Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapitali

Les courants, les théoriciens, les actes...

Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapitali

Messagepar Albert » Vendredi 25 Avr 2014 17:36

Sur les sources de l’antisémitisme de gauche,
anticapitaliste et/ou anti-impérialiste

« Et puis, on peut être contre la politique internationale d’Israël sans être antisémite. »
(David Rachline, maire Front national de Fréjus)
La première révision douloureuse qu'il faut opérer, si l’on veut vraiment sortir des ambiguïtés de
l’antisionisme de gauche actuel, c'est qu'il existe une vieille tradition antisémite anticapitaliste et/ou antiimpérialiste particulièrement vivace à gauche et à l’extrême gauche, en Europe, mais aussi ailleurs.
A ma connaissance, seuls deux groupes, aux origines politiques très différentes, se sont démarqué
publiquement des ambiguïtés des milieux gauchistes et altermondialistes à ce propos : l'AWL en GrandeBretagne (un groupe trotskyste) et Doorbraak (ex-De Fabel van de illegaal) aux Pays-Bas, organisation
« communiste libertaire ». Je pourrais mentionner les Anti-Deutsch en Allemagne, qui viennent au départ
du maoïsme, mais leurs positions actuelles ne peuvent être qualifiées d'extrême gauche, ni même de
gauche, tant elles sont devenues synonymes de défense fanatique des politiques américaines et
israéliennes... au nom d’une condamnation radicale du nationalisme allemand
1
.
Aucun des groupes libertaires ou d'extrême gauche français ne s’est posé la question de
l’antisémitisme de gauche et n'a essayé de le combattre sérieusement dans ses propres rangs. A lui seul,
le silence sur Dieudonné dans ces milieux depuis dix ans est éloquent (et ce ne sont pas les défenseurs
libertaires de la « liberté d’expression » de Dieudonné face aux mesurettes répressives de Valls qui
pourraient nous inciter à croire à une quelconque prise de conscience ou autocritique de leur lâcheté
passée).
Mais on pourrait aussi citer les innombrables fois où des sites et des auteurs conspirationnistes et
antisémites sont cités comme références par des militants gauchistes dans leurs échanges sur Internet,
quand ils ne figurent pas comme liens réguliers de revues, d’organisations ou de sites alternatifs dits
« radicaux ».
Cette indifférence – voire cette attitude « carrément » je-m’en-foutiste – ne peut que les rendre
particulièrement vulnérables et suspects face aux critiques de journalistes pressés, d’historiens peu
scrupuleux mais aussi de personnes de bonne foi n’ayant pas des œillères « antisionistes » et donc qui ne
sont pas obsédés par Israël et la Palestine du matin au soir.
Les groupes gauchistes ou libertaires, en France comme ailleurs, nient généralement ce phénomène ou
bien le réduisent aux délires de quelques individus aigris et isolés, de quelques (ex) ultragauches
décérébrés passés à l’extrême droite, ou surtout aux calomnies des « sionistes » pour faire taire toute
critique contre Israël.
Entreprendre une telle réflexion sur l’antisémitisme de gauche actuel suppose déjà de bien connaître
les mécanismes traditionnels de l’antijudaïsme chrétien et musulman et de l’antisémitisme racial, quelle a
été leur évolution et quels sont leurs nouveaux déguisements et mutations. Si l’on pense que
l’antisémitisme est un phénomène en voie de disparition, si on le réduit à l’antijudaïsme chrétien du
Moyen Age ou aux théories raciales nazies, et si l’on croit que seul sévit aujourd’hui « l’islamophobie »,
nul besoin de s’y intéresser. Mieux (ou plutôt pire), toute personne qui soulève le sujet est forcément un
flic, un sioniste, un néo-conservateur ou un paranoïaque anticonspirationniste...

