" Anticapitalisme et conservatisme ", par Michéa.

Pour relier les luttes entre elles et les étendre...

" Anticapitalisme et conservatisme ", par Michéa.

Messagepar clement h. » Mercredi 14 Fév 2007 16:56

hop un texte qui j'imagine va poser débat... ;-)

Jean-Claude Michéa qui travaille en ce moment à l’écriture d’un nouveau bouquin, a développé depuis une dizaine d’années une pensée décalée et rafraîchissante pour ce qui est du renouvellement tant espéré d’une critique conséquente et sans concessions des sociétés spectaculaires de croissance. Il est aussi depuis longtemps le commentateur de George Orwell (Orwell anarchist Tory et Orwell éducateur, chez Climats) et un de ceux qui ont introduit en France la pensée de Christopher Lasch. Son amitié et sa proximité intellectuelle de toujours avec Serge Latouche, a fait aussi de lui quelqu’un en constant dialogue avec la perspective de la décroissance. Ci-dessous, la dernière « scolie » - comme il appelle ses notes de texte - de son ouvrage L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes (Climats, 1999), où il abordait brièvement, de façon très concise et encore imprécise, ce qu’il developpera admirablement dans un ouvrage qui a déjà marqué les objecteurs de croissance et tous ceux des ennemis conséquents de la modernisation marchande de la vie, Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche (Climats, 2002 ; republié en 2006 chez Flammarion en livre de poche). C’est là, si l’on veut réellement sortir des sociétés de croissance économique, une formidable démonstration du dégonflement nécessaire de tout l’imaginaire colonisé par l’économisme, l’étatisme et le progressisme, de la Gauche socialiste, communiste et altermondialiste, comme de l’écologie politique - y compris de celle qui se veut « alternative » aux Verts ou à N. Hulot [1].

« Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous devons être conservateur au sens authentique, conservateurs dans un sens qu’aucun homme qui s’affiche conservateur n’accepterait. »

Günther Anders (1977).

" Anticapitalisme et conservatisme "

« Ce qui nous incite à revenir en arrière est aussi humain que ce qui nous pousse à aller de l’avant »

Pier Paolo Pasolini.

L’hypothèse capitaliste, au sens où nous l’avons définie, n’est qu’une des multiples variantes de la métaphysique du Progrès qui est commune à tous les idéologues modernistes. A l’instar des autres variantes, elle prétend, elle aussi, que l’Histoire a un sens et que le chemin qui est prescrit aux hommes les conduit inexorablement - pour utiliser le vocable de Saint-Simon et de Comte - de l’état théologico-militaire [2] à l’état scientifique-industriel. Ce qui constitue la différence spécifique de l’hypothèse capitaliste c’est, uniquement, l’idée que le principe déterminant de l’Histoire est, en dernière instance la dynamique de l’économie et, par conséquent, le progrès technologique pour autant qu’il est la condition matérielle fondamentale de cette dynamique. A partir de là, il n’est pas très difficile de prévoir ce qui, dans l’imaginaire capitaliste, - autrement dit, dans l’imaginaire économique - va forcément incarner la forme privilégiée du mal politique. Tout ce qui, en effet, s’oppose à la mise en progrès d’une société par le mouvement modernisateur de l’Economie doit inévitablement être perçu comme un archaïsme inacceptable, auquel on ne peut s’accrocher (c’est la célèbre théorie du « repli frileux sur soi ») que si l’on a le malheur d’être un esprit « conservateur », ou pire encore, « réactionnaire » (dans le langage saint-simonien, « rétrograde »). Il est ainsi tout à fait logique que ces deux derniers mots désignent, dans la terminologie que le Spectacle impose, les deux figures par excellence de l’incorrection politique ; celles dont chacun, dans la crainte et le tremblement, travaille sans fin à s’innocenter. Un esprit critique - c’est-à-dire, au minimum, un esprit qui n’a pas peur des mots - en conclura donc, à l’inverse, qu’une lutte anticapitaliste qui est incapable d’intégrer clairement sa dimension conservatrice, n’a strictement aucune chance de se développer de façon cohérente, et, par conséquent, de porter des coups efficaces à son ennemi désigné [3]. Un des premiers soucis philosophiques de ceux qui prétendent s’opposer au despotisme de l’Economie doit ainsi toujours être de mettre, par principe, en question tous les discours qui célèbrent le « progrès » et le « mouvement » sans autre précision [4].

