TEXTES SUR L'AUTONOMIE DES ANNEES 70

Les courants, les théoriciens, les actes...

TEXTES SUR L'AUTONOMIE DES ANNEES 70

Messagepar Paul Anton » Vendredi 30 Jan 2009 12:44

QUELQUES QUESTIONS SUR L'APPARITION DES "GROUPES AUTONOMES"
SUR LA REGION PARISIENNE


Le texte qui suit a été rédigé à partir de diverses discussions avec des camarades sur l'autonomie, principalement au cours d'une réunion faite autour d'un film sur la grève de la Roca le 3 décembre 1977 à Paris. Il s'agissait alors pour les camarades qui avaient organisé la réunion et ceux qui y étaient venus de réaliser entre eux un débat qu'il était devenu impossible d'avoir dans les A.G.G.A.P. (Assemblées Générales des Groupes Autonomes Parisiens) à Jussieu, sur la signification et les limites politiques du "mouvement des groupes autonomes" en France...

Les "groupes autonomes" qui se sont développés ces derniers mois sur la région parisienne ont été, par la vitesse déconcertante et l'aspect souvent spectaculaire de leur apparition, rapidement un point de mire de l'actualité et un sujet de préoccupation et d'inquiétude autant pour le pouvoir que pour l'opposition parlementaire et les organisations gauchistes, les uns comme les autres directement visés par ce mouvement. Or, on peut constater l'incapacité totale autant d'un côté que de l'autre à comprendre la signification d'un tel phénomène. En particulier, la facilité avec laquelle les organisations gauchistes ou néo-gauchistes, tel le journal Libération, assimilent le mouvement à des tendances fascisantes ou provocatrices (ce qui rappelle étrangement la façon du P.C. de traiter tout ce qui se trouve sur sa gauche) n'est qu'un indice supplémentaire de l'état de décomposition du gauchisme en France depuis 1968, et surtout depuis 1972. Qu'il crève ! répondent les autonomes qui semblent prêts à vouloir donner un coup décisif à ces groupes politiques avides de sièges à l'assemblée nationale, qui se réfugient maintenant dans une plateforme électorale commune. C'est donc bien avant tout sur un antigauchisme qui est devenu pour beaucoup viscéral, déclaré autant en paroles qu'en actes, que se retrouvent les autonomes : ras le bol des pratiques de noyautage systématique, ras le bol des manifs bien gentilles où il ne se passe rien, ras le bol du militantisme volontariste débile, prenons nos affaires en main nous-mêmes ! Mais enfin, il est clair que ces positions ne datent pas d'aujourd'hui, qu'on les retrouve dans un champ temporel et spatial plus vaste que celui des seuls "groupes autonomes" parisiens, même si elles ne sont défendues encore que par une très faible minorité : il suffit de signaler que sont apparus ces dernières années des groupes libertaires dans différents lieux de production ou de service (P.T.T., Bâtiment, Sochaux, Saint-Nazaire, B.N.P., etc.) qui mènent un travail politique qui a au moins le mérite de créer un lieu de débat et de regroupement des luttes en dehors des appareils syndicaux, même si leur impact reste très limité et surtout important en période de lutte, ou si certains ont tendance à vouloir un peu prématurément se donner comme objectif prioritaire la création d'un organisme qui, de ce fait, présente le danger de devenir un peu un nouvel appareil syndical "de gauche", bien qu'il n'en porte pas le même nom. On peut signaler aussi l'existence d'une multitude de groupes autonomes de quartier ou de ville, répartis un peu sur tout le territoire, et regroupés généralement autour d'une librairie parallèle, d'une association d'entraide, d'une revue ou même d'un simple bouquin. Ou encore, certains groupes plus ou moins informels sur des quartiers qui se sont retrouvés autour d'une "pratique de rupture" commune en dehors de tout appareil partidaire ou syndical, telles les occupations de maisons actuellement assez répandues ou les timides apparitions d'autoréductions, comme à Toulouse.

L'apparition de groupes autonomes parisiens n'est donc pas un fait isolé, nouveau en soi, mais un élément particulier d'un mouvement plus général de rupture avec les pratiques léninistes bien érodées qu'on envoie aux poubelles, même si c'en est l'élément le plus spectaculaire. Qu'y a-t-il donc de changé pour que ces groupes autonomes aient pu faire si soudainement leur apparition, révélant ainsi au grand jour une situation sous-jacente ? Il faut, pour répondre à cette question, se reporter à la manifestation contre la centrale nucléaire de Malville cet été (les 30 et 31 juillet 1977), qui a sans doute porté à son paroxysme la crise du gauchisme ou, du moins, qui en a marqué un tournant décisif : en appelant, en accord et collaboration totale avec les mouvements écologistes non-violents organisateurs, à une manifestation sur des mots d'ordre démagogiques et aberrants qu'ils n'étaient pas capables d'assumer (à savoir manifestation non-violente sur le site interdit, avec l'objectif d'atteindre la.centrale nucléaire), les organisations gauchistes étaient amenées à enfermer la manifestation dans leur schéma habituel : "provocateurs" devant, face aux flics, "bons manifestants" derrière, avec leurs service d'ordre pour assurer la séparation. Mais enfin, quoi de nouveau à ces pratiques bien connues qui consistent essentiellement à continuer de faire croire par des mots d'ordre démagogiques qu'ils continuent à être des révolutionnaires purs et durs afin de contrôler toute manifestation de rue, tout en refusant systématiquement l'affrontement violent avec le pouvoir pour ne surtout pas affoler la bourgeoisie, surtout en période électorale (sans doute, l'interdiction de la G.P. puis de la Ligue Communiste en 1972 ne sont pas non plus pour rien dans cette attitude générale). Il est donc bien clair que cette pratique des organisations gauchistes est connue depuis longtemps : il suffit de se rappeler les manifestations de lycéens en 1973, ou contre l'Espagne en 1975. Mais sans doute, pour la première fois, à Malville, ces organisations se sont heurtées, face à une violence peu commune de la part du pouvoir, à une détermination aussi forte de la part des manifestants à aller jusqu'au bout de leur refus du nucléaire, de cet horrible monstre Super-Phénix, noyau central de l'électro-fascisme, comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort. Ni l'interdiction de la préfecture, ni les deux jours vécus dans la boue et la pluie permanentes, ni la perspective de quelques coups échangés avec les flics n'étaient suffisants pour décourager les cinquante mille manifestants pour qui il n'était plus question de venir, comme les années précédentes au Larzac, passer un week-end de vacances sympa. Aussi, pour appliquer leur schéma habituel, les organisations gauchistes et écologistes ont dû avoir recours à des moyens qui ont fait éclater au grand jour leurs pratiques anti-démocratiques de magouille et de démagogie : noyautage systématique des débats la veille de la manifestation pour empêcher que le probetème de la violence soit posé ; magouille de dernière heure pour réunir les quatre manifestations en une seule afin d'éviter tout débordement et rendre le contrôle plus facile ; utilisation de tous les moyens (mégaphones, fausses informations sur ce qui se passait en tête de manifestation, cassages de gueule, opérations militaires de leurs services d'ordre) pour obliger les neuf-dixièmes de la manifestation qui ignorait totalement ce qui se passait en tête à rentrer chez eux et laisser les "provocateurs" se démerder avec les flics.

Aussi, il n'a pas fallu longtemps pour que l'écoeurement général né d'une manifestation où l'Erat avait fait preuve d'une violence considérable, ne devienne rupture et haine contre les organisations gauchistes : l'incapacité de celles-ci à répondre à la répression arbitraire qui a suivi la manifestation de Malville et ses répercutions n'a été qu'un élément supplémentaire qui a servi à regrouper tous les mécontents. Ainsi sont nés les groupes autonomes anti-nucléaires. principalement sur la Région parisienne.

Voici donc un élément important pour comprendre ce que sont les groupes autonomes, c'est-à-dire que la rupture avec le gauchisme a porté essentiellement sur les manifestations de rue : à la manifestation des organisations gauchistes canalisée par un service d'ordre militaire dans une simple balade où tout le monde défoule sa révolte momentanée en gueulant les mêmes slogans dictés par un mégaphone, les autonomes opposent des manifestations où chaque groupe de huit à dix personnes assure sa propre auto-défense (et c'est avant tout dans ce sens qu'ils parlent d'autonomie des groupes), avec des objectifs concrets (bombages, attaques de magasins, de garages, de banques, etc.). Ainsi, après Malville, les groupes autonomes interviennent essentiellement sur ce terrain de la manifestation de rue face aux gauchistes. Cependant, si cette forme de rupture peut présenter un intérêt certain de remise en cause d'une conception militariste de l'affrontement avec l'Etat, elle présente des inconvénients graves si elle en reste là.

D'une part, en manifestant avant tout pour se démarquer des gauchistes, les autonomes en viennent rapidement à limiter le milieu social par rapport auquel ils interviennent contre l'Etat aux seuls gauchistes. Comme le disait un camarade dans une discussion, ce qu'il y a de grave, c'est que finalement, en s'en limitant à cette seule remise en cause, les autonomes en viennent à reproduire ce que font les gauchistes en manifestant, même s'ils ont des méthodes radicalement différentes et si le degré d'affrontement avec l'Etat n'est pas le même : c'est-à-dire qu'ils ne manifestent que pour eux-mêmes ou pour les autres manifestants, ignorant totalement les luttes sociales dans le quartier ou la ville où ils interviennent. Un exemple caractéristique est l'intervention des autonomes dans le quatorzième arrondissement, au moment de l'expulsion des occupants de maisons par les flics, où la mise à sac par les autonomes du siège de l'organisme responsable du projet de rénovation du quartier court-circuite complètement un projet nettement plus intéressant d'habitants du quartier de pillage, redistribution et divulgation sur le quartier de tous les documents secrets de cet organisme d'Etat.

D'autre part, en se cristallisant totalement sur une méthode d'intervention, les autonomes en viennent souvent à accorder une importance plus limitée à leurs objectifs : ainsi lors de l'affaire de la R.A.F. en octobre, la lutte anti-nucléaire a été rapidement mise au rencart sans qu'il n'en soit plus jamais question dans les Assemblées Générales, à croire qu'ils sont à la recherche de prétextes, comme le disait une copine. Quoi d'étonnant alors, par exemple, que les groupes autonomes présents contre la répression internationale contre Klaus Croissant, ignorent totalement la répression quotidienne au moins aussi importante qui s'abat en ce moment sur les travailleurs immigrés ? On peut aussi se poser la question de savoir pourquoi il n'y a jamais eu de débat politique réel au sein des groupes autonomes sur la signification et la portée politique du cassage de vitrines, attaque de locaux, etc., dans le contexte social et politique actuel, sans vouloir remettre en cause ce type d'intervention qui peut avoir effectivement un intérêt dans une situation donnée, on peut quand même réclamer qu'un débat ait lieu là-dessus.

