http://www.arte.tv/fr/histoire-societe/ ... 19440.html
Après La fabrique de l'homme occidental et L'ÉNA, miroir d'une nation, le cinéaste Gérald Caillat et l'anthropologue Pierre Legendre signent un nouvel essai documentaire ambitieux autour de la mondialisation en lui restituant sa profondeur historique et en faisant émerger les grandes questions muettes qu'elle véhicule. Un management qui s'impose comme le joyau de l'Occident industriel et communicateur. Désormais appliqué au business, le mot est devenu une doctrine, une propagande, la boîte à idées de la nouvelle mondialisation. Le management est un "empire mou", c'est sa force, avec des airs de "dictature sans dictateur" dont les mots d'ordre forgés par l'Occident ("organiser, coordonner, commander, contrôler") se sont emparés de la planète entière. Ce monde que le christianisme avait rêvé de conquérir, le voici entièrement soumis aux dogmes de l'efficacité gestionnaire et à ses liturgies - la communication et le spectacle.
Le commentaire écrit par Pierre Legendre accompagne ainsi des visions, étonnantes, d'une religion privée de divin, répandue "comme une révolution" sur tous les continents : grand-messes d'actionnaires, de Citroën à Microsoft en passant par Shiseido, "décideurs" de l'OMC, célébration d'une opération humanitaire au Sénégal, conférences avec jargon, sourires, écrans géants, dans leurs versions française, japonaise ou américaine - où, Power Point à l'appui, un entrepreneur s'occupe à vendre l'immortalité par cryonie. Mais en cherchant à substituer ses propres rites aux mystères de notre présence au monde, l'empire du management suscite la résistance du religieux, de l'ancestral, de l'archaïque, du singulier.
L'humain non globalisable
En contemplant à égale distance les rites de l'entreprise et ceux du sacré, en juxtaposant l'austère beauté du texte de Pierre Legendre et la novlangue gestionnaire, ou en filmant longuement les visages dans la foule, Gérard Caillat désamorce avec brio la propagande du marketing et expose son omniprésente tyrannie. Comme un antidote consolant à la célébration de l'entreprise, de la performance, du bonheur consumériste, les images et les mots, malgré la complexité du propos, s'enchaînent lumineusement. Car ce double regard, qui donne à voir nos cérémonies et nos paysages déshumanisés dans toute leur fascinante étrangeté, réaffirme en même temps la force de l'humanité.