Il demeure toutefois évident que « l’ancienneté du knout » -selon le mot de Marx - n’est pas un argument qui suffit à fonder son caractère respectable. Il est donc nécessaire, ici, de présenter brièvement quelques remarques destinées à préciser à quelles conditions une indispensable marche arrière doit être distinguer d’une inacceptable régression [5].

La tendance des hommes à la curiosité et à l’innovation est un des attributs les moins discutables de la nature humaine (pour employer ici, à dessein, un terme qui dérange nos habitudes modernes). L’idée de « sociétés immobiles » est, ainsi, soit un mythe soit un fantasme. Ce qu’il faut refuser, ce n’est donc pas le principe même du changement - comme, à la limite, dans la philosophie de Julius Evola - mais le fait que son rythme soit désormais défini et imposé par les seules lois du Capital et de son accumulation [6]. Et si les classes populaires, comme le déplorent en permanence les pleureuses du modernisme, manifestent, en général, très peu d’empressement pour « adapter leurs mentalités aux évolutions nécessaires », ce n’est évidemment pas parce qu’elles seraient ontologiquement inaptes aux changement ; c’est simplement parce qu’elles ont une tendance, assurément fâcheuse, à marcher moins vite sous le fouet et avec nettement moins d’enthousiasme et de conviction que les nouvelles classes moyennes ou la brillante intelligentsia.

L’ingéniosité et la capacité d’innovation des classes populaires sont, du reste, l’un de leurs traits historiques les plus constants. Ce sont précisément les vertus qui permettent à ces classes de neutraliser sans cesse une partie des stratégies capitalistes et d’inventer, à tout moment, des dispositifs qui maintiennent ou reproduisent de la civilité et du lien, partout où la logique de fer du Capital tend à détruire ces derniers. Il suffit, par exemple, de lire les remarquables analyses que Serge Latouche consacre, dans l’Autre Afrique, à « l’économie informelle » de Dakar, aux « stratégies ménagères à Grand-Yoff » ou au système de solidarité des forgerons Soninké, pour prendre conscience de la vitalité des intelligences populaires et mesurer à quel point c’est généralement la volonté de conserver un mode de vie humain qui conduit les individus, comme les communautés, à inventer perpétuellement, sur la base des acquis et des traditions, de nouvelles formes de relations et de nouvelles règles du jeu, parfois révolutionnaires. De ce point de vue, le développement, dans les pays anglo-saxons, et maintenant en France, des LETS (Local Exchange Trade System) constitue sans doute une forme exemplaire de ces réponses critiques à la modernisation capitaliste, apportée sur le terrain par les individus eux-mêmes. Si ces systèmes d’échange locaux contribuent, en effet, à tenir en échec la désocialisation ultra-libérale, c’est dans la mesure où ils parviennent à reconstituer (interprétation « réactionnaire ») ou à maintenir (interprétation « conservatrice ») ce « primat du lien sur le bien » qui définit, selon Caillé et Gobdout, l’essence même du don traditionnel.