1
Il n’existe, à notre connaissance aucune publication française présentant en détail l’évolution des
positions des antiDeutsch (littéralement « Anti-allemands ») sinon des articles venimeux écrits par des
gens de gauche ou d’extrême gauche qui, prenant prétexte des positions réactionnaires actuelles de ce
courant, oublient sciemment le point de départ de ce mouvement qui entendait s’attaquer aux racines du
nationalisme allemand et aux séquelles du nazisme dans la société allemande. On comprendra mieux
cette cécité quand on saura que les Anti-Deutsch entendaient aussi interroger les fondements de
l’antisionisme...2
Pour expliquer cet antisémitisme de gauche, à tonalité anti-impérialiste et/ou anticapitaliste, on peut
distinguer plusieurs facteurs présentés ici de façon succincte, mais qu’il faudrait évidemment développer
beaucoup plus longuement:
1. L'incapacité des marxistes et des anarchistes à définir une position matérialiste opératoire sur
ce qu'il est convenu d'appeler la question juive comme d'ailleurs sur d'autres questions nationales,
religieuses ou culturelles.
Pour les courants marxistes, au moins, cette attitude était compréhensible au XIX
e
siècle et même
jusqu’à la révolution d’Octobre, en raison de l’imminence proclamée de l’effondrement du capitalisme,
effondrement qui laisserait la place au socialisme censé résoudre tous les problèmes « secondaires »
(racisme, antisémitisme, nationalisme, domination des femmes, etc.) légués par le « vieux monde ».
Rappelons à tous les « antisionistes » qui se réclament de penseurs marxistes actuels (Daniel Bensaïd,
Jean-Jacques Marie, Enzo Traverso) et qui osent se réclamer du Bund, que ce courant fut violemment
dénoncé par Plekhanov (il les qualifiait de « sionistes qui ont le mal de mer ») et par Lénine (dans ses
Notes critiques sur la question nationale écrites en 1913 il évoque « la nation la plus opprimée et la plus
traquée, la nation juive » mais écrit ensuite « Quiconque proclame directement ou indirectement le mot
d'ordre de la “ culture nationale ” juive est (si excellentes que puissent être ses intentions) un ennemi du
prolétariat, un partisan des éléments anciens et frappés d'un caractère de caste de la société juive, un
complice des rabbins et des bourgeois » ; bref Vladimir Ilitch était lui aussi atteint par le « mal de mer »
quand il évoquait la question juive et ne savait pas par quel bout la prendre...). Signalons enfin que le
Bund fut réprimé par l’Etat soviétique dès 1919 (donc par Lénine et Trotsky au pouvoir, pas par Staline)
et obligé de se dissoudre en mars 1920.
Aujourd’hui, après la création de dizaines d’Etats-nations, la victoire des idéologies nationalistes aussi
bien dans les pays du tiers monde (des guérillas victorieuses – Chine, Cuba, Algérie, Vietnam,
Mozambique, Angola, etc. – aux régimes populistes latino-américains actuels) que dans les pays
occidentaux (influence prédominante de l’esprit interclassiste des Résistances dites « antifascistes »,
bourgeoises et staliniennes en Europe dans les années 1960/1960, puis émergence de régionalismes à
tonalité indépendantiste au Pays basque, en Ecosse, etc.), une telle indifférence face à la question juive
(couplée généralement à un opportunisme vis-à-vis d’autres nationalismes ou régionalismes) n’est plus
tenable sans un bilan politique approfondi et une mise à jour sérieuse.
Et c’est justement parce que cette indifférence n’est plus tenable que les principes internationalistes
traditionnels défendus – en théorie – par les groupes gauchistes ou libertaires sont d’autant plus
facilement vidés de leur contenu prolétarien, anational, originel. Que l’on est passé du soutien du combat
commun des prolétaires israéliens et arabes, jusqu’à la fin des années 60, au soutien acritique au Hamas
ou au FPLP, en passant à la trappe toute référence à la classe ouvrière israélienne ou même aux classes
ouvrières arabes. L’opposition de principe au nationalisme bourgeois n’a que rarement été appliquée par
les groupes dits révolutionnaires. Cela ne signifie pas que cette opposition soit erronée aujourd’hui, bien
au contraire, mais qu’elle doit être fondée sur des arguments solides et cohérents, sur une « analyse
concrète de la situation concrète », pour reprendre une expression de la langue de bois militante.
2) La méconnaissance de l'histoire du peuple ou des peuples juifs – et évidemment aussi de la
religion juive (d'où, par exemple, la dénonciation permanente du prétendu élitisme ou complexe de
supériorité du « peuple élu », dénonciation qui repose sur un contresens, pour les plus ignorants, ou un
faux grossier, pour les antisémites avertis ; ou encore l’ignorance de l’existence d’une théologie de la
libération juive, alors que ses versions chrétienne ou musulmane sont portées au pinacle par les
gauchistes et les altermondialistes).
