Quand tu parles d’une organisation de « révolutionnaires professionnels, centralisée autour de son chef, dont les adhérents sont mus par une discipline de fer, soudés dans une obéissance aveugle à la hiérarchie (quelle qu'elle soit), et qui vont ensuite par un coup d'Etat imposer leur point de vue à tout le monde. Bref, s'organiser de façon bolchevique ». Là ce dont tu parles, c’est du stalinisme
Non. Le stalinisme n'est pas une organisation de révolutionnaires restreinte et élitiste mais au contraire une organisation de la société, de manière massive. Et cette forme d'organisation totalitaire, avec son armée, sa gestion hiérarchisée de l'entreprise, sa police ou plutôt ses polices, Staline ne la crée pas, il la trouve toute prête à l'emploi, et bien rodée après plusieurs années de prise et de gestion du pouvoir et de ses crises par l'ensemble des bolcheviks.
Staline et ses camarades se contentent de prendre le costume qui a été taillé pour eux, point barre. Il n'y pas de transformation profonde ni du parti , ni de la structure Etat, ni des structures de soi disant collectivisation économique quand les staliniens prennent le pouvoir.
Et c'est d'ailleurs ce qui fait que le discours trostkyste des années d'opposition va se heurter à un mur de passivité et d'incompréhension du prolétariat russe, qui voit avec raison un changement d'hommes , mais pas de politique et de mode d'exercice du pouvoir. Seuls ceux qui l'ont exercé et se retrouvent blackboulés datent le début de la Terreur du moment ou eux aussi ont commencé à avoir peur.
Mais c'est bien la structure bolchevik qui est en cause, l'idéologie de l'avant garde et du cercle restreint des hommes de fer, de la Révolution qui pourrait être guidée par quelques uns, de cette incapacité à comprendre que c'est l'aspect massif des soviets qui est révolutionnaire, cette réflexion collective démultipliée. Construire l'avant garde c'est renoncer au communisme pour une efficacité immédiate qui finit toujours par se retourner contre la Révolution.
Et ce n'est pas s'abriter derrière des slogans ou des recettes qui change la donne. Je suis entièrement d'accord avec toi sur le fait de ne pas rejeter la négociation MAIS en même temps, je ne me fais pas d'illusion sur les trucs du style "mandat révocable" ou "AG souveraines ". Tu peux inscrire ça dans le marbre, le proclamer haut et fort, comme c'est le cas dans la plupart des mouvements sociaux aujourd'hui, mais la question c'est surtout qui va révoquer ?
De fait, si les outils d'organisation développés par les masses sont assez développés pour propager une conscience globale, de toute façon, ils se révoquent d'eux même au sens ou la clique qui ne suit pas le mandat se retrouve révoquée par les faits, à savoir une base qui ne la suit pas.
A l'inverse, si des "avant garde" se sont organisées en petits groupes un peu malins, et qu'il n'y a pas à la base de réflexion horizontale, alors rien de plus facile que de fixer le mandat et et de n'avoir aucun risque de le faire révoquer.
Le léninisme et le trotskysme sont avant tout des théories de la concurrence avec les bureaucraties réformistes: comment faire en sorte que le mandat soit confié aux vrais Révolutionnaires ceux qui ne trahiront pas.Bien au contraire l'anarchisme est une théorie de la rupture, c'est à dire comment se passer au maximum de toute délégation de pouvoir, comment faire pour que la lutte de classes en arrive à un niveau de conscience telle qu'il n'y aiat plus besoin d'entrer dans le jeu concurrentiel, même avec un seul pied.
Pas évident, bien sûr. Pas simple de refuser à un moment donné la direction de tel ou tel mouvement, quand tes idées ont le vent en poupe, pas simple de préférer parfois être en butte à l'incompréhension du plus grand nombre: par exemple quand on te dit " mais tu devrais y aller à la place du gars de la CGt, tu nous défendras mieux ". Mais c'est dans ces moments là, ou tu dois te battre pour faire comprendre aux gens que personne ne fera lee boulot à leur place, et qu'au fond ce n'est absolument pas l'intelligence ou la combativité particulière de tel ou tel qui comptent dans une négo, mais celle de la masse qui est à la porte du bureau ou pas.