Jacques Lesage de la Haye

Pour relier les luttes entre elles et les étendre...

Jacques Lesage de la Haye

Messagepar Elinor » Mercredi 16 Jan 2008 17:55

INTERVIEW

Jacques Lesage de la Haye



Jacques Lesage de la Haye est un psychologue et militant anarchiste. Il a enseigné à l'université de Paris VIII et publié une dizaine d'ouvrages, notamment La guillotine du sexe et La Mort de l'asile.


1. Icare : J'ai lu qu'en prison vous aviez pratiqué une « auto-analyse » fructueuse. Quelles sont selon vous les conditions nécessaires à un tel travail sur soi ? *

Jacques Lesage de la Haye : Les conditions nécessaires à une auto-analyse sont d'abord une véritable motivation à effectuer un travail sur soi et une réelle connaissance de la psychanalyse. Il faut aussi bien manier l'interprétation des rêves, des lapsus, des actes manqués et de l'analyse des associations libres.
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2 . Icare : Durant ces années vous avez également aidé certains de vos co- détenus. Et dans La mort de l'asile, vous expliquez qu'en tant que psychologue, vous avez parfois prolongé des thérapies hors de leur « cadre officiel » (l'hôpital psychiatrique). A quelles conditions un travail psychologique de ce type peut il être exercé par quelqu'un qui n'a pas ou plus le statut officiel de psychologue ? Pour les cas évoqués dans l'ouvrage cité, cela implique t-il un changement de relation important entre vous et votre « patient » ? Cela a t-il un effet particulier sur la thérapie ?

Jacques Lesage de la Haye : A la Centrale de Caen, les psychothérapies que j'ai menées avec huit des détenus étaient possibles, parce que j'avais effectué une auto-analyse et parce que j’étais reconnu comme thérapeute par ces patients-détenus. A l'hôpital psychiatrique, même hors cadre, j'avais toujours le statut de psychologue. C'étaient seulement les circonstances et les conditions matérielles qui faisaient que je fonctionnais hors cadre (à Emmaüs, sur un banc, dans la rue, dans un refuge, dans un bar, au téléphone ou chez moi). En pareil cas, la relation change inéluctablement, en s’approfondissant sur le plan affectif et émotionnel, ce qui n'est pas gênant pour un thérapeute reichien. Cela intensifie la thérapie et lui confère plus d'efficacité.

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3. Icare : Que pensez vous de la conviction de nombreux psychanalistes selon laquelle le coût élevé fait partie intégrante de la thérapie, poussant le patient à une démarche plus active, à un investissement plus grand ?

Jacques Lesage de la Haye : Ce n'est pas le coût qui fait partie intégrante de la thérapie, mais l'investissement par le patient. Les mercantis inscrits dans le système capitaliste confondent les deux. Or, celui qui a le RMI n'accorde pas la même importance à 60€ que celui qui gagne 3000€ par mois. C'est pourquoi les tarifs "démocratiques" sont à évaluer à deux, en fonction de la motivation du sujet et surtout de ses revenus.


4. Icare : Vous avez participé activement au mouvement anti- psychiatrique. A quelle période a t-il été le plus fort ? quelles étaient les idées-phares et le type d'actions préconisé ? Y avait-il un suivi réel de gens internés en hôpital psychiatrique et de quelle ampleur ?

Jacques Lesage de la Haye : Le mouvement anti-psychiatrique a été le plus fort de 1968 à 1974. Les idées phares étaient = fermeture de l'asile, nous sommes tous fous,la question est de gérer sa folie, éviter les psychotropes au maximum, refuser toute forme d'enfermement, créer des lieux hors de l'hôpital psychiatrique sur le modèle des communautés et appartements thérapeutiques... Les actions étaient des interventions dures dans les congrès de psychiatrie, la diminution des médicaments, le refus du port de la blouse blanche, l'ouverture des portes des pavillons, la création des lieux de vie, le recours à la justice face à la psychiatrie, l'égalité de statut du soignant et du soigné, le partage au quotidien de la folie... Le suivi en hôpital psychiatrique de patients internés était assez exceptionnel, car, sur 1500 soignants dans un hôpital il y avait seulement 70 personnes du courant anti-psychiatrique.