Enfin, ce qui est le plus grave, c'est que la remise en cause du gauchisme sur le seul terrain d'intervention qu'est la manifestation de rue, et plus précisément sur la façon de la réaliser, limite rapidement l'implantation des groupes autonomes à certains groupes sociaux radicalisés qui trouvent leur compte dans ce seul moyen d'expression politique : ainsi, on retrouve actuellement dans les Assemblées Générales des groupes autonomes principalement des individus ou groupes qui limitent leur intervention politique à la manifestation de rue (dans un sens général), conçue comme un affrontement direct et spectaculaire contre l'Etat et le capital et comme le prolongement satisfaisant d'une pratique quotidienne d'appropriation qui reste généralement très individuelle (fauche dans les magasins ; utilisation gratuite des transports, etc.). Sans vouloir se limiter à des schémas trop catégoriques, on peut opposer ce genre de pratiques à des tentatives d'organisation d'appropriation collective sur les quartiers (type squats, réappropriation de l'espace, etc.), de luttes autonomes dans les boîtes, ou encore de création de lieux de débat en liaisons des luttes sur les quartiers ou dans les boîtes. Ces deux types de pratiques, ces deux pôles de l'autonomie - comme l'a dit un camarade - sont en partie le reflet de deux couches sociales distinctes, à savoir d'une part les "sans-garantie- (chômeurs, étudiants, travailleurs occasionnels qui essaient de trouver des réponses à leur refus du travail, mais là encore d'une manière qui reste très individuelle) et, d'autre part, les travailleurs salariés permanents. Il serait évidemment gravement simplificateur d'assimiler les deux pôles de l'autonomie aux deux groupes précédemment cités : si les "sans-garantie", sans "point de force" sur lequel jouer pour s'opposer au capital (contrairement aux salariés permanents qui peuvent jouer sur leur travail) ont tendance à se retrancher dans des pratiques d'appropriation en dehors de la sphère de la production et qui sont souvent individuelles, ils sont souvent rejoints dans ce sens par toute une couche de salariés permanents présents dans les Assemblées Générales actuelles qui ne voient pas de possibilité d'intervention dans leur travail et qui sont même souvent isolés dans leurs relations de travail, par leur fonction dans le procès de production (postes de responsabilité) ou par la prédominance de certains rapports (rapports paternalistes dans les petites boîtes). Inversement, beaucoup de chômeurs ou travailleurs occasionnels, s'ils sont souvent contraints à des formes individuelles de refus du travail, ou simplement réduits à ne pas trouver de travail, se retrouvent dans le deuxième type de pratiques dans les quartiers par exemple (squatt, création de lieux de débats, etc.). Nous pouvons même dire que, contrairement à ce qui se passe en Italie par exemple, toutes les luttes d'appropriation collectives en dehors de la sphère de la production, sont menées par des "sans-garantie" et non par des groupes d'ouvriers ou autres salariés organisés dans les usines.

A ce stade le danger qui plane sur l'avenir des Assemblées Générales des groupes autonomes paraît clair : en s'en tenant à la seule organisation de manifestations d'affrontement direct contre l'Etat et le capital, l'Assemblée Générale finit par ne regrouper que les seuls groupes ou individus qui se retrouvent dans ce genre de pratiques. Ce n'est donc pas étonnant si, outre ceux qui sont organisés par groupes autonomes ayant une pratique commune et regroupés sur un quartier, sur une boîte ou simplement par affinités, l'Assemblée Générale se voit systématiquement confrontée à une série de provocateurs qui puent les indics et qui en appellent par des interventions systématiquement autoritaires, à l'action immédiate sans préparation, sans débat préalable et souvent sans perspective. L'Assemblée Générale devient un lieu où aucun débat n'est possible, où la magouille et la manipulation sont de règle, et où les décisions sont toujours prises à la hâte à la dernière heure : on a réussi de justesse à se donner un rendez-vous pour la prochaine manifestation ; on est un peu écoeuré de la façon dont s'est déroulée la manifestation, mais on achètera Libération tous les jours pour repérer le prochain appel à une Assemblée Générale (venu de qui veut bien se donner la peine d'aller à Libération !). Au-delà d'un mode de fonctionnement complètement délirant des Assemblées Générales, on peut se poser la question de l'intérêt même de la réalisation d'Assemblées Générales de groupes autonomes au niveau d'une ville comme Paris : un débat est-il possible dans de telles Assemblées Générales regroupant deux cents à mille personnes, sans que des manipulations par une minorité soient parfaitement inévitables ? Il est indéniable d'un autre côté qu'une structure de regroupement permet d'être un pôle cristallisateur important de tous ceux qui cherchent à s'organiser dans les quartiers et les boîtes, et un lieu de circulation de l'information. Alors ne vaudrait-il pas mieux envisager comme le font certains camarades une coordination de tous les groupes autonomes (de quartier, de boîte, ou simplement d'affinité) où seraient présents les seuls représentants révocables à tout moment, réservant à l'Assemblée Générale un seul caractère pour des interventions collectives immédiates, et donc plus exceptionnel. Encore faut-il que cette structure corresponde à un besoin réel, sans quoi elle ne deviendrait qu'un nouvel appareil.

Reste à savoir si d'autres perspectives peuvent se dessiner que la seule manifestation de rue, l'affrontement direct. Comme le disait un camarade, il y a dans chaque quartier, outre des patrons, des flics, des commerçants et autres parasites, des travailleurs qui vont travailler quarante heures par semaine à l'autre bout de l'agglomération parisienne, des jeunes qui refusent le travail, travaillent occasionnellement et fauchent par ailleurs pour satisfaire leurs besoins, des chômeurs, des travailleurs immigrés avec ou sans carte de travail, des femmes qui passent leurs journées à la maison, des lycéens en rupture avec l'école, des retraités, etc. Si l'on veut éviter une séparation décisive entre les différents pôles de l'autonomie, il faut que chacune de ces franges du prolétariat se retrouve dans la pratique des autres.

Quoi de plus clair que de voir à quel point en Italie le P.C.I. et les syndicats entretiennent à fond la coupure entre travailleurs fixes et "sans garantie" en faisant de la propagande dans les boîtes contre les mouvements du type du mouvement du printemps 1977. C'est justement qu'une recomposition du mouvement regroupant toutes les fractions du prolétariat pourrait être un coup décisif porté au capital et à l'Etat. Or, en Italie, contrairement à ce qui se passe en France, la plupart des luttes de réappropriations en dehors de la sphère de la production (occupations de maisons, autoréductions, luttes pour la gratuité des transports, etc.) sont parties de groupes organisés au départ dans les usines et dans les boîtes en général (comme aux usines Fiat à Turin pour les auto-réductions ; les "comités d'ouvriers contre la vie chère" à Milan, etc.',. Des liaisons avec les franges sociales du prolétariat sans garantie de salaire (chômeurs, travailleurs occasionnels) ont pu se réaliser dans plusieurs cas, comme récemment à Milan où la lutte pour la gratuité des transports a réuni les "comités ouvriers contre la vie chère" organisés dans les usines et les "cercles de jeunes chômeurs" organisés dans les quartiers. Or, là encore, il fallait à tout prix éviter le carcan de la mise en avant de la manifestation de rue, même d'affrontement direct, même organisée sur des bases d'autonomie et d'auto-défense et décidée en Assemblées Générales de ville, si la lutte devait s'en tenir là ; car, outre son caractère sélectif (cette mise en avant était là aussi faite avant tout par les "sans garantie"), elle ne pouvait aboutir que sur une simple victoire institutionnelle arrachée par un rapport de force qui s'exprime dans l'affrontement physique direct. Il fallait chercher d'autres formes de luttes dans lesquelles toutes les franges du prolétariat puissent se retrouver et qui puissent déboucher sur des formes d'organisations sociales offensives (détournement de la propagande de l'entreprise des transports à des fins opposées ; tentatives d'organisation de refus collectifs de paiement des transports).

Car enfin, si l'autonomie des individus et des groupes librement associés doit être le germe de la société future, la base du refus du pouvoir, de la délégation de pouvoirs et de toute forme de domination, elle ne peut se limiter à la seule autonomie d'affrontement physique et d'autodéfense. Elle devra se réaliser d'abord et avant tout au niveau de la définition de nos besoins, de ce que l'on produit, de la production et de la distribution. Refuser ce débat, c'est ouvrir la porte aux organisations gauchistes et léninistes de tout bord qui sont déjà et seront amenées tôt ou tard, pour trouvec.des solutions à leur crise, à parler d'autonomie, en y mettant le sens qui les arrange (voir ce qui s'est passé en Italie où la crise des groupes gauchistes est incontestablement plus avancée qu'en France : voir le premier texte de cette brochure), de la même façon que les trotskystes et les socio-démocrates (et bientôt le P.C.F. !) ont été amenés à parler d'autogestion, après que les libertaires aient lancé ce thème pensant lancer un mouvement social de masse à partir d'un mot... C'est peut-être un reste de léninisme dont il nous faut nous débarrasser définitivement !

S.T. Paris, décembre 1977.
Dernière édition par Paul Anton le Vendredi 30 Jan 2009 12:50, édité 3 fois.
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Messagepar Paul Anton » Vendredi 30 Jan 2009 12:45

AUTONOMIE, VIOLENCE ET POLITIQUE

Plutôt que les interventions et proclamations des "groupes autonomes" sur la violence, c'est l'intérêt suscité par ceux-ci qui doit lui-même attirer l'attention. Cet intérêt n'est pas dû uniquement à un phénomène de mode. S'intéresser à ce qui se passe chez les autonomes c'est aussi une façon de reconnaître la connivence définitive entre l'ordre social et les organisations de gauche ou gauchistes (partis, groupuscules, syndicats).

Le rôle de ces organisations dans la gestion étatique du capital, comme participant actuel, futur ou imaginaire - la place de l'opposition dans le système de la politique, son allégeance totale à la logique des médias -, un militantisme épuisé et qui tourne à vide : voilà ce qui est apparu de plus en plus net depuis 68. Dans les grèves sauvages, les occupations, Lip, les actions de quartier, les mouvements lycéens et étudiants - et celui de 76 en particulier qui a quand même produit avant de se résorber lui-même la totale déconfiture des groupes politiques et des syndicats dans l'Université, face aux inorganisés. C'est à travers tout cela qu'a pris corps le thème de l'autonomie ; et, en effet, ce n'est pas une nouveauté en 1977, puisque mis en avant depuis bien longtemps, sous une forme ou une autre, par divers mouvements et courants libertaires ou ultra-gauches.

