le mouvement anarchiste en Turquie

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le mouvement anarchiste en Turquie

Messagepar Libertaire Pengu » Dimanche 16 Sep 2007 20:59

Histoire politique du pays :

La Turquie est un pays laique, fondé sur le principe de la séparation de l’église et de l’Etat, depuis la fondation de la république turque par Mustapha Kemal (dit Atatürk). Les structures de l’Etat turque sont de type jacobin (fort centralisme, principe de la république une et indivisible, ce qui témoigne de l’influence culturelle française sur la bourgeoisie turque), avec l’armée comme fondement de l’Etat (elle se considère comme garante de la laïcité et du caractère « moderne » de l’Etat turc).
Après une période de lutte contre les confréries religieuses, et la mise en place d’un contrôle de la religion par l’Etat (nomination des imams) la situation, à l’instar de la France, évolue vers une plus grande tolérance à l’égard des structures religieuses, qui conservent une grande influence et réapparaissent de nouveau.
Le fort sentiment nationaliste diffusé par les jeunes turcs et Attaturk est basé comme ailleurs sur la construction de mythe nationaux et la répressions des minorités, qui s’est traduit dans les quelques années précédent la république par le génocide arménien (l’historiographie officielle nationaliste le nie farouchement), mais aussi par des massacres d’ampleur perpétrés contre les kurdes à la suite de révoltes dans les années 20 et 30.
La population de Turquie est très diverses : il n’existe pas à proprement parlé de majorité nationale (les « turcs » au sens historique du terme sont une minorité, mais l’identité nationale s’est forgé avant tout autour de la négation des minorités : kurdes, arméniens, Lazes turqumène).
Au niveau religieux, la population est musulmane sunnite à 70 %, pais comporte une forte minorité Allevi (considérés comme les « protestants de l’Islam ») ainsi que des communautés chrétiennes et juives de moindre impôrtance.
Le mouvement socialiste ouvrier et paysan turc est d’abord très fortement influencé par le marxisme, puisqu’il se développe dans les années qui suivent la révolution russe avec la création du TKP (Parti communiste turc). Celui-ci est très rapidement réprimé par le régime (malgré la prétention au multipartisme, qui ne tolère que des partis de type libéraux ou nationaliste), et passe pendant un temps dans la clandestinité.
La gauche turque connaît un renouveau dans les années 70 sous l’impulsion des mouvements étudiants.
Les 3 organisations qui la composent sont :
_ Le THKPC de type guévariste/mao spontex (un peu comparable à la gauche prolétarienne en France), qui prône une révolution à base paysanne et se lance dans la propagande armée.
_ Le THKO, de type marxiste-léniniste maoiste
_ LE TKP/ML (marxite-léniniste-maoiste pro-chinois)

Ces trois organisations voient leur influence se développer rapidement, notamment au sein de la classe ouvrière et paysanne kurde (sans pour autant être majoritaire), et parvient dans certains quartier voire localité à contrôler militairement l’espace (les policiers ou militaires ne pouvant entrer).
Il faut cependant préciser que cette inclination pour la lutte armée se situe dans un contexte de stratégie de la tension menée par l’Etat turc et la CIA (de manière assez comparable à la situation italienne lors des « années de plomb »), avec l’utilisation, le soutien et le financement de bandes fascistes, les « loups gris » du Parti d’action nationaliste (MHP), qui attaquent les manifestations de gauches et les minorités (massacres d’Allevi ou de Kurdes…).
Cette stratégie de la tension culmine en 1977, ou à l’occasion de la plus grande manifestation du 1er mai ayant jamais eu lieu en Turquie (500 000 personnes étudiants, syndicats ouvriers, etc…), sur la place centrale d’Istambul (place de l’indépendance à Taksim), des snipers ouvrent le feu depuis les toits sur la foule. La panique créé par ces tirs et les canons à eau font une quarantaine de mort.
En 1980, devant la persistance de la montée en force des courants marxiste-léniniste et de la lutte armée, avec la quasi éradication des bandes fascistes qu’elle finançait, l’armée fait un coup d’Etat et décrète l’Etat d’Urgence. Elle dissout l’ensemble des partis et organisations.
La quasi-totalité des leaders des organisations marxiste léninistes prônant la lutte armée s’enfuient à l’étranger, ce qui provoque un très fort sentiment de trahison chez les militants et la population et un éfondrement de l’influence de la gauche dans la population.
La répression militaire est brutale, et nombre de militant-e-s sont tués par l’Etat turc.
Le seul mouvement qui tire profit de la situation, c’est le mouvement islamiste, à l’époque incarné par le Refah.
C’est dans ce contexte qu’émerge le mouvement anarchiste en Turquie.
Les premiers militants sont des anciens marxistes, dégoutés à la fois par la fuite des leaders marxistes, mais aussi par la logique hiérarchique très forte à l’intérieur des organisations léninistes.
On peut y voir pour certains individus, du point de vue de certains camarades, également une manière de se créer une nouvelle identité politique pour des militants voulant se retirer de l’action politique face à l’état, en développant de peit réseaux de sociabilité. C’est la logique du courant dit « lifestyle » (mode de vie).
Dans les premières années, il y a un rejet des notions de lutte de classe (considérée comme marxiste) , et le mouvement se développe sur la contreculture (Anarchopunk, fanzine, traduction de bouquins anars, projet de vie communautaire…), mais surtout les luttes antimilitaristes.
Les libertaires turcs sont les premiers à remettre en cause l’armée en tant que telle, la conscription obligatoire, et se battre pour l’objection de conscience.
La question écologique (opposition au nucléaire notamment) est également portée par les seuls libertaires.
Les courants qui se développent sont très divers : écologie sociale, primitivisme, anarchosyndicalisme, post-anarchisme…
La composition sociale est essentiellement de classe moyenne (étudiants, professions intellectuelles, très peu d’ouvrier, d’employés ou de paysans).
Le développement d’un courant anarchiste-communiste (communiste libertaire) sur des bases lutte de classe est relativement récent (horizon 2000). Ce mouvement se réclame peu ou prou du plateformisme.

