ne doit pas enseigner parce qu'il est prof, mais parce qu'il a des compétences particulières. En effet, il ne doit pas être le nouveau père construisant l'ensemble de l'être à venir (comme si il ne l'était pas encore), mais doit permettre le développement d'acquisitions précises. Sur les autres aspects de la personne, il est aussi en situation d'apprenant de la personne humaine dans ses contacts sociaux avec l'élève.
Quel constat pouvons-nous faire de la situation actuelle:
- La formation des professeurs est mauvaise. Ils font très peu de pédagogie, pas de psychologie du développement ni de psychologie cognitive (fonctionnement mémoire, apprentissage, intelligence, etc). Le CAPES n'est que de l'ingurgitation donc fonctionne sur du bachotage critiqué ci-avant.
- Il faut détruire malgré les résistances la question du statut et la remplacer par celle de compétence. Elle doit se vérifier régulièrement, tant sur le plan des connaissances que sur le plan psychologique.
- L'argent alloué est largement suffisant, il est même excessif compte tenu des résultats obtenus. Le problème est au niveau de l'organisation des ressources, de la bureaucratie scolaire et des postes inutiles.
A partir de tout ce que nous avons dit, il est évident que l’organisation du système éducatif est mauvaise, c’est-à-dire forme mal l’ensemble des individus tout en gaspillant beaucoup de ressources.
Mais vouloir que le capitalisme transforme le système éducatif pour le rendre plus efficace est totalement idéaliste.
Le seul moteur actuel de transformation de l'école est que la situation de crise mondiale du système capitaliste et de concurrence exacerbée entre pays nécessite pour tous les Etats de dépenser moins.
Alors que la crise du capitalisme entraîne une marginalisation toujours plus grande d’une partie de la société, l’éducation nationale ne peut que se dégrader pour certains. La suppression de postes participe de cette dégradation (c’est la raison pour laquelle de plus en plus de parents – y compris les profs – mettent leurs enfants dans des écoles privées). La rationalisation de l’Etat se déroule au niveau de toutes ses dépenses (santé, éducation , justice). Il doit aussi créer – s’il en a les moyens – des pôles d’éducation et de recherches pointues afin de permettre la création d’entreprises compétitives nationales comme il en existe en Allemagne sur le secteur des machines-outils.
Cela signifie que la dégradation des conditions de travail des professeurs est le vrai moteur actuel des combats. En mettant en avant des revendications sur la qualité du service public, les syndicats veulent que la lutte se cantonne à des revendications corporatistes empêchant les profs de se positionner sur le plan de l’attaque générale des conditions de vie et de travail qui est communes à l’ensemble des travailleurs. Il est clair que c’est là où les profs sont les plus attaqués (la où le plus de postes sont supprimés) que la lutte a été la plus importante, rien donc à voir avec la défense d'un service public croulant.
Les communistes n’ont évidemment pas à soutenir la suppression des postes au nom de la nécessité de la rationalisation de l’Etat bourgeois, ni au nom du développement du tutorat. Nous savons qu’un système éducatif le plus efficace possible qui permette le développement de la personnalité dans son ensemble ne sera possible que dans une société communiste.
Les communistes doivent participer à la lutte des professeurs comme ils doivent participer aux combats de tous les personnes attaquées par l’Etat bourgeois. Toute lutte est une expérience pour les travailleurs, tant sur le plan de l’organisation que sur le plan des liens interprofessionnels et de la conscience de classe.
Le rôle des communistes est :
- de faire et diffuser une analyse de la situation, démontrer que les réformes correspondent à un plan de rigueur et est une nécessité pour le capital français dans sa concurrence avec les autres capitaux nationaux.
- De montrer qu’une victoire n’est que temporaire, que les concessions seront pour la bourgeoisie de moins en moins possible, que le nœud coulant se resserre de plus en plus.
Il faut un minimum d’air pour pouvoir encore crier.
Le réformisme gauchiste est en dehors de toute réalité dans le capitalisme mondial en crise dans lequel nous vivons.
Les caractéristiques de la grève actuelle montrent bien que la question de la qualité du service public n’est qu’une tentative pour dévoyer les objectifs de la lutte.
Cette lutte sur les conditions de travail fait partie de la lutte du prolétariat, le système capitaliste étant divisé en deux classes antagonistes, cette dernière s'opposant à la bourgeoisie. Dans la période actuelle, si le prolétariat n’existe pas encore comme classe pour soi (c‘est-à-dire ayant la conscience d’être une classe), il existe toujours en soi, c’est-à-dire comme exploitée par l’élite dirigeante capitaliste. Il faut travailler à ce qu’il comprenne la nécessité de son regroupement, le prolétariat étant par sa place dans les rapports de production, le seul pouvant renverser le système capitaliste dans son ensemble.
N. ROUSSELOT
Notes:
Les notes suivantes sont des explications rapides de notions ou de paradigmes complexes. Une bibliographie sera ajouté par la suite afin d'approfondir le sujet pour ceux le souhaitant, les éléments théoriques ne provenant évidemment pas de moi.
¹ Les processus mentaux prennent existence au travers d'une force qui les meut. Celle-ci cherche à se résorber par l'investissement qui porte le potentiel le plus important de décharge. Ce potentiel est différent selon chaque individu. Il est déterminé par les fixations ontologiques, c'est à dire les excitations importantes de la vie des personnes. Il y a donc des fixations particulières au niveau des stades psychosexuels.