A côté de la recherche d'un spectacle, la plupart des gens qui fréquentent, hors de tout objectif, organisationnel ou politique au sens strict, les assemblées des groupes autonomes, sont là pour retrouver un lieu d'échanges pour des expériences diverses que l'opposition "politique" est toujours prête à neutraliser ou à récupérer à son profit ; à un niveau d'expression qui soit autre chose que la caricature du discours du pouvoir.

D'autre part, cet intérêt a aussi son origine dans les éléments de radicalité qui ont marqué en Europe toute une série de mouvements sociaux (Portugal, Italie, Espagne) ou de courants de résistance au totalitarisme répressif et préventif des Etats. Dans leurs aspects les plus novateurs et les plus ouverts, ces divers mouvements à l'échelle internationale ont rencontré l'opposition la plus résolue des organismes d'opposition (en Espagne, en France, en Italie). L'intérêt pour les groupes autonomes se nourrit ainsi de l'attention au caractère a-national ou international de la résistance à l'ordre établi et aux formes diverses de sa reproduction.

En témoignent les grands et confus rassemblements de Malville, Barcelone, Bologne ; les préoccupations mondaines n'en étaient pas absentes, mais leur importance réside surtout dans les besoins d'échanges, d'analyses, de coordination, qui s'y sont intensifiés et subsistent en donnant naissance à d'autres projets. Ces projets sont loin de manifester une totale indépendance par rapport aux attitudes traditionnelles ou aux idées à la mode ; du moins correspondent-ils, au moins en partie, à des attentes et recherches communes qui, dans certains milieux, visent à s'affranchir des schémas centralistes et manipulateurs.

Il y a donc bien résurgence, même irrégulière et difficile à localiser, d'une exigence d'indépendance et d'autonomie dans les perspectives, dans les modes d'intervention, dans les terrains où peut s'affirmer la résistance. Est-ce que cette exigence rencontre dans les pratiques et les discours des "groupes autonomes" un niveau d'expression qui lui corresponde ? Ou bien un décalage manifeste, appelant une critique à la mesure des déceptions qui s'expriment de plus en plus nettement à leur propos ?

Toute une série d'exemples montrent que les pratiques mises en avant ou mises en actes par les groupes autonomes (de la région parisienne ou d'ailleurs, et par bien d'autres avant eux) relèvent du même schéma : opposer à une forme faible, passive, des comportements politiques traditionnels, une forme prétendûment dynamique et active des mêmes comportements, du même type d'intervention, sur le même terrain ; sans aucune remise en question réelle en dépit d'une prétention tapageuse, et avec une résistance remarquable aux attentes ou aux intentions de débat : celles-ci, dans les assemblées d'autonomes, sont régulièrement minées par la passivité découragée de la plupart, et surtout par les tirades hyper-politiques et les rodomontades de fier-à-bras de quelques uns. On peut voir également que seul, l'antigauchisme y sert de terrain d'accord et de reconnaissance mutuelle, lieu commun où se concentrent l'agressivité et la frustration, la dénonciation répétée des gauchistes tenant lieu finalement de toute réflexion collective.

LA "VICTOIRE" DE MALVILLE

Tout ce qui a été dit sur les événements de Malville du côté des autonomes revient pour l'essentiel à faire la distinction entre les organisateurs écolo-gauchistes du rassemblement, ennemis de la violence quand elle n'est pas "de masse" ou même de la violence tout court, et manipulant pourtant les manifestants de telle sorte que ceux-ci s'y sont trouvés livrés sans défense possible et, d'autre part, les éléments autonomes, soucieux d'assurer leur propre défense par leurs propres moyens et s'efforçant en outre d'apporter aux manifestants, supposés potentiellement prêts à tout, des perspectives "offensives", à la hauteur des objectifs et de l'importance du rassemblement.

Il valait pourtant la peine de réfléchir sur le caractère indéterminé et global des raisons qui faisaient venir là des gens de toutes parts ; personne n'a tenté d'énoncer ces raisons de façon "autonome" par rapport à l'objectif officiel et abstrait : atteindre le site et "l'occuper". On s'est contenté de mettre en cause l'inconséquence "criminelle" des organisateurs, la "fascisation" du pouvoir ou sa "militarisation", et la passivité des manifestants.

Or, il est très probable que la plupart de ceux-ci n'avaient que des idées vagues sur ce que signifie la construction des centrales nucléaires et des surgénérateurs, et plus vagues encore sur la nécessité et surtout la possibilité d'imposer par la force une occupation du site, un jour précis, face aux forces de l'ordre.

Ils avaient pourtant sûrement une motivation commune, assez puissante pour qu'ils se déplacent à travers la France et l'Europe et restent ensemble deux jours et nuits sous la pluie (1) : c'était peut-être pour prendre part à un acte d'affirmation, d'opposition collectives aux pratiques d'Etat, à un refus collectif de l'Etat lui-même ; non pas de tout Etat, tous n'étaient pas libertaires, mais de celui qu'ils connaissent directement et indirectement et auquel ils ont affaire ; de l'Etat comme force anonyme, autoritaire, omniprésente, militaire. Cet Etat, à Malville comme à Kalkar, était saisi sous la forme de l'Etat nucléaire/policier ; il allait bientôt pouvoir être appréhendé sous celle du terrorisme de l'Etat antiterroriste en Allemagne. Et c'est sur cette base commune d'opposition qu'il importait de trouver des formes de rencontre, d'expression, d'intervention qui y correspondent, aussi difficile que cela soit.

Or, apparemment, les débats de Malville et d'après Malville ont surtout porté sur le maintien de l'objectif et sur la violence ; à l'exception de certaines lettres dans Libération et de certains textes d'I.R.L, ils n'ont pas réussi à dépasser le niveau des formules pompeuses et vides, du genre : « se donner les moyens... », « mener une action "offensive"... », « un niveau d'affrontement à la hauteur des objectifs » (3). Et ni les blessés ni le mort de Malville n'ont permis de sortir de la fausse alternative violence/non violence.

Fausse alternative : pas seulement parce que, comme le disent les autonomes, la violence est déjà là dans le rapport, imposé par l'Etat, à la ville, au logement, au travail, rapport qui engendre inévitablement des formes de résistance en particulier violentes ; ce qui est incontestable. Mais fausse alternative dans le cas précis de Malville (et les autres cas semblables, manifs, etc.). Parce que là, les moyens de la violence sont et restent d'un seul côté, celui du pouvoir ; parce que recommander aux manifestants, comme le faisaient certains, d'apporter masques, casques, mouchoirs, bâtons et cocktails, cela ne peut être que dérisoire et mystificateur, face à des forces armées, et pas seulement de grenades offensives.

Malville et la mort de Vital Michalon ont, bien entendu, montré que le pouvoir, non pas se "militarisait" comme on l'a dit, mais était bel et bien prêt à utiliser ses forces militaires et s'y était soigneusement préparé : on le savait, et le déroulement du rassemblement de Kalkar en a fait la démonstration supplémentaire. Mais les clameurs d'indignation qui ont suivi ont aussi révélé quelque chose qui était pourtant visible depuis 68 : que les manifestants "offensifs" attendent du pouvoir qu'il respecte une convention tacite, celle de ne pas faire usage des armes qu'il possède et qu'il déploie, qu'il en reste au niveau de la démonstration. Et quand il tire (le premier, évidemment, étant le seul à être vraiment armé), on dit qu'il se militarise. Ceux qui appellent à un affrontement n'évoquent jamais le cas où les forces de l'ordre, acculées, sortiraient leurs armes, ni les moyens de faire face : et pour cause.

Pourquoi ce silence, pourquoi cette illusion ou cette croyance en une convention imaginaire ? Sinon pour pouvoir continuer à présenter comme un combat réel (que les non-violents "refusent" alors que les autres font semblant de l'assumer, comme s'il y avait le choix) un type d'affrontement essentiellement ostentatoire, politique et aliéné - que l'Etat seul peut transformer en combat réel à son avantage. Et tout cela, aujourd'hui, sous le signe de "l'Autonomie" !

Rien d'étonnant donc à ce que Malville, loin d'être une occasion de clarifier les choses, en ait encouragé beaucoup dans les mêmes attitudes stériles et les mêmes mystifications (4). Il y a eu cependant des tentatives pour jeter sur tout cela un autre regard, plus "autonome" (5).

L'INSTITUTION "MANIF"

Ainsi, certains ont compris que le rassemblement de Malville, du fait des "offensifs" comme des non-violents, s'est laissé ramener finalement au scénario familier de la manifestation de masse parisienne : un cortège massif et passif se fait promener d'un point à un autre, sur un parcours plus ou moins connu d'avance, et doublé par de petits groupes qui font un peu de casse, harcèlent un peu les flics et se dispersent évidemment quand ceux-ci interviennent pour de bon (6). Exactement le schéma qui s'est retrouvé dans la manifestation pour K. Croissant.
Celle-ci, comme toutes les autres, était dès le départ enfermée dans le dilemme : manif digne et "sans bavures", promenade familière / manif résolue, "offensive", obligeant enfin (!) le pouvoir à se montrer sous son vrai jour.

Et même chez les autonomes, certains ont finalement réagi à cette alternative illusoire et récusé la "violence spectacle", la "violence démonstration", son caractère "réactif" par rapport aux gauchistes, et la manipulation des manifestants par les "offensifs" eux-mêmes (7). Mais il faut en arriver à se demander ce que sont les manifs aujourd'hui.

Bien entendu, on y retrouve, comme à Malville, des gens très différents, et pour une part dans le même acte d'opposition globale à l'Etat. Il n'empêche que les manifs font maintenant partie des actes majeurs du fonctionnement politique normal (à côté des élections, des meetings, des débats télévisés, etc.). Dans leur déroulement, dans leur parcours, dans leur inscription dans l'espace urbain (bousculés en 68, mais bien rétablis depuis), les manifs sont devenues une forme politique traditionnelle, intégrée, prévisible jusque dans ses "débordements" ; c'est une seule et même forme qui s'accomplit dans ses deux composantes "d'ordre" et de "désordre", de "service d'ordre" et de "casseurs". Et surtout, les manifs sont dans leur déroulement ordinaire passif/offensif complètement déconnectées du milieu socio-urbain où elles prennent place, dans une séparation ou même une opposition à peu près totale par rapport à lui. Cela n'a plus rien à voir avec la forme originaire des manifs, expression collective spontanée surgie sur un terrain qui la soutenait de bout en bout et lui donnait son sens.

Cela veut dire qu'aujourd'hui les manifestants ne manifestent plus que pour eux-mêmes et pour le pouvoir, c'est-à-dire pour les médias : en plein narcissisme politique. Dans les manifs, la gauche regarde le pouvoir et les gauchistes regardent la gauche, l'un et l'autre installent leur service d'ordre et manifestent "dans le calme" à l'intention d'un public absent ; et les "autonomes", à leur tour, manifestent dans l'offensive à l'intention des gauchistes, au même moment, au même lieu, dans le même cadre, à quelques différences près dans l'uniforme. Le système manif est maintenant tout à fait au point, dans ses deux versions : sans incidents et avec incidents (ce sont les seules données, avec le nombre de manifestants, sur lesquelles les médias "informent").

