Ce que tu dis de la négociation avec l'exemple des RMistes qui revendiquent de l'argent, est à rapprocher avec ce que tu disais de l'avant et après lutte. J'admets volontiers qu'il est des situations où nous sommes acculés à négocier un quelconque truc. Mais il est différent de dire : ma méthode de lutte c'est de négocier avant tout pour satisfaire des revendications partielles plutôt que de dire : nous luttons pour affaiblir le système, parce que d'emblée nous sommes des ennemis de celui-ci, et il est des situation où l'on se retrouve à disputer un bout de quelque chose. C'est pas une question de pureté ni d'idéologie. C'est une manière de poser les choses qui fait la différence. Il convient également de dire qu'il est des moments où la rencontre entre ceux qui se posent en ennemi du système et d'autres qui ne se posent pas de cette manière.
Exemple concret : Je pense à la lutte des chômeurs de la fin des années 1990. Cette lutte était avant-tout déclenchée pour des affaires d'argent (prime de noël, revalorisation des "minima sociaux") Mais le mouvement était bien plus large que ça : bien sûr, il y avait les chèques arrachés à chaque occupation d'ANPE ou d'ASSEDIC, bien sûr il y avait les arrangements pour le paiement de factures d'électricité suite à l'occupation de locaux d'EDF. Mais il y avait surtout ces discussions libres sur le travail, sur l'Etat, sur la société de consommation. Il y avait ces actions décidées sans chef ni représentants et qui emmerdaient tellement les bureaucrates de toute obédience.
Nous voilà au coeur du sujet, avec un exemple qui me tient à coeur en plus.
Qu'est ce qui crée une discussion libre sur le travail, l'Etat ou la société de consommation ? Surtout qu'est ce qui fait que cette discussion ne soit pas uniquement un échange de mots, ou de brochures, mais un débat en actes, ce que fut le mouvement des chômeurs.
Et, autre question, quel est l'élément qui a fait que cette discussion en actes ne dure que quelques mois, et pour schématiser que d'aucuns continuent la discussion sur l'Etat et la consommation, pendant que d'autres retournaient à leurs préoccupations bassement matérielles.
En ce qui me concerne, je pense que le problème ne tient absolument pas entre une division entre ceux " qui lutteraient pour satisfaire des revendications partielles " et ceux " qui se posent en ennemis du système ".
Il est ailleurs: pour ceux qui n'ont que leur force de travail à vendre en échange de leur subsistance, la lutte pour la survie, mais aussi pour la vie est perpétuelle, et ne peut se mener individuellement, le rapport de forces étant trop désavantageux, pour à la fois satisfaire ses besoins matériels, et arracher le temps nécessaire à autre chose. Ce qu'a créé l'espace de quelques mois le mouvement des chômeurs, c'est un rapport collectif suffisamment fort pour être débarassé un temps de la nécessité de gaspiller son temps à chercher à bouffer, à trouver du fric pour payer les factures, le loyer et le reste. Et dans le même mouvement, les conditions de l'affrontement, notamment les occupations longues , la prise de lieux permanents d'organisation ont permis de faire émerger des débats sur l'essentiel et pas seulement sur le nécessaire.
Et c'est là qu'on touche à cette distinction que j'essaie de formuler entre deux choses qui sont à mon avis totalement différentes et qu'on regroupe abusivement sous le terme "revendication ". Pendant le mouvement, il y a deux types d'actions et de discours revendicatifs, deux types de négociation. D'un côté des collectifs sur le terrain qui exigent de l'immédiat et effectivement négocient l'arrêt d'une action ou d'une occupation, en échange de l'octroi immédiat de pognon, du renoncement à une expulsion ou à une coupure EDF, de la fourniture de marchandises. De l'autre des bureaucraties qui , sous prétexte de globaliser la lutte, tentent elles de proposer une "modélisation " de ces revendications immédiates: du fric maintenant deviendra par exemple la revalorisation des minima sociaux, ou le financement des associations de chômeurs.
D'un côté, donc des actions qui ouvrent un espace de débat dans le cadre d'un affrontement clairement posé, mais aussi, effectivement, dans la négociation pour alimenter la possibilité de la lutte. De l'autre l'intégration au système, l'élaboration de revendications globales comme proposition de résolution du conflit général.
Si l'on ne voit pas cette différence, ou plutôt si on ne la ressent pas dans sa propre chair, on est condamné à ne rien comprendre à ce qui se passe dans les luttes.
Il y a eu un moment dans le mouvement ou la bureaucratie a mis toute sa force pour saboter ces actions de satisfaction de revendications immédiates, ou elle a tout fait , en collaboration avec les flics pour qu'elles cessent et que chacun se retrouve seul avec sa précarité. En contrôlant l'accès aux lieux de socialisation du mouvement, en confisquant les moyens de production et de communication ( locaux, ordis, machines à tracts ) quand elle le pouvait pendant que les flics expulsaient systématiquement les occupations ou il était possible de retrouver des moyens de ce type.
Et l'erreur de pas mal de compagnons, qui , notamment ceux qui ne connaissaient pas les condititions de vie extrêmes de la frange la plus pauvre du mouvement, majoritaire a été de penser qu'il fallait "radicaliser " pour combattre la bureaucratie en renonçant totalement à ces actions, pour les remplacer par d'autres qui excluaient toute négociation. Il aurait fallu faire les deux, car elles seules grantissaient que le système puisse avoir un ennemi collectif sur la durée et surtout que cet ennemi soit efficace.