3) La tendance, dans la propagande quotidienne voire dans certains écrits plus théoriques,
– à toujours personnaliser, diaboliser, certains individus-exploiteurs – en particulier les usuriers,
spéculateurs, financiers et banquiers (et parmi eux spécialement les juifs, de Rothschild à Maddoff en 3
passant par Goldman Sachs et DSK, les intellectuels comme BHL ou Elisabeth Badinter, ou les
néoconservateurs américains ayant un nom « juif ») ;
– à se concentrer uniquement sur les méfaits des banques, les paradis fiscaux, les bulles
spéculatives, bref sur le capitalisme « improductif » (cosmopolite hier, mondialiste aujourd’hui) que
l’on oppose au capitalisme « productif », enraciné dans la glaise nationale (on retrouve ces thèmes chez
les altermondialistes, les Indignés, la gauche étatiste latino-américaine, etc.)
Cela conduit inéluctablement à ignorer, dans la propagande quotidienne, le fonctionnement du
système capitaliste dont la critique rigoureuse suppose un travail de propagande plus compliqué que la
simple dénonciation personnalisée de quelques spéculateurs boursiers, milliardaires cyniques, fumeurs de
cigares ou « vampires » capitalistes.
4) L'illusion que l'anticapitalisme antisémite populaire de droite, ou d'extrême droite, pourrait
avoir une dimension « progressiste »: en clair, les prolétaires antisémites auraient effectivement tort de
limiter leur haine du système à quelques individus juifs, voire aux Juifs en tant que groupe pseudo
« privilégié », mais ce n'est pas grave parce que cette confusion se décantera, les exploités ouvriront les
yeux et se rendront rapidement compte qu'il faut combattre tous les capitalistes, et plus largement le
système capitaliste dans son ensemble (pas simplement la banque ou la finance « juives ») et que ce
système capitaliste, il faut le remplacer par une autre organisation sociale, l’abolition du salariat et de la
monnaie et la suppression de l’Etat.
Ce vieil antisémitisme anticapitaliste populaire perdure mais il a été modernisé, notamment sous la
forme de l’antisionisme « anti-impérialiste » dans les pays du Proche et du Moyen-Orient ; dans les
communautés musulmanes des grandes métropoles occidentales ; mais aussi sous l’impulsion des
régimes populistes de gauche d’Amérique latine. Tout cela se combine parfaitement à l’antijudaïsme
ravivé et relooké par certaines tendances de l’islam politique.
5) Une sous-estimation, et surtout généralement une négation totale, de l'importance de
l'antijudaïsme puis de l'antisémitisme moderne dans les pays qui se disent musulmans (les 57 Etats
de l'Organisation pour la Conférence islamique) et de son influence dans les métropoles occidentales,
facilitée par la présence des chaînes satellitaires, des imams formatés en Arabie saoudite ou dans des
institutions religieuses ultraconservatrices, etc. Cette négation de l’antisémitisme repose sur une
méconnaissance :
— de l'islam et de ses différents courants (cf. par exemple la façon dont gauchistes et
altermondialistes minimisent les conflits historiques entre sunnites et chiites au Proche et Moyen-Orient
et en attribuent la principale responsabilité à ....l’intervention américano-européenne en Irak en 2003 !),
— du statut discriminatoire des dhimmi pendant des siècles qui se combine avec le silence sur les
pogromes dans les pays arabo-musulmans,
— du rôle politique de la religion dans les pays du Proche et du Moyen-Orient y compris au sein des
mouvements dits de libération nationale de ces régions au XX
e
et XXI
e
siècles,
— de la circulation des thèses de l’extrême droite européenne dans le monde arabo-musulman
(diffusion massive du Protocole des Sages de Sion, dont les absurdités sont reprises aussi bien dans la
Charte du Hamas
2
que dans des feuilletons télévisés ou des manuels scolaires ; accueil de conférences
négationnistes en Iran ; traduction en arabe des livres de Garaudy, etc.)