A-t-on remarqué que dans les manifs "de masse", par exemple celles du 1er mai ou de la gauche en général, les banderolles des syndicats, entreprises, sections de partis, etc., sont si nombreuses et rapprochées qu'elles ne peuvent de toutes façons être lues par personne et n'ont d'usage que pour ceux qui les portent, comme les slogans n'en ont que pour ceux qui les crient (selon la loi du mégaphone) ?

S'il y a encore du monde dans les manifs, ce n'est pas tellement parce que survit l'espoir qu'il s'y "passe quelque chose" ou que le sens en soit différent des précédentes ; c'est plutôt parce que la rue pour les manifs reste, avec la Mutualité pour les meetings et l'Université pour les A.G., l'un des quelques espaces banalisés, aménagés ou abandonnés par le pouvoir, afin que puissent s'y rassembler de façon contrôlable ceux à qui il ôte par ailleurs toute possibilité de se constituer eux-mêmes un cadre d'action commune.

Voilà ce que ne comprennent pas les "offensifs" (militants, étudiants, marginaux) qui croient choisir ces espaces d'intervention alors qu'ils n'y sont que relégués.

Ce qui ôte aux manifs toute capacité de signification "autonome", c'est qu'il ne s'y concrétise pas une relation réelle entre une collectivité agissante et le milieu auquel elle s'adresse et qui réagit à cet appel (comme dans les manifs de 68 à Prague).

Ni les autonomes, ni les gauchistes, dans leur identique dépendance à l'égard des formes politiques intégrées, ne sont en mesure d'en transformer la nature. Déjà les autonomes, retombant dans les attitudes de ceux qu'ils critiquent tant, se félicitent d'avoir été là, d'avoir pu crier "leurs" slogans, d'avoir été "présents", c'est-à-dire vus, repérés, commentés par leurs adversaires et par les médias (8). Et leurs justifications théoriques présentées comme des débats de fond se réduisent à peu près toutes à un seul et unique argument, irréfutable en soi : l'inutilité des manifs traîne-savates. Mais l'inutilité des manifs traîne-savates ne prouve pas moindrement l'utilité des manifs "avec incidents", des harcèlements ou des dégradations sans portée.

Pour éviter tout malentendu : prendre acte de certains actes violents comme significatifs d'un niveau de désintégration de l'ordre établi, c'est une chose. Théoriser ces actes et les recommander en les élevant au rang de conduites porteuses de capacités merveilleuses de subversion globale et généralisée (comme le fait le discours des autonomes), c'est tout autre chose (9). En les identifiant au "Mouvement Révolutionnaire", on aboutit en réalité à faire de ces actions un critère pour distinguer ceux qui sont du côté de l'ordre et ceux qui sont contre.

LE "CAMARADE BAADER"

Dans les positions des autonomes sur les actions du type N.A.P.A.P., R.A.F. ou Brigades Rouges, on note en effet deux soucis majeurs : bien marquer que les groupes ou les individus qui les pratiquent sont des "révolutionnaires authentiques", des "camarades" (10), et souligner que ces actions prennent bien place dans "Le" Mouvement, même si l'on croit bon d'évoquer ensuite quelques considérations critiques (11).

Mais revendiquer la qualité de "révolutionnaire" pour d'autres n'a pas beaucoup plus de sens que quand on le fait pour soi-même. Evidemment, c'est encore une façon de prendre le contrepied des organisations gauchistes-léninistes, qui n'acceptent la violence que dûment contrôlée par "le parti authentique de la classe ouvrière", c'est-à-dire par elles-mêmes ; mais on est habitué à voir les groupes d'extrême-gauche se disputer cette qualité et se taxer réciproquement de contre-révolutionnaires ; ces revendications et ces anathèmes ne présentent aucun intérêt. Il est donc remarquable que de soi-disant autonomes, y compris des libertaires, croient marquer une rupture en retrouvant les attitudes familières des politicards d'extrême-gauche. Et cela n'aide en rien à comprendre la nature des actes de la R.A.F.

C'est un fait qu'il n'y a pas eu en France sur ce sujet un débat comparable à celui qui s'est développé en Allemagne, malgré le climat d'hostilité organisée (articles, recueils, tracts,comme ceux des Mescaleros de Gittingen). Raison de plus pour prêter attention aux analyses qui ont pu être faites ici. Elles ont mis en avant essentiellement deux thèmes :
1. Même si l'on accepte de distinguer entre ces diverses actions (ordinateur militaire, Schleyer, otages de Mogadiscio), on souligne avant tout que l'isolement et la militarisation des gens de la R.A.F. est due en dernier ressort à la démission des révolutionnaires (12). Cette position qu'on rencontrait déjà à propos des actions des G.A.R.I. (cf. la Lanterne noire n° 3) revient à dire : si nous sommes ou s'ils sont seuls, ce n'est pas à cause du type d'action qu'ils choisissent, c'est parce que les autres ne les suivent pas, ce sont les autres qui sont responsables. Au lieu d'analyser la nature de ces actions, on dénonce... (ce que peut être un révolutionnaire qui démissionne, le comprenne qui pourra!)
2. Et si certains révolutionnaires (R.A.F., N.A.P.A.P.) sont retombés dans les schémas du vieux mouvement (bras armé, noyau du futur parti) et se sont retrouvés seuls, les conditions d'aujourd'hui sont différentes, elles attestent que « le Mouvement est prêt et capable, sans attendre la permission des gôchistes, de défendre ses besoins en assumant massivement un haut niveau d'affrontement avec l'Etat... de façon que dans son ensemble il puisse se reconnaître dans chaque action violente menée par de petits groupes. » (13)
Mais la force et l'étendue du Mouvement donne-t-elle une garantie de ne pas retomber dans le face-à-face avec l'Etat ? La réponse est non :
« Le mouvement (c'est-à-dire les luttes populaires et ouvrières, les dynamiques organisationnelles qu'elles suscitent) existe, il a ses échéances (?) et ses points de force [...] Seul un rapport politique établi entre les structures militaires et le mouvement lui-même doit permettre d'accorder les échéances de ses composantes (?) sur le terrain de la violence. C'est le rapport avec les besoins exprimés par les différents secteurs de lutte qui doit permettre d'éviter l'émergence de structures politico-militaires clandestines et isolées sur leur propre pratique. Les étudiants, les jeunes, les chômeurs, les femmes, les ouvriers, les immigrés ont à affronter tous les jours une série de violences [...] et ce n'est pas l'appel à un bras armé qui leur permettra d'affronter ce terrain dans la fac, dans l'usine, dans la société.
« Nous ne sous-estimons pas les difficultés que ce genre de problèmes pose et continue de poser aux instances politiques (?) de l'autonomie ouvrière et prolétaire. La question du contrôle politique absolu (?) des instances de luttes sur le degré de violence qu'elles doivent déployer pour se défendre et pour consolider leur acquis, ne peut être résolue et posée en termes non-terroristes que dans la mesure où elle surgit chez les militants impliqués directement et politiquement dans les luttes. La garantie est là.» (Camarades, n° 4-5, p. 29).

Ainsi, le militantisme et le militant rencontrent-ils, avec cette perspective de contrôle politique absolu... sur la violence, une nouvelle jeunesse. S'il s'agit de dire que les gens qui luttent sont les mieux placés pour savoir si leur résistance doit prendre une forme violente et laquelle, on ne peut qu'être d'accord et appeler cela : l'autonomie.

Mais ce galimatias inquiétant, développé à propos des actions type R.A.F. et N.A.P.A.P., évoquant le rapport politique entre les structures militaires et le mouvement, contourne soigneusement la question principale : en quoi ces actions violentes indiquent-elles aux militants ou aux non-militants le lieu et la forme d'une intervention réelle, susceptible d'extension, d'échos, de conséquences, "autonome" et capable de transformer dans le sens d'une plus grande autonomie leurs rapports de forces qui les oppriment plus ou moins violemment ?

C'est la question que se sont posée en Allemagne et ailleurs ceux qui, secoués par les affaires Lorenz, Buback, Schleyer, Mogadiscio, Stammheim, etc., se sont interrogés sur la nature de ces actions et la continuité qu'il y avait entre elles, historiquement et théoriquement.

Ce qui les a conduits a percevoir, en particulier dans la prise d'otages de Mogadiscio, Stammheim, etc., se sont interrogés sur la nature de ces actions et la continuité qu'il y avait entre elles, historiquement et théoriquement.

Ce qui les a conduits à percevoir, en particulier dans la prise d'otages de Mogadiscio, une violence symétrique à celle de l'Etat et de même nature qu'elle : celle qui s'empare d'individus dépossédés de leur responsabilité sociale et politique, et qui, au nom de la responsabilité qu'ils auraient dû prendre mais sans leur donner aucun moyen de se la réapproprier, traite ces individus exactement comme le pouvoir le fait : en objets, en instruments pour obtenir un recul ponctuel de celui-ci (14).

Plutôt que de s'engager à leur tour dans ce débat, les autonomes ont trouvé plus urgent de crier : « Oui, Baader était un camarade » et de s'en prendre à Libération.

LIBERATION, ENJEU POLITIQUE?

A en croire les autonomes (cf. par exemple Front Libertaire n° 77), l'occupation de Libération aurait manifesté sous un autre aspect l'irruption de l'Autonomie dans la vie politique antipolitique. Libé, July s'étaient mal conduits à propos de Stammheim et envers les autonomes, la mesure était comble.

De notoriété publique, Libé s'était mis en place sur le marché de la presse avec le soutien militant et financier non seulement des lecteurs habitués mais de collaborateurs qui souhaitaient contribuer à un travail d'information tout différent des pratiques de la presse bourgeoise (voir l'expérience des A.P.L.). Libé s'était donc installé sur le terrain de l'information en un lieu situé à la croisée du politique, du social, du militantisme d'extrême-gauche et de l'anti-militantisme, du vécu quotidien, de la culture et de la mode radicales. Cette fonction nouvelle, Libé l'a occupée de façon également spécifique, sans les ressources habituelles des organes de presse, et sur la base d'un rapport plus ou moins mystique entre le journal, ses collaborateurs et ses lecteurs. L'institution une fois en place, elle ne pouvait plus que se plier aux exigences d'un fonctionnement "professionnel", ce qui fut le grand tournant de Libé, le consacrant comme quotidien à côté des autres, sinon comme les autres. Ce développement n'avait pas manqué de susciter des frustrations, des déceptions, des rancœurs, tant chez certains collaborateurs qui s'y étaient retrouvés en position subalterne que chez pas mal d'usagers. Chez tous ceux qui s'étaient, à un moment ou l'autre, heurtés aux "structures" du journal (direction, hiérarchie, division fixe du travail, spécialisation, impératif de production). La chose était entendue pour beaucoup.

