toujours de Gréau
L'hostilité de Darien au dreyfusisme n'a d'égal que le dégoût que lui inspirent antidreyfuisards, nationalistes et militaristes. Aussi les reproches que de nombreux critiques adressent à Darien sur ses rapports avec l'extrême-droite doivent être nuancés. Son attitude vis-à-vis de l'antisémitisme est sur ce point fondamentale. Rappelons que le contexte en ces années 1900 est particulier. L'affaire Dreyfus polarise des positions politiques autrefois ambiguës et sépare distinctement la droite radicale de la gauche. L'antisémitisme devient sinon un monopole de la droite, du moins une idéologie clairement identifié au patriotisme, alors même qu'il existe un antisémitisme de gauche, souvent associé à l'anticapitalisme , des périodiques comme La Feuille de Zo d'Axa (1898) et L'Assiette au beurre dans la décade suivante gardent un ton antisémite. Qu'en est-il de Darien ? La proposition que lui fait Bernard Lazare, au début de l'affaire Dreyfus, indique que Les Pharisiens a été perçu comme une oeuvre attaquant sans ambiguïté l'antisémitisme. Cependant son attitude de repli lors de l'affaire, et ses relations avec Janvion, qui deviendra par la suite ouvertement antisémite, peuvent expliquer qu'un contemporain comme Charles Malato fasse un amalgame facile, en suggérant que Darien est antisémite : il écrit dans L'Ennemi du peuple que la franc-maçonnerie est « attaquée par les antisémites, par Janvion et par Darien ». Mais l'on ne peut se fier au témoignage de Malato, alors en querelle avec Darien. C'est du reste dans les colonnes de L'Ennemi du peuple que ce dernier critique l'usage du mot race. En fait, sur la question de l'antisémitisme, Darien cultive les paradoxes. Certains de ses propos peuvent être considérés comme antisémites, alors même qu'il dénonce l'antisémitisme des nationalistes dans La Belle France.
Les personnages juifs dans L'Epaulette et Gottlieb Krumm ne diffèrent pas de ceux des romans précédents de Darien. Dans L'Epaulette, de nombreux personnages fourbes sont des Juifs ou leur sont assimilés, tels Raubvogel et Issacar, qui apparaissaient déjà dans Le Voleur. Dans Gottlieb Krumm, les héros, des Allemands, qui ne sont pas juifs, font fortune en Angleterre en tirant parti du Système capitaliste. Seraphus Gottlieb Raubvogel de L'Epaulette porte d'ailleurs le même prénom que Gottlieb Krumm. Ces étrangers noyautent le pays, et leur habileté à faire fortune, comme la bêtise de leurs victimes, les rendent parfois sympathiques. La malhonnêteté est donc loin d'être l'apanage des Juifs, même s'ils sont généralement des filous dans les romans de Darien. Il y a donc un fond d'antisémitisme réel chez Darien, lié à l'anticapitalisme – largement répandu à gauche, en particulier chez les anarchistes. Il arrive parfois que le Juif personnifie dans son oeuvre le capital et l'usure – dans ses romans apparaît le cliché dit jeune homme confronté à l'usurier : c'est d'ailleurs aussi une façon pour l'écrivain de parodier le roman d'apprentissage. Mais il ne faut pas oublier qu'à ses yeux, les voleurs et autres escrocs sont placés au-dessus des prétendus honnêtes gens ; ils ont le mérite de se révolter, et de bouleverser l'ordre des choses.
[...]
Darien n'attaque pas les Juifs, mais la bourgeoisie capitaliste dont ils sont parfois les représentants. Dans Le Voleur,déjà, Darien s'en prenait au Juif lorsqu'il arrivait à ce dernier de soutenir l'État social au lieu de le combattre. En fait, il critique les Juifs lorsqu'ils s'associent à l'Eglise, ou lorsqu'ils contribuent à l'exploitation sociale. L'ennemi de Darien n'est pas le Juif, mais la bourgeoisie et l'Église catholique, accusée de diriger en sous-main la société française. Dans La Belle France, Darien affirme que l'Église se serait servie des Juifs, qui ont à leur tour exploité la société française. Et l'Église brûle maintenant ce qu'elle a érigé : elle désigne les Juifs comme les responsables du malaise social. Ce sont les cléricaux, aidés des nationalistes, qui ont créé l'antisémitisme.
[...]
Darien considère l'antisémitisme comme titi subterfuge nationaliste, et appelle à l'union des opprimés, qu'ils soient juifs, intellectuels ou protestants. À l'intransigeance réactionnaire doit répondre l'intransigeance libertaire.
[...]
A nouveau, sur- ce point précis, Darien partage la pensée de nombreux anarchistes. Émile Pouget par exemple écrit dans Le Père Peinard « L'antiyoupinisme est un sacré dérivatif, inventé pour servir de paratonnerre aux capitalos crétins » Comme on le voit dans cet extrait, Darien va plus loin en pensant que le juif peut également être un agent révolutionnaire aux cotés des intellectuels et des protestants. Il l'est involontairement en contribuant à détériorer l'état social, mais il peut aussi l'être de son plein gré. Le personnage d'Issacar, dans Le Voleur et dans LÉpaulette, incarne le Juif libertaire.
[...]
L'admiration de Darien pour la religion juive, présente à la fin de l'extrait précédent, intervient à quelques reprises dans La Belle France. Le protestantisme, religion libertaire, aurait été influencé par le judaïsme
Bref, on a quelqu'un qui écrit des pamphlets anti-antisémites, n'est pas raciste, qui admire la religion juive, qui dans ses romans présente des personnages juifs libertaires (et des usuriers non-juifs). Mais parceque d'autres personnages sont juifs et usuriers. Doonc Gréau elle-même nous dit que c'est de l'"antisémitisme réél", de l'"antismétisme de gauche". Alors moi je me pose les questions suivantes :
- si dans un livre il y a un juif qui est banquier on est antisémite ?
- on est antisémite de gauche ?
- on peut être antisémite de gauche et judaisant ?
- l'antisémisme de gauche tel que présenté est ce de l'antisémisme ?
- A qui finalement cela profite qu'on considére comme normal que le libertaires de la fin du 19e aient tous été antisémite ?
(je parle d'antisémitisme de gauche à l'époque, maintenant on sait bien de quoi et de qui il s'agit)
J'avais aussi lu une biographie de Reclus où l'auteure rappelait plusieurs fois qu'il était antisémite. Or le seul élément qu'elle avançait était que Reclus s'était embrouillé avec un usurier, qui était juif. Alors moi je me pose des questions.
Après c'est sur on peut, comme nosostros, être totalement insensible et ne pas voir ce qu'il y a de terrifiant à ce que maintenant soient considérés comme antisémites des gens qui se sont clairement battus contre toute forme d'oppression.
Après tout laissons dire que les Darien, Reclus, Makhno, Kronstadtiens étaient antisémites, après tout, qu'est ce qu'on en a a foutre hein ?