Si la critique de l’idéal des Lumières est une condition nécessaire - comme Adorno l’avait vu - de toute critique du Capital, il ne s’agit pas, pour autant, de retirer toute signification aux notions de Progrès ou de Civilisation universelle. « Les meilleurs traits des civilisations - écrivait Marcel Mauss - deviendront la propriété commune de groupes sociaux de plus en plus nombreux » et « cette notion de fond commun, d’acquis général des sociétés et des civilisations [...] correspondent, à notre avis, à la notion de la Civilisation [7]. » Ce mouvement n’implique cependant pas - comme l’ajoute aussitôt Mauss - la disparition nécessaire des « saveurs locales ». En réalité, bien des débats compliqués sur les dialectiques de l’universel et du particulier, ou de la modernité et de la tradition, auraient sans doute pu être considérablement abrégés ou même rendus inutiles, si l’on avait tenu compte, à sa juste mesure, de la formule millimétrée de l’écrivain portugais Miguel Torga : « l’universel c’est le local, moins les murs [8] ». Cette proposition signifie qu’une communauté humaine progresse et se civilise, non pas quand elle détruit ou abandonne ce qui la caractérise (par exemple sa langue ou son accent) mais, au contraire, chaque fois qu’elle parvient à s’ouvrir à d’autres groupes, c’est-à-dire à remplacer, dans ses rapports avec eux, le mépris et la violence initiales par différentes modalités de l’échange symbolique. Certes, il est inévitable que cette inscription dans les dialectiques complexes de la réciprocité conduise peu à peu chaque communauté à laisser de côté tout ce qui - dans ses manières, jusque-là habituelles, de vivre et de sentir - s’oppose, par principe, à la reconnaissance des sujets les uns par les autres ; autrement dit, à tout ce qui, dans sa propre culture - et en faisant bien entendu la part nécessaire du jeu et de la plaisanterie - ne peut être universalisé sans contradiction. Mais ces progrès légitimes de l’universalité - dans la mesure où ils conservent précisément pour base les particularités historiques et culturelles durables, qui sont la condition même de l’échange symbolique - n’ont pas grand chose à voir avec cette uniformisation accélérée de la planète par le marché capitaliste, uniformisation dont la vision touristique du monde et pseudo-cosmopolitisme du show-biz et de la classe d’affaire représentent une traduction à la fois grotesque et pathétique.

Notons enfin, qu’en ces matières, où l’on touche au fondement même de l’ordre humain, il convient de manier la hache du Droit et de la Raison avec la plus extrême précaution. Kant lui-même, pourtant assez peu sensible aux séductions du particulier, écrivait que le « bois dont l’homme est fait est si noueux qu’on ne peut y tailler des poutres bien droites (L’Idée d’une histoire universelle, 6e proposition). Dans la mesure où les esprits modernes n’ont déjà que trop tendance à s’incliner devant la tyrannie de l’angle droit, on peut penser qu’un solide sens de la coutume et des jeux subtils qu’elle permet de fonder à tous les niveaux [9] représente une des forces psychologiques majeures dont chaque individu dispose encore pour desserrer l’emprise du Capital sur sa vie, et ainsi, persévérer dans son être de façon aussi libre et joyeuse que possible. Il n’y a, du reste, que peu de différence entre ce sens de la coutume et ce qu’on appe lle, ordinairement, la convivialité.

Notes :

[1] Pour une poursuite des thèses de Michéa dans Impasse Adam Smith, on verra par exemple, Matthieu Amiech et Julien Mattern, Le Cauchemar de Don Quichotte. Sur l’impuissance de la jeunesse d’aujourd’hui, Climats, 2003.

[2] C’est pourquoi l’Eglise et l’Armée sont les deux cibles privilégiées de tout paradigme moderniste. Cela signifie que l’anti-cléricalisme et l’anti-militarisme - si légitimes soient-ils - sont tout ce qu’on veut, sauf des attitudes anti-capitalistes. Voilà peut-être, une clé supplémentaire, pour interpréter l’étrange univers politique de Cabu.

[3] Cette idée, qui ne peut surprendre les lecteurs de George Orwell ou de William Morris, ne devrait pas non plus surprendre les vrais amis de l’écologie et tous ceux qui se trouvent obligés d’affronter le Capital et ses politiciens, chaque fois qu’il s’agit de préserver un site naturel ou de lui restituer ses qualités perdues (par exemple en combattant pour la dépollution d’une rivière ou le retour à une alimentation non falsifiée). Ces combats - quand on y réfléchit - sont si clairement conservateurs, voire rétrogrades, qu’un moderniste intelligent, Alain Roger, a jugé nécessaire de produire une théorie du paysage (ainsi que l’œuvre artistique correspondante) qui permette d’en finir, une fois pour toute, avec le « souci conservateur et naturaliste de l’environnement ». Cette curieuse synthèse entre l’avant-gardisme de Art-Press et l’esthétique des promoteurs immobiliers, a été magistralement démontée par Jacques Dewitte (cf. « L’Artificialisation et son autre », Critique, juin-juillet 1998).