2
« Depuis longtemps les ennemis ont planifié habilement et avec précision pour atteindre leur but. Ils
ont pris en considération les causes qui influent les événements en cours. Ils ont amassé des fortunes
énormes afin de réaliser leur rêve. Grâce à leur argent, ils ont mis la main sur les médias du monde entier,
la presse, les maisons d’édition, les stations de radio, etc. Avec leur argent, ils ont fomenté des
révolutions dans plusieurs parties du monde pour servir leurs intérêts et réaliser leurs objectifs. Ils sont
derrière la Révolution française, la Révolution communiste et toutes les révolutions passées et à venir.
Avec leur argent, ils ont mis en place des sociétés secrètes telles que les francs-maçons, les clubs Rotary,
les Lions et d'autres dans différentes parties du monde, dans le but de saboter les sociétés et servir les
intérêts sionistes. Avec leur argent, ils sont arrivés à prendre le contrôle des pays impérialistes et à les
inciter à coloniser beaucoup de pays pour les exploiter et y répandre la corruption. » « On peut raconter
ce que l'on veut sur les guerres régionales et mondiales. Ils ont été les instigateurs de la Première guerre 4
— du rôle actif des régimes arabes dans l’expulsion des Juifs, après 1948, de pays où ils vivaient
depuis des siècles, souvent même avant l’introduction de l’islam.
Cette ignorance est renforcée par l’usage baroque d’une notion erronée empruntée à la linguistique du
XIXe siècle, celle de l'existence de « peuples sémites », et transposée dans le domaine de l’anthropologie
(Juifs et Arabes étant rangés dans la même ethnie, contrairement à tous les enseignements de l'histoire);
cette notion vise à délégitimer le concept d’antisémitisme et donc aussi la lutte contre ce fléau.
6) Une volonté de se débarrasser, à bon compte, des problèmes politiques graves posés par le
judéocide européen, à commencer par l'apathie ou le silence gêné de la gauche et de l’extrême
gauche face à la « Shoah » pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
Face à ce problème, les antisionistes de gauche ont recours à plusieurs procédés malhonnêtes :
– ils réduisent l’antisémitisme à un passé lointain, quasi préhistorique, ce qui permet à la fois de
maintenir la fiction d’une Résistance antifasciste qui aurait combattu les effets du judéocide et de
prétendre que l’antisémitisme racial nazi n’existe plus, donc qu’il faut passer à autre chose ;
– ils dénoncent bruyamment la collaboration économique entre les « sionistes » et les nazis (d’où
le terme ignoble de sionazis et les svastikas collées sur des drapeaux israéliens dans les manifestations),
par le biais de l’accord Haavara, dit de Transfert, signé en 1933 ; cet accord fonctionna jusqu’en 1939 et
permit aux nazis de racketter 50 000 Juifs qui purent émigrer en Palestine). Ou bien ils gonflent
démesurément l’importance du groupe juif d’extrême droite Stern (qui ne compta jamais plus d’une
centaine de partisans en Palestine) et qui tenta de négocier avec les nazis pour faire sortir le maximum de
Juifs d’Europe. Il suffit de comparer l’argumentaire de négationnistes comme Faurisson avec celui de
nombreux antisionistes, ils sont exactement les mêmes sur ce point ;
– ils mettent l’accent sur la collaboration entre les Judenräte (les conseils juifs) avec les autorités
allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale comme si cette « collaboration » s’était déroulée en
temps de paix, dans un climat serein et sans l’usage de la torture, du chantage, de l’extorsion de fonds, de
l’assassinat et la mise en place clandestine du judéocide. Parallèlement, ils ignorent ou nient
l’importance de toutes les formes de résistance passive ou active, non armée ou armée, au sein des
différentes communautés juives entre 1939 et 1945. Ils passent sous silence l’absence de soutien des
puissances alliées « démocratiques » aussi bien que des mouvements « communistes » de résistance aux
résistants antinazis juifs. Cette double opération falsificatoire permet à la gauche et à l’extrême gauche de
se dédouaner de son silence durant le judéocide, de perpétuer la légende d’une éternelle passivité juive et
de sous-entendre voire d’affirmer une complicité entre Juifs et nazis.
