Face à la Grèce, la BCE à l’heure des choix
LE MONDE | 06.07.2015 à 10h55 • Mis à jour le 06.07.2015 à 14h41 | Par Marie Charrel
La Banque européenne centrale refuse de prendre une décision qui doit incomber, selon elle, aux responsables politiques.
C’est l’heure de vérité. Celle où l’arbitre doit, malgré lui, siffler, ou non, la fin de la partie. La Banque centrale européenne (BCE) tient aujourd’hui le sort des banques hellènes entre ses mains. Et par extension, celui de la Grèce. « Désormais, tous les yeux sont tournés vers elle », analyse Diego Iscaro, économiste chez IHS Global Insight.
Lundi 6 juillet, les 25 membres du conseil des gouverneurs se réunissent pour faire le point sur le dossier grec. Auparavant, le président de la BCE Mario Draghi se sera entretenu avec le président de la Commission Jean-Claude Junker, le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem et l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk. Il a également discuté avec le premier ministre grec Alexis Tsipras. Sur la table, une question clé : alors que le peuple grec a rejeté l’austérité et que la perspective d’un accord rapide entre Athènes et ses créanciers s’éloigne, faut-il maintenir les financements d’urgence ELA (« Emergency liquidity assistance ») accordés aux banques du pays ?
Une question déterminante, car aujourd’hui, ces établissements survivent uniquement grâce à la perfusion de l’institut monétaire.
Selon nos informations, les banques seront à court de liquidités dès mardi 7 juillet, jour où elles sont censées rouvrir leurs portes au public. Inquiète, la Banque de Grèce a d’ailleurs demandé à l’institut de Francfort, dimanche 5 juillet, d’augmenter encore ses ELA, aujourd’hui plafonnées à 89 milliards d’euros…
« Crédibilité en péril »
L’ennui, c’est qu’en théorie, la BCE réserve ses aides d’urgence aux banques solvables. « Cela la place face à un choix cornélien, décrypte un fin connaisseur de l’institution. Elle ne veut pas être celle qui expulse la Grèce hors de la zone euro, mais elle ne peut pas mettre sa crédibilité en péril en soutenant le pays outre mesure. »
L’institution refuse de prendre une décision qui doit incomber, selon elle, aux responsables politiques. Mais dans ses murs, la révolte gronde. Le gouverneur de la banque centrale allemande, Jens Weidmann, juge que le soutien apporté à la Grèce est à la limite du mandat de l’institution, et souhaite qu’il prenne fin.
Malgré ces pressions, la BCE pourrait attendre le sommet de la zone euro de mardi 7 juillet avant de se décider. Et peut-être même le 20 juillet, date à laquelle la Grèce doit lui rembourser 3,5 milliards d’euros. Si Athènes échoue, la banque centrale ne pourrait guère maintenir ses aides longtemps encore. Elle commencerait probablement par augmenter la décote sur les collatéraux – c’est-à-dire sur les titres qu’elle demande en garantie en échange des ELA. « Cela intensifierait la crise de liquidité bancaire », jugent les analystes de RBS.
Lire aussi : La semaine folle où l’Eurozone est passée du plan A au plan B
La suspension des ELA, qui ne tarderait pas à suivre, précipiterait le pays en terres inconnues. A court d’argent, il en serait réduit à imprimer des reconnaissances de dette (les « IOU » en anglais, pour « I Owe You ») afin de payer les fonctionnaires et retraités. Ces IOU finiraient par être utilisés dans les commerces, et formeraient de fait une monnaie parallèle. Sans accord rapide, le pays pourrait glisser vers une sortie de la zone euro, le « Grexit ».
Insuffisances institutionnelles
Autant dire que dans ce dossier, la BCE se retrouve confrontée à deux problèmes de fond. Le premier est que, du fait des insuffisances institutionnelles de l’union monétaire, elle se retrouve en première ligne alors qu’elle devrait rester en coulisse.
Second problème : la victoire du non la contraint à un choix délicat. En juillet 2012, en plein cœur de la crise des dettes souveraines, son président Mario Draghi avait déclaré qu’il était « prêt à tout » (« whatever it takes », en anglais) pour sauver l’euro et l’union monétaire. Mais sauver l’euro implique-t-il d’y garder la Grèce à tout prix ?
Il y a dix jours encore, cela ne faisait aucun doute. Jusqu’à ce que Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, déclare dans Les Echos du 30 juin : « La sortie de la Grèce de la zone euro, qui était un objet théorique, ne peut malheureusement plus être exclue. » Est-ce à dire que l’institution envisage, elle aussi, un « Grexit » ?
Eviter une éventuelle contagion
Difficile à dire. Mais une chose est sûre : elle se prépare au pire. « Nous utiliserons nos instruments pour faire plus si nécessaire », a ainsi déclaré M. Cœuré, dimanche 5 juillet, aux rencontres économiques d’Aix-en-Provence.
De fait, elle a déjà élargi son plan d’assouplissement quantitatif, le 2 juillet, aux achats d’obligations de sociétés publiques européennes comme la SNCF. Un outil de plus pour augmenter sa puissance de frappe. Et éteindre une éventuelle contagion aux autres pays de la zone euro, en particulier l’Espagne et le Portugal.
Reste une question clé : combien un défaut grec coûterait-il ? Dans « Target 2 », le système assurant le règlement des opérations des banques centrales nationales de la zone euro, et par lequel transitent aussi les paiements entre banques commerciales, la banque centrale grecque affiche un solde débiteur de 110 milliards d’euros. Qu’elle pourrait avoir du mal à rembourser si la crise s’aggrave. « Mais cela n’aurait pas de conséquences dramatiques : les simulations montrent que la BCE a la capacité d’absorber un défaut grec », juge Christophe Boucher, économiste à l’université de Lorraine. Sa crédibilité, elle, serait en revanche durement affectée. Tout ce qu’elle redoute…
Le FMI attend la réaction des Européens
Le Fonds monétaire international (FMI) s’est refusé à commenter le non massif des Grecs au référendum du dimanche 5 juillet. « La situation est trop mouvante et trop sensible », expliquait lundi matin une source proche de la direction. Le Fonds avait fait savoir samedi qu’il laisserait les Européens, les premiers concernés par ce casse-tête politique, s’exprimer d’abord. « Nous attendrons de voir ce qui se passe dans l’Union européenne avant de nous exprimer », commentait-on de même source. Contrairement à une partie des autres créanciers d’Athènes, le Fonds est acquis à un allégement de la dette grecque mais à la condition – c’est tout le problème – que les autorités engagent effectivement des réformes.