[4] On sait que le système a déjà réussi à imposer aux fractions les plus canalisables de la jeunesse, l’idée que bouger serait une activité parfaitement définie et nécessairement vertueuse. Dans la pratique, il y a ainsi beaucoup de chances pour que cette jeunesse qui regarde Canal + appelle habituellement « une ville qui bouge bien » soit, en vérité, une ville que détruisent le tourisme et la production immobilière, où la mafia possède de nombreuses boites de nuit et où les téléphones portables se vendent particulièrement bien.

[5] J’emprunte cette précieuse distinction au texte de J.-P. Courty : En arrière toute ! Lettre ouverte à la Revue Actuel 48 à propos de la Lozère et son entrée dans le XXIe siècle, décembre 1997.

[6] C’est ici toute la différence entre une culture et une mode. Une culture, est certes toujours en évolution, du moins tant qu’elle est vivante : mais cette évolution s’opère à un rythme qui confère à cette culture - tout comme l’inconscient - une structure nécessairement « transgénérationnelle », ce qui signifie qu’elle définit toujours un espace commun à plusieurs générations et autorise ainsi, entre autres conséquences, la rencontre et la communication des jeunes et des vieux (comme par exemple dans un stade de football, une fête de village ou la vie d’un vrai quartier populaire). La mode est, au contraire un dispositif intra-générationnel et dont le renouvellement incessant obéit avant tout à des considérations économiques. Organiser la confusion systématique entre, d’une part, les cultures durables que créent les peuples, à leur rythme propre et, d’autre part, les modes passagères imposées par les stratégies industrielles, constitue l’une des opérations de base du tittyainment. On sait que c’est un art où l’omniprésent Jack Lang a très peu de rivaux.

[7] Marcel Mauss : Les Civilisations : Eléments et formes, 1930.

[8] Miguel Torga : L’Universel, c’est le local moins les murs, Willima Blake and Co and Barnabooth ed. 1986. (Il s’agit d’une conférence donnée au Brésil en 1954)

[9] « Une fois n’est pas coutume », dit la sagesse des peuples. C’est cette plasticité constitutive qui différencie ce que veut la coutume (par exemple fêter son anniversaire) et ce qu’exige le droit (par exemple respecter le code de la route). Naturellement, et Latouche le montre très bien, cette plasticité de la coutume risque toujours de conduire à des « arrangements » avec le droit qui peuvent ouvrir la voie à la corruption. Mais si, pour ces raisons, les exigences variées de la coutume doivent en principe être subordonnées aux impératifs égalitaires du droit, celui-ci doit être seulement conçu comme, d’une part, le cadre général des relations humaines concrètes et, d’autres par, comme l’ultime instance à laquelle on doit se référer lorsque les différends et les conflits ne peuvent plus être réglés aux niveaux primaires de l’existence sociale. Quand, par conséquent, le droit en vient à fonctionner d’emblée comme un recours normal, voire préalable - quand, en d’autres termes, la menace de procès réciproques devient une forme ordinaire de la civilité - on entre alors dans le règne des individus procéduriers et dans la tyrannie du droit. C’est précisément ce qui a lieu chaque fois que progresse la modernisation marchande de la vie. En détruisant systématiquement les traditions et les coutumes qui étaient l’horizon historiquement donné des transactions quotidiennes - le système capitaliste tend progressivement à ne laisser aux individus, pour régler leurs différents litiges, que deux modalités majeures : la violence et le recours systématique au Tribunal. Telle est la manière moderne de vivre que les Etats-Unis expérimentent depuis déjà longtemps, et à laquelle, par conséquent, nous allons devoir bientôt apprendre aussi à nous plier ; si, du moins, nous ne faisons rien pour conserver la maîtrise de notre propre destin.
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Re: " Anticapitalisme et conservatisme ", par Mich

Messagepar lucien » Mercredi 14 Fév 2007 19:13

Je ne connais pas la situation des pays anglo-saxons mais, pour la France, je ne crois pas que les SEL aient été très portés par les classes populaires.
Le monde ne se compose pas d'anges révolutionnaires, de travailleurs généreux d'une part, de diables réactionnaires et de capitalistes cupides de l'autre.
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Messagepar clement h. » Vendredi 16 Fév 2007 11:18

oui, c'est certainement pareil dans les pays anglo-saxons j'imagine.

