par Nico37 » Jeudi 17 Aoû 2006 16:22
Le sexe entre répression et régression
Conférence d'Alina Reyes prononcée dans le
cadre de l'université de tous les savoirs
(paru dans le Monde du 5/12/2000)
"Nous avons tous conscience de vivre dans un monde où la pornographie est très présente, mais sa définition reste confuse.
Qu'est-ce qui est pornographique ? Avant tout, c'est pour chacun de nous ce que l'on ressent comme tel. C'est donc une notion très subjective, qui dépend de la sensibilité de chacun, et aussi de son histoire, sa culture, son époque, etc.
Ce qui est qualifié de pornographique est généralement ce qui est ressenti comme obscène, avec tout le goût et le dégoût qu'on peut en avoir. Si Eros, qui a donné l'érotisme, est le dieu du désir, l'étymologie nous révèle que la pornographie n'a pour origine qu'un nom commun, pornê, la prostituée, accolé au verbe graphein, écrire. Littéralement, ce qui s'écrit sur le commerce sexuel. Autrement dit la représentation de ce qui, en matière de sexe, s'achète. Le mot pornographe est né en 1769 sous la plume de Restif, en plein siècle des Lumières. Et sans doute annonçait-il le monde moderne dans sa frénésie de représentation comme affranchissement de tous les interdits (voir l'importance de la mise en scène chez Sade); frénésie de représentation qui allait aboutir à ce que nous connaissons aujourd'hui, à savoir l'interpénétration des sphères du privé et du public.
Cinéma, télévision et Internet, relayés par une presse abondamment illustrée de photos, nous placent en position de voyeurs d'un monde moins gouverné par Eros que par une divinité sans nom mais aisément identifiable, si l'on se réfère à la seule idéologie qui ait survécu au XXe siècle : celle du libéralisme. C'est l'omnipotente, universelle et sacrée loi du marché qui nous ramène à la pornê, la prostitution généralisée au dieu réel des Américains, le dollar. Dans l'univers capitaliste, tout se vend, tout est objet, à commencer par les corps. Le sexe, comme les autres secteurs de l'activité humaine, donne lieu à une grande industrie rentable.
La société de consommation n'est pas seulement une société dont les membres sont appelés à consommer, c'est à dire une société ogresse, elle même consommatrice de chair humaine. Car il lui faut beaucoup de chair fraîche pour remplir ses écrans de cinéma, ses stades, ses émissions télé et ses spots publicitaires, de la chair fraîche que nous consommons virtuellement avec notre habituel appétit voyeuriste, et qui nous incite à consommer les objets de substitution en vente sur le marché, pour combler notre frustration. C'est dans l'obscénité de cette idéologie marchande, dans le jeu des pulsions et des frustrations qu'elle suscite en permanence, que se trouve la pornographie actuelle. Avez-vous déjà regardé une quelconque série télévisée américaine, ou n'importe quelle production hollywoodienne ? Alors vous avez vu des films pornos. L'amour y commence invariablement par une hostilité réciproque ; à moins que le désir ne s'y déclare et ne s'y manifeste avec une brutalité des plus excessives.
Vous aimez le marivaudage ? Le libertinage ? Les jeux subtils de la séduction ?
Le charme surréaliste de certaines rencontres ? Circulez, il n'y a plus rien à voir dans ce registre. Dans le film américain de base, on ne peut pas éprouver un sentiment amoureux sans qu'il soit grevé par un lourd arrière fond de haine (haine de soi, haine de l'autre, haine de la chair) et on ne peut pas avoir envie de coucher avec quelqu'un sans que cela se traduise par de violentes empoignades. Le plus souvent, on y baise debout contre un mur, avec un air de très grande colère, ou bien sur la table, dans les restes de pizza, en échangeant des regards féroces... Tout ça pour signifier qu'on n'en vient à cette extrémité dégoûtante, le sexe, que parce qu'on a vraiment été poussé à bout. Le moment le plus jouissif et le plus serein de ce genre de film, c'est celui où s'ouvre la porte d'un méga-frigo, archi-plein, auréolant de sa puissante lumière le héros qui vient y chercher un réconfort.