– ils réduisent plus prosaïquement et plus couramment la crainte de l’antisémitisme actuel à une
« paranoïa » multiséculaire des Juifs et des juifs.
Cette dernière explication psychologique faiblarde sur la « paranoïa » supposée des juifs, des Juifs et
des Israéliens est le pendant de l’usage abusif du terme « haine de soi » par les juifs réactionnaires contre
les juifs progressistes. On fera remarquer aux antisionistes soucieux de réfléchir un peu au contenu de
leurs discours que les victimes du racisme, du sexisme ou de l’homophobie sont toujours accusées par
leurs oppresseurs d’être sous l’emprise d’une « paranoïa », d’une « obsession » ou d’une « manie de la
persécution ».

mondiale quand ils ont fait disparaitre le Califat islamique, faisant des bénéfices financiers et contrôlant
les ressources. Ils ont obtenu la Déclaration de Balfour, formés la Ligue des Nations pour diriger le
monde. Ils ont été les instigateurs de la Seconde Guerre Mondiale, grâce à laquelle ils ont réalisé des
gains financiers faramineux par le commerce des armes, et ainsi pavé la voie pour la création de leur
État. Ils ont été les instigateurs de l’abolition de la Ligue des Nations pour la remplacer par les Nations
Unies et le Conseil de Sécurité pour leur permettre de gouverner le monde par leur biais. Il n'y a aucune
guerre où que ce soit du monde dans laquelle ils ne sont pas impliqués.» (Extraits de l’article 22 de la
Charte du Hamas, jamais traduite en français par ses partisans gauchistes.).5
7) La volonté des courants gauchistes actuels de reprendre à leur compte les théories
multiculturalistes et postcoloniales anglosaxonnes, à la mode dans les milieux universitaires, et
importées ensuite en Europe, souvent pour servir de contrefeux au marxisme, d’ailleurs.
Cette récupération idéologique les a notamment poussés à diviser les sociétés occidentales en deux
blocs antagoniques: les « Blancs » (dominants et complices des dominants) et les « non-Blancs »
(dominés), dont l’opposition est présentée comme beaucoup plus importante que l’opposition entre
bourgeois et prolétaires. Les Juifs étant rangés dans la catégorie des « Blancs » la critique de
l'antisémitisme actuel, moderne, est passée à la trappe, voire disqualifiée par des théories moins ringardes
et plus branchées (postmodernisme, déconstruction, études de genre, postcolonialisme, etc.).
Le gauchiste, et même l'intellectuel gauchiste ou altermondialiste moyen, est incapable de comprendre
qu'on puisse être « Blanc » et en même temps victime de discriminations racistes puisque, dans son
imaginaire, la domination raciste essentielle, pour ne pas dire unique, est actuellement celle qui vise les
« non-Blancs », d’origine « postcoloniale ». Le Juif qui est aujourd’hui victime du racisme antisémite
classique (religieux, économique ou racial) ou moderne (dissimulé sous un vernis « antisioniste ») n'a
donc qu'à se taire puisqu’il appartient au monde des « Blancs », des dominants et de leurs complices. On
remarquera que cette intransigeance ne s'applique ni aux homosexuels, ni aux lesbiennes, ni aux queer, ni
aux transgenre ni aux femmes, groupes dont les gauchistes multiculturalistes reconnaissent la domination
dont ils (ou elles) sont victimes, même s’ils appartiennent aux « classes moyennes », à la petitebourgeoisie salariée voire à la bourgeoisie et surtout, pour reprendre le vocabulaire post-colonial et
interclassiste, au camp des « Blancs », supposés intrinsèquement complices de l’exploitation et de la
domination.
Il faut souligner ici une curieuse convergence entre l’extrême droite européenne qui condamne le
féminisme comme une invention juive et anti-naturelle ; les fondamentalistes musulmans qui présentent
le féminisme comme une idéologie occidentale, antireligieuse, et qui condamnent les féministes dans
leurs pays comme des traîtres vendus à l’Axe du Mal « américano-sioniste » ; et les multiculturalistes
occidentaux qui considèrent que les féministes « laïcardes » seraient des Blanches racistes et
colonialistes. Attaquées simultanément par ces trois forces, les féministes athées, ou même simplement
laïques, quel que soit le pays où elles militent, se trouvent dans une situation fort précaire, a fortiori si
elles ne sont pas de farouches « antisionistes » qui dénoncent les crimes d’Israël chaque matin avant
même de prendre leur petit déjeuner.