Sur une certaine critique de l'économie, en direction d'un horizon post-économique, Réfractions a fait tout un numéro disponible en ligne la dessus

http://www.plusloin.org/refractions/refractions9/

On y retrouve nombreux articles sur les SEL notamment

Mais enfin, je pense que aujourd'hui (j'ai pas encore lu tout ce que dit miguelito), la question écologique est un bon angle d'attaque pour faire re-rentrer le cheval de Troie de la négation de l'économie, dans le chateau fort mondial.

La prise de conscience écologique, permet à beaucoup une " mise en réflexion " sur leur propre pratique, sur leur propre implication dans la domination qui nous traverse le corps de part en part, sur sa propre servitude volontaire, sur son statut bde rouage (et donc de " grains de sable "), sur sa propre irresponsabilité comme de son impuissance mécanique tellement rouage de la Méga-machine nous sommes.

Cette mise en réflexion, permet un " bricolage ", des " expérimentations ", des remises en cause profondes ou partielles, des résistances collaboratrices ou complètes, etc. Beaucoup de gens voient que les petits gestes du citoyennisme écologiste (trier ses déchets, co-voiturage, etc) ou voter pour des partis écolo et faire confiance en la nouvelle gouvernance écologique demain mondiale qui va peu à peu s'atteler à faire survivre la Mégamachine en faisant de la planète un objet de gestion en rentabilisant le changement climatique, ne suffiront pas pour éviter l'abime dans lequel l'économie nous fait descendre inexorablement.

Partout l'économie transforme son environnement en décor de sa propre maladie.

Les gens essayent alors de se réapproprier ce que l'économie leur a volé, en faisant de l'auto-production, de l'auto-consommation, de l'auto-construction, vivre dans des communautés intentionnelles, en cohabitat, passer en temps partiel, etc. Partout la bulle du citoyennisme écologiste vacille, ou tend à crever et à montrer son incapacité à répondre au défi humain et écologique que pose l'existence de l'économie inventée.

Il ne suffit plus de manifester, de voter, de se syndiquer, de saboter, de voler, de tricher, d'escroquer, de saluer le seigneur quand il passe mais de péter en silence. Il n'est plus l'heure de se révolter !!!

En 68 il y avait ce tag dans l'amphi de la Sorbonne qui résume bien toute la perspective de l'économisme révolutionnaire qui voulait simplement un nouveau partage de gateau, alors que c'est la recette et le cuisinier qu'il faut défenestrer : " On ne revendiquera rien, on ne demandera rien ! On prendra, on occupera ! "

Aujourd'hui ce serait plutot : " On ne revendiquera rien, on ne demandera rien ! On désamarrera, on s'auto-organisera ! "

Il faut " sortir de l'économie " (Latouche). Il faut faire en sorte que l'économie n'est plus besoin de nous dans chacun de nos actes. Alors évidemment je ne pense pas que l'on puisse passer du tout à rien, du jour au lendemain, pour une masse critique importante de personnes. Il y a, à notre stade d'intégration dans le Travail (qui n'est pas le salarié de quelqu'un ?), des compromis et des compromissions à faire. Car au travers de cette " mise en réflexion " sur son implication dans le désastre écologique et sa participation inaperçue à sa propre aliénation, poser la " réappropriation " au travers de la perspective de l'autonomie (ce pouvoir-capacité à être maitre des conditions de sa vie, de sa propre subjectivité radicale, etc) implique une réflexion sur ce qui dans la vie-quotidienne-sous-la-cloche-de-l'objectivité-économique, peut être des points de leviers, des points de réappropriation partielle, des points pour entamer le dégonflement les " rôles " que nous jouons (et le rôle militant est un rôle parmi les autres, quelqu'un qui ne veut pas vivre sa propre vie, mais qui réclame et essaye par la diffusion de sa pensée de constituer une masse critique pour donner un autre cap à la machinerie), etc.