Or, c'est ce type de production, qui sert de référence culturelle et de modèle en matière d'amour, non seulement à la jeunesse et au peuple américain, mais aussi à ceux de tous les pays arrosés par cette même industrie, autant dire de la planète entière. Si j'appelle pornographiques ces films, ces téléfilms et ces séries, qui sont le produit d'un cocktail de puritanisme et de marchandisation des corps, c'est parce qu'ils présentent comme normaux des rapports humains à la fois tellement stéréotypés, brutaux et grossiers qu'ils offensent une amoureuse de l'amour davantage que les images crues des vrais films pornos. On fait souvent le parallèle entre la violence et le sexe au cinéma, en les considérant comme de malheureuses mais inévitables expressions de la modernité. Je ne serais pas étonnée que, dans les années à venir, le sexe prenne le pas sur la violence au cinéma, ou du moins que la violence s'y exprime essentiellement à travers le sexe plutôt qu'à travers des films d'action ou de guerre.
(...) Dans nos sociétés occidentales, l'esprit d'entreprise est une qualité traditionnelle de la virilité - c'est même son moyen d'expression le plus réputé. Mais le génie de la pornographie, lui, est du coté des femmes. On revient à l'étymologie : pornê, prostituée. Jusqu'à il y a quelques années, la pornê et le graphe n'était pas la même personne, les femmes n'ayant pratiquement pas accès à l'écriture. Mais donnez un stylo ou une caméra à une femme sexuellement sensible, et elle vous démontrera sa puissance et son intelligence des corps avec une liberté et un art aussi consommés que ceux des courtisanes sacrées de l'Antiquité. Alors que la tradition les confinait au service de la sexualité masculine, les femmes commencent à s'emparer de ce domaine pour s'exprimer et le revendiquer à leur manière, aussi bien dans la sphère privée, au sein du couple, qu'en art, dans la littérature, ou au cinéma. Ce mouvement s'accompagne d'un bouleversement des rapports homme-femme qui en déboussole et en fait souffrir plus d'un, à en croire le succès emblématique des livres de Michel Houellebecq, à en croire aussi les analyses alarmistes, voire désespérées, que livrent nombre de mâles intellectuels, confrontés aux difficultés relationnelles et sexuelles qui découlent de cette nouvelle situation.
Les hommes ne sont d'ailleurs pas les seuls à en souffrir, et ce qu'on appelle la libération des femmes n'en est pas la seule cause. L'apparition du sida et l'omniprésence du modèle puritain anglo-saxon ont considérablement freiné l'optimisme sexuel des années 70. Dans tous les domaines et bien sûr celui de la sexualité, notre société est de plus en plus normative. (...) Toutes nos paroles, tous nos gestes, sont surveillés et jaugés à l'aune d'une grille politiquement correcte qui régit les rapports humains, et même le rapport de l'individu à son propre corps,selon des termes de plus en plus rigides, que les tribunaux se voient désormais chargés de faire respecter. Plus le libéralisme déploie l'obscénité de son système, plus les tenants de cet ordre générateur d'exclusion sont obsédés par un rêve de façade propre, clean. Plus les corps sont considérés comme des marchandises et les êtres humains comme des consommateurs, plus nous sommes sommés d'être sains, polis, policés. Dans le même temps où les pulsions sexuelles sont exploitées comme jamais par la machine commerciale, l'individu se voit dénier le droit d'exprimer ses propres pulsions.
La séduction disparaît au profit du harcèlement sexuel : on peut penser qu'il ne s'agit que d'une affaire de mots, mais les mots traduisent la réalité. A l'heure du puritanisme et de la pornographie, on ne sait effectivement plus séduire ni se laisser séduire. Parce que le corps est devenu un objet dangereux, dont on a peur et qu'on cherche en même temps à préserver. La fumée d'une cigarette n'a plus rien de transcendental ni de convivial, elle est seulement sale et cancérigène. La sexualité, qu'elle soit rangée ou débridée, solitaire ou partagée, n'exprime plus ni joie ni révolte, mais misère - la fameuse misère sexuelle. Au pire elle se change en crime, au mieux elle est neutralisée en se casant dans un ghetto autorisé. Les hommes qui, pendant des siècles ont été habitués à une certaine liberté sexuelle (le mariage excluait moins les incartades qu'aujourd'hui le simple concubinage), vivent sans doute moins bien que les femmes ces nouvelles contraintes sociales. Leur désir est dévalorisé, ils doivent s'accommoder des exigences et des interdits posés par les femmes. L'idéal de fidélité n'a peut-être jamais été aussi fort qu'aujourd'hui, malgré la prétendue liberté dont nous sommes censés jouir. Parce que la société a renoncé à établir les couples par des liens définitifs (c'est à dire parce que nous ne voulons plus que la société joue ce rôle, et nous prive de notre liberté d'aimer), notre vie amoureuse fonctionne maintenant sur l'autocensure. Et quand il n'y a pas de garde-fou au bord du ravin, on s'approche forcément moins près pour admirer le vide...