5. Icare : Qu'en est-il de ce mouvement actuellement ?

Jacques Lesage de la Haye : L'antipsychiatrie n'existe plus actuellement.


6.Icare : Quels sont selon vous les aspects les plus dramatiques dans le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques actuellement ?

Jacques Lesage de la Haye : Les aspects les plus dramatiques dans le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques sont la médication à outrance, la prétention scientifique de méthodes en fait pseudo-rentabilitaires, la tendance aux méthodes basées sur l'organicisme et les méthodes cognitivistes, le recours à l'enfermement sous le prétexte de "salle de soins intensifs", la violence asilaire, le recours aux traitements courts pour les psychotiques, la prétention rationalisante de la "démarche qualité", des "protocoles" et des statistiques, le retour des électrochocs rebaptisés "électroconvulsivothérapie" !...


7. Icare : Que pensez vous de la médicamentation en psychiatrie ? Quelles alternatives ?

Jacques Lesage de la Haye : La médicamentation est trop systématique et intensive en psychiatrie. Elle est pourtant parfois nécessaire, en période de crise, mais il faut la diminuer le plus vite possible avec l’adjonction de la thérapie holistique, incluant le psychisme, le corps, les émotions et le social.


8. Icare : Quels types de dispositifs d'aide aux personnes souffrant de problèmes psychologiques imaginez vous en société libertaire ?

Jacques Lesage de la Haye : Comme pour les délinquants, j'imagine " des maisons de la cité" où les patients qui le peuvent restent libres et sont entourés de personnes compétentes, généreuses et libertaires, du type "Coral" à Aymargues, du type "Corry" près de Carcassonne et de mon propre appartement de la Porte d'Orléans, entre 1970 et 1978. Il y a aujourd'hui des "Groupes d' Entraide Mutuelle" (GEM), ce sont des lieux situés dans un appartement, dans un quartier, où 3/4 fois par semaine, le week-end compris, des expsychiatrisés et des citoyens lambdas se retrouvent autour d'activités très diverses comme : la musique, la peinture, l’écriture, les sorties culturelles, cinéma, etc. Mais aussi, tout simplement, devant un café. Ils sont animés par deux personnes "référentes" mandatées par la ville. Ils sont très libres dans le choix de "la vie" du lieu et surtout très ouverts sur l'environnement extérieur.


9. Icare : Un ami burkinabé me dit qu'en Afrique la « dépression » très présente dans nos sociétés n'existe pas, et que les cas de « folie » sont beaucoup plus marginaux. C'est dû selon lui au fait que la communication entre les gens et la solidarité sont beaucoup plus fortes là-bas. Qu'en pensez vous ? Quelle est la part du culturel dans les névroses que connaissent nos société ?

Jacques Lesage de la Haye : L'ethnopsychiatrie nous a fait découvrir que la manière de dévier de la norme ou de la moyenne en matière de santé mentale n’est pas la même selon les cultures. Il faut donc tenir compte des méthodes utilisées pour aider ceux qui sont en difficulté dans les différentes régions de la planète. D’ailleurs, en France, à l’hôpital général Tonon, le personnel médical travaille en collaboration avec des marabouts.

10. Icare : Vous avez travaillé (ou vous travaillez encore ?) à l'hôpital de Ville Evrard. D'après votre expérience, quels types d'action auprès des patients s'avèrent les plus efficaces ? Par exemple, que pensez vous de pratiques comme la musicothérapie ?

Jacques Lesage de la Haye : Je ne travaille plus à Ville-Evrard. Je suis en retraite ! Mais je continue à faire de la formation pour du personnel soignant. Les méthodes les plus efficaces, lorsqu’elles sont possibles, sont l’amour, la liberté, le travail en groupe, la danse, les massages, les sorties en ville… (festives ou éducatives) La musicothérapie de groupe, comme je l’ai pratiquée trente-quatre ans, permet aux patients de surmonter leurs résistances à la communication, d’apprendre à se mouvoir, à découvrir les autres, surtout ceux de l’autre sexe, à décrypter les comportements et accroître leur tolérance.