Beaucoup de personnes, bricolent comme cela, imparfaitement, mais ça bricole. Quelquechose s'est engagé dans nos esprits. Cela angoisse certaines personnes tellement on a été habitué à hériter de notre rôle économique au sein de la machinerie de plus en plus mondiale, dès notre naissance.

Si l'on y regarde, la nécessité de la relocalisation de nos vies réappropriées dans un ici et maintenant, implique le déperissement de la " société ", de la " civilisation ", de l'Etat, de l'économie, etc. Il y a donc avec l'angle d'attaque de la question écologique, tout un réarmement d'une radicalité chez des gens qui bricolent dans leur coin.

Pour moi (mais seulement pour moi éh), les processus de réappropriation de la mouvance autonome dans les 70's-80's jusqu'à aujourd'hui, avec squatt, clochardise, assedic, théorie situ de la dérive, etc, ne permettent pas suffisament de faire mal à la Méga-machine. Ce n'est pas en vivant sur son dos et de ses ordures, qu'on lui fait le plus mal. En milieu urbain il est très difficile de faire vraiment mal à l'économie, car la forme urbaine est la matérialisation concrète de la relation d'échange marchand issue de la division en " rôles ". La forme même de l'interdépendance sociale (organisée à travers la relation de l'échange marchand), engendre la " société ", l'Etat, la ville, etc. Tout cela sont des formes lier à la forme-marchandise.

L'idée c'est de s'arranger pour avoir le moins à voir avec cette machinerie (ville, Etat, Société, en un mot : l'économie). Faire en sorte de rentrer le moins possible dans les calculs et les histogrammes de l'objectivité économique. Ne calculant plus sous les formes des représentations économiques notre dépendance à la machinerie mondiale, nous désertons, nous désamarons, c'est-à-dire que nous n'existons plus aux yeux des relations d'interdépendances que constituent la modernisation marchande de la vie (l'économie). Les dispositifs de la calculabilité économique ne comptabilisant que ce qui lui ressemble, après nous avoir inséré à grands coups dans des représentations économiques et des relations réifiées, les économistes voient apparaitre sur les écrans de leurs ordinateurs, une " décroissance économique ". La décroissance économique n'est pas du malthusianisme, du catastrophisme, etc, c'est simplement ce que les économistes calculeront avec leurs équations, quand de plus en plus de personnes bricoleront et s'organiseront ensemble à leur propre sortie individuelle, locale, collective, communautaire, politique, de l'économie.

Au lieu de militer, se syndiquer, voter, casser du flic ou des guichets automatiques, etc, désamarrons, désertons ! Rendons nous le moins indispensable à l'économie. Pas de purisme, je dis pas que cela est facile et qu'on puisse faire cela du jour au lendemain, mais faut bricoler, tendre vers cet horizon post-économie. Construisons nous-même concrètement notre propre forme de vie, nos propres situations.

" Soyons bien en repos sur les prétendus dangers que cette apostasie nous ferait courir en nous désenvoûtant de l'économie. Nous ne lui devons rien. Nous sommes au monde pour nous, et non pour elle, qui veut nous vendre chaque jour notre propre vie. Nous serions bien fous de nous gêner. "

Baudouin de Bodinat, La vie sur Terre, Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes, vol. 1, encyclopédie des nuisances p. 79.
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Messagepar miguelito » Vendredi 16 Fév 2007 12:24

Je pense que la question écologique peut-être un angle d'attauqe dans le sens où plus personne (sauf d'éventuels forcenés du progressisme le plus aveugle) ne peut nier que le développement économique produit de la nuisance pour tout le monde.

Aussi, combattre pour supprimer ce qui nous nuit constitue le minimum syndical (si vous me passez l'expression...)

La réappropriation est aussi un préalable indispensable pour qui choisi de vouloir supprimer les nuisances. Mais est n'est pas suffisante. Créer des lieux, des communautés, bricoler, échapper autant que faire se peut à la méga-machine, très bien. Mais la question : pourquoi faire ? reste posée.

