Scène de vie pas encore assez ordinaire...

Faut-il vraiment en préciser le contenu ?

Scène de vie pas encore assez ordinaire...

Messagepar zebulon » Jeudi 02 Juil 2009 11:37

QUAND LES DINDONS TOUT EMPANACHÉS SORTENT DE LEUR HAUTE COUR
IL Y A DES PLUMES QUI VOLENT !
Mais pas encore assez peut-être...



Nous sommes à la fin du mois de juin 2009, il est 11h du matin, les rues sont tranquilles dans ce beau petit village du sud-ouest en ce dimanche ensoleillé. Les hirondelles sifflotent et voltigent allègrement entre les maisons en pierres du Quercy. Bref, une belle journée qui s'annonce, dans la paix sociale et le meilleur des mondes. Quoi que, si on gratte un peu, on peut vite découvrir que tout n'est pas si rose...

Mais, un profond et long vrombissement interrompt brutalement cette sérénité apparente. Le tonnerre ??
Non ! Ça se passe en bas, dans la rue, je me penche à la fenêtre. Un troupeau de voitures sportives, dernier cri, vient de se jeter dans les ruelles étriquées du village. Il y en a tellement, entre 50 et 100, qu'elles finissent rapidement par tout boucher. Les bolides sont à l'arrêt, mais le vrombissement ne s'est pourtant pas arrêté, les conducteurs zélés savent l'entretenir et envoient intempestivement dans le vide de tonitruants coups d'accélérateurs. Il faut absolument, ils veulent absolument qu'on les entende. On ne peut pas faire autrement. Mais il faut et ils veulent aussi absolument qu'on les voit, splendides et magnifiques dans leurs apparats de nouveaux riches. Et c'est pour qu'on les voit et qu'on les voit bien, qu'ils nous appellent à l'aide de leurs surpuissants moteurs, au moins des V30. Bien sûr les mecs sont au volant, leurs officielles de femmes endimanchées les accompagnant fièrement, leur séant très ponctuellement posé du côté "passagère" de la tuture à Monsieur.
De ma fenêtre je commence à te me les invectiver grâcement, copieusement, aussi généreusement et explicitement que le sont leurs coups d'accélérateurs. Je suis furieux contre ces bouffons de nouveaux riches. Ce sont les pires, des militants des vrais, des convaincus, de ces parvenus qui doivent prouver à la terre entière et par tous les moyens possibles que du flouse, eux, ils en ont, que ça y est ils en font parti de la haute. Ils se croient beaux radieux et étincelants, mais de fait ils puent. Ils puent le propre, l'aseptisé, le clinquant, le Bling Bling, le chromé, le polishé, le Santa Dallas des Feux de l'Amour, le golf et l'hippodrome. Tout ça à la fois... Beuuuurk !
Y'en à une, de ces officielles convaincues, qui me lance un "t'es jaloux espèce de chômeur, va travailler ! "
C'en est trop ! Y'aura pas de paix sociale aujourd'hui ! Basta ya !
À l'oreille ils sont facilement localisables, je les entends qui se garent sur la place. J'enfile mes chaussures et je te vais me les retrouver. Y'aura pas de lutte anarchosyndicaliste collective aujourd'hui, mais une fois n'est pas coutume, place à l'initiative individuelle et spontanée...

Je passe à côté d'un arrêté municipal qui autorise le stationnement sur la place de ce club Auto-sport. Je les y retrouve donc. Je suis furax et recommence à te me les invectiver aussi sec à voix plutôt haute, euh, à voix plutôt même très haute... Ils sont tous là, entre 150 et 200 arrivistes à se pavaner : montres, lunettes, tee-shirts, gourmettes et pendentifs, chacun possède et ostente son petit signe extérieur de richesse, à l'effigie bien sûr de la marque de son gros bolide. Le nec du nec, le goût du goût, pas kitch pour deux sous off course.

D'abord ils sont surpris par ma deuxième attaque, mais rapidement ils se solidarisent :
- Va travailler ! Nous on bosse nous, du lundi au dimanche midi.
- Ah bon, mais là on est dimanche, et il est 11 h du matin et t'es pourtant bien en face de moi là, tu fais un drôle de boulot dis-donc, ça consiste en quoi en fait ? À faire bosser les autres, à les exploiter, pendant que tu te pavanes ici ? C'est ça hein, c'est chouette ton boulot hein dis-donc. Aussi y'a un enfant qui crève de faim toutes les cinq secondes, et ça vous fait quoi à vous là de faire le beau à coup de millions d'euros pendant que ces gamins y crèvent de faim ? Avec toutes vos bagnoles vous auriez de quoi sauvez la vie de plusieurs dizaines de milliers de ces enfants !