De sorte que les responsables de Libé auraient dû être agréablement surpris, somme toute, de voir que certains lecteurs (les autonomes) prenaient encore le journal au mot, en quelque sorte, et le situait de façon avant tout politique, par rapport au "Mouvement" (même si c'était pour en dénoncer la "trahison", la collusion réformiste, etc.). Mais si tout journal vit de la naïveté d'une partie de ses lecteurs, celle-ci n'est pas éternelle, ce sont les risques du métier : ceux qui se veulent justement des professionnels n'ont évidemment pas à s'en plaindre.

Il est donc établi que pour ses lecteurs, Libé n'est qu'un instrument (et un objet de consommation) éventuellement utilisable dans des limites bien fixées, et pour une frange du milieu radical ou contestataire ; tout y peut trouver un écho (gauchisme, marginalité, luttes sociales, élections, Programme commun et même l'autonomie), mais un écho teinté du ton "Libé". En outre, le hasard, la mode, et aussi les préoccupations de certains collaborateurs, permettent parfois d'y trouver, à côté d'informations d'intérêt local, l'expression de problèmes importants: les dissidents, la Chine, par exemple.

Mais le rapport réciproque d'exploitation et de consommation entre Libé et ses lecteurs n'est plus modifiable. S'il a été possible de clarifier dans une faible mesure les problèmes que cela pose avec les gens de Libé, ce n'est pas grâce aux autonomes. Libé n'est pas ou n'est plus un enjeu politique, et c'est indépendamment de lui que se pose le problème d'une forme différente, autonome, d'expression, d'information, de communication. Les occupants de Libé ont dû finalement le constater, mais semble-t-il sans prendre conscience de leur propre dépendance à l'égard de ce journal, ni des médias en général. Pas plus qu'en interpellant Libé sur la façon dont avaient été présentés Stammheim et la R.A.F., ils ne s'étaient interrogés sur la nature des actions ou entreprises qui dépendent à ce point de la présentation qui en est donnée (et qui sont donc le contraire de l'autonomie). C'est pourquoi les professionnels de Libé ricanaient devant ces occupants qui leur faisaient une pub inattendue en les invectivant au nom des intérêts du "Mouvement" ! Quel mouvement ?

ATTENTION ! MOUVEMENT !

L'occupation de Libé s'était présentée comme « la première action du mouvement qui s'est constitué ces derniers jours » (Libé, 25.10.77). Toutes les déclarations et textes des assemblées et des groupes autonomes sans exception font d'abondantes références au "Mouvement Autonome" (deux majuscules). S'il est nommé, c'est bien qu'il existe, non ?

En quantité, à un niveau massif : « l'autonomie parisienne, c'est certainement aujourd'hui plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de personnes » (Front Libertaire, nov. 77). En nature : les actions des «chômeurs, étudiants, jeunes, femmes, ouvriers, immigrés », anti-nucléaires, squatters, etc. En théorie : la constitution ou "recomposition" d'un « nouveau sujet politique de classe », « l'ouvrier-masse », voir définition ci-dessus (cf. Camarades. N° 61.

On est évidemment d'accord que de telles luttes existent et que ces mouvements, qui connaissent un développement réel bien qu'irrégulier, soulignent à un moment donné les aspects les plus invivables d'une société invivable, ceux où l'intervention est la plus nécessaire pour ceux qui peuvent y être directement présents.

Mais qu'est-ce que cela apporte de faire dans l'abstrait l'addition de ces diverses luttes et de les appeler "le Mouvement" ? Est-ce pour faire comme les Allemands et surtout les italiens ? Mais on sait que dans ces trois pays les conditions sont encore différentes et qu'ici, pour le moment, les luttes restent séparées ; « les étudiants, les femmes, les immigrés » se rencontrent peu et ne font rien ensemble, ils n'interviennent pas de la même façon en tant que groupe. Pour que ces clivages et ces oppositions soient mis en question pratiquement. il faut évidemment que les luttes se développent et s'étendent au point que leurs objectifs différents, leurs langages étanches, en viennent à se rencontrer et à se transformer, dans une direction commune. Ce qui s'amorce en partie dans les rassemblements comme Malville. Mais comme tel, ce mouvement unitaire n'existe pas encore ici, pas plus que l'autonomie n'est d'ores et déjà la marque incontestable des luttes des ouvriers, des immigrés, etc., des étudiants ou des femmes.

Ni l'incantation au Mouvement Autonome, ni la théorie de l'ouvrier-masse (qui auto-réduit, fraude, fauche, occupe, etc.) ne peuvent se substituer à ce mouvement unitaire ni le susciter : bien au contraire. Les mouvements de ce genre qui ont existé historiquement (ou les mouvements révolutionnaires) ont toujours rencontré un obstacle dans les représentations et appellations qui étaient en décalage par rapport au niveau qu'ils avaient réellement atteint. Car elles masquaient en les mystifiant les limites réelles qui subsistaient.

Faire la théorie d'un Mouvement Autonome qui n'existe pas pour qu'il existe, en le présentant comme déjà là, c'est se condamner à développer un discours qui présentera, qu'on le veuille ou non, tous les travers de l'idéologie : abstractions, évitement des confrontations, à la limite refus bavard de tout discours comme politique... comme on le voit dans le fonctionnement inénarrable des A.G. d'autonomes. Ou dans les analyses imposantes où le Capital apparaît aux prises avec une autre entité à sa hauteur : "Le Mouvement".

En tant que mythe d'extrême-gauche, le Mouvement Autonome n'a rien d'autonome. Il reproduit et renforce la dépendance à l'égard des schémas traditionnels, des slogans vides, des médias, de l'idéologie. L'autonomie est en revanche un objectif pour tous ceux qui veulent le développement de pratiques collectives non manipulées, affranchies de la tutelle d'organisations autoritaires ; c'est un caractère qui peut marquer ces pratiques dans leur objet, leur terrain, leur forme, leurs relations mutuelles. L'autonomie ne peut donc être une formule, un "mot d'ordre", une référence rituelle. Dans les luttes qui existent, il s'agit, pour ceux qui y participent, de montrer ce qui est autonome - et ce qui ne l'est pas. Si la réflexion accompagne l'expérience, celle-ci peut alors éviter d'être détournée, utilisée, récupérée.

C.O., Janvier 78.

1.« Je suis allé à Malville pour le plaisir d'être avec celle que j'aime, pour la désobéissance, pour la révolte quotidienne. » Informations rassemblées à Lyon (I.R.L), n° 16, p. 11
2.Ci I.R.L. p 14, ou Libération. 21.9. "Les autonomes après Malville", où on attribue à cinquante mille manifestants l'objectif "politique" d'atteindre le site, et à "beaucoup" une volonté d'affrontement ; tout en refusant l'idée que ces affrontements puissent servir le pouvoir, ce texte constate ensuite que « l'Etat cherche à entrainer le mouvement à un rythme de violence où il est sûr de gagner pour le moment ( ..) » Logique autonome !
3.Ibid.
4.Camarades. n° 6: « Malville a recomposé brutalement (!) tous ceux qui étaient partis à la dérive depuis 72..
5.Cf. I.R.L. n° 16.
6.Cf. la description de JMLL dans Libé. 24.11.
7.Cf. le texte (Libé. 21.11.77) intitulé : "Des espaces infinis s'ouvrent à l'autonomie"
8.Libé. 21.11., déclaration de EA.G.P.A.: Nous avons tenu à affirmer une présence politique dans la riposte à l'extradition de K Croissant..
9.Cf. supplément pirate du Monde diplomatique, nov. 77: "La gauche et l'extrême-gauche française face à la Bande à Baader".
10.Cf. les slogans de la manif Croissant, "Lutte armée et autonomie ouvrière", Camarades 4-5 et Front libertaire. nov. 77: "Les militants de la R.A.F. sont des révolutionnaires à part entière (?) envers lesquels il est nécessaire de développer une solidarité effective."
11.« L'émergence de la violence est un fait du mouvement Camarades, 4-5. »
12.Front libertaire, nov. 77, p 9. L'injure Sociale pour sa part est encore plus expéditive: "Le problème n'est pas de voir où est le positif et ou est le négatif dans les actes de la R.A.F. et ses résultats (...) Des débris de vieilles théories léninistes et tiers-mondistes est née une étincelle de révolte et de refus (...) Leur théorie bâtarde n'a aucun intérêt. N° 4-5. 15.
13.Camarades. n° 6, p. 9.
14.W. Cf. par exemple Pflusterstrand n. 17, oct. 77 ("Fragmente aus unsere Kopfen". Cf es tracts n°1 (Buback ein Nachrur) er 3 (Schleyer. kein Nachruf ) des Mescaleros de Gottingen.
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Messagepar Paul Anton » Vendredi 30 Jan 2009 12:54

LA SITUATION ITALIENNE APRES
LE MOUVEMENT DU PRINTEMPS 1977


1. LA REPRISE D'AUTOMNE

Les premières échéances de septembre nous donnent déjà un cadre assez précis du comportement ouvrier actuel : le nombre de ceux qui sont descendus dans la rue lors de la grève syndicale du 9 septembre (1) est resté limité, la masse des travailleurs s'est mise en grève sans enthousiasme, sans objectifs clairs, tant il est vrai que pour la faire, le syndicat a dû l'associer à des conflits internes à l'entreprise.

Dans cette situation, le but du syndicat, et surtout du P.C.I. a été précis, à savoir : garantir que ne se manifeste aucune dissension à la ligne du pacte social, et pour l'obtenir, il a donné toute liberté à son service d'ordre pour matraquer les ouvriers qui ont voulu manifester leur désaccord.

Pour nous, il serait sans intérêt d'en rester là, à mener une polémique contre le P.C.I. qui n'a fait que radicaliser sa pratique normale de répression des luttes ouvrières autonomes et il nous paraît pas important, comme pour la D.P. (Democrazia Proletaria) (2) de démontrer la prétention du P.C.I. de faire fonctionner le syndicat comme courroie de transmission. Nous pensons au contraire que les ouvriers doivent continuer le débat sur la situation concrète, sur la lutte contre la restructuration, pour la garantie du salaire, contre les licenciements, et éviter de se faire entraîner dans la polémique sur la "violence", où, par "violence", les réformistes entendent les tentatives d'opposition au pacte social que tous les partis ont signé, et non l'exploitation patronale et les mesures anti-ouvrières du gouvernement.