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11. Icare : L'idée la plus courante est évidemment qu'on ne pourrait se passer de prisons et hôpitaux psychiatriques, parce qu'il y aura toujours des gens dangereux dont on n'a pas d'autre moyen de se protéger. Que répondez vous à ce type de discours ?

Jacques Lesage de la Haye : Il existe des sociétés qui n’avaient et n’ont pas de prison, ni hôpitaux psychiatriques. Les alternatives à la prison et à la psychiatrie entraînent des récidives moins importantes. Pour la prison, la récidive oscille aux alentours de 50% et peut aller beaucoup plus loin. Or, les alternatives offrent des taux de 15 à 22% (Etats de Massaschussets, Ferme de Champoly, Turin, mon appartement). Et, pour les criminels sexuels, à la Fédération Française de Santé Mentale, avec la Commission d’Ethique du Traitement des criminels sexuels, nous avons proposé une alternative à la prison, avec incitation à la rencontre, thérapie bifocale . Cela n’a intéressé personne. L’Etat a vraiment besoin de la prison pour asseoir une partie de son pouvoir.

12. Icare : Dans les mouvements autonomes que vous avez fréquentés dans les années soixante-dix, des prostituées étaient présentes avec un discours radical allant jusqu'à considérer la prostitution comme révolutionnaire. Qu'en pensez vous ? Ce type de discours ne risque t-il pas de minimiser les méfaits du travail et de la marchandisation des êtres ? Que pensez vous de la formule célèbre de Griselidis Réal : « La prostitution est un art, un humanisme et une science » ?

Jacques Lesage de la Haye : Les prostituées qui présentaient leur profession comme révolutionnaire n’étaient pas très nombreuses... Leurs revendications étaient plutôt d’ordre pragmatique : qu’on les reconnaisse comme des « professionnelles du sexe ». Que l’hypocrisie générale se termine car, non seulement, elles payaient des impôts, et étaient verbalisées à outrance. Le proxénète, dans l’affaire, c’est en premier l’Etat. Par ailleurs, j’ai toujours eu beaucoup d’estime et d’amitié pour Grisélidis. Il est bon qu’elle ait pu s’exprimer avec des formules lapidaires. Pour moi, la prostitution ne devrait pas exister, mais c’est une utopie… Au plus, elle pourrait être inscrite dans une « économie » alternative, comme les services d’échanges locaux, ce qui éviterait les rapports marchands et constituerait un système d’entraide et de solidarité.

13. Icare : Vous insistez sur le problème de la misère sexuelle, notamment en prison, et ses effets dramatiques sur les individus. Que pensez vous d'un certain discours actuel de « féministes pro-sexe » pour qui tout ce qui touche à l'industrie du sexe (pornographie, sex-shop, etc) et au travail du sexe tend à réduire cette misère sexuelle ?

Jacques Lesage de la Haye : Le discours féministe pro-sexe (pornographie, sex-shop) est un alibi du discours capitaliste et ne constitue en rien une pensée féministe. La Nouvelle Droite est bien allée jusqu’à prôner le droit à la différence pour justifier le racisme ! Non, ce discours ne réduit en rien la misère sexuelle, qui est bien plus ancrée dans les tréfonds des individus et ce ne sont pas ces artifices qui rendront les hommes libres face à leur sexualité. Nous retrouvons le concept des taulards et aussi des « mecs » dans les quartiers : « Toutes des putes. Sauf ma mère. » Il y a tout à revoir sur le plan de l’éducation…


14. Icare : Quels rapports entre la démarche psychanalytique et l'anarchisme ?

Jacques Lesage de la Haye : Les rapports entre la démarche psychanalytique et l'anarchisme ne sont pas évidents pour tout le monde. Pourtant, une psychanalyse effectuée dans le plus pur respect de la liberté du sujet permet à ce dernier de devenir libre et respectueux de la liberté, c’est-à-dire, libertaire au sens propre du mot...