8) La confusion et l'amalgame sous le terme d' « islamophobie » (concept imposé dans les
institutions internationales par les 57 Etats de l’Organisation pour la Conférence islamique) de plusieurs
phénomènes très différents:
— le racisme pseudo-scientifique né au XIX
e
siècle qui vise désormais surtout les immigrés
d’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient, et d’Afrique subsharienne en Europe, avec un
habillage culturaliste (conflit de civilisations, défense hypocrite des Lumières et du féminisme par la
droite et l’extrême droite) ;
— le racisme systémique ou institutionnel (domination cachée sous le masque de l’égalité
démocratique ou républicaine) ;
— les passions religieuses antimusulmanes alimentées par des partis politiques chrétiens ou des
Eglises concurrentes ;
— les conséquences de la guerre d’Algérie (intégration sociale difficile des « pieds-noirs » en
France qui alimente des rancœurs antimusulmanes chez les « petits Blancs » et fournit une base sociale
aux partis de droite et d’extrême droite) et sans doute demain des conflits au Proche et au MoyenOrient (exil forcé des populations chrétiennes, véritable nettoyage ethnique, qui ne peut et ne pourra que
nourrir le ressentiment contre l’islam – toutes tendances confondues – en Occident) ;6
– la perte d’influence géopolitique des ex-puissances coloniales européennes (France, GrandeBretagne, principalement) et les reculs de la puissance américaine que les classes dominantes
occidentales essaient sans cesse de compenser par des « interventions humanitaires » placées sous l’égide
d’une civilisation démocratique en lutte contre la barbarie « islamiste » ou « djihadiste », propagande qui
ne peut que nourrir l’hostilité contre les travailleurs musulmans qui se sont installés en Europe ou en
Amérique ;
— les angoisses identitaires qui stimulent le nationalisme et la xénophobie des Européens face à
la construction chaotique de l’Union européenne ;
— et la critique athée rationaliste des religions.
Cette confusion volontaire entre des phénomènes et des dimensions aussi différentes a pour
principal objectif de minorer voire de déconsidérer la critique de l’antisémitisme moderne, au nom de la
lutte contre l’islamophobie, contre les thèses des néoconservateurs mais aussi contre le rationalisme et
l’universalisme, jugés, au choix, soit trop occidental, soit « trop blanc » soit implicitement « trop juif »,
ou les trois à la fois.
9) La politique criminelle de l’Etat israélien et la haine qu’elle suscite chez les peuples des Etats
limitrophes et chez les Palestiniens ne facilite évidemment pas la compréhension de l’antisémitisme
actuel, moderne, tant le nationalisme israélien polarise toutes les frustrations et les ressentiments. Ce
nationalisme :
— a défendu le droit pour les victimes du judéocide d’avoir bénéficié d’une protection étatique
fiable après 1945 ;
— a revendiqué le droit historique de la communauté juive de Palestine à ne pas en être chassée
par les nationalistes palestiniens ou arabes ;
— a construit un Etat juif avec toutes les dérives que peut encourager une telle définition
ethnico-religieuse ;
— présente la religion juive comme un ensemble monolithique et donc, de fait, dogmatique et
sectaire ;
— se réclame du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme n’importe mouvement de
libération ;
— entretient une alliance privilégiée avec la principale puissance occidentale actuelle, les EtatsUnis, après avoir dû sa création au soutien militaire de l’impérialisme russe (ce que dissimulent tous les
gauchistes nostalgiques de l’Union soviétique) ;
— encourage l’illusion qu’Israël pourrait exister durablement en ignorant, voire en méprisant,
l’histoire du Proche et du Moyen-Orient, ses déterminismes religieux, sociaux et politiques ;
— conduit une expansion territoriale permanente qui ressemble à une épuration ethnique
progressive et rend impossible la création d’un Etat palestinien bénéficiant des mêmes avantages naturels
et géographiques (accès à la mer, à l’énergie et à l’eau, par exemple).