Nous croyons en fait que l'opposition ouvrière ne peut pas s'accroître dans un meeting tel que celui du 9 septembre, mais qu'elle doit s'organiser dans les usines et donc, qu'un débat doit se développer entre ouvriers et prolétaires qui débouche sur une action précise en réponse à la situation actuelle.

Il en faut peu pour que rendre compte de la gravité de l'attaque anri-ouvrière sur tous les fronts, des licenciements, du blocage de l'emploi, de l'aggravation des conditions de vie et de travail que nous subissons.

Le dernier exemple est la loi sur le pré-emploi qui finance les patrons avec de l'argent prélevé sur les salaires par de nouveaux impôts, et qui détruit tous les droits et les garanties qui avaient été conquises, en légalisant le travail au noir et la surexploitation (le refus de cette loi par la Confindustria (3) et la nécessité, de ce fait, pour le gouvernement d'accepter des conditions encore plus avantageuses pour les industriels, démontrent qu'il est impossible d'utiliser la loi dans l'intérêt de l'ouvrier).

Il est encore plus clair qu'aucun des partis ni des syndicats ne s'oppose à ce projet, tous sont d'accord pour reconnaître que le premier problème est de sauver l'économie nationale, qu'il faut répartir équitablement les sacrifices, etc. (par exemple, en éliminant les sept jours fériés de façon à ce que les ouvriers se sacrifient et travaillent plus, et que les patrons se sacrifient en exploitant plus, ou encore, comme l'a dit Lama (4) le 9 septembre, en assurant la pleine mobilité pour garantir l'emploi, comme si la pleine mobilité n'était pas un moyen de réduire les besoins en main-d'oeuvre et donc de permettre de nouveaux licenciements).

Le problème qui se pose alors est celui d'avoir un projet et une alternative d'organisation à celles d'aujourd'hui. Mais, là aussi, sur cette question des alternatives, de l'opposition ouvrière, nous devons commencer par mettre les choses au clair. Pour beaucoup d'ouvriers, le problème est de rendre le syndicat plus combatif, et même d'avoir un nouveau parti à la place des vieux partis qui ont "trahi".

Selon nous, c'est une réponse erronée à une exigence réelle : les partis et les syndicats jouent leur rôle d'organisateurs des travailleurs, non pour opposer leurs intérêts de classe aux patrons, mais pour vendre à meilleur prix leur force de travail sur le marché capitaliste. C'est pourquoi, quand le système productif est en expansion, sous la pression des luttes ouvrières, les bureaucraties syndicales et politiques prennent des mesures à cet effet, moyennant quoi s'instaure toute une série de centres de pouvoir. Mais quand il est nécessaire pour le capitalisme de se restructurer, quand les luttes ouvrières s'opposent avec détermination à cette nécessité, il se forme un bloc conservateur qui unit au contraire les patrons aux réformistes.

D'autre part, à y voir de plus près, on s'aperçoit que le P.C.I. n'est pas seulement une organisation bureaucratique et hiérarchique qui met un frein aux luttes, mais qu'il gère aussi directement le pouvoir économique, que ce soit au niveau national (mouvement des coopératives, banques, et même dans l'industrie elle-même), ou que ce soit au niveau international où il a la fonction de médiateur entre le capitalisme italien et les pays de l'Est et de l'Afrique, placés sous l'hégémonie soviétique. De plus, le capitalisme italien, grâce à l'énorme expansion de l'intervention de l'Etat, a développé et rallié à lui une grande masse d'intellectuels, techniciens, couches moyennes, parmi lesquelles le réformisme s'est répandu et des intérêts desquelles il doit tenir compte.

En définitive, l'expérience démontre que les représentants du monde du travail extérieurs ne Peuvent défendre nos propres intérêts. Quand nous parlons donc d'alternative, nous nous référons clairement à notre action directe, à l'organisation que nous nous donnons, au pouvoir que nous savons prendre concrètement.

Aujourd'hui, il s'agit pour nous d'avancer sur la voie ouverte par des années de lutte, mais pour le faire, les moyens que nous avons utilisés jusqu'à maintenant ne suffisent plus, nous devons comprendre sur quel terrain nous nous mouvons pour affronter le combat et vaincre.

2. QUELQUES DONNEES SUR LA RESTRUCTURATION ET LA RECONVERSION

La crise a travaillé avec force et ténacité, elle n'a épargné personne. Nous utilisons ici le terme "crise" dans son sens le plus large, à savoir comme comportement du capital dans son attaque contre la force ouvrière qui implique l'utilisation d'instruments et mécanismes nouveaux dans l'objectif de réaliser l'accumulation dans une situation de modification des rapports de force entre les classes.

Nous définissons donc la restructuration comme cet ensemble de modifications du procès de production visant à une relance de l'accumulation.

Concrètement, le processus actuel de restructuration signifie :

1) L'introduction d'une nouvelle technologie, comme par exemple dans l'industrie de l'automobile, dans l'objectif d'augmenter la productivité du travail, de réduire le nombre d'emplois, et surtout détruire l'expression du pouvoir ouvrier dans l'usine. Du point de vue de l'organisation ouvrière, nous pouvons vérifier que la tentative des patrons est de détruire l'unité de classe qui s'est formée dans les grandes usines, par le biais d'une décomposition plus poussée des travaux, une fluidification de la production, c'est-à-dire en pratique, l'introduction de structures capables de garantir la production, même en présence de luttes ouvrières en amont ou en aval (doubles chaînes, réserves de main-d'oeuvre disponible) et l'augmentation de la productivité par l'introduction de stimulants, avec l'accord du syndicat.

2) La déconcentration de la production qui va du développement des petites et moyennes usines à l'augmentation du travail au noir, à domicile, etc. Il faut souligner au moins deux points à ce sujet : d'une part, la déconcentration ne signifie pas du tout disparition de la grande entreprise centralisée, étant donné que toutes ces petites usines ne sont pas indépendantes, mais centralisées par les grandes industries, soit directement par la coopération au niveau de la production, soit par le contrôle bancaire. D'autre part, la déconcentration signifie un déplacement d'une série d'usines du vieux triangle industriel, Turin-Gènes-Milan, désormais saturé et où règne une grande combativité, vers un nouvel axe qui traverse la Toscane, l'Emilie et la Vénétie (5) (il suffit de voir qu'en Emilie, le niveau de l'emploi est de 56 % contre une moyenne nationale de 33 %). Cet axe est caractérisé par, d'une part, un plus fort contrôle politique sur ces territoires, que ce soit par la dominance du P.C.I. en Emilie et en Toscane, de la D.C. dans la Vénitie et, d'autre part, une dimension réduite des entreprises (ce n'est pas par hasard si, très récemment, un théoricien du P.C.I. d'origine ouvrière disait que la déconcentration de la production est en soi un élément de transition au socialisme).

3) La définition d'un rapport différent entre l'Etat et l'entreprise (et nous parlons ici de reconversion) selon lequel l'Etat reconnaît au système de l'entreprise le rôle de garantir l'accumulation et déplace par une série d'opérations les ressources de la consommation privée et sociale du prolétariat vers l'entreprise elle-même (par des mécanismes fiscaux, une tentative de rendre rentables aussi bien les services que les participations de l'Etat, signifie en pratique le blocage des salaires des travailleurs des services, restructuration et démantellement des participations de l'Etat, augmentation des tarifs des services eux-mêmes).

Ce processus de restructuration s'insère dans une modification du rôle du capitalisme italien au niveau international qui d'un capitalisme producteur et exportateur de produits manufacturés, va se transformer en un capitalisme producteur et exportateur de structures industrielles complètes de technologie moyenne (voir les accords avec la Russie, les pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient). En conséquence, est reliée à ceci la politique de soutien à la demande interne qui avait été pratiquée jusqu'à maintenant soit par quelques concessions salariales, soit par l'expansion de l'emploi garantie par l'Etat. Une politique économique de ce type signifie évidemment une aggravation des conditions de vie du prolétariat et une nette augmentation des antagonismes de classes.

Pour affronter ce fait, il est nécessaire que l'ensemble des forces politiques participent au processus en obtenant une partie des bénéfices, voilà tout le mystère du pacte social.

Le pacte social signifie en pratique une synthèse entre le réformisme d'en haut, garanti par la D.C. (par le contrôle sur la machine étatique, la réunion des couches moyennes et le rapport avec la bourgeoisie), et le réformisme d'en bas que garantit le P.C.I. par sa capacité à contrôler les couches ouvrières assez nombreuses et son réseau de pouvoir local. L'éventualité que le pacte social se traduise ensuite en compromis historique ou donne vie à de nouvelles déchirures, dépendra d'un ensemble assez complexe de facteurs qui vont du comportement réel du prolétariat à l'équilibre international du pouvoir.

L'année dernière, nous avons pu vérifier les effets du pacte sur le comportement de classe : d'un côté, une riposte à toutes ces organisations qui s'opposent à la lutte ouvrière qu'elles avaient jusqu'à maintenant médiatisée, de l'autre, une radicalisation des secteurs sociaux qui n'ont aucun espace réel dans ce pacte social.

Ces facteurs ont déterminé aussi l'évolution actuelle par des chemins différents de la lutte ouvrière et du mouvement des sans-travail : d'un côté, la classe ouvrière se voit obligée de reconstruire ses instruments d'action d'une manière inévitablement souterraine et informelle, de l'autre, les chômeurs manuels et intellectuels ne disposent d'aucun point d'insertion par lequel mener leur propre lutte et sont donc contraints de l'orienter sur un terrain totalement étranger à la production qui ne permet par conséquent pas d'obtenir des résultats et des conquêtes immédiates mais qui, à l'opposé, n'a d'incidences qu'en termes de pouvoir.

Le gros problème qui se pose aujourd'hui à la classe ouvrière est l'utilisation, de la part du pouvoir, de ce que nous pouvons définir comme une "'culture de la crise" :

Dans le cycle des luttes précédentes, les ouvriers considéraient comme affaiblie la capacité du système à répondre à leur pression, que ce soit en termes de meilleures conditions de travail ou d'améliorations salariales. En pratique, les ouvriers accroissaient leur pouvoir au sein de la production sans se poser le problème de l'appropriation de la production elle-même. Ce type de développement a été immobilisé dans la mesure où a été présenté aux ouvriers, en pratique soit par les licenciements et le blocage des augmentations, soit au niveau de l'opinion par une campagne massive qui est partie de la crise du pétrole, l'éventualité d'une catastrophe qui mette en cause leur propre possibilité de survivre (nous nous référons ici à la pénurie des ressources, à la pollution, etc.).

Sur ce terrain, la lutte purement revendicative présente des difficultés croissantes, les points de force précédents deviennent des points de faiblesse, comme le démontre par exemple le cas UNIDAL aujourd'hui et le cas "INNOCENTI" (6) où on répond à la pression ouvrière avec la menace et la pratique des licenciements de masse ou avec une élévation démentielle des charges de travail.