15. Icare : Dans une approche libertaire, on a tendance à revendiquer de plus en plus de comportements comme des choix libres, relevant simplement d'une inclination personnelle (par exemple, les pratiques sado-masochistes), tandis que des psychologues auront tendance à analyser ces mêmes comportements comme des déviances, ou du moins comme révélateurs de troubles psychologiques. Avez vous parfois du mal à vous situer entre ces approches ? La « psychiatrisation » dans ce sens est-elle un frein à la liberté des individus ou au contraire a t-on tendance à fausser la notion de liberté en l'employant à tort et à travers ?
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Jacques Lesage de la Haye : Pour trancher sur une question aussi délicate et nuancée, il importe, selon moi, d’interroger la souffrance et l’angoisse du patient. Si la liberté est entravée par de graves problèmes psychologiques, il est clair que le sujet peut relever de soins psychologiques, à condition qu’il le demande lui-même. Sinon, il peut souffrir et ne pas vouloir changer. Cela relève de sa liberté. La psychiatrisation est un frein à la liberté si elle est pratiquée de manière autoritaire et normative, donc en ne tenant pas compte du patient. L’enfermement n’est ni pédagogique, ni thérapeutique. Mais il faut aussi tenir compte de la dangerosité de l’individu pour soi-même et pour les autres. Des accompagnements peuvent être nécessaires… Tout serait possible, si les hommes et les femmes ne portaient pas en eux « La peste émotionnelle ».


16. Icare : Quels groupes militants fréquentez vous actuellement à Paris ? Quels mouvements vous semblent les plus intéressants ? Globalement, que pensez vous de l'état actuel du milieu libertaire et militant ?

Jacques Lesage de la Haye : Je suis militant au Groupe Berneri, de la Fédération Anarchiste. Je suis intéressé aussi par l’Union des Anarchistes, l’Alternative libertaire, et la Coordination anarchiste des groupes du sud de la France. Je suis proche de l’Observatoire International des Prisons (OIP), même si c’est une ONG. Je reste attentif à Act-Up Paris. Je suis aussi les actions des Sans Papiers, du Réseau Education Sans Frontière. Quant au milieu libertaire militant, il est trop fractionné. Il gagnerait à se rassembler. A reprendre les « campagnes fédérales », sur les thèmes proches des préoccupations quotidiennes, à trouver les moyens et les actions « visibles » pour sensibiliser réellement le plus grand nombre. De nombreux militants sont pourtant présents dans d’importants combats = anarcho-syndicalisme, féminisme, internationalisme, éditions, radio, éducation, lutte anti-carcérale...


* Jacques Lesage de la Haye a été incarcéré durant onze ans et demi suite à des braquages à main armée.
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Messagepar NOSOTROS » Mercredi 16 Jan 2008 18:57

Tiens, le retour.

Il est à la FO .. euh pardon à la FA ... (FO, numéro un chez les matons ... et largement soutenue par la FA ...)

Il peut toujours prendre contact avec le CASP si il veut du concret ...
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Messagepar Elinor » Mercredi 16 Jan 2008 19:38

Il peut toujours prendre contact avec le CASP si il veut du concret ...


pour ce qui est des expériences concrètes je pense qu'il n'en manque pas Il a travaillé durant des années en hp et a construit un lieu en alternative à la prison, hébergeant un certain nombre de "délinquants",( et a passé onze ans de sa vie en prison). C'est pour ça que ses propos me semblent interessants, parce que ça n'est pas qu'un discours abstrait.
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Messagepar NOSOTROS » Mercredi 16 Jan 2008 19:40

oui, c'est d'ailleurs assez marrant comme il te renvoie délicatement (car c'est quelqu'un de sensible et d'intelligent) dans tes buts sur certaines questions ... :-)
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Messagepar Elinor » Mercredi 16 Jan 2008 19:43

??
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Messagepar NOSOTROS » Mercredi 16 Jan 2008 21:27

eh eh

le discours ce ne sont pas que des mots alignés les uns après les autres ...
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Messagepar Elinor » Mercredi 16 Jan 2008 22:01

ah oui, et après ? :wink: quelles conclusions en tires-tu ?
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