Contrairement aux apparences, la pornographie telle que nous la connaissons dans son expression la plus crue, c'est à dire à travers les films classés X, représente moins une exaltation de la virilité qu'un fantasme régressif de satisfaction absolue.
Ces plans anatomiques d'organes génitaux, qui semblent vouloir pénétrer toujours plus avant dans l'intimité des corps, et notamment des corps féminins, confirment la tentation qu'y expriment inconsciemment les hommes de retourner dans le sein maternel, pour y retrouver une fusion sans problème. Les actrices aux poitrines de femmes allaitantes y sont toujours disponibles, elles dispensent sans se faire prier des jouissances idéales. Elles encouragent une activité masturbatoire qui berce les hommes d'un infantilisme confortable, et leur permet de se déconnecter du réel - alors qu'une vraie relation charnelle implique responsabilité et mise en jeu de stratégies relationnelles complexes. Le fait qu'on regarde désormais ces films chez soi, et non plus en salle, achève de signer leur caractère régressif. Naître, c'est venir au monde. Regarder une vidéo X (dans le même anonymat que naître sous X), c'est retourner dans un monde utérin, et même intra-utérin."
Penser la pornographie.
Ruwen Ogien
Puf, Questions d’Éthique / 2003
172 pages
Résumé et commentaire critique
Rédacteur : Michel Dufour
Lecteur : Daniel Desjardins
Commentaire
L’industrie de la production pornographique est en plein essor, mais où se cachent les consommateurs? La droite traditionnelle, qui a tendance à associer sexualité et reproduction ou famille, la condamne, et la gauche socialisante, plus libérale en principe, s’en méfie au nom de la lutte pour le respect des femmes. L’objectif de la présente analyse est moins de promouvoir la pornographie que de montrer que la volonté de la censurer, au nom des argumentations fallacieuses habituellement répandues, risque indûment de menacer la liberté d’expression et les droits des femmes et des minorités sexuelles : au Canada, par exemple, en 1992, suite à l’Affaire Butler v The Queen, des mesures légales contre la pornographie furent entreprises. Un an plus tard, la revue Feminist Bookstore News constata que cette réglementation avait surtout servi à saisir du matériel gay, lesbien et féministe : même le livre d’Andrea Dworkin, qui avait travaillé à promouvoir la loi anti-pornographie, fut considéré comme un ouvrage pornographique. Et Marguerite Duras fut soupçonnée d’avoir voulu causer du tort aux femmes : on bloqua aux douanes son Homme assis dans le couloir!
Que la pornographie produise des effets d’excitation, de dégoût et d’ennui suppose qu’on a affaire à un être assez problématique. Plusieurs se sont brisé les reins à vouloir en donner une définition rigoureuse, sémantiquement ou historiquement. Pourles besoins de la cause qui nous intéresse ici, on peut stipuler que la notion de pornographie se réfère à l’ensemble des représentations sexuelles explicites et plutôt crues qu’on craint que nos ados découvrent, par exemple via Internet.