Il devient alors nécessaire de mettre à l'ordre du jour une lutte d'appropriation, d'exercice direct du pouvoir ouvrier. Les ouvriers n'ont pas pu, toutes ces années-ci, se poser le problème ni même se forger une opinion sur comment une telle lutte peut se pratiquer. La vieille idéologie de la conquête du pouvoir à partir de laquelle se sont développés le P.C.I. et les petits partis nés à sa gauche, n'est pas une bonne solution pour les ouvriers, soit parce que la lutte dans une économie intégrée à l'échelle internationale comme l'économie italienne, se situe à un niveau beaucoup plus élevé, soit parce que l'expérience des "pays socialistes", qui sont en réalité capitalistes d'Etat, démontre qu'un parti maître n'est pas mieux qu'un parti bourgeois.

En outre, la lutte ouvrière est déjà une critique du capitalisme d'Etat, étant donné que les besoins et les rapports sociaux qui lui sont propres ne se limitent pas à toucher la forme juridique de la propriété bourgeoise pour la substituer à la propriété d'Etat, mais vont jusqu'à se mesurer et à critiquer concrètement l'organisation même du travail et de la vie, donc à proposer l'abolition du salariat.

D'autre part, il est pratiquement impossible de s'emparer des usines et de construire à partir de là le pouvoir lui-même, cas par cas, dans une structure productive qui n'est pas la simple addition de plusieurs entreprises, mais qui fonctionne selon des circuits intégrés à un niveau national et international. Le niveau maximum nécessaire que la force ouvrière doit atteindre pour se poser comme force organiquement antagoniste au capitalisme doit donc être la capacité de modifier à l'échelle générale les rapports de production à son propre avantage, soit sous la forme d'obtention de conquêtes immédiates et concrètes, soit sous la forme d'une capacité totale à modifier les lois qui règlent la production. L'actuelle structure de classes nous donne quelques indications dans ce sens quand elle met en évidence la nécessité pour le capitalisme de dévaloriser l'intelligence productive du prolétariat pour s'en assurer un contrôle encore plus inébranlable.

Par conséquent, développer cette intelligence productive sur les thèmes des conditions de vie des prolétaires est une voie obligatoire sur laquelle nous devons nous mesurer et sur laquelle le mouvement est déjà en train de faire ses premières preuves dans la lutte anti-nucléaire, et en général dans la critique de la production de la mort.

3. LES LIMITES DE LA RESTRUCTURATION

La restructuration en cours aujourd'hui apparaît à beaucoup de camarades et en général aux prolétaires comme la preuve d'une capacité illimitée du capitalisme d'assurer son propre pouvoir sur le terrain de la production. Ce type d'évaluation se reflète de manière contradictoire au sein du débat ouvrier, à savoir que pour les couches les moins combatives du prolétariat, c'est un élément de renforcement des liens avec le réformisme et de perte de confiance dans la lutte, tandis que pour les ouvriers les plus combatifs, c'est un stimulant pour prendre des distances par rapport à la lutte et l'organisation au sein de l'usine et miser sur un niveau d'affrontements plus "politiques".

Concrètement, cela signifie la maturation d'une contradiction interne à la classe ouvrière que l'on peut théoriser comme contradiction entre droite et gauche ouvrière. De cette façon, l'extrêmisme fonctionne une fois de plus comme face complémentaire et subalterne du réformisme, étant donné qu'il n'arrive pas à dépasser une attaque, bien que juste et méritée, de la politique réformiste.

Une idée plus claire sur les limites de la restructuration peut être au contraire un point de force pour l'opposition ouvrière.

Les limites économiques sont la difficulté évidente que le capitalisme a pour réaliser un relancement effectif et solide de l'accumulation, étant donné que les nouvelles technologies introduites impliquent une augmentation des dépenses et ne garantissent pas une augmentation suffisante de la productivité. Le même discours vaut pour la déconcentration productive qui, si elle permet une séduction du coût du travail, pose de toutes façons de nouveaux problèmes de gestion et de financement et n'est praticable seulement que dans quelques secteurs.

Mais surtout, il y a les limites de la résistance ouvrière qui s'exprime dans la défense de quelques mécanismes salariaux comme l'échelle mobile, défense qui, nous l'avons vu, se traduit dans les luttes autonomes à chaque augmentation massive des prix, dans la persistance des luttes de catégorie, dans la combativité nouvelle des secteurs traditionnellement à l'arrière-garde (hôpitaux, dockers, aéroports, chemins de fer, etc.). Il s'agit d'une force ouvrière qui apparaît rarement sous la forme d'organisation d'objectifs précis, mais dont le capital perçoit parfaitement les contradictions et les difficultés à développer une structure cohérente.

Outre la résistance ouvrière, il faut considérer les données du mouvement de printemps, expression d'une crise profonde du contrôle social, crise qui va s'élargir à cause de la chute de l'emploi et de la marginalisation croissante de la population hors du système productif et hors du système des partis.

L'unique type de récupération de ce mouvement que le pouvoir peut opérer, soit dans sa variante conservatrice, soit dans sa variante réformiste, est son utilisation contre les luttes ouvrières pour faire passer la politique des sacrifices en soutenant que les sacrifices sont indispensables pour garantir l'emploi. Si cette éventualité se vérifie, le risque qui court est d'assister à une radicalisation de la classe ouvrière contre les "sans garantie", une séparation et une opposition dans les usines à tout autre type de lutte prolétaire.

La limite principale de la restructuration qui nous intéresse est sa capacité à mettre en échec stratégiquement l'autonomie de classe.

Si cette restructuration signifie soumission plus étroite à la loi du profit de toute l'activité sociale, elle signifie aussi élargissement et homogénéisation des comportements et des intérêts de classe, expansion de la force ouvrière. Alors, la lutte au port de Gènes, à l'aéroport de Rome (7), parmi les travailleurs des hôpitaux et des chemins de fer, les cartes syndicales déchirées par des milliers ne sont pas des faits corporatifs, ni même trop particuliers, mais des éléments précis de cette expansion.

Certainement, ces luttes et toutes celles qui se dérouleront à l'avenir ne peuvent rien compter, ni sur la rigidité du système productif, ni sur les institutions. En fait, le système productif tout entier s'oppose aujourd'hui à l'action ouvrière sans laisser aucune exception ni par des interventions de l'Etat pour sauver les secteurs en crise, ni par des engagements auprès des employés du secteur public pour assurer l'emploi. Ceci est d'autant plus grave pour les ouvriers qui n'ont pas la chance de travailler pour un patron à la grâce de Dieu ou du Fond Monétaire International !

A ce point, les institutions ne font que refléter cette donnée, que créer un consensus et la peur pour le faire accepter. Si cela signifie de nouvelles difficultés pour l'action ouvrière, cela signifie aussi moins d'illusions et moins de récupérations.

4. LA CRISE DU MILITANTISME

Nous avons exposé schématiquement ce que la crise a changé dans l'économie, dans la production, dans la classe, dans les systèmes de gouvernements de la société. Cherchons maintenant à éclaircir un autre aspect social, lui aussi modifié, à savoir le militantisme, la pratique de la théorie révolutionnaire.

Depuis 1973, il y a eu un blocage dans les types de luttes qui se sont développées jusqu'à maintenant. L'action ouvrière a perdu la force d'impact qu'elle exerçait en 1969 dans les grandes usines métallurgiques, mécaniques et chimiques, et s'est dispersée en multiples luttes dans les petites et moyennes entreprises, sans que ces ruisseaux ne se réunissent en un grand fleuve.

La classe a alors abandonné ses conseils d'usine, organes d'action politico-organisationnels immédiate et fonctionnelle et a perdu son principal point de force, la rigidité du travail, soit dans le sens de la garantie de l'emploi, soit dans le sens de l'immobilité du poste (8).

C'est ceci le point fondamental pour comprendre la suite, c'est-à-dire ce qui s'est passé dans la sphère du militantisme.

A l'affaiblissement de l'action ouvrière a fait suite immédiatement l'affaiblissement des groupes politiques axés sur la lutte dans les usines qui s'est manifesté par un "vide", une "crise" de la théorie de la révolution. L'écroulement de tout un réseau de liaisons dans les luttes ouvrières a fait abandonner les hypothèses d'une croissance de l'organisation dans la production après que chaque groupe ait été amené à se heurter à son propre mur, suivant la façon dont il entendait mener la lutte de classe.

Les militants extérieurs et les groupes anarchistes remettaient à l'ordre du jour la théorie du refus et s'attachaient à ressouder leurs propres organisations ; nombreux étaient ceux qui se dispersaient ainsi. Beaucoup de camarades restés dans l'usine après une réflexion sur le cycle des luttes en arrivaient à choisir la voie des groupes autonomes.

Les groupes autonomes sont donc le produit du refus ouvrier, ils naissent tardivement, en relation avec les tâches qui se définissent, et apparaissent sur un terrain défensif, la sauvegarde des améliorations obtenues. Ils seront le point de départ des luttes contre la restructuration, en cherchant à s'opposer à la rupture de la rigidité ouvrière dans les catégories qui semblent plus ou moins avoir été le point de force de la classe. La voie de l'autonomie est donc dans ce sens conservatrice. Etant incapable de donner vie à une théorie du développement révolutionnaire dans la sphère de la production, elle butte sur la défense d'une situation ouvrière spécifique, en se radicalisant toujours plus et en créant des organismes là où il y avait auparavant un flot de luttes. De plus, c'est une voie arriérée parce qu'elle prive les ouvriers d'une compréhension plus générale de la crise, ce dont est encore plus responsable le néo-léninisme dont le spectre plane dans la sphère de l'autonomie. En faisant une distinction, suivant leur habitude, entre organisation et mouvement réel, les néo-léninistes introduisent entre théorie et pratique une séparation qu'ils ont toujours faite et qui, au cours de leur défaite historique, s'approfondit jusqu'à opérer une réduction toujours plus grande de la spécificité ouvrière ; c'est pourquoi ils sont en permanence à la recherche du nouveau sujet révolutionnaire prolétarien, de situations sectorielles (des ouvriers aux femmes, aux jeunes, etc.), substituant à la totalité une partialité généralisée.

Le rappel d'une spécificité ouvrière concrète, c'est-à-dire de la particularité de la forme dans laquelle s'exprime la force ouvrière, renvoie à l'existence de la couche sociale qui a découvert dans le militantisme une possibilité d'action concrète.

La théorie de la vie quotidienne comme fait politique naît quand la vie quotidienne est désormais vécue comme une crise du militantisme qui ne paie pas.

