Georges Orwell, De la Guerre Civile Espagnole à 1984

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Georges Orwell, De la Guerre Civile Espagnole à 1984

Messagepar AnarSonore » Lundi 29 Juin 2009 0:41

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Une édition électronique réalisée à partir du livre de Louis Gill, Georges Orwell, De la Guerre Civile Espagnole à 1984 . Montréal : Lux Éditeur, 2005, 180 pp. Collection : Histoire politique. [Avec l’autorisation conjointe de l’auteur et de l’éditeur, Lux Éditeur, accordée le 18 juin 2009 pour Les classiques des sciences sociales.]

Quatrième de Couverture

Georges Orwell, qui a participé à la guerre civile espagnole en tant que combattant a écrit en 1942 ces quelques phrases qui annoncent presque mot pour mot le monde fictif de son célèbre roman, 1984, publié en 1949 :

« Je me rappelle avoir dit un jour à Arthur Koestler : "L’histoire s’est arrêtée en 1936", ce à quoi il a immédiatement acquiescé d’un hochement de tête. Nous pensions tous les deux au totalitarisme en général, mais plus particulièrement à la guerre civile espagnole. En Espagne, pour la première fois, j’ai vu des articles de journaux qui n’avaient aucun rapport avec les faits, ni même l’allure d’un mensonge ordinaire. J’ai lu des articles faisant état de grandes batailles alors qu’il n’y avait eu aucun combat et des silences complets lorsque des centaines d’hommes avaient été tués. J’ai vu des soldats qui avaient bravement combattu être dénoncés comme des lâches et des traîtres, et d’autres, qui n’avaient jamais tiré un coup de fusil, proclamés comme les héros de victoires imaginaires. Ce genre de choses me terrifie, parce qu’il me donne l’impression que la notion même de vérité objective est en train de disparaître de ce monde. À toutes fins utiles, le mensonge sera devenu vérité. L’aboutissement implicite de ce mode de pensée est un monde cauchemardesque dans lequel le Chef, ou quelque clique dirigeante, contrôle non seulement l’avenir, mais le passé. Si le Chef dit de tel événement qu’il ne s’est jamais produit, alors il ne s’est jamais produit. S’il dit que deux et deux font cinq alors deux et deux font cinq. Cette perspective m’effraie beaucoup plus que les bombes. »

Peu de gens savent que l’inspiration première de 1984 est la participation d’Orwell à la guerre civile espagnole et la terreur stalinienne qu’il y a découverte. La mise en évidence de ce lien constitue la trame de ce livre.

Louis Gill a été professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) de 1970 à 2001. Il a publié de nombreux écrits sur des questions économiques, politiques et sociales, dont Économie mondiale et impérialisme (1983), Les limites du partenariat (1989), Fondements et limites du capitalisme (1996), Trente ans d’écrits syndicaux (2002) et Le néolibéralisme (2002).

Introduction

1984 et La Ferme des animaux sont, il va sans dire, les écrits les plus connus de Georges Orwell. Beaucoup moins connu est son Hommage à la Catalogne, dont il a dit que c’était peut-être le meilleur livre qu’il ait écrit. Hommage à la Catalogne n’est pas un roman. C’est le récit de sa propre participation, en tant que combattant, à la guerre civile espagnole.

Orwell, de son vrai nom Eric Arthur Blair, s’est en effet joint en décembre 1936, à l’âge de 33 ans, aux dizaines de milliers d’hommes et de femmes venus de partout à travers le monde s’enrôler aux côtés des ouvriers et des paysans espagnols engagés dans une guerre à finir pour barrer la route au fascisme. Il s’en fallut de peu qu’il n’y laisse sa peau, une balle lui ayant traversé le cou à quelques millimètres de la carotide, le forçant à être démobilisé, six mois après son arrivée.

Venu en Espagne pour combattre le fascisme, Orwell y aura également fait la découverte, au cours de ces six mois sur le champ de bataille, d’un autre ennemi, aussi terrible que le premier, le stalinisme. Au-delà du récit des faits vécus au front dans le feu de l’action, Hommage à la Catalogne est aussi le témoignage de cette découverte. Fascisme et stalinisme se révèlent à lui comme les deux visages d’un même monstre, le totalitarisme, qu’il décrira de manière percutante dans 1984 et La Ferme des animaux. Orwell dira de sa participation à la guerre civile espagnole qu’elle a été l’expérience la plus importante de sa vie et qu’elle en influença par la suite tout le parcours :

Chaque ligne de travail sérieux depuis lors a été écrite, directement ou indirectement, contre le totalitarisme et en faveur du socialisme démocratique [...] dont le véritable objectif est la fraternité humaine. [EAL, IV, 513 et Orwell, 1997, XVIII, 318]


C’est bien malgré lui qu’Orwell a été précipité dans une lutte politique au sein de la guerre civile. Il s’était rendu en Espagne avec rien d’autre en tête que de se battre pour une cause qui lui tenait à coeur plus que toute autre et n’avait jamais soupçonné qu’il aurait pu y avoir d’autre préoccupation que celle d’une lutte commune axée sur le seul objectif de faire échec au fascisme.