Situation actuelle :

Le mouvement anarchiste au sens large peut être estimé au sens large à un millier de personne sur l’ensemble de la Turquie.
Il n’existe aujourd’hui qu’une seule organisation d’ampleur nationale : l’AGF (fédération de la jeunesse anarchiste). Elle agit sous l’étiquette légale des « 52% » (ce qui correspond au nombre de jeune de moins de 26 ans en turquie). Elle a très mauvaise réputation dans le reste du mouvement libertaire :
Les camarades que j’ai rencontré (de différentes tendances) considèrent qu’elle est une organisation de type hiérarchique (il y a un chef, qui a été récemment kidnappé et tabassé par la police), mais surtout ont décidé de rompre toute relation avec celle-ci suite à l’agression organisée d’un militant anarchiste (coups de couteaux au visage) accusé par l’AGF d’être un agent de police. Aucune preuve ou indice n’a cependant été produite en ce sens, et cet individu avait juste auparavant critiqué l’organisation publiquement. Certains camarades considèrent qu’il s’agit là d’une volonté d’hégémonie organisationnelle, et l’ensemble considère que cette agression était inacceptable, quand bien même l’individu agressé n’est pas non plus exempt de toute critique.
L’AGF a développé un « front anti-nucléaire », et organise ses propres manifs à Istambul.
Je n’ai pas pu rencontrer de ses militants lors de mon séjour.

Le reste du mouvement est composé de 4 grandes tendances :

_ Les réseaux antimilitaristes libertaires :
Parmi ceux-ci, j’ai pu rencontrer des camarades de l’initiative anarchiste d’Ankara.
Leurs activités sont concentrées sur le soutien aux objecteurs de conscience et la propagande antimilitarisme (sur une base pacifiste et/ou antinationaliste). L'antimilitarisme est historiquement exclusivement porté par les libertaires en turquie.

_ Les groupes locaux de type synthèsiste, qui regroupent écolo-libertaires, anarchosyndicalistes, et post-anarchistes, qui se mobilisent sur les luttes antinucléaires, mais aussi sur des activités de type « mode de vie », mais aussi pour certains sur des petites luttes sociales. J'ai rencontré un collectif à Izmir, qui faisait des activités antinucléaires mais aussi antiélectorales. Ils projettaient de faire une communauté. Il y avait parmis eux un patron du textile, ce qui ne semblait guère leur poser problème (la tendance est au rejet de la notion de lutte des classes assimilée aux marxisme).

_ Les réseaux informels de type « mode de vie » essentiellement centrés sur les réseaux de sociabilité(musique, soirée, projet d'appartements communautaires). J'ai pu observer une réunion à Istambul sur un projet ubuesque « d'île anarchiste »...