Ces fixations relèvent de la sexualité infantile et sont donc refoulées.
La tension se résorbera sur d'autres objets, se déplaçant sur des chaînes associatives, car les éléments refoulés, interdit de passage dans la conscience ne peuvent être investis. Le moi n'est sensé n'accepter la pulsion qu'en la conformant à la réalité et aux exigences surmoiques. Il va devoir trouver un compromis. L'association sera suffisamment éloignée pour être méconnaissable et tolérée par le surmoi dans la conscience, ce qui entraîne symptômes, actes manqués, rêves par exemple, mais suffisamment proche pour satisfaire à la pulsion.
Cette tendance à la décharge est irrépressible. Ne connaissant pas l'investissement pulsionnel d'origine, on ne peut refuser la satisfaction produite en faisant volontairement le deuil de l'élément refoulé, ou en résorbant véritablement l'excitation à la place du déchargement limité de l'investissement compromis. Cette décharge se réactive sans fin, l'investissement originel étant frustré.
Suite à la mise au jour pulsionnel, l'individu peut quitter la répétition symptomatique qui crée souffrance. Il peut tolérer la jouissance de base ou l'interdire consciemment permettant de libérer une quantité d'énergie qui devient à disposition. Cette dynamique est à l'opposé d'un contrôle inconscient, réflexe et incompréhensible.
Un cas limite est une personne qui a son moi envahi par la pulsion, celle-ci cherchant le plaisir immédiat et total sans prise compte de la réalité.
Ce moi est envahi car il est trop faible. Il se met alors au service de la pulsion.
La réalité n'est pas méconnu comme dans la psychose, mais elle est fuite, provoquant par exemple des symptômes de type addiction, mise en danger de soi, isolement, dépression, surinvestissement d'un objet a fonction anaclitique comme dans la perversion etc. Nous ne somme pas dans la pensée “je ne sais pas”, mais dans celle du “je sais bien mais quand même”.
² Une connaissance est un ensemble d'éléments liés ensemble qui s'organisent en chaîne signifiante (ce que j'écris à l'instant a un sens car que je déplace mon attention sur des mots liés entre eux pas ces fameuses chaînes).
L'ancrage des signifiés est déterminé par le nombre de liens que ceux-ci ont avec d'autres. La chose chien est plus ancrée que le mot suprachiasmatique* par exemple. L'ancrage est aussi déterminé par la force, l'intensité des liens, chien est bien ancré car lié symboliquement au signifié animal qui contient une charge affective importante car j'ai été mordu par une bête étant petit. Ces signifiés sont liés a leurs signifiants, ce qui donne un sens à ces choses et en fait des mots, signifiant qui sont composés d'éléments acoustiques, moteurs, et kinesthésiques. Ces mots sont liés à d'autres avec les mêmes différents types d'ancrage qu'entraînent leurs liaisons.
L'organisation en structure de ces éléments disparates forme une représentation (cf Abric, Moscovici), l'organisation des représentations une connaissance.
La liaison et la déliaison/réorganisation est permanente car nous sommes toujours en proie à des excitations nouvelles reformant en continu les objets. Ces derniers sont constitués par de multiples éléments et leurs significations sont déterminées par l'organisation, la structure que forment ces éléments.
La pensée est ainsi différente selon les individus, les impressions qu'ils subissent étant disparates même si l'on retrouve des similitudes. Donner une structure préétablie d'une connaissance complique ainsi l'ancrage car demande une réorganisation complète impossible. Des éléments seront simplement cloisonnés pour éviter une dissonance avec ce qu'on doit apprendre.
Au contraire, une intégration d'éléments et une organisation individuelle est plus efficace, le prof étant là pour contrôler sa cohérence. Enseigner oblige a structurer sa connaissance de façon logique, chronologique, didactique. Il permet de clarifier où sont les trous dans la construction car on doit présenter son élaboration du début à la fin. La remise en cause de la structure par les paires permet de comprendre les mauvaises liaisons faites et de les reconstruire, elle permet aussi d'ajouter des éléments à la connaissance qu'on n'avait pas imaginé pour solidifier un élément (par une illustration par exemple), ou le résorber. La représentation enrichie par ses liaisons deviendra pérenne et ne sera pas éliminée par les contradictions qu'elle posera lors de la réactivation d'éléments cloisonnés à l'époque qui s'était révélés dissonants.
³ La monté d'idéologies réactionnaires correspond au fameux “c'était mieux avant”, “il faut remettre de l'autorité”, “on ne respecte plus rien” etc. La désinstitionnalisation est qu'un statut par lui même ne signe plus la compétence et n'est plus respecté comme tel. C'est un processus qui s'explique par le développement de la société de consommation, donc de consommateurs exigeants de ce qu'ils consomment. S'ajoute à ceci la concurrence (donc marketing) quant à la qualité de service.
C'est un processus qui se développe. On ne revient pas en arrière, surtout avec le développement des moyens de communication permettant ces remises en cause.
*Noyau hypothalamique contenant l'horloge chronobiologique chez l'animal.
Dernière édition par
N. ROUSSELOT le Jeudi 14 Aoû 2008 13:17, édité 6 fois.