Une dindonne officielle me répond:
- Mais, mais, mais... mais moi aussi j'ai deux enfants.
- Ah oui ? et ils crèvent de faim ?
- Non.
- Alors et quoi... ?
Pas de réponse.

Un dindon :
- Mais nous on s'en fout nous, on est en fRance ici ! On s'en fout de se qui se passe ailleurs. T'as qu'à aller bosser en Afrique toi. Et tu nous laisses tranquille ici, t'as compris.
- Ah ouais pauv' type et tu crois quoi toi, que tes actes ici, cinquième puissance mondiale, ils n'ont pas de conséquences directes et dramatiques dans les pays où on crève de faim ? On vit sur la même planète mon gars tu sais, tout ne s'arrête pas aux frontières. T'as vraiment la conscience d'une vermine et tu voudrais que je me barre en Afrique, pendant que toi tu resterais ici pénard à faire le beau à la cour du roi... Non mais là tu rêves mon gars, c'est justement ici que je veux rester et justement pour pouvoir te faire ch.... tous les jours. Je te lâche pas mon gars toi et ta clic !

Un de ces dindons finit par me pousser. Dans le dos bien sûr. Je me retourne et te l'attrape par le col. Oh ! mince, v'la ti pas que son tee-shirt à 150 € part en morceaux. Zut alors...
Pour moi là en tous cas y'a légitime défense... J'ai tellement la haine contre ces tarés, que je dois leur faire peur, car ils ne bronchent pas. Et puis on est à quelques centimètres à peine de leurs pimpantes autos, alors des fois qu'une échauffourée éclaterait, ça pourrait la leur abîmer leur tuture. Et ils n'auraient alors plus de joujou pour frimer, ce serait la syncope assurée. Non, non, non, ils doivent faire attention à eux ces petits loups.

Un dindon :
- Qu'est ce que tu fais toi ? T'es chômeur ?
Ça, y connaissent bien ce discours, ils l'aiment ce discours. Du coup y'en a pleins d'autres qui reprennent en choeur :
- Oui ! oui ! Qu'est-ce que tu fais dans la vie, t'es chômeur ? Avoue !
- Qu'est-ce que ça peut te f.... si je suis chômeur ou pas, ça change quoi à ton attitude à toi hein ? Je suis pas forcément plus cohérent, mais mon incohérence je cherche pas ostensiblement à l'étaler fièrement.

Parmi eux, il y a là, la responsable locale des Restos du Cœur. Elle me regarde avec un si profond mépris, que ça lui fend son visage déjà austère d'une grimace qui en dit long sur sa générosité d'âme C'est elle qui révèle aux autres mon crime :
- Oui c'est un chômeur !
Je luis dis :
- Vous avez le beau rôle vous là . La semaine ça fait la charité. Et le week-end ça organise la petite sortie du dimanche au club des riches. Ah ça c'est sûr pour être cohérent c'est "hachement" cohérent. C'est même "hachement" tout un symbole !
Un dindon, qui comprend encore moins que les autres ce qui est en train de se passer, vole à son secours :
- Mais elle fait la charité Monsieur ! dit-il d'un ton impératif
- Mais c'est bien c'que j' dis M'sieur, c'est bien c'que j' dis ...
Il me regarde dubitatif. Il faut dire que cette dadame a une manière très personnelle de faire la charité. Un exemple parmi d'autres : cet hiver quelques jours après l'inauguration de l'annexe locale des Restos du Cœur, une jeune voisine de 19 ans s'y est présentée pour recevoir un colis. Cette jeune fille, mère d'un bébé de deux mois, habite depuis quelques semaines sur la commune. Déjà pourtant elle a reçu une facture forfaitaire d'eau de plus de 200€, qu'elle ne peut payer. La compagnie privée en charge de la distribution de l'eau la lui coupera d'ailleurs après quelques jours seulement. Son jeune compagnon, qui sort tout juste de prison, cherche lui du boulot, mais n'en trouve pas. Il fait froid et ils n'ont presque rien à manger. Bref pas besoin d'avoir accès au fichage de la CAF pour reconnaître ici une situation de précarité caractérisée. Et bien non, ça ne semble pas si évident à Madaaaame la responsable. La jeune maman qui se présente à elle ce jour-là, avec son bébé dans les bras, pour y chercher un colis revient bredouille, le visage livide. La responsable ne lui a rien donné, pas même un colis d'urgence, sous prétexte que la jeune fille n'avait pas tout les papiers requis... C'est la solidarité du voisinage qui permettra entre autre à cette petite famille de se nourrir le temps que tous les papiers soient réunis. Coluche se retournerait dans sa tombe, mais pour madame la responsable tout va bien. On parle même d'elle dans quelques gazettes locales alors que pourtant d'autres histoires du même acabit continuent d'affluer.
Et là aujourd'hui la voilà, là plantée devant moi sur la place du village, à me dénoncer à ses riches amis du week-end.