_ Le courant anarchiste-communiste. Celui-ci s'est formé par opposition au reste du mouvement libertaire, considéré comme « libéral » et coupé des réalités de la lutte des classes.
J'ai rencontré 2 groupes :
_ Le collectif d'Ankara « tatçanka ». Ce collectif n'entretiens aucun contact avec le reste du mouvement libertaire d'ankara, souhaitant développer une stratégie propre. Il est marqué par une phraséologie marxiste, opposant les tendances petites-bourgeoises aux tendances prolétariennes, dans le mouvement.
Composé de travailleurs très qualifiés (psychologues, généticien, architecte,...), ce collectif développe une activité dans les gecekondus (banlieues composées d'habitat précaire) de soutien scolaire, essayant ainsi de développer une influence en milieu ouvrier.
Le collectif se revendique du plateformisme, entendu d'une manière qui en fait presque un positionnement idéologique (plus qu'un mode d'organisation) : il a tendance à considérer qu'il n'y a pas d'autres voies hors plateformisme et synthésisme, et que la référence à l'individu est une approche petite bourgeoise (qui pose problème dans le contexte politique de la turquie).
La conception de l'unité tactique renvoit de près au centralisme démocratique, puisque l'ensemble des membres du collectifs doit appliquer les orientations tactiques décidées collectivement (la participation aux activités dans les gecekondus est une attente organisationnelle vis à vis des membres).
Le collectif a développé une analyse sur les récentes élections législatives, en lien avec la situation au Kurdistan, qui l'a conduit à appeler à voter pour les députés indépendants kurdes proches du PKK : par soucis de s'opposer au nationalisme de l'Etat turc et des militaires, en se basant sur l'idée qu'aucune autre orientation pratique n'était possible, dans un contexte où le risque d'une intervention militaire de l'armée turque au kurdistan était réel : les camarades cosidéraient qu'un blanc sein à l'armée (c'est à dire aux prétendus partis « laiques » la soutenant, les partis nationalistes MHP et CHP). L'idée centrale était :
1/ Montrer le vrai visage du régime turc (la dernière fois que des députés kurdes étaient rentré au parlement; 2 avaient été assassiné et plus de la moitié emprisonnée)
2/ Empêcher la prise de contrôle par les nationalistes du parlement
Les candidats kurdes étant pour certains prisonniers politiques (en préventive), leur élection a permis la libération de plusieurs d'entre eux (sous l'effet de l'immunité).
Cette position est reprise par une partie du collectif AKI (initiative anarchiste communiste d'Istambul), l'autre moitié étant abstentionniste en considérant que l'entrée de députés kurdes au parlement renforcerait les tendances hiérarchique et bourgeoises dans le mouvement kurde, ce qui correspond à l'analyse des camarades de Kara Kizil Paris (collectif avec lequel le groupe du 93 a organisé des actions).

La rencontre avec les camarades de taçanka était leur première rencontre internationale, ce qui laisse envisager des échanges et une évolutions des différentes positions très marquées par un isolement local et international, mais aussi par le fait que certains camarades sont d'anciens militants marxistes n'ayant pas totalement coupé avec leurs culture politique d'origine.

Le collectif développe cependant des lien avec le collectif AKI d'Istambul, et ceuxc-i projettent d'éditer un journal commun, ce qui pose d'éventuels jalons pour une future organisation.
- Le collectif AKI est lui composé du même profil sociologique, mais beaucoup plus ouverts politiquement. Ils parlent de « compatibilité tactique » plutôt que « d'unité tactique ». Ils ont des contacts avec un autre collectif stambuliote, anarchiste social, même s'ils se tiennent à l'écart des réseaux « modes de vie ». Ils ont développé un groupe de travail sur les « conditions de travail » avec des sympathisants et éditent dans ce cadre un bulletin « En gagnant mon pain », distribué à plusieurs milliers d'exemplaire devant des usines. Ils éditent également une revue large d'analyse théorique (mülksüzler) qui succède à une revue spécifiquement communiste libertaire (kara kizil notlar), tirée à 1000 exemplaire.
Ils sont beaucoup moins marqués par la phraséologie marxisante. Ces camarades développent des contacts internationaux, puisqu'ils sont venus aux rencontres internationales de la CNT (IO7). Leur référence au plateformisme est ouverte. Ils développent un type d'organisation fondé sur un noyeau adhérent (qui s'engage à un certain nombre de tâches et d'activités) entouré par un noyeau de symapthisants actifs (cotisants, mais moins disponibles).

En tout état de cause, le courant communiste libertaire/anarchiste-communiste (particulièrement les camarades d'AKI) me semble celui ayant le plus d'influence sociale (malgré leur petit nombre) et le plus de volonté de dépasser une situation de marginalité revendiquée, à l'exception des antimilitaristes. Il me semble qu'il serait intéressant de maintenir des liens et d'alimenter la discussion idéologique à partir de notre positionnement sur l'organisation et notre conception du communisme libertaire.