Du point de vue d’une éthique minimale, il n’y a aucune raison morale absolument valable de désapprouver la pornographie. De même qu’il n’y a aucune raison morale de s’opposer à l’hétérosexualité, à l’homosexualité, à la bisexualité, à la sexualité en groupe ou à la chasteté. Chacun de ces comportements est lié à une conception particulière du bien sexuel et, à la limite, de la nature de l’homme; or, ces conceptions relèvent plus d’un choix que de l’observation indiscutable d’un phénomène ou de la reconnaissance universelle d’une loi ou d’une essence. Or, l’éthique minimale se fonde sur trois principes : le premier principe consiste précisément à adopter une attitude de neutralité à l’égard des conceptions substantielles du bien, dans la mesure où aucune ne peut prétendre à la vérité hors de tout doute raisonnable. Le deuxième principe de cette éthique préconise d’éviter de causer des dommages physiques et psychologiques à autrui, raisonnablement jugés évidents et importants, ce qui exclut d’emblée, par exemple, toute forme de pornographie pédophile. Le troisième principe demande d’accorder la même valeur à la voix ou aux intérêts de chacun, non pas au sens où en démocratie chacun peut se permettre de dire ou de faire n’importe quoi, ce qui contreviendrait aux deux premiers principes, mais au sens où il convient d’éviter le paternalisme grossier, qui consiste à vouloir faire le bien des autres sans tenir compte de leur point de vue. Ces trois principes moraux n’ont évidemment de sens que dans un cadre démocratique où on valorise l’autonomie plutôt que la soumission à l’autorité,où on distingue les droits privés des devoirs public, et où on reconnaît la différence entre les savoirs dûment établis et les croyances personnelles. D’où le refus du moralisme, c’est-à-dire de toute doctrine qui s’approprie une conception substantielle du bien qu’elle juge supérieure et s’efforce de l’imposer à tous; on retrouve ce moralisme chez plusieurs libéraux, sensibles pourtant à la liberté d’expression et au respect de la vie privée, et souvent même soucieux de la rigueur argumentative, mais qui finissent par réintroduire par la porte d’en arrière une conception substantielle du bien ou une forme de paternalisme : ils déplorent, par exemple, la séparation de la sexualité et de l’amour; ferment les yeux sur des méthodes d’enquêtes ou d’études peu scrupuleuses; confondent avec complaisance sexualité et violence, dangers psychologiques et dangers idéologiques. Entre une éthique absolutiste de type kantien et une éthique purement pragmatiste, l’éthique minimale cherche à tenir les deux bouts de la chaîne : les droits démocratiques (qu’il faut parfois sacrifier) et les responsabilités liées aux conséquences de nos actes.
L’exposition à la pornographie produit-elle des effets violents (viols, agressions)?
Depuis les années soixante, parmi des centaines d’enquêtes sociologiques ou psychologiques, deux ont mobilisé des moyens extraordinaires et ont abouti à des conclusions contradictoires. D’abord, le Rapport Johnson-Nixon (commandé par le premier Président en 67 et terminé sous le second) conclut majoritairement que les effets de l’exposition à la pornographie sont ou bien plutôt nuls (quant aux effets violents produits), ou bien plutôt positifs (effet catharsis), au sens où il se produit un effet d’habituation entraînant un désintérêt à l’égard de la pornographie, et même parfois de la sexualité. Le profil moyen des violeurs, peu enclins à la porno, serait plutôt caractérisé par des parents violents et par le développement d’attitudes sexuelles puritaines eu égard, surtout, à la liberté sexuelle des femmes. Au Danemark (1970), on aurait observé une nette corrélation entre la légalisation de la pornographie et la diminution des agressions sexuelles. Par contre, la Commission Meese ( haut responsable de la Justice sous Reagan, 1984-1986) conclut que la pornographie favorise des comportements antisociaux, mais reconnaît que ses conclusions n’étaient pas soutenues par des recherches empiriques et dépendaient plutôt du bon sens et d’intuitions personnelles. Comme il arrive souvent dans les sciences sociales, les présupposés théoriques jouent un rôle prépondérant dans l’interprétation des résultats. Comment aussi, si on croit aux effets nocifs de la pornographie, se livrer à des expériences dans ce domaine ou ne pas se méfier du jugement des membres des commissions de classification des films XXX qui passent leur temps à les regarder? Après avoir reconnu que le béhaviorisme a atteint ses limites, on a peu à peu renoncé à chercher à établir un rapport de causalité positif (trop de porno tue la porno) ou négatif (la porno est la théorie, le viol est la pratique) entre la consommation de la pornographie et les violences sexuelles
La pornographie est-elle une forme insidieuse de discrimination sexuelle?
S’il est démontré que la pornographie peut engendrer l’idée d’inégalité envers les femmes, il serait sans doute préférable d’en limiter l’expression comme on le fait pour des publications racistes ou haineuses. Tel est le cheval de bataille d’Andrea Dworkin et de Catharine McKinnon, qui ont lutté au début des années 80 aux États-Unis pour obtenir une ordonnance contre la pornographie, qui ferait passer un message d’inégalité envers les femmes. Or, le juge Easterbrook (1983) statua que, si la pornographie était une sorte d’opinion, elle était alors protégée par le premier amendement de la Constitution américaine, qui interdit toute restriction étatique de la liberté d’expression. Les auteures contre-attaquèrent en arguant que la porno ne produisait pas exactement un message, mais qu’elle constituait en elle-même un acte de censure politique de la voix des femmes, ce qui va à l’encontre du 14e amendement qui affirme l’égale protection des lois. On a tenté de fonder ce point de vue sur la théorie des actes de langage d’Austin : les représentations pornographiques seraient des sortes d’actes de langage institutionnels. Mais l’analogie entre un curé (autorité reconnue par l’institution et par les fiancés) qui accomplit l’acte de marier et un producteur de pornographie est peu convaincante, même dans la version améliorée de Rae Langton. D’un autre côté, c’est aussi au nom de la justice qu’un bon nombre de femmes promeuvent la pornographie, ne serait-ce que pour redonner droit de cité à des pratiques sexuelles dévalorisées, développer un imaginaire érotique dépourvu de brutalités et revendiquer une légitimation des conditions de travail.