Face à une idéologie d’Etat complexe et contradictoire (le « sionisme », qui se réclame à la fois de
traditions religieuses multiséculaires, d’un héritage socialiste-sioniste et du nationalisme bourgeois
européen du XIX
e
siècle), il est plus simple et surtout plus commode pour le gauchiste ou
l’altermondialiste européen moyen d’oublier l’antisémitisme multiséculaire du continent où il vit, y
compris et surtout les formes anticapitalistes qu’y a prises l’antisémitisme de gauche.
Cela lui permet d’adopter une posture radicale, sans courir le moindre risque, et de réduire le conflit
israélo-palestinien actuel à un conflit entre des Juifs/Israéliens tous colonialistes, racistes, religieux et 7
« pro-impérialistes » (à quelques exceptions près) et des Palestiniens/musulmans/Arabes tous
anticolonialistes, anti-impérialistes et internationalistes (sans aucune exception)... Un conte de fées
réconfortant pour gauchistes en deuil d’une révolution européenne qui tarde à venir.
10) Une conception complotiste de l’impérialisme, particulièrement américain, réduite à la
dénonciation monomaniaque de quelques présidents ou généraux criminels (souvent comparés à Hitler)
et à la dénonciation d’un « lobby sioniste » censé dicter sa politique à l’Etat américain. De telles
conceptions se marient fort bien avec l’anti-américanisme culturel des courants nationalistes de droite
(gaullisme en France, par exemple) et de gauche (anti-américanisme primaire entretenu par les partis
staliniens durant toute la guerre froide, et même longtemps après, à la fois en vue d’une alliance avec la
bourgeoisie nationale dans chaque Etat européen, et par philosoviétisme fortement stimulé par les
subventions russes).
Ce complotisme et cet anti-américanisme primaire rejoignent les explications des courants sunnites,
chiites, qu’ils soient protégés par les pouvoirs ou dissidents (les groupes djihadistes-internationalistes),
avec leur dénonciation du « Grand Satan » (Etats-Unis) et du « Petit Satan » (Israël).
Cette convergence entre ces formes d’anti-impérialisme moderne d’origine marxiste ou tiersmondiste,
d’antijudaïsme traditionnel et d’antisionisme confus, aux origines nationalistes et religieuses entremêlées,
explique la cohabitation parfaite au sein des manifestations dans les pays occidentaux entre les courants
gauchistes et les courants les plus réactionnaires de l’islam politique.
11) Une incapacité à s’opposer à la constitution d’un (improbable ?) impérialisme européen et
d’une (improbable ?) Union politique européenne en d’autres termes que ceux du nationalisme et du
régionalisme.
Les critiques de la création, du fonctionnement et du développement de l’Union européenne reposent
souvent sur les mêmes mécanismes de la théorie du complot que l’anticapitalisme de droite
(dénonciation, au choix, des Illuminati, des francs-maçons, des Juifs apatrides, du groupe Bilderberg, de
la Trilatérale, etc.) et l’anti-américanisme primaire de gauche (surestimation du rôle de l’OTAN, des
manœuvres américaines au sein du FMI, de la Banque mondiale et de l’ONU ; silence face aux
manœuvres géopolitiques et interventions militaires de l’impérialisme russe, ou en tout cas sousestimation de sa puissance ; dénonciation de la « bureaucratie de Bruxelles », de la toute-puissance
allemande ou des « oligarques » européens, comme si les chefs d’Etat, les ministres, les députés et les
partis n’étaient pas représentés dans les institutions communautaires, comme si la plupart des capitalistes
– grands, moyens, voire petits – ne soutenaient pas le projet d’intégration économique et que toutes les
difficultés se réduisaient aux diktats de la méchante Allemagne, au sabotage mené par la perfide Albin
philoaméricaine et à la volonté yankee de susciter la zizanie entre les Etats européens).
Dans un contexte de crise identitaire des peuples européens, il n’est pas étonnant que l’antisémitisme
refasse surface. L’une des fonctions historiques et cycliques de l’antisémitisme est en effet servir de
ciment à l’unité nationale, y compris dans des pays comme le Japon, où la présence juive fut et est encore
insignifiante.
Cette dimension symbolique de l’antisémitisme par rapport aux questions identitaires est
complètement ignorée par les gauchistes ou les libertaires obnubilés par ce qu’ils appellent
l’antisionisme.