Sam (groupe de Seine Saint Denis)

P.S. Il convient de clarifier d'eventuelles confusions quant aux prétendues manifestations « laiques » organisées en turquie avant les élections. Celles-ci ont été appelée par les organisations nationalistes proches de l'armée : le CHP (parti d'attatürk) et le MHP (parti fasciste, les « loups gris ») pour déstabiliser le gouvernement conservateur AKP (pro américain, pro-européen, conservateur religieux). La mise en avant de la laicité visait avant tout à masquer la volonté de l'armée de reprendre la main et avoir les mains libres pour pouvoir intervenir au kurdistan iraquien, ainsi qu'à reprendre la main dans l'etat, l'AKP menant une politique institutionnelle plus respectueuse de la « séparation des pouvoirs ». C'est ce qui explique sa victoire électorale, la turquie étant loin d'un certain nombre de clichés sur le plan politiques et social (droit de vote des femmes avant la france, interdiction du port du voile à l'école, débits de bières omniprésents, forte minorité allevi) : nombre de « libaraux » sur le plan des moeurs, ont voté AKP pour contrebalancer le poid de l'armée. Reste à voir dans quelle mesure l'AKP n'en profitera pas pour faire bouger les lignes sur le plan des moeurs.
Le MHP développe par ailleurs, malgré ses prétentions laiques, une référence très forte à l'islam sunnite en opposition aux alevis.
En tout état de cause, le gouvernement AKP ressemble au conservatisme clérical de type « démocratie chrétienne » ou tout autre courant clérical/libéral.
Les organisations marxistes et libertaires turques et kurdes se sont toutes tenues à l'écart de ces manifestations ultra-nationalistes.
notre jour viendra
Libertaire Pengu
 
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Messagepar Federica_M » Lundi 17 Sep 2007 0:10

günaydın arkadaş !

Merci beaucoup pour ce texte très intéressant qui nous permet de mieux comprendre la réalité de l'anarchisme turc.
Federica_M
 
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Messagepar michel » Lundi 17 Sep 2007 11:45

Et le groupe Kaos GL dans tout ca ? http://www.kaosgl.org/ ils ont une page (que je n'arrive pasq à retrouver, avec des brochures à commander dont quelques unes sont des traductions des classiques de la littérature anarchiste (Rocker etc.).
D'ailleurs Libertaire Pengu ou qqun d'autre aurait il de telles traductions disponibles ?
michel
 

Messagepar Federica_M » Lundi 17 Sep 2007 11:54

Kaos était historiquement est le premier groupe anar organisé en Turquie au début des 90 est visé par le paragraphe suivant :

Dans les premières années, il y a un rejet des notions de lutte de classe (considérée comme marxiste) , et le mouvement se développe sur la contreculture (Anarchopunk, fanzine, traduction de bouquins anars, projet de vie communautaire…), mais surtout les luttes antimilitaristes.


Ils éditaient "le voleur de feu" (Ates Hirsizi)

Je ne sais pas s'ils sont toujours actif, longtemps que je n'ai pas vu passer d'infos ?

Visiblement Kaos s'est ensuite transformé en KAOS LG (lesbian and gay), l'équivalent de la LGBT en France. Ils semblent s'être distanciés de l'anarchisme en même temps que le groupe intégrait la Ligue de Droits de l'Homme d'Ankara (puis la quittait pour reprendre son autonomie (Cf la partie en anglais de leur site, ils annoncent etre une ONG, sans réellement de position idéologique affirmée. Par ailleurs, ils publient des livres avec le soutien de la Banque Mondiale ... ) De ce qu'on peut lire, c'est devenu un groupe communataire (communautariste ?) strict.

Pour les traductions en turc de textes anars, si tu surfes sur différents sites tu en trouveras qq uns qui ont été mis en ligne.
Federica_M
 
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Messagepar michel » Lundi 17 Sep 2007 12:24

'tain ils proposent aussi des textes de staline sur leur site :shock:
michel
 

sur le voleur du feu

Messagepar Libertaire Pengu » Samedi 22 Sep 2007 11:26

ates hirsizi depuis 96 n'est pas actif en ce moment un d'autre group stalinist utilise ce nom.
et puis je suis avec les collectife kara-kizil paris mais actuellement j pas paris .. je suis a bretangne -guingamp..

au revoir.
notre jour viendra
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