La fuite de l'usine qui a suivi une donnée réelle, celle de la crise des luttes, a fait le reste : soit elle s'est traduite par l'auto-licenciement de camarades qui n'arrivaient plus à trouver dans le travail en usine un terrain concret d'intervention, soit elle s'est traduite par "l'auto- marginalisation" des comportements ouvriers.

Maintenant, nous nous trouvons affrontés au fait, à Rome comme à Bologne, que le mouvement est identifié sans réserve au Mouvement, qu'on assimile peu à peu à la classe.

Les nouvelles théories de ce nouveau mouvement nous semblent être un jeu de miroirs qui renvoie l'image à l'infini. Les transversalistes (9), avec le « sujet frémissant de flux désirants », regardent l'action et la pratique organisationnelle à travers l'image que renvoient les vieux schémas léninistes incarnés par les vieux groupes et les tendances autonomes. A l'inverse, les néo-léninistes se servent de la théorie du nouveau sujet pour camoufler les erreurs politiques non négligeables qui ont décimé leurs rangs.

Disons à ces camarades qu'il est temps de cesser de porter aux nues chaque convulsion produite par la crise que traverse le prolétariat.

5. PERSPECTIVES

En brisant le mécanisme de développement économique, fondé sur le rapport entre expansion de la production et expansion du salaire/consommation, la crise a modifié la perception de la société qui a perdu son vernis doré de bien-être et l'espace démocratique a été plus étroitement soumis à l'usine.

Aujourd'hui la société n'est plus la société civile où les querelles entre groupes sociaux pouvaient se résoudre dans la confrontation, mais elle est le lieu où se complète le processus de production à travers la phase spécifique de la reproduction de la force de travail.

La vie du prolétariat n'est pas laissée au hasard. La phase de reproduction de la force de travail est analysée scientifiquement et divisée en situations et mouvements parcellaires : travail d'usine, secteur tertiaire, travail marginale, école, chômage ; chaque prolétaire a à sa disposition ces choix, en opposition à la rébellion et à la marginalisation.

Rupture du cycle des luttes, perte de la rigidité de la force de travail, organisation capitaliste de la reproduction de la force de travail, salaire qui, d'un vecteur prédominant du développement économique, se transforme en bailleur de fonds du mécanisme complet de la production, voilà les moteurs du démarrage des transformations sociales profondes que nous sommes en train de vivre, et qu'au moins une grande partie des protagonistes vivent comme une radicalisation du mouvement dans son ensemble en faisant le culte de comportements particuliers.

Si on accepte ceci, on en déduit qu'il est nécessaire de définir une voie qui soit une attaque recomposée et globale au niveau des différentes phases.

En affirmant aussi que la révolte de printemps est l'expression de la « couche sociale prolétaire qui réalise la concrétisation sociale maximum du temps libre par rapport au temps de travail », on ne doit pas oublier que c'est le temps libre par rapport au temps de travail, spécifique à ce système de production, qui règne dans les usines et que c'est ceci qui va déterminer la manière dont se fait la "libération" (de temps) : expulsion, contrôle, c'est-à-dire de toutes façons. la recherche par le capital de nouvelles formes de production.

N'intervertissons pas les termes du problème. Ce qui semble échapper à tant de camarades, c'est justement cela : le mécanisme complexe et coûteux de l'inflation/restructuration n'est pas un jeu qui ait une fin en soi, mais une stratégie bien claire qui se propose, ou mieux fonctionne déjà comme une refonte de l'économie, comme la reprise du procès de production dans un nouveau système intégré.

En cela, le capital ne laisse pas de marge au mouvement. C'est là que l'on doit se battre, c'est là que se reconstruira un front. Et c'est à partir de là qu'on peut abandonner à l'histoire passée une conception de la révolution comme expression politique séparée, pour, au contraire, tirer une conclusion concrète : la socialisation massive du travail porte en elle des contradictions insolubles sous la domination du capitalisme. Dans cette faille qui traverse tout le système de l'usine, il faut continuer à enfoncer les burins de la recomposition de classe. La révolution comme totalité d'action de classe.
Il est difficile de formuler des propositions qui correspondent aux besoins concrets immédiats. On peut cependant énoncer une série de propositions.

Au cœur de la crise, il y a un élargissement énorme de la base productive, dans ce sens que des vieilles couches sociales laissées en marge de la machine capitaliste deviennent fonctionnelles pour la production, et c'est ainsi que se créent les prémices d'une recomposition de classe qui tend à être globale. Il y a aussi une augmentation de la productivité qui rend possible une réduction de la part de travail individuel, tandis que le capital tend au contraire à réduire le travail socialement nécessaire à sa reproduction complète, et à développer le travail improductif. En ce sens, les tâches actuelles sont les suivantes :

- relancer plus clairement le débat ouvrier pour le développement de coordinations d'usines, de zones et de secteurs qui servent de point de départ à l'organisation d'une opposition sur tous les thèmes de l'exploitation (salaires, horaires, pollution, etc.) ; développer une connaissance plus approfondie des mécanismes du capital qui puisse servir de guide pour une action autonome plus décidée ;
- avec toutes les autres couches sociales prolétaires, ou mieux, avec tous les moments séparés du processus de reproduction de la force de travail, développer l'affrontement avec le capital sur des objectifs précis, même s'ils ne sont aujourd'hui praticables qu'en termes limités, partiels et pour une bonne part encore propagandistes, comme les réductions d'horaires, le contrôle prolétaire sur les prix, etc. ;
- pousser à fond la rupture avec les forces sociales qui ne voient dans la crise que l'occasion de réaffirmer leurs intérêts anti-prolétaires, à travers la critique, théorique et pratique, aussi bien de leurs actions sur le plan économique que des forces politiques qu'ils organisent et représentent.

Ces propositions sont encore très générales, de même qu'est général le débat qui existe au sein des coordinations ouvrières et dans les situations de lutte ; elles nous semblent par ailleurs exprimer des exigences actuellement assez répandues et présenter des données sûres qui peuvent servir de point de départ soit pour un débat de situation, soit pour un débat comme celui de Bologne en septembre (9).

Pour lui donner un caractère opérationnel et organisationnel, nous devons poursuivre la confrontation des expériences que nous sommes en train de mener, tout en renforçant les liens entre les situations de lutte, en définissant des objectifs concrets qui aillent dans ce sens, en brisant l'isolement et le ghetto dans lequel le pouvoir veut nous enfermer.

Milan, septembre 1977

1.Le 9 septembre, pendant la grève générale et durant un meeting avec Lama, secrétaire général de la C.G.I.L (équivalent italien de la C.G.T.), un groupe d'ouvriers a tenté d'exprimer son désaccord avec Lama. Le service d'ordre du P.C.I., composé d'environ mille cinq cents personnes munies de matraques, ont attaqué le groupe contestataire jusqu'au sang. Le P.C.L voulait ainsi réaliser plusieurs objectifs :
1)S'assurer un contrôle entier de la première manifestation d'automne.
2)Empêcher que se répètent les faits qui se sont déroulés lors du meeting à Milan de la C.I.S.L (Syndicat de la Démocratie Chrétienne), démontrant ainsi la crédibilité du syndicat du PC I par rapport à celui de la Démocratie Chrétienne.
5)Relever l'échec de Lama à Rome au printemps dernier, au meeting des étudiants. Ceci était d'autant plus important que cela se passait à Milan et que le P.C.I. voulait démontrer qu'il n'était pas contesté par les ouvriers à Milan, comme il l'avait été par les étudiants à Bologne.
2. "Démocratie Prolétaire" : cartel électoral de plusieurs organisations gauchistes (Vanguarda, Operaia, P.D.U.P., Il Manifesto, etc.) qui se présente actuellement comme un nouveau parti à la gauche du P.C.I. sans qu'il y ait cependant fusion entre ces groupes.
3.Contindustria :Association patronale nationale.
4. Lama secrétaire national de la Cali-, syndicat du P.C.I.
5.Toscane, Emilie et Vénétie : régions du nord de l'Italie centrale, traditionnellement administrées par des partis de gauche et dans lesquelles ont été développées des structures productives basées sur une agriculture riche, organisée en coopératives de production et de commercialisation, sur la présence de très nombreuses petites et moyennes entreprises, sur un système de services sociaux suffisant pour assurer le plein emploi, et surtout sur un système bancaire géré par le P.C.1 qui a toujours garanti des crédits et de bonnes conditions. Le P.C.I. s'est ainsi assuré un contrôle total, non seulement politique, mais aussi économique, sur des régions entières.
6.Unidal et Innocenti : ce sont quelques unes des entreprises où la restructuration a signifié une diminution massive de remploi et une augmentation très forte des cadences de travail.
7 Le port de Gènes est un bastion traditionnel du P.C.1. et y sont employés des ouvriers traditionnellement très bien payés. La restructuration du port, acceptée par le signifie une diminution de l'emploi, une augmentation des charges, etc. S'est constitué dans le port un collectif de base qui, au cours des dernières assemblées, a mis en échec k syndicat du P.0 I. (il a obtenu la majorité des participants) sur la plateforme d'une lutte contre la restructuration.
A l'aéroport de Rome, il y a eu une grève contre la nocivité des conditions de travail pour les assistants de vol, et en lien avec les ouvriers de l'aéroport. Une autre lutte sur ces mêmes problèmes s'est développée dans les chemins de fer où le syndicat confédéral a voulu organiser une série de grèves pour récupérer le mécontentement montant de la base, laquelle s'est exprimée soit en grèves sauvages, soit par un renforcement du syndicat autonome (corporatif, sur des positions de droite). Sur tous ces types de lutte, il est clair qu'il s'agit de couches sociales particulières (ouvriers professionnels qui ont un fort pouvoir contractuel).
8. On entend par rigidité du travail un ensemble de conquêtes ouvrières par lesquelles les patrons ne peuvent pas d'une part faire faire à un ouvrier un travail qui ne correspond pas à sa qualification, d'autre part transférer des ouvriers dans une autre entreprise ou dans un autre atelier. Cette conquête est une force du pouvoir ouvrier, dans la mesure où elle permet de constituer des groupes ouvriers homogènes et qui se connaissent. En out re. elle empêche les patrons de faire travailler les ouvriers dans des moments creux. Actuellement, le syndicat tend, dans la plupart des cas, à négocier les non-licenciements contre la mobilité (on entend par mobilité l'abrogation oie la rigidité du travail).
9. A propos des transversalistes, voir la note introductive.
"Salut Carmela, je suis chez FIAT ! Je vais bien... Si, si, nous pouvons parler tranquillement, c'est Agnelli qui paye !"
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Messagepar Paul Anton » Vendredi 30 Jan 2009 12:57

:arrow:

http://cnt.ait.caen.free.fr/forum/viewtopic.php?t=4555

Bientôt dans la bibliothèque subversive !

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