Je pense qu'il est question de déserter (désamarrer comme tu dis) mais pas pour se réfugier illusoirement en terrain neutre. Ca n'est pas en refusant de combattre qu'on arrête un ennemi.
Aussi, il faut déserter ce monde sans le laisser en paix. Et quittent à bricoler, bricolons nos maisons, nos fringues et notre matos médical mais aussi nos armes. Parce qu'il faut casser du flic si nous ne voulons pas nous faire casser par les flics.

As-tu lu l'Appel ? Si oui, j'aimerais connaître ton point de vue sur ce texte.
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Messagepar clement h. » Vendredi 16 Fév 2007 16:57

Je suis bien d'accord avec toi, déserter ce monde sans le laisser en paix. Car déserter le plus possible de la relation de l'échange et de la forme-valeur qu'elle prend pour se réaliser, cela la Méga-machine pourrait très bien accepter sur sa planète des formes de vie qui ne lui appartiennent plus mais qui finalement ne la dérangent nullement tellement elle restent invisibles à son objectivité. Il s'agit, même en restant desamarré du vaisseau-fantôme, de lui décrocher toujours le plus de boulets possibles, mais simplement pour accélérer son propre sabordement. Car à mon sens le vaisseau se charge suffisament de sa propre perte (la thèse de Marx sur l'auto-destruction du capitalisme). La méga-machine n'a pas de perspective durable, sa planétarisation n'est que l'énième remède à sa propre maladie. Aujourd'hui, dans les conditions de la vie actuelles entretenant une conscience du monde et une conscience de soi-même séparée de la vie auto-affective qui se meut inlassablement en nous, et que nous sentons vivre dans l'inter-subjectivité de nos relations em-pathiques et sym-pathiques encore non-réifiées, constituer des chaloupes pour les naufragés du " développement " et récupérer quelques canons pour s'assurer que le vaisseau coulera bien avec l'or qu'il a à son bord, me semble une perspective alléchante. Cependant à mon sens (je ne sais pas toi comment tu le vois), la domination n'est pas une structure séparée, identifiée et que classerait rationnellement en différentes boites sa critique radicale. La domination, le fait d'échanger sa force de vie contre un salaire-pour-fantôme, n'est pas quelque chose que l'on pourrait poser là devant son regard, l'analyser, et ainsi apprendre à s'en extraire, car au lieu d'être une instance surplombante (comme le serait pour beaucoup l'Etat par exemple) à laquelle nous n'appartenierions pas nous-mêmes, la domination comme l'a dit Foucault (et là dessus seulement je suis d'accord avec lui) est une relation. Ainsi la " domination " n'est pas à mon sens une guerre contre un ennemi identifié, mais une guerre contre soi-même, d'abord, même si bien sûr il y a une reproduction instituée de la domination (je veux dire qu'il faut voir aussi du côté de son acceptation). L'aliénation passe par une servitude volontaire, mais pas au sens d'une intentionnalité de notre conscience, mais de la maladie de notre vie. L'aliénation n'est pas le simple fait de la représentation (économique par exemple), mais aussi comme le dit Marx, une " aliénation réelle ", celle de la praxis de la vie vivante (il y a d'ailleurs toute une polémique sur l'utilisation par debord du terme de " maladie " ; Henry lui dans La Barbarie n'hésitera pas lui-aussi à utiliser ce terme).

L'Appel m'a aussi beaucoup marqué, c'est un texte central, mais je suis pas d'accord avec tout (un grand OUI, et un petit non). Il faudrait que je le relises et que je commente fastidieusement les points qui me posent question. Je le ferais pas maintenant, mais je le mets dans un coin de ma tête. Dès que j'ai un long moment, j'essayerai de poser par écrit mes commentaires.
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Messagepar lucien » Dimanche 18 Fév 2007 21:56

Au lieu de militer, se syndiquer, voter, casser du flic ou des guichets automatiques, etc, désamarrons, désertons ! Rendons nous le moins indispensable à l'économie. Pas de purisme, je dis pas que cela est facile et qu'on puisse faire cela du jour au lendemain, mais faut bricoler, tendre vers cet horizon post-économie. Construisons nous-même concrètement notre propre forme de vie, nos propres situations.
J'aime bien le texte de 11:18.

