Un article du Monde. Je m'interroge encore sur le lien entre le titre et l'article
Raymond Chauveau, un syndicaliste en rouge et noir
LE MONDE | 12.09.07 | 15h08
Parcours
1953
Naissance à Plessis-Grammoire (Maine-et-Loire).
1981
Entre comme ouvrier à la RATP et se syndique à la CGT.
1993
Licencié de la RATP pour faute grave.
1995
Adopte des jumeaux congolais.
2006
Obtient la régularisation de 22 travailleurs sans papiers de Modeluxe.
2007
Intervient dans le conflit du Buffalo Grill de Viry-Châtillon (Essonne).
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A son actif, près d'une cinquantaine de "camarades" régularisés - il ne prononce jamais les mots collègues ou amis. Des salariés sans papiers. Tous africains. En huit mois, Raymond Chauveau a fait céder à deux reprises le préfet de l'Essonne, Gérard Moisselin, ancien directeur adjoint du cabinet de Nicolas Sarkozy quand ce dernier était encore place Beauvau. Mais ce syndicaliste-là ne s'en vante pas. Ce n'est pas son style.
A 53 ans, Raymond Chauveau est secrétaire général CGT de Massy, dans l'Essonne. De ce département de la banlieue parisienne, il a eu à gérer deux conflits médiatisés. D'abord celui de la blanchisserie Modeluxe, à Chilly-Mazarin en octobre 2006, une PME classique. Puis en juillet, celui du Buffalo Grill de Viry-Châtillon, un établissement de la chaîne de restauration détenue par un important fonds d'investissement, Colony Capital.
Ces deux entreprises ont employé des salariés munis de faux papiers. Leurs dirigeants ont juré qu'ils ignoraient cette situation et se sont dits "contraints de les licencier". Les Africains ont clamé l'inverse. Raymond Chauveau a penché pour la seconde version. Après onze années à la tête de l'union locale, le cégétiste assure avoir vu "défiler des Blacks" - il ne prononce jamais le mot noir - employés "parce que sans papiers". Selon lui, les patrons abusent de cette main-d'oeuvre corvéable qui ne peut pas se révolter. "C'est purement un système d'esclavagistes", avance-t-il.
La direction de Buffalo Grill n'a pas apprécié cette comparaison et a menacé de l'attaquer en diffamation. La plainte n'a jamais suivi. "Faites attention à ce type-là. Il est fou !", a-t-elle averti. Cette mise en garde l'a fait rire. Et, pourtant, Raymond Chauveau reconnaît qu'il est "un peu fou". Aussi discret qu'une ombre, il a une allure de matheux mal réveillé, une voix à peine audible. Mais cela n'est qu'apparence. C'est un redoutable négociateur, remarquable dans le rapport de force.
"Ce n'est pas un homme de compromis", témoigne le préfet de l'Essonne, Gérard Moisselin. Le représentant d'un gouvernement qui n'a pas ses faveurs parle d'un "partenaire difficile, un syndicaliste inspiré de l'idéologie de l'ultra-gauche". Il est d'ailleurs membre du Parti communiste des ouvriers de France (PCOF), courant marxiste-léniniste qui a milité pour le non à la Constitution européenne et qui publie un mensuel, La Forge. Raymond Chauveau est un défenseur acharné des étrangers, quelle que soit leur situation. "C'est un militant qui a fait de la régularisation des travailleurs sans papiers une revendication de la CGT", affirme Marc Roumejon, secrétaire départemental CGT de l'Essonne.
"M. Chauveau est déconnecté de la réalité économique", affirme le PDG de Modeluxe. Le conflit sur la régularisation de travailleurs sans papiers qui l'a opposé à "ce syndicaliste d'un autre temps" a eu un impact négatif sur son entreprise. La médiatisation a fait fuir, assure-t-il, 37 % de sa clientèle; il affirme avoir dû, en conséquence, licencier 70 employés. "Son langage politique date des années 1970. Il est trop dans le dogme", déplore le patron de Modeluxe.