Je ne me doutais pas de la nature de cette guerre. Si vous m’aviez demandé pourquoi je m’étais engagé dans les milices, je vous aurais répondu : « Pour combattre le fascisme », et si vous m’aviez demandé pourquoi je me battais, je vous aurais répondu : « Pour maintenir le respect de l’humain, [pour participer à la] défense de la civilisation contre l’explosion de la folie furieuse d’une armée de colonels [...] à la solde d’Hitler. » [HC, 235, 236]


Mais la brutale réalité du champ de bataille et de ce qui lui apparaissait au départ comme d’incompréhensibles affrontements entre orientations politiques inconciliables dans le camp antifranquiste l’amenèrent rapidement au constat suivant :

Il serait tout à fait impossible d’écrire sur la guerre d’Espagne en s’en tenant à un point de vue exclusivement militaire. Ce fut avant tout une guerre politique. Aucun de ses épisodes [...] n’est intelligible sans quelque connaissance de la lutte intestine des partis qui se poursuivait à l’arrière du front gouvernemental. [HC, 235]


Cette « guerre politique » qui se déroulait « à l’arrière du front gouvernemental » a été le lieu d’événements qui ont, en quelque sorte, marqué Orwell au fer chaud et qui ont eu sur lui et ses écrits une influence déterminante, de sorte que sa participation à la guerre civile espagnole doit à juste titre être considérée comme la première source d’inspiration de ses principaux romans, La Ferme des animaux et 1984.

Beaucoup de gens connaissent 1984 pour avoir lu le roman ou vu le film qui en a été fait. Peu savent que son inspiration première est la participation d’Orwell à la guerre civile espagnole et la terreur stalinienne qu’il y a découverte. D’innombrables écrits du type « Orwell a-t-il vu juste ? », se sont interrogés et continuent à s’interroger sur la pertinence de la construction utopique d’Orwell en tant que vision de l’avenir. Beaucoup moins nombreux sont les ouvrages qui portent sur les origines de 1984 et de La Ferme des animaux. Moins nombreux encore sont ceux qui accordent une quelconque importance à la participation d’Orwell à la guerre civile espagnole dans l’identification de ces origines. La mise en évidence de ce lien constitue la trame du présent essai.


*
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Ce livre comporte cinq chapitres. Le premier présente de manière succincte la réalité économique, politique et sociale et les faits marquants de l’histoire de l’Espagne du début du XXe siècle, jusqu’aux premiers mois de la guerre civile déclenchée en juillet 1936 par le soulèvement militaire à l’assaut de la République et du gouvernement démocratiquement élu. Le deuxième donne la parole à Orwell, combattant et témoin de cette guerre, à partir du récit qu’il donne de sa participation dans son livre Hommage à la Catalogne et des conclusions politiques qu’il en tire. Le troisième rend compte de la terreur dont l’Espagne de la guerre civile a été le théâtre, terreur stalinienne dirigée contre la révolution sociale qui avait lieu au sein de la guerre civile, et prolongement en ce pays de celle qui se déployait alors en Union soviétique avec les procès de Moscou, les grandes purges et les chasses à l’hérétique. Cette terreur, qui a visé Orwell personnellement et qui l’a profondément marqué, sera pour lui le point de départ d’une préoccupation qui le suivra jusqu’à la fin de ses jours. Le quatrième chapitre suit à la trace l’évolution de ses activités d’écrivain et de militant au cours des douze années qui s’écoulent de son retour d’Espagne jusqu’à sa mort prématurée à l’âge de quarante-six ans, en janvier 1950. Au centre de ces activités, l’indéfectible combat contre le totalitarisme, en défense des libertés fondamentales et en faveur du socialisme démocratique, et la rédaction de nombreux écrits où prennent forme les thèmes qui seront développés dans ses deux derniers romans. Parmi ces écrits, les critiques et recensions de livres, en particulier de fictions anticipatrices qui, sous une forme ou sous une autre, ont exercé une influence sur lui, sont l’objet du cinquième chapitre. Ce dernier chapitre se conclut sur une volonté de clarification de la spécificité du totalitarisme et sur les perspectives qui se dégagent de la pensée d’Orwell quant à l’avenir de l’humanité.

Table des matières

Quatrième de couverture

Note de l’éditeur

Index des noms et sigles d’organisations

Index onomastique

Index thématique

Introduction

Chapitre 1 – Quelques éléments d’histoire

— L’Espagne du début du 20e siècle
— 1931-1936 : de la proclamation de la République à la victoire du Front populaire
— L’insurrection militaire, soutenue par Hitler, Mussolini et le capital international
— L’aide soviétique aux forces républicaines et ses visées politiques

Chapitre 2 – Orwell, combattant et témoin de la guerre civile espagnole

— La révolution sociale au cœur de la guerre civile
— Le diktat soviétique : « Empêchez la révolution ou vous n’aurez pas d’armes » !
— Le soulèvement de mai 1937 à Barcelone…
— … la thèse stalinienne d’un complot fasciste

Chapitre 3 – L’Espagne de la guerre civile : théâtre de la terreur stalinienne

— Suppression du POUM, de ses dirigeants, militants et sympathisants
— Le bras du NKVD en Espagne : un tout-puissant appareil d’extermination
— L’Espagne sacrifiée pour sauver l’URSS, « pays du socialisme »
— Ériger le mensonge en vérité. Du passé effacer les traces
— Le « jardin d’enfants » espagnol des « missions spéciales » soviétiques

Chapitre 4 - Contre le totalitarisme, pour le socialisme démocratique

— Le contenu réel de l’« antifascisme »
— Gide et Malraux… : « compagnons de route » et frères ennemis
— Le socialisme démocratique : seul rempart à l’étouffement de la liberté de pensée
— Dans les démocraties : alerte à l’inquiétante assimilation de la mentalité totalitaire
— Avec Voltaire et Luxemburg, défendre Pound, Miller et Dali

Chapitre 5 – Vers La ferme des animaux et 1984

— Les fictions anticipatrices de London, Wells, Huxley et Zamiatine
— Les écrits de Koestler et de Souvarine
— Le totalitarisme inéluctable de Burnham et Rizzi
— La ferme des animaux et 1984
— La spécificité du totalitarisme : l’apport de Hannah Arendt
— La conclusion d’Orwell

Bibliographie


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