Et justement les voilà qu'ils se plaignent maintenant :
- Nous on donne du boulot au gens, nous ! et on a du mal à trouver de la main d'œuvre.
- Ah ouais, et vous leur proposer combien ? 3 € de l'heure c'est ça ? Faut pas vraiment vous étonner hein.
Et leur rengaine qui repart :
- De toute façon en tant qu'assisté t'as rien à dire !

Le sourire revient subrepticement sur leur visage. Je me retourne et je vois les gendarmes qui arrivent rapidement en sortant de leur camionnette. Acclamations des nouveaux riches, à nouveau radieux. Alors spontanément je me mets à faire le chef d'orchestre avec eux.
Et ça marche ! À chaque fois que je lève les bras du bas vers le haut, ces moutons dociles clament leur joie :
- AAAHH ! les gendarmes !
Trois fois de suite comme ça. Ils sont pitoyables, leurs traits sont redevenus joyeux, mais ça ne va pas durer.

Un des deux gendarmes, qui visiblement à prit partie pour eux, m'ordonne :
- Venez ici ! Venez ici je vous dis, sinon je vous embarque ! Venez ici !
- Absolument pas monsieur. Je suis ici et j'y suis très bien. Sachez que je n'ai rien à cacher et que je n'ai aucune raison de me mettre à l'écart.
Il insiste, mais n'obtenant rien, c'est finalement lui qui se déplace vers moi :
- Ces gens ont le droit d'être ici, il y a un arrêté municipal.
- Certes, Monsieur, mais autant vous êtes censé protéger leur liberté de circulation, autant vous êtes censé protéger ma liberté d'expression. Cet arrêté municipal autorise effectivement ces gens à exposer vulgairement leur richesse à tout vent. Ils le font d'ailleurs avec une facilité certaine. Mais, Monsieur, il n'est pas mentionné, dans cet arrêté municipal, que les villageois de base perdent du même coup leur liberté d'expression. Veillez donc, puisque vous êtes là, à ce qu'aucun de ces parvenus ne m'empêche justement de m'exprimer.
Sur ce, je tourne les talons, et me faufile à nouveau au milieu des riches dindons médusés tout en continuant de les apostropher. Eux qui croyaient en la victoire proche et certaine, et bien c'est loupé. Leur visage s'est maintenant complètement décomposé et ceux qui parmi eux tentent de garder le sourire, on voit bien qu'ils se forcent. Aussi tous se regardent en chien de faïence. ils ont l'air un peu paumés à vrai dire...

Ne voyant pas ce que je peux faire de mieux, je décide de les abandonner dans leur torpeur. En partant je croise une deuxième camionnette de gendarmes qui, sur les chapeaux de roue, tourne le coin de la place. Les voilà bien protégés nos richards.
Un quart d'heure plus tard, on entend le bruit des moteurs qui se rallument et qui rapidement s'éloignent. Bizarrement, il n'y a plus de de coups d'accélérateurs. Ils sont partis.
Les hirondelles sifflotent et voltigent allègrement entre les maisons en pierres du Quercy. Voilà une belle journée qui s'annonce.
Leur fête à eux est peut-être un peu gâchée. Zut alors...


Un énervé
La liberté des uns se conjugue AVEC celle des
Avatar de l’utilisateur
zebulon
 
Messages: 798
Inscription: Mardi 17 Oct 2006 22:19

Re: Scène de vie pas encore assez ordinaire...

Messagepar soleilnoir » Samedi 04 Juil 2009 13:27

excellent :wink:
No future? Future is now!
Avatar de l’utilisateur
soleilnoir
 
Messages: 433
Inscription: Dimanche 14 Mai 2006 9:08
Localisation: Dans le Human District....


Retourner vers Fourre-tout

cron