Pourtant rien ne prédestinait ce militant, qui a grandi dans la petite-bourgeoisie à Saint-Brieuc, en Bretagne, à consacrer sa vie à la lutte des classes. Avec un père employé dans une librairie, une mère directrice d'école, il baigne dans un monde où l'on se pose beaucoup de questions. A 15 ans, il s'en pose quand il voit des paysans se révolter et occuper, en mai 1968, la préfecture des Côtes-d'Armor. C'est le changement. Il s'engage dans un mouvement lycéen. S'enrage en cours d'histoire face au traitement de la guerre d'Algérie, passée sous silence. Il obtiendra son bac à... 28 ans en candidat libre.
C'est à cet âge-là qu'il s'installe dans l'Essonne. Se définissant comme un fils spirituel de Karl Marx, Raymond Chauveau - qui croit que la société ne peut changer que par la classe ouvrière - devient lui-même ouvrier, à la RATP. Mécano à l'atelier de réparation de la ligne du RER B à Massy. Il se syndique naturellement à la CGT. Ses camarades affirment que c'est par conviction qu'il est devenu "prolo", lui l'intellectuel. "Pas du tout, fallait que je mange", rigole-t-il.
Mais, tout au long des années 1980, il professionnalise son militantisme. Bataille pour la suppression de la première classe dans les lignes du RER. Prend, au bout de quelques années, la tête de la section syndicale (plus de 200 ouvriers). Et s'implique fortement dans les grandes grèves d'octobre 1988.
La direction de la RATP lui inflige une mise à pied de six mois en 1993. Elle lui reproche une attitude provocatrice et des fautes professionnelles, avec mise en danger de la sécurité de voyageurs. "Elle m'a fait payer mon militantisme", riposte le syndicaliste. L'inspection du travail requalifie cette sanction en licenciement. S'ensuivent alors deux années de bras de fer. Pendant ce temps-là, ses collègues de l'atelier se cotisent pour garantir le salaire du "camarade" Chauveau. Il est réintégré à la RATP le 1er janvier 1996 à la condition d'en être détaché. Depuis, il est permanent syndical de la CGT à Massy.
Si Karl Marx devait vivre aujourd'hui, Raymond Chauveau pense qu'il serait africain, un "Black". La lutte des classes mais aussi la lutte des peuples imprègnent les discours du syndicaliste, un amoureux de l'Afrique. Son appartement de Villejuif en est une annexe, avec masques et tapisseries aux murs. Son seul regret est de l'avoir découverte trop tard. C'est au début des années 1980 qu'il s'y intéresse, dans le cadre de sa vie de syndicaliste. Il rencontre, à Paris, des militants de la CGTB du Burkina Faso. Il prend alors conscience de la misère, de l'émigration, de la responsabilité des "Blancs colons" dans les guerres...
Il s'y rend, avec sa femme, pour la première fois en 1995, au Congo, pour adopter des jumeaux : une fille et un garçon âgés de 3 ans. Et, dès 1998, il organise des voyages au Burkina Faso pour les militants. Le but ? Casser les clichés sur les Africains et confronter les expériences syndicales dans les deux pays. "J'ai vu des militants qui risquaient leur vie là-bas", raconte Didier Sollier, 48 ans, "un camarade" qui a fait le voyage en 2005.
"Avoir des enfants blacks n'est pas un facteur amplificateur dans la lutte pour la régularisation des salariés sans papiers", précise Raymond Chauveau. Son "job", dit-il, c'est d'aider des travailleurs. C'est tout. Qu'importe qu'ils ne soient pas en règle. Il faut protéger l'ouvrier du patron quoi qu'il en coûte. C'est la base du syndicalisme. La sienne.
Mustapha Kessous
Article paru dans l'édition du 13.09.07.