On retrouve dans la présentation, mais aussi dans l'introduction de Colson, un certain nombre de thèmes qui nous sont familiers, puisque cela fait quelques années maintenant que nous essayons de les exprimer (notmament à propos de l'universalisme et e l'atemporalité du projet anarchiste). J'ai mis en gras ces passages dans le texte.
C'est intéressant de voir qu'il commence à y avoir un début de mùobilisation pour contrer l'offensive "postanarhcisme" qui n'est ni plus ni moins que le sabordage de l'idée de révolution communiste libertaire.
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L’Anarchisme aujourd’hui
Préface de Daniel Colson
Rares sont les courants politiques suscitant autant de fantasmes que l’anarchisme. Qu’il provoque crainte, antipathie ou connivence, les imaginaires dominants s’enflamment à son sujet. Néanmoins, ils ne font que bien rarement mouche à l’endroit des pratiques et pensées effectives de la nébuleuse libertaire. Beaucoup s’évertuent même à teinter de sépia leurs représentations, reléguant l’anarchisme dans un XIXe siècle déjà lointain, le laissant pour mort dans le monde contemporain.
Depuis quelques années pourtant, un regain d’intérêt pointe à l’égard de ce qui ne semblait plus trouver place que dans de poussiéreux livres d’histoire. Et il arrive que l’on rencontre l’anarchisme sur des terrains dont il était comme refoulé, telle la philosophie. C’est en tout cas ce que démontre l’entreprise postanarchiste ; elle prend principalement racine outreatlantique et relit, à la lumière des réflexions poststructuralistes et postmodernes, les oeuvres de Proudhon, Bakounine ou Kropotkine, Mais à quel prix ?
Le présent ouvrage propose la première introduction en langue française à ce projet réflexif, Il en est aussi la première critique. Saisissant l’occasion ouverte de penser en compagnie de ces auteurs par trop méconnus, mais aussi au travers des pratiques qu’ils ont inspirées et inspirent encore, l’auteur nous révèle en quelle mesure l’anarchisme, sans préfixe, peut être aujourd’hui d’une actualité pertinente.
PRÉFACE
Du point de vue de l’histoire, le projet politique et philosophique de l’anarchisme s’est exprimé de deux façons :
– Pratiquement, dans la plupart des pays en voie d’industrialisation, à travers près d’un siècle de luttes et d’expérimentations sociales et révolutionnaires (principalement en Europe et dans les deux Amériques), de la fin de la première moitié du XIXe siècle jusqu’en 1938, lorsque l’anarchisme espagnol succombe sous les coups de cet étonnant mélange entre le fascisme rouge du communisme russe, la logique verticale de l’État et les mensonges démocratiques de l’antifascisme.
– Théoriquement, d’abord avec un certain nombre de fondateurs de la pensée libertaire (Proudhon, Déjacques, Stimer, Bakounine), puis une multitude de textes (brochures, livres, chansons, proclamations, motions, poèmes, pièces de théâtre, mémoires, récits et romans) qui, du Chant des ouvriers de Pierre Dupont à La mémoire des vaincus de Michel Ragon, en passant par des œuvres historiques aussi considérables que L’Internationale de James Guillaume ou La Révolution Inconnue de Voline, ont annoncé, accompagné et prolongé ses expérimentations révolutionnaires.
À l’ombre étouffante du marxisme, ces deux aspects de l’anarchisme et l’étroite intimité qui les lie ont longtemps été sous-estimés, voire carrément ignorés, y compris et surtout dans les textes qui se voulaient les plus fidèles aux mouvements d’émancipation ouvrière, alors même qu’ils s’interdisaient d’en percevoir la moindre lueur libertaire et révolutionnaire. On a pu trop longtemps parler de la révolution espagnole en ignorant que l’essentiel du prolétariat révolutionnaire de cette région du monde se reconnaissait dans l’anarchisme et mettait en oeuvre son projet. On peut encore, en 2007, décrire l’irruption du fascisme italien au lendemain de la première guerre mondiale, sans dire un mot de la composante libertaire qui, dans la radicalisation des conflits d’alors, animait, de près ou de loin, de larges secteurs des forces ouvrières et révolutionnaires de ce pays. Plus généralement on a pu, du côté des historiens comme des intellectuels et des militants de gauche et d’extrême gauche, se féliciter pendant plus de cinquante ans du prétendu succès de la révolution russe sans jamais être sensible ne serait-ce qu’un instant à ce qui avait constitué sa force et sa réalité premières, avant que le totalitarisme d’État n’impose en son nom et après l’avoir brisée, sa terreur et ses mensonges.