Porte-t-elle atteinte à la dignité humaine?
En insistant sur l’aspect sexuel de notre personne, la pornographie ne porte-t-elle pas atteinte à notre dignité? Les partisans de cette thèse ne prennent pas nécessairement l’être humain pour un pur esprit et, dans certains cas, tolèrent l’érotisme, où tout se fait par suggestion, allusion, clair-obscur, alors que la représentation pornographique est plus crue, privilégiant les organes génitaux sans trop de subtilité, mettant en évidence que nous sommes surtout des corps hantés par le désir, machines désirantes sans âme, interchangeables. Dans quelle mesure, toutefois, est-ce déshumanisant d’insister sur la dimension sexuelle de l’être humain dans une perspective de pur plaisir? Banal de dire que nous sommes plus que cela, mais nous sommes aussi cela. Et si on s’appuie sur une métaphysique religieuse, platonicienne ou stoïcienne où le plaisir n’existe que pour la joie de le maîtriser, alors la critique est cohérente, mais arbitraire.
Nuit-elle gravement à la jeunesse?
Mais enfin, la pornographie ne risque-t-elle pas de nuire gravement à la jeunesse? Quand les jeunes commencent à manifester un intérêt et une préférence pour la pornographie, à la télévision ou sur Internet par exemple, comment réagir et au nom de quoi? Depuis 1989, une Convention internationale des droits de l’enfant a été élaborée, fondée sur des principes comme le droit à l’information et une certaine autonomie dans le processus éducatif. Jusqu’où peuvent aller ces droits, compte tenu qu’il en résultera aussi des devoirs, droits et devoirs supposant un certain sens de la responsabilité? Pour éviter des incohérences apparentes comme la loi Perben en France, qui autorise l’incarcération des jeunes soupçonnés de délit à partir de 13 ans, ou la condamnation de mineurs à la peine de mort aux États-Unis, tout en prétendant, dans les deux cas, qu’ils ne sont pas assez responsables pour voir des films XXX, il faut examiner de près les graves dangers psychologiques susceptibles éventuellement de leur nuire.
Outre les difficultés déjà mentionnées dans ce genre de recherches empiriques, on confond très souvent l’illégal et le psychologiquement traumatisant, ou encore le psychologique et l’idéologique. Du fait qu’on rende souvent illégaux des comportements qui nuisent réellement à autrui, il ne faut pas en conclure que tout ce qui est illégal traumatise nécessairement autrui. Sans quoi les lois ne changeraient jamais. Dans le domaine des mœurs, le législateur s’inspire d’ailleurs plus souvent des opinions qu’il juge dominantes que de véritables études scientifiques. Ce qui nous ramène à la confusion entre le psychologique et l’idéologique : qu’un individu opte pour la chasteté, la sexualité catholique ou l’échangisme révèle moins une pathologie qu’un choix de style de vie. Même en admettant que la pornographie insiste sur le plaisir sexuel, elle ne dicte pas le cadre qui convient à chacun. Idéologiquement, les jeunes n’ont pas attendu la diffusion massive de la porno pour estimer que le plaisir sexuel était au moins aussi intéressant que celui de fonder une famille, les deux n’étant d’ailleurs pas incompatibles, mais pas non plus indissociables. Le remaniement culturel ou personnel des valeurs n’a rien à voir avec la pathologie. Quant aux dangers véritables auxquels les jeunes sont exposés, le manque d’éducation et d’information, la cruauté de certains adultes et la stupidité figurent encore aux premiers rangs. A-propos de la pornographie comme telle, la Cour Suprême des États-Unis faisait d’ailleurs observer que la confrontation directe des jeunes avec des « idées dangereuses » , auxquelles ils devront de toute façon finir par se mesurer, joue un rôle de vaccin, et présente sans doute moins de risques que s’ils perdent tout d’un coup, à dix-huit ans, leur innocence.
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Nico37 le Jeudi 17 Aoû 2006 18:35, édité 1 fois.