Qu'il s'agisse ou non d'un angle d'attaque (à mon avis incontournable), la crise écologique va effectivement foutre une claque à ceux qui, aujourd'hui, préfèrent fermer les yeux... Pour les autres, il est temps de mettre en pratique des idées parfois déjà vieilles (cf écologie radicale, DIY, etc), avec en ligne de mire, notamment, l'abolition du salariat. Certains copains ont déjà bien avancé sur la question.

A ce propos : la lecture de Réflexions sur le chômage peut être un bon début.

Est-ce que, dans le passage cité et à d'autres endroits, désertion = "autonomisation" ?

Au fait ! Lors du dernier camping, on a un peu discuté sur la capacité du capitalisme à s'adapter à la pénurie de matières premières sans remettre en cause les niveaux actuels de consommation : je n'y crois pas trop. Et vous ?
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Messagepar clement h. » Mercredi 28 Fév 2007 20:43

salut,

j'ai pas réussi à trouver le texte " Réflexion sur le chomage " dont tu parles. Sinon " désertion ", c'est le projet " autonomie ", dans cette idée de quitter au maximum l'économie (pas seulement dominante, l'économie tout court), et notamment par les pratiques de l'auto-production, l'auto-consommatio, et l'autoconstruction. Il y a déjà des réseaux de communautés libertaires ou écolos, mais aussi des gens en cohabitat sur des terrains, travaillant plus ou moins à temps partiel ou réduit, touchant assedic, etc. C'est mon cas, sur un terrain avec des pratiques cherchant l'autonomie et travaillant encore 6 heures par semaine. Tout en restant en frottement constant avec la société spectaculaire de croissance. Dans la relocalisation de nos activités de vie, il y a cette idée de tendre vers cette réappropriation à la fois de son être politique au sein de la socialité primaire (vécue concrètement), c'est-à-dire au niveau local mais aussi avec les gens et groupes avec qui on échange, mais plus largement de sa vie sinon largement clochisée par l'objectivité économique.

Sinon perso, je pense que le capitalisme a la capacité de s'adapter à la crise écologique générale qu'il engendre. C'est aujourd'hui le revirement que prend la gouvernance mondiale de la M2ga-machine planétaire dont nous sommes les rouages, vers le paradigme de la " croissance écologique et économe " qui va organiser demain la survie planétaire comme L. Riefensthal se préparait à filmer un défilé des Jeunesses Hitlériennes. Le Nouvel ORdre Ecologique va peu à peu suréquiper la forme-marchandise à travers l'Ecologisme d'Etat.

Je fais suivre sur un autre topic, un texte là-dessus que j'ai confectionné à partir d'un écologiste libertaire souvent peu connu et que je conseille vraiment la lecture car c'est totalement excellent : Bernard Charbonneau.
clement h.
 
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Messagepar Electron libre » Mercredi 28 Fév 2007 20:59

clement h. a écrit:j'ai pas réussi à trouver le texte " Réflexion sur le chomage " dont tu parles.


:arrow: http://perspectivlibertaire.free.fr/PDF%20couleur/chomage.pdf
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Messagepar Federica_M » Jeudi 01 Mar 2007 0:03

Et quittent à bricoler, bricolons ... notre matos médical ...

Mouaif ... Je me suis bien fait une petite trousse pour intervention chirurgicale d'urgence au cas où il y aurait besoin un jour d'extraire des corps étrangers métalliques dans le corps de compagnons ... Mais néanmoins je peux te dire pour avoir assisté à certaines opérations de ce type que ca ne s'iumprovise quand même pas et surtout pas avec du matos bricolé ...

Le problème c'est qu'on va bien en avoir besoin si tu passe à la phase deux de la suite du programme que tu nous prépares "
mais aussi nos armes. Parce qu'il faut casser du flic si nous ne voulons pas nous faire casser par les flics. "

Très sincèrement, Miguelito, je te sais intelligent. Donc mettre ce genre de phrase gratuite, et complètement débile, je comprends pas ... Tu nous ferai pas un peu le poseur par hasard ? (car tu sais très bien qu'il ya desz choses qu'on ne dit pas, et surtout pas sur un forum public, car dans ce cas on ne peut pas les faire ...)
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