Cette ignorance et ce travestissement historiques se retrouvent sur le terrain de la pensée politique et philosophique. Incapables de mettre un nom sur des mouvements qui menaçaient aussi radicalement leur existence (avant que l’épouvantail du « communisme » russe ne leur fournisse enfin un adversaire assignable, un répondant étatique homologue), les institutions de l’ordre dominant étaient tout aussi sourdes et aveugles à une pensée qui pourtant, depuis très longtemps – des pré-socratiques à Nietzsche en passant par Spinoza, Leibniz et bien d’autres –, traversait l’histoire de la philosophie, mais d’une façon plus ou moins cachée et suspecte, qualifiée d’« orientale » [NDLR cf les messages sur la stratégie ou encore sur la notion d'efficacité ici sur ce forum ...], sans jamais imaginer qu’elle puisse justement trouver un jour, dans l’anarchisme de Proudhon, de Bakounine, de Coeurderoy ou de Voline, une expression politique et sociale effective, débordant de partout les limites et les aveuglements d’un Occident impérial et dominateur, et donnant sens, du même coup, aux innombrables histoires et expérimentations humaines, en Orient comme en Occident, au Sud comme au Nord.
Paradoxalement c’est seulement près de cinquante ans après sa disparition comme alternative sociale et ouvrière effective, mais à l’intérieur de la brèche dans le temps des événements dits « de mai 68 » – que l’anarchisme, sous sa double dimension politique et philosophique, a pu tout à coup laisser deviner sa radicalité, ses immenses potentialités, et redevenir ainsi une source d’espoir et une puissante raison de résister à la logique répugnante et totalitaire du capitalisme, comme aux replis et aux délires non moins totalitaires (et répugnants) des différents fascismes ethniques et religieux qui prétendent se substituer à elle. C’est à expliciter cette renaissance que s’attache le livre de Vivien García, et ceci de trois grandes façons :
– En montrant tout d’abord comment, historiquement, depuis quelques années, et à partir d’une littérature anglo-saxonne mal connue en France, l’Idée anarchiste – et pour ne considérer que le seul terrain de la philosophie politique –, commence (timidement) à retrouver sa force et son acuité, mais imparfaitement pourrait-on dire, sans parvenir encore à briser le mur de mépris et surtout d’ignorance qui entoure les textes et l’histoire de la pensée libertaire, en se contentant d’un postanarchisme décevant mais qui permet de sauter pardessus cette histoire et cette pensée, d’en faire l’économie et de se laver ainsi de toute compromission forcément déshonorante aux yeux de ceux pour qui l’anarchisme reste encore quelque chose de honteux et de méprisable.
– En montrant au contraire, et dès lors que l’on veut bien se donner la peine de lire les textes et de déchiffrer les traces laissés par ce mouvement, en quoi l’anarchisme non seulement n’obéit en rien aux images d’Épinal et aux lieux communs auxquels on voudrait le réduire, mais constitue au contraire la source étonnante d’un projet et d’une pensée capables, par leur richesse, leur cohérence, leur originalité, leur force et leur radicalité, de faire pâlir tous les postanarchismes réunis.
– En montrant enfin ce que l’on commence seulement à percevoir : la dimension ontologique du projet et de la philosophie anarchistes, son universalité du singulier et de la différence, et par voie de conséquence, sa façon singulière et paradoxale d’échapper au temps et à l’histoire, de s’affirmer dans toutes les situations possibles même les plus difficiles et les plus oppressives, de dire ce qu’est le monde où nous vivons et ce qu’il nous autorise du point de vue de la liberté et de la joie d’exister. Source de vie et d’émancipation – et comme le travail de Vivien Garcia contribue déjà à le faire comprendre – l’anarchisme peut ainsi, peut-être, constituer une alternative au devenir catastrophique du monde actuel, une alternative aux impuissances d’une gauche et d’une extrême gauche exténuées.
Daniel COLSON