12) Confrontés à l’accélération de la mondialisation les gauchistes font preuve d’un suivisme éhonté
face aux thèmes avancés par la galaxie altermondialiste, galaxie d’ailleurs financée par la manne
publique, au Nord comme au Sud. Cette galaxie altermondialiste et ses têtes pensantes marxisantes sont
incapables de critiquer les régimes populistes, les tendances réformistes ou nationalistes dans les pays du
Sud, et ne voient aucune difficulté, au nom de la démocratie, à accueillir dans leurs réunions et
manifestations, les partisans des théories du complot, les militants les plus réactionnaires de l’islam
politique voire les politiciens traditionalistes chrétiens ou écologistes du moment que ces derniers
défendent des positions protectionnistes ou isolationnistes.
Cette présence d’un contingent réactionnaire non négligeable, militant à visage découvert au sein de
l’altermondialisme n’a pu que renforcer les propensions à l’antisémitisme, sous couvert d’antisionisme
ou d’anti-impérialisme. De plus la dénonciation lancinante du prétendu rôle déterminant de la Finance8
cosmopolite et de la superpuissance américaine n’a que favoriser les thèses antisémites, faute d’une
analyse matérialiste des mécanismes fondamentaux de l’exploitation capitaliste et des relations
géopolitiques entre les puissances
13) La destructuration des classes ouvrières et les formes prises par la désindustrialisation dans
les principaux pays capitalistes occidentaux, l’augmentation du chômage et son maintien à un
niveau élevé, l’extension du « précariat », ont totalement désorienté les militants libertaires et
d’extrême gauche qui s’attendaient à une vague révolutionnaire victorieuse dans les années 60 et 70.
Ces phénomènes imprévus, mal analysés, les ont rendus d’autant plus perméables à toutes les
idéologies post-modernes, postcoloniales, qui prétendent déconstruire tous les discours, donc aussi les
discours révolutionnaires classiques des « mâles blancs occidentaux », pour les remplacer par un
relativisme qui morcelle les exploités à l’infini en autant de minorités, qui se définissent à partir des
multiples formes spécifiques de domination qu’elles subissent.
L’idéologie classiste du mouvement ouvrier, qui voyait dans le prolétariat le principal sujet
révolutionnaire et l’avant-garde de la transformation sociale, n’avait pas que des avantages, loin de là,
mais au moins elle constituait un certain garde-fou, une référence commune que l’on pouvait invoquer
contre l’influence délétère de l’antisémitisme anticapitaliste.
La propagande de moins en moins classiste, de plus en plus déconnectée du monde du travail salarié et
des lieux de production, de la plupart des groupes libertaires et gauchistes ne peut que faciliter la
régression politique générale en dehors même des tentatives de récupération idéologique ou d’infiltration
de l’extrême droite.
De toute façon, celle-ci mène une campagne idéologique très habile depuis trente ans, renforcée,
depuis l’invention de l’Internet, par sa présence massive sur les réseaux sociaux.
L’extrême gauche et les libertaires sont incapables de contrer efficacement cette campagne tant ils
sont empêtrés dans les ambiguïtés de leur antisionisme et se refusent à faire le bilan de leurs
responsabilités dans la diffusion de l’antisémitisme anticapitaliste et anti-impérialiste de gauche.
Albert
 

Re: Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapit

Messagepar lucien » Lundi 28 Avr 2014 22:58

Pour des prises de positions clairement contre les capitalistes de tout bord, pour une lutte de classes au-delà des frontières et contre les Etats, voir la rubrique Palestine-Israël de cnt-ait.info :
http://cnt-ait.info/rubrique.php3?id_rubrique=68

Sur ce forum, plusieurs fils abordent des questions en lien avec le texte ci-dessus. Voir notamment le fort enrichissant "Quand Soral traitait d’inculte son colistier Dieudonné", vieux de 5 ans et traitant également des fourvoiements volontaires ou non de certains gauchistes : viewtopic.php?f=8&t=4877
Le monde ne se compose pas d'anges révolutionnaires, de travailleurs généreux d'une part, de diables réactionnaires et de capitalistes cupides de l'autre.
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